Le praticien hospitalier

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Thierry PETITCLERC (69)

La formation du praticien hospitalier

Dans le cadre du CHU, il existe deux statuts de prati­cien hospitalier :

  • le prati­cien hos­pi­tal­ier salarié par l’hôpi­tal est un fonc­tion­naire tit­u­laire des col­lec­tiv­ités locales ou régionales dont dépend l’hôpi­tal. Son activ­ité est pri­or­i­taire­ment une activ­ité de soins, le plus sou­vent asso­ciée à une activ­ité de recherche clinique ;
  • le prati­cien hos­pi­tal­ier fonc­tion­naire d’É­tat, salarié par l’É­d­u­ca­tion nationale en tant que pro­fesseur ou maître de con­férences des uni­ver­sités exerce offi­cielle­ment à mi-temps une activ­ité de prati­cien hos­pi­tal­ier à l’hôpi­tal uni­ver­si­taire. À ce titre il reçoit de l’hôpi­tal une indem­nité qui, en rai­son du non-cumul des salaires dans la fonc­tion publique, ne sera pas prise en compte pour la retraite bien qu’elle représente env­i­ron la moitié du revenu.


La tit­u­lar­i­sa­tion en tant que prati­cien hos­pi­tal­ier n’in­ter­vient générale­ment qu’en­tre 35 et 45 ans. Aupar­a­vant le can­di­dat a dû accom­plir le cur­sus des études médi­cales avec le con­cours très sélec­tif (en moyenne un can­di­dat reçu sur huit) organ­isé à la fin de la pre­mière année du pre­mier cycle d’é­tudes médi­cales (PCEM1) et qui a demandé en réal­ité, pour plus de 90 % d’en­tre eux, deux années de pré­pa­ra­tion intense.

Après les deux années du pre­mier cycle con­sacrées prin­ci­pale­ment aux matières dites fon­da­men­tales (anatomie, bio­physique, biochimie, his­to-embry­olo­gie, biolo­gie, phys­i­olo­gie) l’é­tu­di­ant entre dans un deux­ième cycle de qua­tre années (DCEM1 à DCEM4). Il con­sacre ses mat­inées à l’hôpi­tal, les cours étant regroupés sur les après-midi. S’il envis­age une car­rière hos­pi­tal­ière ou de spé­cial­ité, il devra pré­par­er durant le deux­ième cycle le con­cours de l’in­ter­nat qui lui per­me­t­tra d’ef­fectuer le troisième cycle d’é­tudes médicales.

L’in­terne des hôpi­taux est un médecin spé­cial­iste en for­ma­tion. Il com­mence à soign­er et pre­scrire des exa­m­ens ou des traite­ments, sous la respon­s­abil­ité du chef du ser­vice dans lequel il exerce. Après la sou­te­nance de sa thèse de doc­tor­at d’É­tat en médecine, il pour­ra deman­der sa qual­i­fi­ca­tion au Con­seil de l’or­dre des médecins.

Au terme de l’in­ter­nat (qua­tre ou cinq années), le médecin spé­cial­iste a la pos­si­bil­ité, en fonc­tion des places disponibles, de deman­der un poste de chef de clin­ique des uni­ver­sités — assis­tant des hôpi­taux (CCA), pour une durée de deux ans renou­ve­lable deux ans. Il obtient alors son pre­mier poste hospitalo-universitaire.

En tant que chef de clin­ique il est respon­s­able de la for­ma­tion au lit du malade des étu­di­ants hos­pi­tal­iers du deux­ième cycle. En tant qu’as­sis­tant des hôpi­taux, il super­vise le tra­vail des internes et effectue générale­ment deux fois par semaine la vis­ite avec eux. Il assure égale­ment quelques enseigne­ments dirigés l’après-midi dans le cadre de l’en­seigne­ment de la fac­ulté. S’il envis­age de pour­suiv­re une car­rière hos­pi­tal­ière, il doit encore trou­ver le temps pen­dant son clin­i­cat, s’il ne l’a déjà fait durant son inter­nat, de s’ini­ti­er à la recherche en obtenant un DEA. Il pour­ra alors pren­dre en charge une activ­ité de recherche et écrire les pub­li­ca­tions qui seront d’un grand poids lors du con­cours à un poste tit­u­laire de prati­cien hospitalier.

À la fin de son clin­i­cat, le médecin peut en effet décider de con­courir au poste de prati­cien hos­pi­tal­ier. Nom­breux sont les can­di­dats et rares sont les élus. S’agis­sant d’un con­cours sur titres, il importe surtout au can­di­dat de mon­tr­er, par son enseigne­ment, par ses com­pé­tences hos­pi­tal­ières, par ses pub­li­ca­tions de recherche, qu’il est indis­pens­able au bon fonc­tion­nement de l’in­sti­tu­tion dans laque­lle il sera amené à travailler.

Il faut de plus qu’un poste soit disponible, ce qui amèn­era le plus sou­vent le can­di­dat à devoir atten­dre encore en moyenne deux à qua­tre ans en allant com­pléter sa for­ma­tion à l’é­tranger (générale­ment avec une bourse de recherche) ou en se con­tentant d’un statut hos­pi­tal­ier très pro­vi­soire (vacataire hos­pi­tal­ier à plein temps). La rémunéra­tion de ce dernier type de poste (moins de 15 000 F nets par mois) est dérisoire eu égard au niveau d’é­tudes et de com­pé­tences de la personne.

Les missions du praticien hospitalier

La mis­sion essen­tielle du prati­cien hos­pi­tal­ier est une mis­sion de soins qui ne peut être dis­so­ciée d’une mis­sion de recherche et d’une mis­sion d’enseignement.

La mis­sion de soins com­prend l’ac­tiv­ité de soins auprès des patients hos­pi­tal­isés dans le ser­vice et l’ac­tiv­ité de con­sul­ta­tion auprès des patients externes. L’ob­jet de l’ac­tiv­ité de soins est dif­férent suiv­ant la sit­u­a­tion : il peut s’a­gir d’établir le diag­nos­tic pré­cis d’une mal­adie, d’en réalis­er un bilan réguli­er, d’ef­fectuer un traite­ment par­ti­c­uli­er, de remédi­er à une sit­u­a­tion d’urgence.

Pour réalis­er sa mis­sion le prati­cien hos­pi­tal­ier n’est pas isolé, car il par­ticipe à une équipe dont la hiérar­chie, même si elle peut être ressen­tie de façon plus ou moins lourde, rend plus improb­a­ble l’er­reur humaine. Il peut de plus aisé­ment béné­fici­er de l’avis d’équipes de spé­cial­ités différentes.

C’est dans sa mis­sion de soins, me sem­ble-t-il, que le prati­cien hos­pi­tal­ier appré­cie au mieux la véri­ta­ble richesse de sa pro­fes­sion. Même si les moti­va­tions peu­vent être très dif­férentes d’un prati­cien à l’autre, la moti­va­tion essen­tielle reste pour la plu­part la rela­tion sin­gulière qui s’établit entre patient et médecin, rela­tion enrichie à l’hôpi­tal par les liens sou­vent pro­fonds qui unis­sent tous les mem­bres d’une même équipe soignante.

S’il est habituel de voir dans la rela­tion patient-médecin, lorsqu’elle est réussie, un signe de la voca­tion du médecin à aider et soulager son prochain, il me sem­ble devoir égale­ment insis­ter sur la réciproc­ité de l’aide : c’est sou­vent parce qu’un indi­vidu ressent au fond de lui-même l’im­por­tance fon­da­men­tale et l’ab­solue néces­sité pour s’é­panouir per­son­nelle­ment de tiss­er des liens qu’il choisit une pro­fes­sion à car­ac­tère human­iste comme la médecine.

L’hôpi­tal pub­lic a une mis­sion de recherche clin­ique à laque­lle tout prati­cien hos­pi­tal­ier se doit de par­ticiper. L’en­vi­ron­nement hos­pi­ta­lo-uni­ver­si­taire est un con­texte par­ti­c­ulière­ment inci­tatif à plusieurs titres : un CHU abrite des ser­vices d’ex­cel­lence ayant bâti leur répu­ta­tion sur un domaine pré­cis de patholo­gies dans lequel ils dis­posent d’un recrute­ment très large prop­ice à l’é­val­u­a­tion de nou­velles thérapeu­tiques ; un CHU abrite générale­ment, en plus des lab­o­ra­toires uni­ver­si­taires dont les moyens matériels sont notoire­ment insuff­isants, plusieurs unités dépen­dant d’or­gan­ismes publics de recherche biologique ou médi­cale, en par­ti­c­uli­er des unités de l’IN­SERM ou du CNRS.

Ces unités appor­tent des moyens matériels et humains (chercheurs, ingénieurs, tech­ni­ciens, admin­is­tra­teurs) impor­tants. Nom­bre d’u­nités INSERM ou d’équipes de recherche tra­vail­lant dans ces unités sont d’ailleurs dirigées par un prati­cien hos­pi­tal­ier (et donc non statu­taire de cet organ­isme). Les pro­jets de recherche clin­ique néces­si­tent de plus en plus fréquem­ment la col­lab­o­ra­tion de plusieurs ser­vices d’un même hôpi­tal ou d’hôpi­taux dif­férents et la col­lab­o­ra­tion d’u­nités de recherche. Par ailleurs les avancées tech­nologiques dans le domaine bio­médi­cal, en par­ti­c­uli­er en ce qui con­cerne les équipements dits ” lourds ” (imagerie, hémodial­yse), sont le plus sou­vent le fruit d’une étroite col­lab­o­ra­tion entre les ser­vices hos­pi­tal­iers et l’industrie.

La mis­sion d’en­seigne­ment de pro­fesseurs des uni­ver­sités-prati­ciens hos­pi­tal­iers ou PU-PH, maîtres de con­férences des uni­ver­sités-prati­ciens hos­pi­tal­iers ou MCU-PH con­siste tout d’abord à assur­er l’en­seigne­ment à la fac­ulté pour les étu­di­ants. Les pro­fesseurs sont chargés des cours mag­is­traux tan­dis que les maîtres de con­férences et les chefs de clin­ique sont chargés des enseigne­ments dirigés.

La ten­dance péd­a­gogique actuelle con­siste à dimin­uer le nom­bre de cours mag­is­traux et à les rem­plac­er par des séances d’ap­pren­tis­sage (appren­tis­sage au raison­nement clin­ique, appren­tis­sage par prob­lèmes) qui ne peu­vent être effec­tuées qu’en petits groupes néces­si­tant cha­cun la présence d’un assis­tant. Le rôle du pro­fesseur devient pri­mor­dial pour la coor­di­na­tion des thèmes des dif­férentes séances et la super­vi­sion de leur réalisation.

Les prati­ciens hos­pi­tal­iers qui côtoient les étu­di­ants en stage dans leur ser­vice pren­nent naturelle­ment plaisir à partager avec eux leur expéri­ence, en par­ti­c­uli­er lors de séances de dis­cus­sion de cas clin­iques ou de séances de bib­li­ogra­phie : ce partage con­stitue d’ailleurs une forme inter­ac­tive par­ti­c­ulière­ment effi­cace d’en­seigne­ment ou d’apprentissage.

Inquiétudes et préoccupations

Comme beau­coup d’autres le monde médi­cal a con­sid­érable­ment évolué durant les dernières années. Mais les change­ments sont par­fois source d’in­quié­tudes ou de préoccupations.

Une pre­mière préoc­cu­pa­tion découle des con­traintes budgé­taires qui pèsent sur l’ac­tiv­ité de soins. Un cer­tain rationnement existe de fait, en rap­port avec la maîtrise médi­cal­isée des dépens­es de san­té : ce n’est pas néces­saire­ment anor­mal, car la san­té a un coût.

L’écoute du malade et l’intimité de la relation sont au coeur de l’activité de soins.
L’écoute du malade et l’intimité de la rela­tion sont au cœur de l’activité de soins.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS

Mais puisque la ten­dance actuelle est à la trans­parence, je souhaite égale­ment dire la souf­france morale du prati­cien hos­pi­tal­ier qui tend à per­dre, pour des raisons économiques, sa liber­té de pre­scrire le traite­ment qu’il croit le mieux adap­té pour son patient : respon­s­able de l’u­nité d’hé­modial­yse (rein arti­fi­ciel) du ser­vice de néphrolo­gie du groupe hos­pi­tal­ier Pitié-Salpêtrière, je dois par­fois diriger cer­tains patients dont l’é­tat de san­té jus­ti­fierait la con­ti­nu­ité de la prise en charge dans un cen­tre lourd d’hé­modial­yse vers une struc­ture plus légère, moins adap­tée parce que le nom­bre de postes d’hé­modial­yse en cen­tre lourd est con­tin­gen­té ou parce que les con­di­tions matérielles pro­posées au per­son­nel soignant de ces cen­tres sont à l’o­rig­ine de dif­fi­cultés de recrutement.

Le temps de plus en plus impor­tant dévolu à des tâch­es admin­is­tra­tives devient aus­si une source d’in­quié­tude. Le prati­cien hos­pi­tal­ier est con­fron­té à des tâch­es nou­velles qui lui sem­blent en dehors de l’ex­er­ci­ce pour lequel il a été for­mé : jus­ti­fi­ca­tion d’un exa­m­en ou d’un traite­ment coû­teux, codage des dossiers, par­tic­i­pa­tion à de mul­ti­ples com­mis­sions, etc. Ce temps est néces­saire­ment pris aux dépens du temps con­sacré au patient ou à l’équipe soignante.

Très absorbé par des tâch­es admin­is­tra­tives qui n’ont rien à voir avec les longues études qu’il a suiv­ies en fac­ulté, déval­orisé sur le plan financier par rap­port à ses col­lègues par­tis dans le secteur libéral, il ne reste sou­vent au prati­cien hos­pi­tal­ier pour repren­dre con­fi­ance que la pos­si­bil­ité de dégager les deux demi-journées qui lui sont offi­cielle­ment recon­nues pour une éventuelle activ­ité libérale. La médecine privée à l’hôpi­tal reste pour­tant, me sem­ble-t-il, une anom­alie : elle donne au mieux l’im­age d’une médecine à deux tar­ifs, au pire celle d’une médecine à deux vitesses.

Mais cette activ­ité peut s’avér­er indis­pens­able, en par­ti­c­uli­er afin d’as­sur­er une retraite décente puisque la retraite des prati­ciens de statut hos­pi­ta­lo-uni­ver­si­taire est cal­culée sur le seul revenu accordé par l’É­d­u­ca­tion nationale. Et pour cette rai­son, je n’oserais pari­er moi-même ne jamais céder à ce type d’activité.

Praticien hospitalier et polytechnicien ?

Je souhait­erais ter­min­er cet arti­cle par une vision plus per­son­nelle de mon activ­ité car beau­coup de lecteurs doivent se deman­der s’il y a un quel­conque intérêt à dépenser au min­i­mum qua­tre années de sa vie pour ” faire ” Poly­tech­nique avant de ” faire ” sa médecine.

La for­ma­tion reçue à Poly­tech­nique ne saurait être con­sid­érée comme inutile par tout hon­nête homme, y com­pris par un futur médecin. Elle ne saurait non plus laiss­er indif­férent : ce n’est pas tout à fait un hasard si j’ai choisi d’ef­fectuer mon inter­nat en néphrolo­gie, spé­cial­ité con­cernée par les mal­adies rénales où la démarche diag­nos­tique y est, plus que dans toute autre spé­cial­ité, par­ti­c­ulière­ment logique.

Prati­cien hos­pi­tal­ier en néphrolo­gie, j’en­seigne à l’u­ni­ver­sité non pas la néphrolo­gie mais la bio­physique, dis­ci­pline con­cer­nant tous les aspects de la phys­i­olo­gie et de la phys­iopatholo­gie qui peu­vent être expliqués à l’aide d’une démarche s’ap­puyant sur la physique. Enfin, mon activ­ité de recherche con­cerne plus par­ti­c­ulière­ment les machines d’hé­modial­yse. Ma for­ma­tion antérieure me sem­ble avoir été adap­tée pour devenir une inter­face, je l’e­spère utile, entre l’u­nité d’hé­modial­yse dont j’ai la respon­s­abil­ité et les indus­triels qui conçoivent et dévelop­pent les généra­teurs d’hé­modial­yse du futur…

Mais les don­nées ont quelque peu changé depuis ma sor­tie de l’É­cole, en par­ti­c­uli­er depuis l’in­tro­duc­tion dans les années qua­tre-vingt de la biolo­gie dans le pro­gramme d’en­seigne­ment. Cette intro­duc­tion était une véri­ta­ble révo­lu­tion dans une école d’ingénieurs général­istes comme Poly­tech­nique, et pour­tant il est désor­mais par­faite­ment clair qu’une for­ma­tion solide en sci­ences dites exactes (math­é­ma­tiques, physique, chimie) et en infor­ma­tique est indis­pens­able pour abor­der la biolo­gie. La for­ma­tion reçue à l’X sem­ble bien un atout majeur pour débuter une car­rière pas­sion­nante et fructueuse dans le champ des sci­ences du vivant et tout spé­ciale­ment dans le domaine de la recherche fon­da­men­tale ou appliquée.

Cepen­dant les études de médecine restent longues même si, depuis une dizaine d’an­nées, l’an­cien élève de l’X peut espér­er être dis­pen­sé des deux pre­mières années d’é­tudes. Entre­pren­dre sa médecine après la sor­tie de l’É­cole peut sem­bler un inter­valle, voire une perte de temps par­ti­c­ulière­ment inutile à l’âge où l’ou­ver­ture et la sou­p­lesse de l’e­sprit sont des atouts con­sid­érables pour acquérir une for­ma­tion à la recherche de haut niveau et espér­er des résul­tats prometteurs.

Les per­spec­tives de car­rière sont bien plus atti­rantes aujour­d’hui dans le monde de l’en­tre­prise que dans celui de la médecine. Dans ces con­di­tions, il sem­ble évi­dent qu’un jeune poly­tech­ni­cien sera mieux val­orisé dans un autre secteur.

Mais si le pre­mier objec­tif d’un cama­rade est la ren­con­tre sin­gulière entre le patient et lui, médecin chargé de le soign­er, alors pour lui comme pour moi, rien ne devra ni ne pour­ra l’empêcher de ten­ter cette extra­or­di­naire aventure.

Il restera tou­jours que le médecin exerce le plus beau méti­er du monde : non vrai­ment, je ne regrette rien…

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