Systèmes de santé : quelques aphorismes

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Jean-Pierre BADER

Les progrès » fabuleux » de la science biomédicale

Je serai bref sur ce cha­pitre lar­ge­ment déve­lop­pé dans les com­mu­ni­ca­tions ci-dessus.

Je m’é­ton­ne­rai sim­ple­ment du fait que, trop sou­vent, on mini­mise ces pro­grès, au point d’en­tendre dire et répé­ter que » l’aug­men­ta­tion des dépenses de san­té n’est pas jus­ti­fiée par les nou­velles thé­ra­peu­tiques » pas plus que » par des expli­ca­tions objec­tives » ni par » les très rares médi­ca­ments vrai­ment inno­vants « 1.

Je demande sim­ple­ment aux obser­va­teurs de bonne foi de se souvenir :

  • des coxar­thro­siques qui étaient en fau­teuils rou­lants et qui marchent main­te­nant avec des prothèses,
  • des polio­myé­li­tiques en pou­mon d’a­cier qui n’existent plus que dans la mémoire des anciens,
  • de l’in­suf­fi­sant coro­na­rien condam­né au lit, dont on dilate ou ponte actuel­le­ment les coro­naires pour lui redon­ner toute son énergie,
  • de l’ul­cé­reux duo­dé­nal que l’on ne mutile plus chi­rur­gi­ca­le­ment et qui gué­rit tota­le­ment avec sept jours de médicament,
  • de l’in­suf­fi­sance rénale que l’on dia­lyse ou que l’on greffe,
  • du dia­bé­tique que l’on équilibre,
  • du nombre crois­sant des can­cers que l’on guérit.

Arrê­tons là cette liste qui n’au­rait pas de fin, sans évo­quer ici les éton­nantes pro­messes de demain.

La santé, préoccupation première de nos concitoyens

Le pro­grès des sciences et le déve­lop­pe­ment des civi­li­sa­tions se réa­li­sant sur tous les champs, notre vie s’est trans­for­mée, dans les pays » riches « .

En même temps que nous pro­gres­sions dans le domaine de la san­té, l’é­loi­gne­ment des guerres meur­trières hors de nos fron­tières, le fait que nous n’ayons plus les mêmes com­bats à mener que nos ancêtres pour nous nour­rir, nous loger, nous vêtir, nous chauf­fer, nous défendre contre un envi­ron­ne­ment hos­tile a eu pour consé­quence que la lutte contre la mala­die et le han­di­cap, forme ultime de notre résis­tance à la mort, est deve­nue l’ob­jec­tif n° 1.

Mieux que dans tous les son­dages et enquêtes d’o­pi­nion ceci appa­raît dans les sta­tis­tiques, posi­tion­nant dans les dif­fé­rents pays la part du PIB consa­cré aux dépenses de san­té, en fonc­tion même du niveau du PIB.

On y voit que les nations » pau­vris­simes » consacrent une frac­tion déri­soire (2 à 3 %) de leur PIB, lui-même déri­soire, à la san­té, parce qu’il leur faut ache­ter de la nour­ri­ture, du pétrole (et par­fois des canons), alors qu’au som­met de l’é­chelle les USA consacrent 15 % d’un PIB géant à ce même objectif.

Et ceci sous la pres­sion irré­sis­tible des populations.

Mais cette inéga­li­té des habi­tants de la pla­nète, pour scan­da­leuse qu’elle soit, est hors de notre propos.

Cette priorité santé a un coût et un coût très élevé

Les spé­cia­listes en éco­no­mie de la san­té mani­pulent de nom­breuses grilles pour éva­luer les sommes consa­crées par les Fran­çais à leur san­té. » La consom­ma­tion médi­cale totale « , telle que la décrit la DREES (Direc­tion de la recherche, des études, de l’é­va­lua­tion et des sta­tis­tiques) du minis­tère de l’Em­ploi et de la Soli­da­ri­té, me paraît la grille la plus lisible. Elle inclut le coût de san­té, en consom­ma­tion de soins et de biens médi­caux, rem­bour­sés et non rem­bour­sés, excluant tou­te­fois les indem­ni­tés jour­na­lières et les dépenses d’en­sei­gne­ment, de recherche et d’ad­mi­nis­tra­tion et sub­ven­tions diverses.

En 1999, cette consom­ma­tion a été de 766,6 mil­liards de francs, soit 12 600 F par an, un peu plus de 1 000 F par mois et par personne.

Si l’on sou­haite appré­cier ce chiffre en évo­lu­tion, on note­ra qu’il était de 526,3 mil­liards de francs en 1990 et de 683,3 mil­liards en 1995.

La crois­sance du PIB fait que, depuis 1995, l’aug­men­ta­tion de cette consom­ma­tion médi­cale s’est effec­tuée sans aug­men­ta­tion du ratio par rap­port au PIB qui reste de 8,7 %. Une autre méthode de cal­cul, rete­nue par l’OCDE, prend en compte la » dépense natio­nale de san­té » c’est-à-dire la » dépense cou­rante de san­té » moins les indem­ni­tés jour­na­lières et dépenses de for­ma­tion et plus la for­ma­tion brute de capi­tal fixe des hôpi­taux publics.

Le ratio est alors de 9,5 % stable depuis 1997.

Si on vise l’ex­haus­ti­vi­té et si on ajoute sub­ven­tions, indem­ni­tés jour­na­lières, recherches, ensei­gne­ment et admi­nis­tra­tion, on décrit » la dépense cou­rante de san­té d’un mon­tant de 871,4 mil­liards » en 1999.

Cette croissance des consommations et du coût ne peut que s’accélérer

Fina­le­ment, cette » consom­ma­tion médi­cale totale » pour cet objec­tif prio­ri­taire de nos conci­toyens repré­sente 8,7 % de la richesse natio­nale, 1 000 F par mois en moyenne et par Français…

Cela ne paraît pas exor­bi­tant, si on com­pare ces chiffres avec des dépenses moins fon­da­men­tales : jeux, loto, tabac, alcool, etc.

Tou­te­fois ne nous voi­lons pas la face, ces consom­ma­tions ne peuvent qu’aug­men­ter et de plus en plus vite.

Ana­ly­sons donc suc­ces­si­ve­ment les fac­teurs d’ac­cé­lé­ra­tion et de frei­nage poten­tiels de ces dépenses.

1. Pour l’accélération d’abord

Que voyons-nous et qu’en­ten­dons-nous aujourd’­hui dans ce domaine !

C’est une excep­tion­nelle aug­men­ta­tion por­tant à la fois sur l’offre et la demande de biens de santé.

L’offre
Ce sont les nou­velles tech­niques d’i­ma­ge­rie, les nou­veaux médi­ca­ments issus de la chi­mie molé­cu­laire, la thé­ra­pie cel­lu­laire et génique pour demain.

La demande
C’est l’exi­gence des familles d’a­voir accès à tous ces pro­grès, tout de suite, sans res­tric­tion. Je pense à ce vil­lage payant de ses deniers l’en­voi et le trai­te­ment dans un centre aux USA d’une fillette atteinte d’une tumeur grave qu’on ne pou­vait trai­ter que là-bas.

C’est la démo­gra­phie qui fait pro­gres­si­ve­ment de la France un pays de » vieux « . En 2050 (c’est demain) les sexa­gé­naires consti­tue­ront 13 de la popu­la­tion fran­çaise. Or, incon­tes­ta­ble­ment, les per­sonnes âgées sont les plus gros consom­ma­teurs de soins, for­mant les gros bataillons de ces 10 % de la popu­la­tion qui béné­fi­cient de 70 % des rem­bour­se­ments de l’as­su­rance mala­die (CREDES 1995).

2. Écoutons maintenant les arguments de ceux qui estiment que cette croissance de consommation et de soins est tout à fait maîtrisable

a) On nous dit avec opti­misme : » Les suc­cès de la méde­cine sont en eux-mêmes géné­ra­teurs de grandes économies. »

On cite ici volon­tiers des mala­dies qua­si­ment éra­di­quées comme la polio­myé­lite, où un vac­cin effi­cace a sup­pri­mé les souf­frances et les consom­ma­tions de soins de jeunes gens para­ly­sés pour la vie.

On évoque aus­si la tuber­cu­lose, spectre des familles du début du XXe siècle, presque dis­pa­rue dans nos pays riches, mal­gré des îlots de résurgence.

Certes, certes, qui nie­rait ces fan­tas­tiques progrès ?

Un bémol tou­te­fois : à côté du rela­tif petit nombre de mala­dies ou han­di­caps que nous savons aujourd’­hui pré­ve­nir ou tota­le­ment gué­rir, la liste est infi­ni­ment plus longue des mala­dies, en géné­ral chro­niques, que nous savons sim­ple­ment sou­la­ger, amé­lio­rer en aug­men­tant l’es­pé­rance de vie ou le confort des sujets qui demeurent des malades avec des soins de plus en plus coûteux.

N’ayons pas la cruau­té de faire la liste trop longue, du sida, des nom­breux can­cers, des mala­dies car­dio­vas­cu­laires, rhu­ma­tis­males, du dia­bète, sans par­ler d’Alz­hei­mer, de Par­kin­son, etc.

Et qui plus est, toutes ces affec­tions pré­ve­nues, gué­ries ou sim­ple­ment sou­la­gées, la crois­sance de l’es­pé­rance de vie et, mieux encore, de l’es­pé­rance d’une vie sans han­di­cap majeur, aug­mente inexo­ra­ble­ment le nombre des indi­vi­dus les plus consom­ma­teurs de soins (après soixante-dix ans un indi­vi­du connaît en moyenne 7 pathologies).

Ain­si se consti­tue une sorte de » phé­no­mène de boucle » : le suc­cès médi­cal, et le gain éco­no­mique qu’il repré­sente au regard d’une mala­die déter­mi­née, nous fait tous » glis­ser » vers l’âge des plus grandes consom­ma­tions et fait croître le coût de la san­té d’un indi­vi­du à l’é­chelle de sa vie.

b) Une autre piste est lar­ge­ment uti­li­sée pour sup­por­ter le frei­nage de la crois­sance. C’est celle, très connue, de la lutte contre le gas­pillage et des défen­seurs à tous crins (qui les cri­ti­que­raient ?) de la qua­li­té du sys­tème. La thèse est simple : il y a gas­pillage par manque de qua­li­té, intro­dui­sons la qua­li­té, les soins seront moins coû­teux et plus performants.

Les pré­misses de la démons­tra­tion sont incon­tour­nables. Qui nie­rait que notre sys­tème de san­té, au demeu­rant glo­ba­le­ment satis­fai­sant quand on le com­pare à la plu­part des modèles étran­gers, s’est déve­lop­pé dans une ambiance de laxisme total ?

Liber­té pour les indi­vi­dus de consul­ter qui ils veulent, quand ils veulent, autant de fois qu’ils veulent, dans des condi­tions s’ap­pa­ren­tant pour un nombre crois­sant d’entre eux à une pseudo-gratuité.

Liber­té pour les méde­cins de choi­sir comme ils le veulent leur spé­cia­li­té, leur lieu d’exer­cice et leur mode d’exer­cice, ain­si que leur niveau de for­ma­tion continue.
Mul­ti­pli­ca­tion des hôpi­taux les plus volu­mi­neux et per­fec­tion­nés, pour flat­ter notables et clien­tèle électorale.

Indus­tries de san­té flo­ris­santes avec des tutelles long­temps peu contraignantes.

Cet âge d’or est bien révo­lu, et l’ac­cent est mis à pré­sent sur la lutte contre » les dérives « , les » excès « , les » sur­con­som­ma­tions « , qui existent sans conteste.

C’est tou­te­fois une illu­sion totale de pen­ser que la réduc­tion des excès de consom­ma­tions par contrôle de la qua­li­té entraî­ne­ra une réduc­tion des dépenses.

La recherche de qua­li­té est un impé­ra­tif abso­lu, je vais y reve­nir, mais qu’on ne rêve pas, elle aura un sur­coût évident.

Car don­ner un anti­bio­tique à un enfant souf­frant d’une angine fébrile, qui est virale dans 60 à 70 % des cas, mais qui est liée dans 25 à 40 % des cas à un stra­to­coque hémo­ly­tique du groupe A, jus­ti­fiant ce trai­te­ment, n’est-ce pas appli­quer le prin­cipe de précaution ?

Peut-on d’autre part par­ler de sur­con­som­ma­tion des anti­dé­pres­seurs, quand, dans une étude de popu­la­tion (volon­taires EDF), on trouve seule­ment 61 % des vrais dépri­més chro­niques rece­vant des soins adéquats ?

Et que dire des études de la CNAMTS fai­sant état de dia­bé­tiques sans dépis­tage de com­pli­ca­tion réti­nienne et car­dio­vas­cu­laire, et des 50 % de femmes avec can­cer du sein n’ayant pas subi de mam­mo­gra­phie de dépistage ?

Le concept de Sir William Beveridge est-il un objectif généreux et réaliste ou une utopie ?

Sir William Beve­ridge fut le créa­teur en 1942 du Natio­nal Health Ser­vice bri­tan­nique, pro­to­type du sys­tème de san­té national.

Le plan consis­tait à four­nir la tota­li­té des soins pré­ven­tifs et cura­tifs à tous les citoyens, sans excep­tion, avec un finan­ce­ment assu­ré par le bud­get de l’État.

Récem­ment un édi­to­ria­liste de la célèbre revue Lan­cet écri­vait (26.4.1997) que » ce rêve a connu en cin­quante ans une dégra­da­tion régu­lière, de restruc­tu­ra­tion en réforme et de réforme en restructuration « .

Car on se trouve, dans tous les pays déve­lop­pés, devant une équa­tion incon­tour­nable. Devant une consom­ma­tion poten­tielle de biens de san­té tirée régu­liè­re­ment vers le haut, par tous les fac­teurs sus-décrits que sont les offres des sciences de plus en plus sophis­ti­quées et coû­teuses, une popu­la­tion de plus en plus consom­ma­trice de par son vieillis­se­ment et ses exi­gences… la fac­ture croît de façon inquié­tante et la ques­tion posée devient :

  • la col­lec­ti­vi­té natio­nale doit-elle prendre à sa charge la tota­li­té des consom­ma­tions au titre de la soli­da­ri­té des bien por­tants vis-à-vis des malades et des riches vis-à-vis des pauvres ?
  • ou bien une prise en charge col­lec­tive peut-elle être pla­fon­née, le reste étant à la charge de l’individu ?


En réa­li­té cette dis­cus­sion est deve­nue théo­rique, car dans tous les pays déve­lop­pés, y com­pris la Grande-Bre­tagne, la san­té prise en charge col­lec­ti­ve­ment a été com­plé­tée et dépas­sée par un sec­teur à la charge des indi­vi­dus : sec­teur pri­vé, assu­rances com­plé­men­taires, etc.

En France, la prise en charge col­lec­tive est d’en­vi­ron 75 % et n’a d’ailleurs pas sen­si­ble­ment bou­gé depuis dix ans. Ceci est la concré­ti­sa­tion, n’en déplaise à cer­tains, d’une méde­cine à deux vitesses, la prise en charge col­lec­tive étant net­te­ment plus impor­tante pour les soins hos­pi­ta­liers que pour les soins ambu­la­toires : 90 % contre 65 % en moyenne.

Tou­te­fois cette seule notion que cer­tains pour­raient avoir à débour­ser quelque argent pour se soi­gner est en elle-même insup­por­table aux » Beve­rid­giens « , le concept même du ticket per­son­nel » qui modère » la consom­ma­tion leur parais­sant inadmissible.

On se rend compte à l’é­vi­dence que la seule issue logique est de sor­tir du dilemme par le haut, par la recherche d’une qua­li­té maxi­male du sys­tème de santé.

Et le prin­cipe de la cou­ver­ture totale réap­pa­raît avec le rem­bour­se­ment à 100 % des mala­dies de longue durée, et avec l’as­su­rance com­plé­men­taire gra­tuite des très pauvres dans la CMU, sans par­ler des tiers payants en voie de géné­ra­li­sa­tion. Aus­si le » panier » des soins pris en charge subit ain­si un pro­ces­sus d’ac­cor­déon, per­met­tant même à cer­taines mutuelles de pro­po­ser un rem­bour­se­ment de médi­ca­ments de sta­tut grand public, c’est-à-dire non pris en charge par l’as­su­rance mala­die (antal­giques, sirops, gouttes nasales, etc.).

Au terme de cette brève ana­lyse, tous les para­mètres à mettre en ligne sont :

  • la crois­sance irré­pres­sible de l’offre de biens de san­té que nous pro­pose la science,
  • l’exi­gence elle aus­si crois­sante de nos popu­la­tions de pays riches de pro­fi­ter inté­gra­le­ment de ces pro­grès sans que s’é­ta­blisse de dis­cri­mi­na­tion liée à la gra­vi­té de la mala­die, ni aux capa­ci­tés finan­cières du malade,
  • la néces­si­té de déter­mi­ner un panier des soins pris en charge, parce que fon­da­men­taux, et des soins lais­sés à la charge des indi­vi­dus parce que jugés d’u­ti­li­té moindre.

Le mot clef de la qualité du système est l’évaluation

On connaît le vieux débat entre la méde­cine » art » et la méde­cine » science « .

Je me range réso­lu­ment par­mi les sup­por­ters de la » méde­cine science « , sans mécon­naître que ce n’est pas une science exacte, ni oublier la part du sub­jec­ti­visme et de dons rela­tion­nels dans le dia­logue médecin/malade.

Ceci étant, dans ce domaine des sciences bio­mé­di­cales, l’é­va­lua­tion a sa place.

Coupe de lymphocytes T
Coupe de lym­pho­cytes T (M.E.T., fausses cou­leurs). © INSTITUT PASTEUR

Il y a de bons ou de mau­vais diag­nos­tics, de bons ou de moins bons médi­ca­ments, de bonnes ou de moins bonnes stra­té­gies thérapeutiques.

Or dans ce domaine de l’é­va­lua­tion, la France est encore en tout début de parcours.

1. Le médi­ca­ment est en tête du pelo­ton avec éva­lua­tions et rééva­lua­tions pério­diques effec­tuées par la com­mis­sion de l’AF­SAPS* dite de » trans­pa­rence » qui, après auto­ri­sa­tion de mise sur le mar­ché (AMM) d’un pro­duit, éva­lue sa place et son uti­li­té par rap­port aux thé­ra­peu­tiques exis­tantes, éta­blis­sant ain­si une hié­rar­chie et déter­mi­nant en par­ti­cu­lier si un pro­duit a ou n’a pas l’u­ti­li­té suf­fi­sante pour être pris en charge par l’as­su­rance maladie.

2. Une approche iden­tique se met en place à l’AF­SAPS pour les dis­po­si­tifs médicaux.

3. L’é­va­lua­tion de la qua­li­té des hôpi­taux et de leurs ser­vices est de la res­pon­sa­bi­li­té de l’A­NAES (Agence natio­nale d’ac­cré­di­ta­tion et d’é­va­lua­tion de san­té). Cette agence a mis en place un dis­po­si­tif d’ac­cré­di­ta­tion des hôpi­taux qui a démar­ré sur la base du volon­ta­riat et devrait pou­voir être accé­lé­ré, alors que des groupes pri­vés mul­ti­plient dans la presse la dif­fu­sion des pal­ma­rès hos­pi­ta­liers récla­més par le public.

4. La même ANAES par­ti­cipe aus­si à l’é­va­lua­tion de stra­té­gies dans les dif­fé­rentes patho­lo­gies en fonc­tion du pro­grès des connais­sances et contri­bue à la rédac­tion de guides de bonnes pratiques.

Mais à quoi ser­vi­ront ces éva­lua­tions seg­men­taires des médi­ca­ments, des struc­tures hos­pi­ta­lières et des guides de bonnes pra­tiques, si per­sonne ne s’in­té­resse à l’ap­pli­ca­tion que le méde­cin fait de toutes ces don­nées dans son dia­logue sin­gu­lier avec son patient ?

À quoi sert le bon médi­ca­ment ou l’in­ter­ven­tion la plus par­faite réa­li­sée pour un malade qui n’en a pas besoin ?

L’é­va­lua­tion » face à face » des dos­siers de malades, à l’hô­pi­tal comme en ville, demeure donc un impé­ra­tif de la qua­li­té, comme nos amis cana­diens l’ont fort bien compris.

Mais cette éva­lua­tion pose encore de très nom­breux problèmes !

L’o­pi­nion publique va cepen­dant se faire pres­sante. On com­mence à voir dans les gazettes des articles sur » Com­ment choi­sir votre médecin ? « .

Les autres chantiers structurels de la qualité ne sont pas beaucoup plus actifs

Si l’é­va­lua­tion des biens et des pra­tiques demeure le cœur stra­té­gique de la recherche de qua­li­té, force est d’ad­mettre que nombre d’ob­jec­tifs impor­tants res­tent en attente, que nous pou­vons ain­si énumérer :

Toutes les études récentes montrent que ces inéga­li­tés, d’ailleurs fort cho­quantes (dif­fé­rence d’es­pé­rance de vie entre groupes socio­pro­fes­sion­nels), sont très lar­ge­ment dues à des dif­fé­rences de com­por­te­ment (alcool, tabac, acci­dents) dont les ori­gines et les solu­tions sont plus sou­vent socio­lo­giques que sanitaires.

1. La for­ma­tion médi­cale conti­nue (FMC) des pro­fes­sion­nels, infi­ni­ment plus impor­tante que la for­ma­tion ini­tiale, est l’ob­jet de bien des dis­cus­sions, car vingt ans après son diplôme, un méde­cin a à prendre en charge ses patients avec une majo­ri­té de connais­sances incon­nues de lui au moment de son cur­ri­cu­lum uni­ver­si­taire. Or, où en est l’or­ga­ni­sa­tion mini­male de la FMC ?

2. L’in­for­ma­ti­sa­tion du sys­tème et des acteurs a connu bien des inco­hé­rences. La ges­tion d’un dos­sier de malades et sa cir­cu­la­tion en réseau, de même que la rédac­tion d’une ordon­nance de médi­ca­ments requièrent impé­ra­ti­ve­ment le recours à l’or­di­na­teur sous de nom­breuses contraintes, médi­cales, déon­to­lo­giques et réglementaires.

3. Où en est la décon­cen­tra­tion vers les régions du recueil de don­nées telles que les­don­nées épi­dé­mio­lo­giques et des actions qui peuvent être entre­prises, réseaux de soins et de pré­ven­tion, éva­lua­tion, for­ma­tion, expé­ri­men­ta­tions inces­santes dans le sys­tème, etc. ?

4. Dans le domaine de la répar­ti­tion de l’offre de san­té à l’é­che­lon natio­nal, une lutte doit s’or­ga­ni­ser avec les pro­fes­sion­nels pour mieux répar­tir l’offre sui­vant les régions en signa­lant tou­te­fois que l’i­né­ga­li­té de l’offre de soins n’est qu’une expli­ca­tion des inéga­li­tés de san­té des Français.

La prédominance de l’acte intellectuel demeure totale

Nous sommes tous impres­sion­nés par cette extra­or­di­naire irrup­tion dans le monde de la san­té des tech­no­lo­gies les plus sophis­ti­quées et des décou­vertes scien­ti­fiques les plus raffinées.

Mais que trouve-t-on au final ?

Un méde­cin devant son patient. C’est lui qui est l’in­ter­prète de toutes ces don­nées com­plexes, le média­teur, le res­pon­sable, le transmetteur.

La muta­tion du métier, en cin­quante ans, est prodigieuse.

Car aux néces­saires connais­sances scien­ti­fiques, en renou­vel­le­ment inces­sant, s’a­joutent les exi­gences d’un patient de plus en plus infor­mé (ou dés­in­for­mé), les contraintes tech­ni­co-régle­men­taires impo­sées par les auto­ri­tés et les caisses, et, depuis peu, la menace du juge, si le patient estime ne pas avoir été suf­fi­sam­ment éclairé.

Pro­fes­sion­nel­le­ment, on est pas­sé du cocher de dili­gence au pilote d’Air­bus avec le même recours néces­saire à l’ordinateur.

Or ce même méde­cin, le voi­ci cri­ti­qué, vili­pen­dé, » il n’é­coute pas « , » il ne dit rien « , » il pres­crit trop « , » il pres­crit mal « .

Et puis, ce métier » expo­sé » est » hono­ré » d’une somme de 115 F pour une consul­ta­tion de géné­ra­liste, le prix d’un shampoing/brushing chez un coif­feur de quartier.

Et pire, si, avec ses col­lègues spé­cia­listes, il a dépas­sé un pla­fond de dépenses arbi­traires fixé de manière uni­la­té­rale, il subit une réduc­tion for­fai­taire de ses honoraires.

Enfin n’ayant pas la chance d’ap­par­te­nir à une cor­po­ra­tion capable de faire démis­sion­ner un ministre, on lui refuse la concer­ta­tion la plus élé­men­taire, en pays démocratique.

Et quand j’é­voque les pro­fes­sion­nels de san­té, je n’au­rais garde d’ou­blier les phar­ma­ciens d’of­fi­cine et leur noble tâche de conseillers de la popu­la­tion, les infir­miers dont le métier est deve­nu si lourd et tous les para­mé­di­caux, les indus­triels dont on péna­lise par un jeu de taxa­tions mul­tiples le suc­cès dans leurs entreprises.

Une cacophonie administrative et politique

Un des élé­ments qui étonne le plus l’ob­ser­va­teur vigi­lant de notre sys­tème de san­té c’est la très grande dis­per­sion des acteurs que l’on peut énumérer :

  • un minis­tère qui asso­cie à la ges­tion de la san­té, ceux de l’emploi, de la famille, des retraites, et mélange allé­gre­ment les déci­sions et les bud­gets (une taxe sur le tabac qui finance les 35 heures !) ;
  • un minis­tère qui a lais­sé épar­piller les centres de déci­sion dans de mul­tiples agences spé­cia­li­sées, mais veut actuel­le­ment redon­ner du lustre à ses direc­tions (san­té, hôpi­taux, sécu­ri­té sociale, etc.) ;
  • une CNAMTS enfer­mée dans un car­can bud­gé­taire pour les soins ambu­la­toires (médi­ca­ments exclus) sans que la fon­gi­bi­li­té de cette enve­loppe avec hôpi­tal et médi­ca­ment soit prise en considération ;
  • une Cour des comptes qui exa­mine scru­pu­leu­se­ment et » peste » que ces avis ne soient pas sui­vis d’effets ;
  • un Par­le­ment qui vote un ONDAM » à l’a­veugle » sans qu’à aucun moment les pro­blèmes fon­da­men­taux de choix comme ceux du panier de soins rem­bour­sables lui aient été soumis.

    On rêve de…

    On rêve d’un sys­tème de san­té dans lequel tout serait mis en œuvre, par tous les acteurs, à tous les niveaux, pour assu­rer la qua­li­té opti­male en adap­ta­tion per­ma­nente aux évo­lu­tions des connaissances.

    Ceci résul­te­rait de la mise en place de tous les fac­teurs iden­ti­fiés, qui sont dans le désordre : l’é­va­lua­tion des biens de san­té, des bonnes pra­tiques et leur res­pect par audit des dos­siers médi­caux face à face, l’in­for­ma­ti­sa­tion, la décon­cen­tra­tion régio­nale, la pro­mo­tion de la for­ma­tion conti­nue, la rééva­lua­tion mas­sive de la consul­ta­tion, acte médi­cal basique.

    L’or­ga­ni­sa­tion ration­nelle et logique de la chaîne des consul­ta­tions et déci­sions relè­ve­rait d’un minis­tère de la san­té et de l’as­su­rance mala­die obli­ga­toire, un des grands minis­tères de la Répu­blique ayant auto­ri­té sur toutes les autres struc­tures, agences de san­té, caisses d’as­su­rance mala­die, haut comi­té, confé­rences régio­nales et natio­nales de san­té et, à l’é­che­lon régio­nal, URCAM, URML, syn­di­cats, ARH.

    Enfin, au som­met de la pyra­mide, le Par­le­ment, chaque année, pren­drait les déci­sions poli­tiques majeures qui s’im­posent à la nation et à ses repré­sen­tants. Sur le plan bud­gé­taire, en fonc­tion des dépenses consta­tées (en aug­men­ta­tion qua­si obli­ga­toire), l’al­ter­na­tive serait d’aug­men­ter la part des dépenses col­lec­tives consa­crées à la san­té, ce que la popu­la­tion peut sou­hai­ter, ou de réduire le niveau du panier de soins des dépenses col­lec­ti­vi­sées, ce que la popu­la­tion peut accepter.

    Je sou­hai­te­rais qu’a­près avoir par­cou­ru ces dif­fé­rents apho­rismes, peut-être un peu longs, le lec­teur fasse men­tir le pro­pos célèbre et un peu pro­vo­quant de Montesquieu :
     » Quand il s’a­git de prou­ver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre. »

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