Conservation des paillettes de sperme.

Enjeux et défis des pratiques médicales au XXIe siècle

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Claude SUREAU

Curieu­se­ment, la méde­cine échappe volon­tiers à la recon­nais­sance de cette com­plexi­té, et s’offre à une vision réduc­trice, binaire, schi­zo­phrène par­fois, oppo­sant la bonne méde­cine, éven­tuel­le­ment douce ou natu­relle, et les bavures, voire les scan­dales, l’au­to­no­mie au pater­na­lisme, les » lois de bioé­thique » au droit à l’en­fant, les droits de la mère à ceux de l’embryon ou du fœtus ; la socié­té civile croit à la méde­cine et à ses pro­grès ou en redoute les effets per­vers, sans per­ce­voir l’in­ter­pé­né­tra­tion totale des uns et des autres, et le carac­tère uto­pique d’un espoir de sépa­ra­tion for­melle entre eux ; elle n’ac­cepte pas les incon­vé­nients, et même les drames qui sont la ran­çon inévi­table des avan­cées scien­ti­fiques ; elle croit au bout du compte que l’on peut pré­fé­rer le blanc au noir alors qu’il faut s’ac­cou­tu­mer au gris ; habi­tuée à une logique binaire, née de l’in­for­ma­ti­sa­tion, elle a oublié qu’un cor­pus­cule peut être aus­si une onde, que la méca­nique des fluides peut s’ap­pli­quer à l’é­cou­le­ment d’élé­ments solides, qu’entre le malade et le bien por­tant il n’y a que l’es­pace d’un diag­nos­tic, voire la déter­mi­na­tion sta­tis­tique d’un risque pros­pec­tif, que le pla­ce­bo peut être effi­cace, et que la psy­cho­lo­gie imprègne toutes nos réac­tions, y com­pris phy­siques ; elle devrait savoir, pour­tant, que l’in­di­vi­du n’est pas réduc­tible à son génome, qu’une don­née » acquise » peut ne pas être encore » actuelle « , et une don­née actuelle n’être jamais acquise, que » l’evi­dence based medi­cine  » peut être un leurre et un embryon à la fois une per­sonne et une chose.

Casse-tête pour les adeptes de la rigueur mathé­ma­tique, sur­prise pour les juristes, scan­dale pour les phi­lo­sophes et les éthi­ciens, réa­li­té quo­ti­dienne pour les praticiens.

La médecine est devenue efficace

Il est banal de situer le début de cette effi­ca­ci­té à l’im­mé­diat après-guerre. Cela est vrai en grande par­tie : jeune externe en pédia­trie, j’ai assis­té aux pre­miers suc­cès de la strep­to­my­cine sur la ménin­gite tuber­cu­leuse, jusque- là constam­ment mor­telle. Mon père est mort en 1950, à 56 ans d’une insuf­fi­sance car­diaque d’o­ri­gine val­vu­laire, et ma propre valve mitrale a été répa­rée, recons­truite, avec un plein suc­cès par un chi­rur­gien génial, il y a déjà huit ans de cela. Le can­cer gué­rit aujourd’­hui dans envi­ron 50 % des cas ; la mor­ta­li­té péri­na­tale a été réduite des 34 depuis 1950 et l’in­com­pa­ti­bi­li­té san­guine fœto-mater­nelle due au fac­teur Rhé­sus élu­ci­dée, diag­nos­ti­quée, trai­tée, pré­ve­nue en une ving­taine d’années.

Mais il faut recon­naître, objec­ti­ve­ment, que bien avant des pro­grès avaient été accom­plis. Certes, un chi­rur­gien célèbre avait eu l’in­cons­cience d’af­fir­mer péremp­toi­re­ment dans les années trente, » mal­heur à nos suc­ces­seurs, ils n’au­ront plus rien à décou­vrir « . Mais la fièvre puer­pé­rale qui déci­mait par périodes les mater­ni­tés publiques (et déci­mer est un terme faible, puisque par­fois 90 % des accou­chées mou­raient) avait été expli­quée, puis pré­ve­nue grâce à Sem­mel­weis, Pas­teur, Tar­nier dès la fin du XIXe siècle, trai­tée avant-guerre déjà grâce aux sulfamides.

Contre­point inévi­table, le pro­grès, l’ef­fi­ca­ci­té s’ac­com­pagnent d’un ren­for­ce­ment des risques et ceux-ci ne sont recon­nus que pro­gres­si­ve­ment. Plus les pro­grès seront mar­qués, plus les consé­quence nocives seront pré­sentes, et, au moins un temps, imprévisibles.

N’ayons aucune illu­sion. Nulle recherche cel­lu­laire in vitro, nulle expé­ri­men­ta­tion ani­male ne peut mettre à l’a­bri de ces dan­gers. Au contraire même, les pré­cau­tions néces­saires et de plus en plus exi­gées peuvent à l’in­verse retar­der le pro­grès médi­cal : si l’on avait appli­qué autre­fois les règles actuelles pré­cé­dant les diverses phases préa­lables aux auto­ri­sa­tions de mise sur le mar­ché, deux médi­ca­ments par­mi bien d’autres n’au­raient jamais été uti­li­sés chez les femmes enceintes en rai­son de leur risque mal­for­ma­tif avé­ré chez l’a­ni­mal, la cor­ti­sone et sur­tout l’as­pi­rine. Aujourd’­hui, l’ap­pli­ca­tion de ces règles contrai­gnantes dis­suade l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique de tout essai thé­ra­peu­tique d’un nombre impor­tant de molé­cules, au cours de la gros­sesse, y com­pris de cer­taines qui pour­raient avoir un effet béné­fique sur l’é­vo­lu­tion de celle-ci.

Les exemples de noci­vi­té poten­tielle de médi­ca­ments sont innom­brables. Ils sont bien enten­du réper­to­riés et le recours à l’in­for­ma­tique, pour consti­tuer une banque de don­nées sur les effets fâcheux ou les incom­pa­ti­bi­li­tés, devien­dra de plus en plus une abso­lue nécessité.


Conser­va­tion des paillettes de sperme.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS

Mais rien ne peut évi­ter les pre­miers acci­dents, qu’ils soient obser­vés au cours des phases I, II ou III préa­lables à l’au­to­ri­sa­tion de mise sur le mar­ché, ou sur­tout de la phase IV de pharmacovigilance.

Des exemples d’une telle noci­vi­té viennent immé­dia­te­ment à l’es­prit : la sur­di­té des enfants trai­tés par la strep­to­my­cine, les incon­vé­nients des thé­ra­peu­tiques anti­mi­to­tiques ou anti­si­déennes ; une situa­tion par­ti­cu­liè­re­ment dra­ma­tique fut consti­tuée par la tha­li­do­mide au cours de la gros­sesse et ses consé­quences mal­for­ma­tives sur les membres des enfants, et plus encore le cas si par­ti­cu­lier du distilbène.

Cas par­ti­cu­lier à plus d’un titre : d’a­bord parce que les consé­quences sur les enfants (adé­no­car­ci­nomes vagi­naux et cer­vi­caux, ano­ma­lies de forme de la cavi­té uté­rine, ou d’ap­pa­rence de la muqueuse du col) furent retar­dées, et donc assez tar­di­ve­ment recon­nues ; ensuite parce que la foca­li­sa­tion extrême de l’at­ten­tion sur cette rela­tion de cau­sa­li­té occul­ta la recherche sur des » cofac­teurs » sus­cep­tibles d’être inter­ve­nus à la même époque.

Enfin, parce que la recon­nais­sance de cette liai­son fut à l’o­ri­gine d’une telle crainte que les com­pa­gnies phar­ma­ceu­tiques exclurent sys­té­ma­ti­que­ment de leurs pro­to­coles de recherche les femmes enceintes, en par­ti­cu­lier dans le domaine de l’hor­mo­no­lo­gie, fai­sant ain­si lit­té­ra­le­ment de la gros­sesse une sorte de » mala­die orpheline « .

Au bout du compte, le ren­for­ce­ment de l’ef­fi­ca­ci­té diag­nos­tique (recours aux moyens phy­siques et chi­miques de détec­tion) et thé­ra­peu­tique se tra­duit par l’al­lon­ge­ment spec­ta­cu­laire de la lon­gé­vi­té (gain ces der­nières années d’une heure toutes les trois heures) et sur­tout de la sur­vie en bon état ou avec des défi­cits mineurs.

Mais il faut bien com­prendre, et admettre, que de tels pro­grès ne peuvent être obte­nus, quelque pré­cau­tion que l’on prenne, qu’au prix d’in­con­vé­nients ou même d’ac­ci­dents. Le pro­grès médi­cal com­porte des aspects néga­tifs, et le tableau final est certes blanc, mais avec des taches sombres, et l’é­va­lua­tion moyenne conduit au blanc cassé.

L’évolution de la médecine n’est qu’un cas particulier de celle de la société

Il ne vien­drait pro­ba­ble­ment à l’i­dée de per­sonne (mais est-on assu­ré de la vali­di­té de cette affir­ma­tion ?) de sou­te­nir que l’é­vo­lu­tion de la socié­té et de son envi­ron­ne­ment com­porte plus d’in­con­vé­nients que d’élé­ments posi­tifs. Même les cri­tiques les plus viru­lents de cette évo­lu­tion uti­lisent avion, train, voi­ture, voire bicy­clette et peu le che­val, tout au moins dans les agglo­mé­ra­tions. Cer­tains regrettent-ils la bonne odeur du crot­tin, ou l’u­ti­li­sa­tion du char­bon, extrait de mines mor­ti­fères ? On peut certes déplo­rer cer­tains acci­dents (l’a­miante dont l’u­sage fut pro­mu pour pal­lier les risques des incen­dies, la pol­lu­tion mari­time dont les consé­quences à long terme sur la flore et la faune sous-marines sont peut-être sou­vent éva­luées de manière incom­plète ou biai­sée, l’a­ban­don de la nour­ri­ture végé­ta­rienne des vaches), il n’empêche que glo­ba­le­ment notre envi­ron­ne­ment n’est pas si épou­van­table qu’on le dit parfois.

Com­pa­rons avec la situa­tion dans cer­tains pays dits en voie de déve­lop­pe­ment. Au risque de cho­quer ose­rais-je ajou­ter que la défense de cer­taines espèces ani­males ou végé­tales pro­té­gées, coléo­ptères ou amphi­biens, le sau­ve­tage à grand prix de trois baleines prises par les glaces, l’in­tro­duc­tion de loups et d’ours dont nos ancêtres eurent bien du mal à se débar­ras­ser, la pro­tec­tion for­ce­née d’oi­seaux migra­teurs dont on semble oublier que la des­ti­née est, comme pour nous, de périr, et dont les soins dont ils furent l’ob­jet après mazou­tage s’ap­pa­rentent plus à un achar­ne­ment thé­ra­peu­tique dis­pen­dieux qu’à une opé­ra­tion huma­ni­taire, appa­raissent pro­fon­dé­ment incon­sé­quents alors que 600 000 femmes meurent chaque année dans le monde du fait d’une gros­sesse, dans l’in­dif­fé­rence géné­rale. J’a­ban­don­ne­rais volon­tiers 10, 100, ou 1 000 oiseaux pour sau­ver 1 femme.

C’est dans ce cli­mat incer­tain, gui­dé par la sub­jec­ti­vi­té, les réac­tions impul­sives, les opi­nions a prio­ri, la sti­mu­la­tion de craintes irra­tion­nelles que se déve­loppe le pro­grès médical.

Et en par­ti­cu­lier que per­siste la mécon­nais­sance d’un fait fon­da­men­tal : l’in­fluence pré­pon­dé­rante, sur la san­té de la popu­la­tion, des dom­mages liés aux com­por­te­ments, par rap­port à ceux liés à l’environnement.

Un exemple carac­té­ris­tique en est four­ni par la dimi­nu­tion de l’é­cart entre lon­gé­vi­té des femmes et lon­gé­vi­té des hommes, due à l’ac­crois­se­ment du taba­gisme fémi­nin. Cela ne signi­fie certes pas qu’il faille s’ac­com­mo­der des incon­vé­nients ou des dom­mages liés direc­te­ment à l’é­vo­lu­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Nom­breux sont ceux qui ont été évo­qués, consé­quences de l’ac­cu­mu­la­tion de déchets, tels que, exemple par­mi bien d’autres, les xénoes­tro­gènes sus­cep­tibles de reten­tir sur la san­té et la fécon­di­té des géné­ra­tions futures. Il faut s’en sou­cier et sur­tout recher­cher des preuves objec­tives, plu­tôt que s’a­ban­don­ner à des impres­sions, voire invo­quer un prin­cipe de pré­cau­tion auquel on se réfère de plus en plus, dans tous les domaines, afin de faire l’é­co­no­mie d’in­ves­ti­ga­tions sérieuses et d’é­vi­ter aux déci­deurs, poli­tiques en par­ti­cu­lier, des risques judiciaires.

En tout cas, la notion qui émerge de plus en plus, à pro­pos de la san­té comme de l’en­vi­ron­ne­ment et des rela­tions qui unissent l’une à l’autre, est que la com­plexi­té des phé­no­mènes doit conduire d’a­bord à la pru­dence et à la modestie.

La médecine, associée à la biologie, conduit-elle à la maîtrise de la vie, de la souffrance et de la mort ?

Ce fut l’un des argu­ments, aus­si faible que bien d’autres, avan­cé contre la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée, et au-delà le clo­nage. Cette intro­duc­tion forte de la bio­lo­gie conduit notre socié­té schi­zo­phrène à l’en­thou­siasme, lors­qu’il s’a­git par exemple de pal­lier les consé­quences d’une infé­con­di­té qui devient obses­sion­nelle, et à la ter­reur lors­qu’on évoque les hordes de clones défer­lant sur nos terres. Or, l’en­thou­siasme comme la ter­reur sont à la fois exces­sifs et par­tiel­le­ment légitimes.

Il n’est pas néces­saire d’in­sis­ter sur l’es­sor des bio­tech­no­lo­gies, en par­ti­cu­lier en matière de pro­créa­tion. Sauf à sou­li­gner l’é­mer­gence très mar­quée ici, mais aus­si dans d’autres dis­ci­plines, telles que l’hé­ma­to­lo­gie, l’hé­pa­to­lo­gie, ou la neu­ro­lo­gie, d’un type nou­veau d’ac­ti­vi­té : la bio­lo­gie inter­ven­tion­nelle. Les Aca­dé­mies de méde­cine et de phar­ma­cie y ont consa­cré un impor­tant rap­port sous l’im­pul­sion de G. David. Jus­qu’i­ci, en effet, la bio­lo­gie cli­nique était cen­trée sur une acti­vi­té de diag­nos­tic : le cli­ni­cien effec­tuait un pré­lè­ve­ment (sang, cel­lule, tis­su, etc.) et le bio­lo­giste lui trans­met­tait un résul­tat. Avec le déve­lop­pe­ment de la bio­lo­gie inter­ven­tion­nelle, tout change : le cli­ni­cien extrait le pré­lè­ve­ment qui demeure vivant (glo­bule, cel­lules éven­tuel­le­ment culti­vées, de diverses ori­gines, cel­lules sexuelles, voire embryons de 2 ou 4 cel­lules), le confie au bio­lo­giste qui le modi­fie (fécon­da­tion in vitro, modi­fi­ca­tion géno­mique, clo­nage) et le remet au cli­ni­cien qui le réin­jecte dans l’or­ga­nisme ori­gi­nel (ou éven­tuel­le­ment un autre). On per­çoit dès lors l’ac­crois­se­ment de la res­pon­sa­bi­li­té du bio­lo­giste, et la néces­si­té d’une défi­ni­tion pré­cise des tâches res­pec­tives ain­si que d’un ensei­gne­ment très spécifique.

Intervention chirurgicale au service de neuroradiologie vasculaire de l’hopital du Kremlin-Bicêtre.
Inter­ven­tion chi­rur­gi­cale au ser­vice de neu­ro­ra­dio­lo­gie vas­cu­laire de l’hopital du Kremlin-Bicêtre.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS

Cette asso­cia­tion étroite cli­ni­cien-bio­lo­giste va dès lors s’at­ta­quer à la lutte contre de nom­breuses affec­tions, en par­ti­cu­lier héré­di­taires ou can­cé­reuses. Le pre­mier suc­cès mon­dial de thé­ra­pie génique a récem­ment été obte­nu en France par Alain Fischer pour une ano­ma­lie héma­to­lo­gique congénitale.

Quant à la fécon­da­tion in vitro réa­li­sée avec suc­cès en 1978 en Angle­terre après des années de tra­vaux dif­fi­ciles menés par Step­toe et Edwards (tra­vaux qui ont, faut-il le rap­pe­ler, néces­si­té le sacri­fice d’un cer­tain nombre d’embryons humains conçus dans un but exclu­sif de recherche), elle a per­mis des mil­liers de nais­sances par­ti­cu­liè­re­ment dési­rées, mais aus­si, il faut le recon­naître, conduit à bien des dés­illu­sions (20 % de suc­cès glo­ba­le­ment), à des consé­quences redou­tables (gros­sesses mul­tiples, sui­vies d’ac­cou­che­ments pré­ma­tu­rés), au déve­lop­pe­ment de la congé­la­tion embryon­naire et celle-ci à la ques­tion déli­cate du deve­nir des embryons sur­nu­mé­raires ; le clo­nage, enfin, a sou­le­vé aus­si bien des pro­tes­ta­tions » caté­go­riques, véhé­mentes et défi­ni­tives » quant à sa ver­sion thé­ra­peu­tique, mal­gré les pers­pec­tives médi­cales qu’elle ouvre, plus vives encore quant à sa ver­sion » repro­duc­tive » ; celle-ci en effet conduit natu­rel­le­ment à une per­ver­sion des rela­tions trans­gé­né­ra­tion­nelles et à un risque pour la struc­ture et l’é­qui­libre fami­liaux, bien plus qu’aux menaces si sou­vent allé­guées sur la digni­té, la diver­si­té, la spé­ci­fi­ci­té humaines.

Il s’y ajoute des dan­gers bio­lo­giques majeurs, qui mettent en cause la sécu­ri­té des indi­vi­dus qui s’y expo­se­raient bien plus que l’a­ve­nir de notre espèce. Au bout du compte, le clo­nage » phy­sique » paraît, lors­qu’on consi­dère la géo­po­li­tique du XXe siècle, bien moins dan­ge­reux pour l’en­semble de nos socié­tés que le clo­nage idéo­lo­gique dont nous avons vu et conti­nuons à obser­ver de bien tristes exemples.

Comme on le voit, ici encore, règne la com­plexi­té et les juge­ments nuan­cés sont néces­saires. Mais ils doivent conduire à un ren­for­ce­ment dans tous ces domaines de la vigi­lance et de la traçabilité.

Il en va de même avec le déve­lop­pe­ment de la géné­tique et les consé­quences que l’on est en droit d’en attendre et d’en redou­ter en matière d’in­for­ma­tion pré­dic­tive : pru­dence en effet quant à l’in­for­ma­tion des assu­rances ou des employeurs, mais aus­si des indi­vi­dus eux-mêmes, quant aux affec­tions aux­quelles ils sont expo­sés, aux mesures à prendre pour évi­ter la concré­ti­sa­tion des risques, à la légi­ti­mi­té de les infor­mer lorsque les pro­ces­sus sont irré­ver­sibles et les affec­tions incu­rables, à l’at­ti­tude quant à leur des­cen­dance, et bien enten­du à la réflexion socié­tale sur l’eu­tha­na­sie et l’eugénisme.

Au cœur d’une telle évo­lu­tion, la mis­sion du méde­cin s’é­loigne de celle d’un robot auto­ma­ti­sé dans lequel cer­tains sou­haitent le confi­ner ; son rôle de conseiller, son apti­tude à la com­pré­hen­sion des pro­blèmes humains, psy­cho­lo­giques, exis­ten­tiels ne peuvent que deve­nir de plus en plus nécessaires.

Conclusion : le médecin dans la société

Dès lors appa­raissent clai­re­ment l’am­bi­guï­té et la dif­fi­cul­té de la situa­tion du méde­cin dans la société.

Cher­cheur, il tente d’é­lu­ci­der les méca­nismes patho­lo­giques pour mieux les maî­tri­ser, et sait qu’il s’ex­pose à la cri­tique des per­sonnes qui se croient saines, déplorent l’im­por­tance d’in­ves­tis­se­ments sup­po­sés inutiles pour elles-mêmes, et plus encore la fuite en avant d’une science déshumanisée.

Pra­ti­cien, il doit don­ner et donne effec­ti­ve­ment à son patient tout l’a­mour et toute la com­pas­sion dont il est capable et admet qu’en cas d’é­chec, sup­po­sé ou réel, il s’ex­pose à la cri­tique per­son­nelle, pous­sée éven­tuel­le­ment jus­qu’à la pour­suite civile ou pénale, à la cri­tique col­lec­tive de géné­rer des dépenses insup­por­tables pour la socié­té, alors qu’il sait per­ti­nem­ment que l’exi­gence des indi­vi­dus, et celle de la col­lec­ti­vi­té, ne peuvent que conduire à l’ac­crois­se­ment de ces dépenses, que la pré­ven­tion aggra­ve­ra le coût finan­cier, la pré­cau­tion et la pré­dic­tion plus encore.

Méde­cin de san­té publique, il per­çoit qu’entre les grandes options le choix ne peut résul­ter de cal­culs éla­bo­rés, fon­dés sur l’é­va­lua­tion du prix de la vie humaine (com­ment choi­sir entre la vie d’un fœtus, celle d’un nou­veau-né, d’un enfant atteint d’af­fec­tion congé­ni­tale, d’un car­diaque ou d’un can­cé­reux en phase ter­mi­nale, d’un patient expo­sé à une mala­die dégé­né­ra­tive céré­brale ?) mais sera sou­mis à l’in­fluence des lob­bies ou des circonstances.

Quel qu’il soit, il ne sait fina­le­ment qu’une chose : qu’il est le défen­seur natu­rel des patients en géné­ral, et de son patient en par­ti­cu­lier, qu’il consti­tue un indis­pen­sable corps inter­mé­diaire, un non moins indis­pen­sable contre-pou­voir des­ti­né à pro­té­ger l’en­semble des indi­vi­dus consti­tuant la col­lec­ti­vi­té contre les mala­dies, les tra­vers com­por­te­men­taux qui les menacent, mais aus­si le car­can légis­la­tif et admi­nis­tra­tif des­ti­né à anni­hi­ler leur autonomie.

C’est bien cette spé­ci­fi­ci­té de l’ac­tion médi­cale qui explique que deux pou­voirs, oppo­sés entre eux, le pou­voir poli­tique et le pou­voir judi­ciaire, s’ac­cordent pour une fois dans une com­mune entre­prise d’é­cra­se­ment de ceux qui doivent l’assumer.

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