Les missions des personnels soignants

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001Par : Martine Jaquemet, infirmière libérale, présidente de l’association Libé-soins et Pascale Michenot, infirmière clinicienne en maison de retraite

Si l’on retrace briè­ve­ment l’his­toire de la pro­fes­sion d’in­fir­mière, on s’a­per­çoit que de » garde-malade » où elle était un ins­tru­ment au ser­vice du méde­cin au XVIIIe et au XIXe siècle, l’in­fir­mière est deve­nue aujourd’­hui une pro­fes­sion­nelle ayant un rôle de délé­guée et un rôle auto­nome, tra­vaillant en par­te­na­riat avec le médecin.

Elle est au car­re­four du soin médi­cal et infir­mier par sa pré­sence per­ma­nente auprès du malade.

Elle coor­donne l’ac­ti­vi­té des inter­ve­nants gra­vi­tant autour de la per­sonne soi­gnée : méde­cin, kiné­si­thé­ra­peute, psy­cho­logue, aide-soi­gnant, etc.

Cette approche plu­ri­dis­ci­pli­naire offre une aide pré­cieuse à la per­sonne soi­gnée dans la réso­lu­tion de ses pro­blèmes de san­té et la place au centre de nos préoccupations.

L’in­fir­mière a pour mis­sion d’ef­fec­tuer des soins tech­niques pres­crits par le méde­cin et des soins d’hy­giène et de confort, de faire de la pré­ven­tion des risques, de repé­rer la dou­leur, de sur­veiller le com­por­te­ment et d’ac­com­pa­gner jus­qu’aux der­niers ins­tants les per­sonnes soi­gnées et leurs proches.

Elle uti­lise des guides écrits de concepts, de méthodes, et de tâches indis­pen­sables à la qua­li­té des soins et à la satis­fac­tion du patient.

La personne soignée

Pour mener à bien ses mis­sions, l’in­fir­mière doit éta­blir une rela­tion signi­fi­ca­tive per­met­tant à la per­sonne de se situer en acteur de sa propre situa­tion. Il appar­tient aux soi­gnants, de créer le lien entre l’acte tech­nique, la cor­rec­tion du défi­cit, et une liber­té retrou­vée pour conti­nuer à vivre.

La par­ti­ci­pa­tion active de la per­sonne à ses soins quo­ti­diens est la meilleure manière de l’as­so­cier à l’at­ten­tion qui lui est pro­po­sée. Cela éloigne la peur de son mal en lui per­met­tant de le surmonter.

La dépendance

En cas de dépen­dance consé­cu­tive à une mala­die chro­nique phy­sique, l’in­fir­mière doit gar­der en mémoire que la mala­die chro­nique modi­fie les acti­vi­tés habi­tuelles d’une per­sonne et que le résul­tat d’un trai­te­ment est sou­vent limi­té et déce­vant. Chaque per­sonne res­sent des émo­tions et a des réac­tions psy­cho­lo­giques dif­fé­rentes : sen­sa­tion d’a­gres­sion due à la perte de contrôle de son corps, peur que la mala­die et la dépen­dance donnent des rai­sons à l’en­tou­rage de moins l’ai­mer, peur de souf­frir, peur des étran­gers (soi­gnants) qui dis­pensent des soins par­fois intimes.

En cas de dépen­dance liée à une mala­die men­tale, l’in­fir­mière pro­digue des soins d’ac­com­pa­gne­ment, basés sur la recon­nais­sance de l’autre en tant que per­sonne, à part entière, ayant droit au confort, à la sécu­ri­té, au res­pect des besoins fon­da­men­taux et à l’in­té­rêt d’autrui.

L’in­fir­mière doit faire preuve de patience, de tolé­rance, de dou­ceur, de vigi­lance, d’at­ten­tion, de dis­po­ni­bi­li­té, de com­pré­hen­sion… sur­tout dans les situa­tions les plus difficiles.

Plan de soin personnalisé et projet de vie

Dans un éta­blis­se­ment, l’ob­jet d’un plan de soins quo­ti­dien per­son­na­li­sé est de répondre aux attentes de la per­sonne soi­gnée en coor­don­nant le tra­vail de l’é­quipe soignante.

Il faut tenir compte de la per­son­na­li­té de cha­cun, des besoins spé­ci­fiques et per­mettre d’a­voir quelques liber­tés dans la jour­née : choi­sir son repas, choi­sir de sou­rire ou d’être triste, de se cou­cher plus tôt ou plus tard…

En ins­ti­tu­tion pour per­sonnes âgées les pro­jets de vie ont pour objec­tif la qua­li­té des soins, le res­pect et la séré­ni­té de chaque personne.

La famille et les amis deviennent alors des par­te­naires indis­pen­sables : ils sont la mémoire de la per­sonne âgée sur­tout pour celle qui est atteinte de troubles cognitifs.

Prendre soin de la famille en lui confiant un rôle signi­fi­ca­tif auprès du parent, en la ras­su­rant sur l’a­ve­nir, en expli­quant le pro­jet de soins est essen­tiel pour atteindre une meilleure qua­li­té de vie de la per­sonne âgée.

Mission de soignante au domicile

L’hô­pi­tal a une fonc­tion de pla­teau tech­nique, d’in­ves­ti­ga­tion, d’i­ni­tia­li­sa­tion et d’é­va­lua­tion des trai­te­ments. Il faut les pour­suivre au domi­cile avec une même sophis­ti­ca­tion de tech­nique de soins et une même com­pé­tence, et dans un cli­mat affec­tif lais­sé au choix de la per­sonne soi­gnée et de sa famille.

Accom­pa­gner un malade au domi­cile, c’est adap­ter une prise en charge glo­bale dans le cadre de l’in­ti­mi­té d’une vie pri­vée, c’est entrou­vrir une porte sans jamais la for­cer, c’est s’in­sé­rer dou­ce­ment dans l’u­ni­vers de » l’Autre « , tout voir dans l’in­té­rêt du malade (une pho­to dans un cadre sur la table de nuit, un tableau au mur, etc.) sans jamais ne rien déte­nir ni dévoiler.

Le par­tage d’une his­toire de vie per­met d’illus­trer notre mis­sion quo­ti­dienne de soignante :

Mme X a 55 ans, elle vit avec ses deux enfants de 21 et 19 ans, son mari est décé­dé d’un can­cer à l’hô­pi­tal l’an­née dernière.

Elle m’ap­pelle un jour pour une pres­crip­tion de prise de sang, me met au cou­rant de sa mala­die réci­dive de can­cer trai­té à l’hô­pi­tal depuis plu­sieurs années et me fait part de ses inquié­tudes quant à l’avenir.

Aller au domi­cile c’est d’a­bord prendre le temps de l’é­coute, non codi­fié dans la nomen­cla­ture des actes infir­miers. Ce jour-là une heure de pré­sence est codi­fiée en prise de sang (26,25 F + 9 F de déplacement).

Mme X redoute l’é­vo­lu­tion de la mala­die et me demande de prendre contact avec l’hô­pi­tal pour que tous ses trai­te­ments puissent se faire au domi­cile. Je lui réponds que nous pou­vons faire beau­coup au domi­cile mais qu’il est indis­pen­sable d’a­voir l’ac­cord de son méde­cin trai­tant pour la res­pon­sa­bi­li­té et la dis­po­ni­bi­li­té que cela néces­site. Le méde­cin géné­ra­liste qui avait per­du de vue cette patiente sui­vie à l’hô­pi­tal est tout à fait d’ac­cord sur le prin­cipe. Je contacte le ser­vice hos­pi­ta­lier. Avec le chef de ser­vice et la sur­veillante nous orga­ni­sons le main­tien au domi­cile. J’ap­prends alors que le pro­nos­tic est très sombre.

Les pres­crip­tions sont adap­tées au contexte du domi­cile, le choix des maté­riels de per­fu­sion uti­li­sés tient compte des rem­bour­se­ments de l’as­su­rance mala­die et répond ain­si aux exi­gences d’é­co­no­mie de san­té. La for­ma­tion de l’in­fir­mière à la maî­trise de ces contraintes et à la connais­sance du ter­rain est indis­pen­sable au malade.

Je contacte aus­si le centre com­mu­nal d’ac­tion sociale afin de mettre en place une aide ména­gère pour sou­la­ger Mme X. Assez vite, elle perd de son auto­no­mie. Il y a des per­fu­sions faites toutes les douze heures et des soins d’hy­giène : je passe quatre fois par jour dont deux fois la nuit pour une durée moyenne de qua­rante-cinq à soixante minutes.

S’en­tre­te­nir avec ses enfants et sa mère âgée de 80 ans, nous retrou­ver sou­vent le méde­cin et moi-même à son che­vet sont des moments incon­tour­nables dans notre mission.

En accord avec le méde­cin et Mme X, j’ai deman­dé à une équipe de béné­voles de l’ASP (Asso­cia­tion pour le déve­lop­pe­ment des soins pal­lia­tifs) d’être pré­sente auprès de Mme X et de per­mettre à sa mère de se reposer.

Lors­qu’il est néces­saire de prendre du linge sou­hai­té par Mme X dans l’ar­moire de la chambre, je ne fais que l’en­trou­vrir pour le prendre sur ses indications.

Un après-midi lors d’un pas­sage, Mme X me confie un sou­hait : » Je sais que je vais bien­tôt mou­rir, je vou­drais qu’au moment de ma mort, avant de faire quoi que ce soit, vous lisiez le petit mot que j’ai mis à votre inten­tion dans le tiroir de la table de nuit. »

Mme X est décé­dée quelques jours plus tard en ma pré­sence, j’ai donc pris le mot sur lequel était ins­crit : » Vous qui avez tou­jours eu la déli­ca­tesse de ne jamais regar­der dans l’ar­moire, il vous faut l’ou­vrir, je vous laisse choi­sir ma der­nière tenue. » Une autre phrase était ins­crite qui fait par­tie des petits secrets que nous déte­nons et qui donne sens à notre quotidien.

Conclusion

La prise en charge glo­bale, à domi­cile ou en ins­ti­tu­tion, des per­sonnes âgées ou dépen­dantes est un pro­blème médi­cal et social. Que réser­vons-nous à nos parents et à notre vieillesse, sachant que nous vivrons de plus en plus vieux ? Quelles res­sources humaines, maté­rielles et finan­cières sommes-nous prêts à mettre en place pour amé­lio­rer la qua­li­té des soins en ratio­na­li­sant les dépenses ?

Le tra­vail en réseau et en filière de soins est une solu­tion d’a­ve­nir pour répondre à ces pré­oc­cu­pa­tions. C’est à nous soi­gnants d’être vigi­lants pour que ces réseaux soient bien cen­trés autour de la per­sonne soi­gnée et de son entou­rage et pour que nos tutelles donnent les moyens décents et néces­saires à la mise en place de ce nou­veau mode de fonctionnement.

Le tra­vail en équipe est impor­tant pour ne pas se sen­tir iso­lé et par­ta­ger son vécu. Il per­met de se cen­trer sur la per­sonne soi­gnée pour une meilleure qua­li­té des soins et de vie.

En tant que soi­gnant, il paraît indis­pen­sable de com­plé­ter régu­liè­re­ment nos com­pé­tences par des for­ma­tions.

Don­ner un sens à son tra­vail, avoir confiance en l’autre et la cer­ti­tude que son tra­vail est utile est en quelque sorte prendre soin de soi et d’autrui.

Bache­lard a tra­cé le che­min et explique ain­si le choix de vie des infirmières :

 » Le moi s’é­veille par la grâce du toi. »

Belle défi­ni­tion de la digni­té : je ne peux me recon­naître Homme que par le regard qu’au­trui porte sur moi.

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