La mondialisation et l’industrie pharmaceutique

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001Par : Jean-Pierre CASSAN, président-directeur général de AstraZeneca France

D’un point de vue poli­tique, la mon­di­al­i­sa­tion peut s’analyser égale­ment comme un sys­tème de pou­voir détenu par des organ­i­sa­tions inter­na­tionales qui con­trôleraient le marché, les entre­pris­es et leurs clients. L’or­dre économique mon­di­al se serait ain­si refor­mé autour de nou­veaux arbi­tres comme l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce ou le Dia­logue transat­lan­tique (TABD).

Penser global, agir local

Sur la vie de l’en­tre­prise, la mon­di­al­i­sa­tion inter­vient comme un nou­veau mode de partage des com­pé­tences à l’échelle plané­taire et une prise en compte plus impor­tante du client des­ti­nataire. Cette nou­velle répar­ti­tion des rôles s’est traduite par l’ex­ter­nal­i­sa­tion accrue des moyens afin de béné­fici­er des savoir-faire et des exper­tis­es mondiales.

Ain­si, plus l’en­tre­prise se mon­di­alise, plus son cen­tre de déci­sion se resserre don­nant plus de pou­voir et d’ini­tia­tive aux cen­tres de déci­sion périphériques proches des marchés, plus proches des clients, plus proches des instances de pou­voir local. Plus l’en­tre­prise devient anonyme et virtuelle masquée par un logo ou une image et plus grande est la néces­sité pour elle d’être proche de ses clients.

Penser glob­al, agir local est devenu le par­a­digme à attein­dre. Cepen­dant, cette prox­im­ité et ce nou­veau pou­voir du client ont généré aus­si un con­tre-pou­voir qui a pris toute son ampleur avec le développe­ment des nou­velles tech­niques de com­mu­ni­ca­tion. Si l’en­tre­prise s’est appuyée sur ces nou­veaux out­ils pour fonc­tion­ner plus rapi­de­ment et être plus proche de ses clients, ces derniers les ont aus­si util­isés comme instru­ment de con­trôle et même de pres­sion sur ces entreprises.

Car il y a doré­na­vant une inter­ac­tion crois­sante des événe­ments, des oppor­tu­nités et des choix stratégiques dans un espace de moins en moins cloi­son­né. Selon une image con­nue, avec les nou­veaux moyens de com­mu­ni­ca­tion, un vol de papil­lon dans la baie de Syd­ney peut provo­quer un oura­gan dans l’Hi­malaya. Cette accéléra­tion de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion est donc autant une source de pou­voir qu’un risque per­ma­nent de désta­bil­i­sa­tion pour le pou­voir lui- même.

La rapid­ité de ce mou­ve­ment a donc imposé aux struc­tures habituelles de man­age­ment une nou­velle organisation.

La flex­i­bil­ité, la réac­tiv­ité sont dev­enues des règles de base pour la con­duite des organ­i­sa­tions aus­si bien dans le domaine des ressources que dans celui des procédures.

L’en­tre­prise mon­di­al­isée doit être capa­ble de pren­dre des risques dans ses investisse­ments pour les déplac­er si besoin et en même temps elle doit être suff­isam­ment sou­ple pour génér­er de la créa­tiv­ité, de l’imag­i­na­tion pour rester entre­prenante. Il est devenu essen­tiel de pou­voir répon­dre le plus vite pos­si­ble à un besoin sans remet­tre en cause ni la total­ité de sa struc­ture ni la péren­nité de ses ressources financières.

La recherche au centre de la stratégie

L’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique est au cœur de ce mou­ve­ment car le champ d’ac­tiv­ité a dépassé toutes les fron­tières et envahit les marchés dits émer­gents d’Eu­rope de l’Est ou d’Asie. La fin du XXe siè­cle a été mar­quée par les fusions, les absorp­tions, les concentrations.

Hématies
Hématies, fauss­es couleurs.  © INSTITUT PASTEUR

Les plus impor­tantes ont touché des groupes phar­ma­ceu­tiques qui étaient déjà en posi­tion de leader sur les marchés : Astra et Zeneca, Glaxo-Well­come et SmithK­line Beecham, Rhône-Poulenc et Hoechst, Sanofi-syn­the­labo, Mon­san­to et Phar­ma­cia Upjohn…

La moti­va­tion pre­mière des regroupe­ments est la capac­ité à inve­stir dans de nou­veaux domaines de recherche et de développe­ment. Les dix pre­miers groupes phar­ma­ceu­tiques mon­di­aux dépensent ain­si chaque année plus de 70 mil­liards de francs en recherche et développement.

Le prix d’en­trée d’une molécule sur le marché est aujour­d’hui de plus de 3 mil­liards de francs. Seules les entre­pris­es dis­posant de réserves finan­cières con­séquentes peu­vent doré­na­vant se per­me­t­tre de rivalis­er sur des marchés ouverts et de plus en plus exigeants mais peu­vent aus­si sup­port­er les échecs inhérents à toute recherche.

Cette nou­velle donne inter­na­tionale a eu des con­séquences majeures pour les patients qui béné­fi­cient doré­na­vant plus rapi­de­ment des nou­veaux traitements.

La mon­di­al­i­sa­tion a ain­si con­duit les entre­pris­es à innover plus rapi­de­ment. Par­al­lèle­ment les autorités de san­té ont inter­na­tion­al­isé les procé­dures d’en­reg­istrement ce qui a accéléré la mise sur le marché des nou­veaux médica­ments. Cette procé­dure a égale­ment per­mis d’har­monis­er les règles de sécu­rité san­i­taire qui pesaient sur le médica­ment et de les ren­forcer s’il était besoin.

Il reste néan­moins de nom­breux pro­grès à accom­plir. Sur un plan économique, la mon­di­al­i­sa­tion doit encore démon­tr­er qu’elle peut être un avan­tage pour les pays les plus pau­vres. Sur un plan éthique, la mon­di­al­i­sa­tion néces­site égale­ment un meilleur con­trôle de l’in­for­ma­tion thérapeu­tique notam­ment sur le réseau Internet.

Une mau­vaise inter­pré­ta­tion d’une étude médi­cale menée sur un con­ti­nent, un trop vif ent­hou­si­asme sur des résul­tats clin­iques peu­vent créer de faux espoirs ou de fauss­es inquiétudes.

L’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale de la san­té s’est notam­ment inquiétée de ce phénomène et a même envis­agé de créer un label ” san­té ” afin de réguler cette masse d’in­for­ma­tions. Ce label n’a pas encore été autorisé par les instances inter­na­tionales chargées de régle­menter les adress­es Inter­net, mais le pro­jet ne sem­ble pas aban­don­né pour autant. Enfin, le gigan­tisme des entre­pris­es ne doit pas leur faire oubli­er leur dimen­sion humaine.

Qu’il s’agisse du fonc­tion­nement de l’en­tre­prise ou de sa final­ité, cette dimen­sion est aus­si une des con­di­tions de son développement.

Poster un commentaire