La receherche médicale et sa valorisation

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Pierre JOLY

Ces défi­ni­tions qui appa­raî­tront simples au lec­teur per­mettent de resi­tuer la recherche médi­cale dans toutes ses dimen­sions et dans toute sa dynamique.

Les acquis du XXe siècle

L’homme a tou­jours, en effet, essayé de com­prendre son corps et les mala­dies dont il souf­frait pour y por­ter remède. Mais force est de consta­ter avec le Pro­fes­seur Jean Ber­nard que mal­gré les pro­grès consi­dé­rables réa­li­sés aupa­ra­vant, la méde­cine moderne date vrai­ment en fait de 1937 envi­ron, date d’ap­pa­ri­tion des pre­miers médi­ca­ments modernes.

Jus­qu’à cette date le méde­cin était dému­ni, à quelques brillantes excep­tions près, de trai­te­ments effi­caces et en était réduit à une méde­cine de com­pas­sion et d’accompagnement.

La recherche médi­cale cher­chait sur­tout à com­prendre l’in­ti­mi­té du fonc­tion­ne­ment des organes et leurs dys­fonc­tion­ne­ments pour éta­blir un diag­nos­tic. Cette ten­dance a d’ailleurs per­du­ré puisque l’en­sei­gne­ment de la thé­ra­peu­tique, certes, a pro­gres­sé mais n’a pas encore atteint le niveau qui devrait être le sien.

Le ving­tième siècle a été celui de la bio­lo­gie, notam­ment dans la deuxième par­tie du siècle. Une nou­velle dis­ci­pline, la géné­tique (qui venait com­plé­ter les autres dis­ci­plines exis­tantes : l’im­mu­no­lo­gie, la bio­lo­gie molé­cu­laire, l’en­do­cri­no­lo­gie, etc.) a bou­le­ver­sé la recherche médicale.

Un de ses mérites, pour reprendre la phrase de Pierre Tam­bou­rin, a été d’ex­pli­quer les méca­nismes vitaux alors que la bio­lo­gie se conten­tait de les décrire.

Des enjeux et des défis sans précédent

Quels sont les défis lan­cés à la recherche médi­cale à l’é­che­lon du monde ?

Les défis sont énormes et tiennent en quelques chiffres qui ne sont que des moyennes.

Aujourd’­hui, dans les pays occi­den­taux, on ne sait gué­rir qu’une mala­die sur trois, même si on sait les trai­ter presque toutes.

Dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment, cette sta­tis­tique tombe à une mala­die sur huit environ !

Les pays occi­den­taux qui repré­sentent 20 % de la popu­la­tion mon­diale consomment 80 % des pro­duits de santé.

Dans les pays occi­den­taux, la recherche dans le domaine médi­cal est assu­rée par 7 à 8 pays (dont la France). Ces 7 à 8 pays repré­sentent 90 % de la recherche médi­cale dans le monde.

On com­prend, tout de suite, l’im­men­si­té des enjeux à l’é­che­lon du monde et la res­pon­sa­bi­li­té morale qui incombe à ces quelques pays lea­ders au plan de la recherche médicale.

Voi­là le décor planté !

L’a­ve­nir et la valo­ri­sa­tion de la recherche médi­cale sont condi­tion­nés par des consi­dé­ra­tions qui tiennent au milieu dans lequel elle va s’épanouir.

La recherche médi­cale est, bien sûr, dépen­dante de la com­pé­tence de ceux qui la mènent et de l’ef­fi­ca­ci­té des moyens dont ils disposent.

Mais de très nom­breux fac­teurs démo­gra­phiques et cultu­rels, notam­ment, condi­tionnent et influencent l’o­rien­ta­tion de la recherche de chaque nation. On voit bien dès lors que l’é­vo­lu­tion de la recherche médi­cale et de sa valo­ri­sa­tion ne suit pas une simple extrapolation.

On peut citer quelques exemples.

  • Dans notre pays et dans la majo­ri­té des pays occi­den­taux, la pyra­mide des âges et l’é­vo­lu­tion de celle-ci font appa­raître un vieillis­se­ment impor­tant des popu­la­tions. Elles obligent donc la recherche à faire face aux mala­dies liées à l’âge.
  • La plu­part des mala­dies ignorent les fron­tières ; c’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour les mala­dies para­si­taires et pour les mala­dies infec­tieuses. Les migra­tions de toutes natures nous confrontent à des mala­dies nou­velles ou à des mala­dies résurgentes.
  • Chaque pays porte cultu­rel­le­ment plus d’at­ten­tion à cer­taines mala­dies voire à cer­taines habi­tudes thérapeutiques.
  • On peut aus­si citer l’é­vo­lu­tion des socié­tés modernes qui se recom­posent, doutent et s’in­quiètent. Ce com­por­te­ment engendre à tort ou à rai­son un besoin de sécu­ri­té qui peut être dan­ge­reux et ralen­tir la recherche si on ne tient pas compte de ce besoin de sécu­ri­té… ne fût-ce que pour y répondre sans remettre en cause le pro­grès indis­pen­sable et vital de la recherche médicale.


La valo­ri­sa­tion de la recherche médi­cale peut s’illus­trer par un cer­tain nombre d’exemples, pris dans ce que nous pou­vons attendre de dif­fé­rentes dis­ci­plines, qui per­met­tront dans cer­tains domaines de faire avan­cer les espoirs de guérisons.

Les avancées de la génétique

Comment parler de recherche médicale en ce début de XXIe siècle sans parler de génétique ?

Cette dis­ci­pline scien­ti­fique est sans doute une des plus impor­tantes décou­vertes de la fin du XXe siècle.

Iden­ti­fier le gène res­pon­sable des dys­fonc­tion­ne­ments et le rem­pla­cer ou le com­plé­ter consti­tue un sché­ma simple qui peut faire croire au public que la gué­ri­son sera aisée à par­tir de l’ins­tant où le génome aura été décrypté.

Or aujourd’­hui on sait bien que les obs­tacles à fran­chir sont encore très nom­breux, donc néces­si­te­ront beau­coup de temps (vingt ans peut-être), énor­mé­ment d’ef­forts de la part des scien­ti­fiques du monde entier… et beau­coup d’argent.

Les com­po­sants du génome sont presque tota­le­ment iden­ti­fiés. Mais d’une manière géné­rale, on ne connaît pas encore les fonc­tions de chaque gène, à part quelques exceptions.

Les pre­mières mala­dies d’o­ri­gine géné­tique iden­ti­fiées seront, bien sûr, les mala­dies mono­gé­niques. En revanche, il est vrai­sem­blable que beau­coup de mala­dies géné­tiques sont de nature plurigénique…

La vec­to­ri­sa­tion du gène sal­va­teur est aujourd’­hui dépen­dante en majo­ri­té de virus dont on uti­lise la pro­prié­té, redou­tée habi­tuel­le­ment, d’ac­cé­der au noyau de la cel­lule. Ils ne sont pas tou­jours aisés à mani­pu­ler et il est dif­fi­cile de pré­voir exac­te­ment les com­por­te­ments de rejets de l’organisme.

Site transfusionnel, thérapie cellulaire, préparation de greffe de moelle, Pitié-Salpêtrière.
Site trans­fu­sion­nel, thé­ra­pie cel­lu­laire, pré­pa­ra­tion de greffe de moelle, Pitié-Salpêtrière.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS

On ne peut donc qu’être fier des résul­tats extra­or­di­naires obte­nus par le Pro­fes­seur Alain Fischer (hôpi­tal Necker-enfants malades) dans le trai­te­ment des » 3 enfants bulles « .

La thé­ra­pie génique per­met d’en­vi­sa­ger éga­le­ment, dès main­te­nant, des avan­cées dans les domaines des mala­dies car­dio­vas­cu­laires et can­cé­reuses ain­si que dans la régé­né­ra­tion au moins par­tielle du tis­su ner­veux. Cette der­nière appli­ca­tion serait essen­tielle pour lut­ter contre des mala­dies aus­si dra­ma­tiques que l’Alz­hei­mer, le Par­kin­son, la sclé­rose laté­rale amyo­tro­phique ou la mala­die d’Hun­ting­ton, pour ne par­ler que des plus connues.

Les bio­tech­no­lo­gies au sens large per­mettent, de leur côté, la pro­duc­tion avec une grande pure­té de sub­stances jadis obte­nues par extrac­tion avec tous les risques de conta­mi­na­tion que cette tech­nique impli­quait (hor­mone de crois­sance, éry­thro­poïé­tine mais aus­si des enzymes, voire de l’hé­mo­glo­bine de type humain).

La thé­ra­pie cel­lu­laire dont les attentes sont consi­dé­rables n’a été envi­sa­geable que grâce aux tra­vaux d’un de nos prix Nobel, le Pro­fes­seur Jean Dausset.

La trans­fu­sion de sang est la thé­ra­pie cel­lu­laire la plus connue, mais on peut envi­sa­ger éga­le­ment la res­tau­ra­tion de tout ou par­tie d’un tis­su soit en culti­vant des cel­lules de même nature, par exemple pour recons­ti­tuer la peau, soit en par­tant de cel­lules souches totipotentes1.

On peut même envi­sa­ger un jour d’u­ti­li­ser des cel­lules ou des tis­sus végé­taux ou ani­maux que l’on sub­sti­tue­ra aux tis­sus malades. Peut-être même pour­ra-t-on huma­ni­ser ces xéno­greffes pour les rendre plus faci­le­ment compatibles.

Mais beau­coup d’hy­po­thèques tech­niques et éthiques res­tent à lever.

L’impact sur les pratiques médicales

Bien d’autres aspects de la recherche thé­ra­peu­tique peuvent être cités qui montrent que l’é­ven­tail de la recherche médi­cale s’é­lar­git sans cesse et ouvre des ave­nirs de valo­ri­sa­tion très prometteuse.

Ain­si en va-t-il de la chi­mie combinatoire.

Il est admis que l’o­ri­gine du monde que nous connais­sons tien­drait à un » big-bang » qui, grâce à des réac­tions diverses, a engen­dré grâce à des molé­cules simples les arran­ge­ments molé­cu­laires qui font le monde actuel.

Alors pour­quoi ne pas enre­gis­trer dans des banques de don­nées toutes les molé­cules les plus élé­men­taires et inter­ro­ger les ordi­na­teurs sur les molé­cules que ceux-ci pour­raient ima­gi­ner pour atteindre un objec­tif qui lui est fixé ?

Le Pro­fes­seur Roger Laha­na rap­porte qu’ap­pli­quant cette méthode à la recherche d’im­mu­no­dé­pres­seurs de nature pep­ti­dique, il s’est vu pro­po­ser près de 2 mil­liards de molé­cules. Des bar­rières de sélec­tion ont fait des­cendre ces com­bi­nai­sons à 280 000 puis à 5 qui ont été récem­ment syn­thé­ti­sées pour être testées.

Ces quelques exemples n’ont été cités que pour mon­trer la richesse des pro­messes de la recherche médi­cale quelle soit fon­da­men­tale, cli­nique ou thé­ra­peu­tique. Elle forme un tout cohé­rent et s’au­to­fer­ti­li­sant. Bien plus, les dis­ci­plines les plus récentes per­mettent aux dis­ci­plines exis­tantes de connaître de nou­velles avan­cées. Ain­si en va-t-il de l’im­mu­no­lo­gie, de l’en­zy­mo­lo­gie, de l’en­do­cri­no­lo­gie, d’une thé­ra­peu­tique moins inva­sive à par­tir de la connais­sance des sites récep­teurs qui per­mettent un véri­table » adres­sage molé­cu­laire » comme l’é­crit le Pro­fes­seur Fran­cis Pui­sieux (Facul­té de Phar­ma­cie de Paris).

Comme on le voit à tra­vers ces quelques exemples, la recherche médi­cale offre un éven­tail de valo­ri­sa­tions consi­dé­rables, d’une impor­tance encore incon­nue depuis qu’elle existe et offre des pers­pec­tives de réponses à bien des dys­fonc­tion­ne­ments que l’on ne peut encore maî­tri­ser à ce jour.

La recherche trouve sa justification dans le recul des incertitudes.
La recherche médicale doit la trouver dans le progrès de la santé.

L’as­pect éco­no­mique ne doit pas en être écar­té comme il le fut long­temps. Il ne doit pas y avoir une recherche dés­in­té­res­sée et le reste. Il faut une recherche fruc­tueuse et utile pou­vant faire l’ob­jet de prise de bre­vet. Il faut même encou­ra­ger la prise de risque. Il convient donc de saluer le ministre de la Recherche qui a encou­ra­gé les » start-up « .

La Fon­da­tion pour la recherche médi­cale que j’ai l’hon­neur de pré­si­der me per­met d’ap­pré­cier le che­min par­cou­ru et les chances qui sont devant nous. Elle me per­met éga­le­ment d’af­fir­mer que nous dis­po­sons d’ex­cel­lents cher­cheurs empê­trés dans des exi­gences bureau­cra­tique et admi­nis­tra­tive exces­sives qui n’ont mal­heu­reu­se­ment aucune rai­son de dimi­nuer dans l’avenir.

C’est là, sans doute, que se jus­ti­fie gran­de­ment l’exis­tence d’or­ga­nismes comme la Fon­da­tion pour la recherche médi­cale qui apporte de la sou­plesse et de la flexi­bi­li­té aux sys­tèmes de recherche exis­tants en leur per­met­tant d’al­ler plus vite et plus loin.

L’éthique et la recherche médicale

On sait aus­si que la recherche pose plus de pro­blèmes qu’elle n’en résout. Il ne suf­fit plus de décou­vrir. Il faut, au fur et à mesure, résoudre autant que faire se peut les ques­tions éthiques, cultu­relles et reli­gieuses que posent cer­taines décou­vertes. On l’a vu dans le pas­sé avec la » pilule « , avec les tech­niques nou­velles de repro­duc­tion, on le voit aujourd’­hui avec la bre­ve­ta­bi­li­té du génome, demain avec la recherche sur les » embryons surnuméraires « .

La valo­ri­sa­tion de chaque décou­verte de la recherche médi­cale sera dépen­dante de son accep­ta­bi­li­té par le public dont le poids devient grandissant.

Pour moi, recherche médi­cale, éthique, phi­lo­so­phie, culture, voire reli­gion sont des com­pa­gnons de route qui seront de plus en plus inséparables.

Les scien­ti­fiques devront expli­quer leur décou­verte au public et dis­cu­ter avec lui très tôt, avant même sa publi­ca­tion scien­ti­fique ; les échanges ne peuvent qu’être riches. D’a­bord parce que les scien­ti­fiques appren­dront du public la limite qu’ils ne doivent pas dépas­ser et le public s’ap­pro­prie­ra et uti­li­se­ra intel­li­gem­ment et rai­son­na­ble­ment les décou­vertes pour son plus grand bénéfice.

La valorisation de la recherche médicale passe donc désormais obligatoirement par l’acceptation du public qui doit comprendre et approuver les découvertes de la science médicale. Sinon, la phrase de Jean Rostand resterait d’actualité :

 » La Science fait de nous des dieux avant même que nous ayons appris à être des hommes. »

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1. Cel­lules embryon­naires qui forment les tis­sus les plus divers selon l’ac­tion qu’elles subissent.

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