L’imbrication de circuits d’échange dans un volume minimal.

Une technologie de rupture pour des lanceurs spatiaux compétitifs

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Hervé GILIBERT (84)

Au-delà des coûts de fab­ri­ca­tion, les gains de poids sont absol­u­ment déter­mi­nants dans la com­péti­tiv­ité des lanceurs spa­ti­aux. La fab­ri­ca­tion addi­tive est dans ces con­di­tions un out­il promet­teur pour cette indus­trie et elle est déjà large­ment util­isée. Où en est-on ?

Système APU (Auxiliary Power Unit) d’Ariane 6.
Sys­tème APU (Aux­il­iary Pow­er Unit) d’Ariane 6.

Sur un lanceur, chaque kilo­gramme de matière qui n’est pas expul­sé à très grande vitesse pour con­tribuer à la fonc­tion propul­sive selon le principe de con­ser­va­tion de la quan­tité de mou­ve­ment est un kilo­gramme qui pénalise la per­for­mance finale du lanceur, c’est-à-dire la masse de charge utile (les satel­lites) qu’il peut injecter en orbite. La chas­se à ces kilo­grammes de « masse sèche » est fon­da­men­tale, surtout lorsque l’on sait qu’en final la masse des satel­lites représente de l’ordre de 1 % de la masse totale du lanceur au décol­lage : échouer en matière d’optimisation de la masse sèche est facile­ment syn­onyme d’échec total d’un pro­gramme, et réus­sir est syn­onyme de com­péti­tiv­ité. De tout temps, donc, l’industrie spa­tiale a cher­ché les solu­tions tech­nologiques per­me­t­tant de réduire à leur min­i­mum les mass­es sèch­es des véhicules, aus­si bien pour leurs struc­tures que pour leurs moteurs.

Dans ce con­texte, l’émergence de la tech­nolo­gie de fab­ri­ca­tion addi­tive (l’impression 3D) pour les matéri­aux métalliques à la fin des années 2000 représente une rup­ture majeure, la pre­mière de cette ampleur dans le domaine de la métal­lurgie depuis plusieurs décen­nies, et elle se con­cré­tise d’ores et déjà par de mul­ti­ples réal­i­sa­tions opéra­tionnelles, en par­ti­c­uli­er sur le lanceur Ari­ane 6 qui finit actuelle­ment son développement.

Le secteur spatial, champ d’application idéal pour l’impression 3D

Si le spa­tial a investi beau­coup et a tiré les appli­ca­tions de l’impression 3D sur les dix dernières années, ce n’est pas unique­ment pour ce besoin d’optimisation des mass­es et vol­umes des pièces à bord des lanceurs et des satel­lites, c’est aus­si parce que la nature même de l’activité spa­tiale per­met de prof­iter à plein des béné­fices de cette tech­nolo­gie, tant au stade de la con­cep­tion des pièces qu’au stade des cycles de fab­ri­ca­tion. La plu­part des pièces d’un moteur-fusée ou internes à un étage sont plutôt de taille mod­este, ce qui colle assez bien avec les vol­umes utiles des machines de fab­ri­ca­tion addi­tive à lit de poudre ; leurs géométries sont sou­vent com­plex­es et ren­dent l’application des tech­niques clas­siques de forgeage et de fab­ri­ca­tion sous­trac­tive (frais­age, extru­sion, etc.) com­pliquées et longues de mise en œuvre.
En out­re l’impression 3D ouvre des oppor­tu­nités d’optimisations topologiques infin­i­ment supérieures, ce qui est par­ti­c­ulière­ment pré­cieux pour les sys­tèmes tels que les échangeurs ther­miques où l’on cherche à max­imiser l’imbrication de cir­cuits d’échange dans un vol­ume min­i­mal, ou encore pour les divers appen­dices mécaniques dits « struc­tures sec­ondaires » qui sup­por­t­ent des équipements, de la con­nec­tique, etc., où l’on cherche à min­imiser la quan­tité de matière à ce qui est stricte­ment utile pour pass­er les efforts mécaniques.

Là où un procédé de fab­ri­ca­tion clas­sique traite le plus sou­vent une à une les pièces qu’il pro­duit et est régulière­ment lim­ité à une seule typolo­gie de pièces, les machines de fab­ri­ca­tion addi­tive sont naturelle­ment des robots aptes à une très grande ver­sa­til­ité dans les fab­ri­ca­tions qu’ils réalisent, en séquence ou même en par­al­lèle : c’est ain­si le cas avec les machines à lit de poudre pour lesquelles on cherche à max­imiser l’utilisation de la cham­bre en y plaçant un max­i­mum de pièces dif­férentes à réalis­er dans une seule et même séquence. Dans le spa­tial, les séries sont lim­itées et les cadences de pro­duc­tion sont faibles, de l’ordre du mois, voire de la semaine, ce qui va bien avec cette tech­nolo­gie qui est jusqu’à présent une tech­nolo­gie plutôt lente. Sans que ce soit con­tra­dic­toire avec le point précé­dent, pour les pro­duits autre­fois fab­riqués par assem­blage de pièces élé­men­taires mul­ti­ples, l’impression 3D donne sou­vent accès à des cycles très réduits et trans­forme les mois en jours, grâce à une fab­ri­ca­tion directe­ment inté­grée, où toutes les pièces élé­men­taires sont directe­ment fab­riquées en même temps que leur sup­port final ; l’exemple le plus spec­tac­u­laire pour les moteurs-fusées se trou­ve au niveau des plaques d’injection où l’assemblage d’environ 200 pièces usinées indivi­duellement autre­fois est rem­placé par une fab­ri­ca­tion en une seule passe. Et enfin, intérêt non des moin­dres, son empreinte écologique est tou­jours net­te­ment inférieure, tout d’abord de par la lim­i­ta­tion de la quan­tité de matière appro­vi­sion­née à la seule matière néces­saire, mais aus­si de par les réduc­tions de con­som­ma­tion élec­trique, etc.


REPÈRES

Les équipes d’Ari­ane­Group, le maître d’œuvre des lanceurs Ari­ane, ont iden­ti­fié les promess­es de la fab­ri­ca­tion addi­tive pour les nuances métalliques un peu avant 2010 et les pre­mières activ­ités de R & T ont démar­ré, pour en tester le poten­tiel réel et pour assur­er la mon­tée en matu­rité de la maîtrise des procédés et de la qual­ité des produits.
Cela a con­duit à la pre­mière appli­ca­tion com­mer­ciale dès 2012, avec la pre­mière pièce lancée dans l’espace, une fer­rure de tripode de réflecteur d’antenne pour un gros satel­lite de télécommunications.


“Les résultats vont bien au-delà
de ce qui avait été escompté.”

La fabrication additive, sur Ariane 5 et Ariane 6

L’année 2014 a été celle du déclenche­ment du pro­gramme Ari­ane 6 ; dans le monde des lanceurs, le lance­ment d’un nou­veau pro­gramme con­stitue un jalon majeur, qui ne se pro­duit qu’une fois par généra­tion d’ingénieurs, et c’est l’occasion de franchir une marche nou­velle, en renou­ve­lant large­ment les pro­duits et les out­ils indus­triels par rap­port à la généra­tion précé­dente. Dès lors, les pro­grès con­stants et les démon­stra­tions de gains réal­isés autour des tech­nolo­gies d’impression 3D sur les toutes dernières années ame­naient une ques­tion évi­dente autour du recours plus ou moins mas­sif à ces tech­nolo­gies pour la fab­ri­ca­tion des mil­liers de pièces métalliques d’Ari­ane 6. Par provo­ca­tion, l’atelier organ­isé début 2015 avec toutes les équipes con­cernées au sein de la société, mais égale­ment avec le tis­su de parte­naires académiques, insti­tu­tion­nels et indus­triels, s’intitula alors : « Voyons donc ce que, sur Ari­ane 6, nous ne fab­ri­querons pas en impres­sion 3D… »

Aujourd’hui, cinq ans plus tard seule­ment, force est de con­stater que les résul­tats vont bien au-delà de ce qui avait été escomp­té alors, tant les pro­grès de la tech­nolo­gie ont été impor­tants et tant ses promess­es économiques se sont con­fir­mées. Ain­si, par exem­ple, dès 2016 a été mis au point un sys­tème inédit sur un lanceur, l’APU (pour Aux­il­iary Pow­er Unit), pour l’étage supérieur d’Ari­ane 6 : ce sys­tème ultra-com­pact et léger (plusieurs cen­taines de kilo­grammes gag­nées par rap­port aux solu­tions antérieures) assure la pres­suri­sa­tion des réser­voirs de l’étage, fonc­tion fon­da­men­tale pour leur tenue struc­turale et pour l’alimentation du moteur ; il offre égale­ment un ser­vice addi­tion­nel de poussée, fort pré­cieux pour les mis­sions très poly­va­lentes qu’assurera cet étage dans l’espace, notam­ment pour le déploiement de con­stel­la­tions de satel­lites. Ce sys­tème n’est en fait con­cev­able et fab­ri­ca­ble que si l’on recourt à la fab­ri­ca­tion addi­tive (en l’occurrence par fais­ceau laser sur lit de poudre, ou LBM pour Laser Beam Melt­ing) : son design fait appel à des cir­con­vo­lu­tions de canaux d’échanges ther­miques et à des imbri­ca­tions com­plex­es de pièces entre elles. Point essen­tiel à relever égale­ment : le pas­sage du con­cept au pre­mier exem­plaire fab­riqué s’est déroulé en moins d’une année, cycle très inférieur aux cycles habituels de con­cep­tion d’organes propul­sifs sur les lanceurs… Et aujourd’hui ce sys­tème apporte par avance un sup­plé­ment de valeur pour les futurs clients d’Arianespace et con­stitue donc un avan­tage com­péti­tif majeur pour les futures mis­sions d’Ari­ane 6 dans l’espace.

Les années 2017 et 2018 ont été con­sacrées à exploiter toutes les ver­tus de la fab­ri­ca­tion addi­tive pour les sys­tèmes propul­sifs, non seule­ment pour Ari­ane 6 mais aus­si déjà pour Ari­ane 5, qui vole depuis fin 2017 avec une « croix de car­dan » de ligne d’échappement désor­mais pro­duite ain­si. Aujourd’hui, l’additif a lit­térale­ment envahi les moteurs cryo­géniques, pour les pièces de géométrie com­plex­es certes, mais aus­si pour les pièces tour­nantes les plus cri­tiques. Ain­si, dans ce domaine, la réal­i­sa­tion de la tur­bine de la tur­bopompe hydrogène du moteur Vin­ci (pour l’étage supérieur d’Ari­ane 6, moteur cryo­génique réal­lum­able en vol) con­stitue une avancée majeure : si l’intérêt de l’impression 3D était évi­dent au vu de la géométrie très tra­vail­lée de cette tur­bine, il fal­lait tout de même démon­tr­er un niveau de car­ac­téris­tiques mécaniques extrême­ment élevé, pour une pièce tour­nant à 100 000 tours/min. C’est chose faite, la tenue à ­140 000 tours/min a pu être démon­trée, ain­si que la par­faite repro­ductibil­ité des qual­ités matéri­au d’une pièce à l’autre. Les qual­ités matéri­au atteintes sont désor­mais supérieures à ce que nous con­nais­sions antérieurement…

Après les moteurs Vul­cain et Vin­ci, le futur de la motori­sa­tion des lanceurs européens est d’ores et déjà en pré­pa­ra­tion, prin­ci­pale­ment avec le moteur Prometheus, en cours de con­cep­tion et pro­to­ty­page sur le site d’ArianeGroup à Ver­non : Prometheus sera le pre­mier moteur cryo­génique européen de forte poussée conçu d’emblée avec l’additif, c’est l’une des options majeures qui ouvre aujourd’hui la per­spec­tive d’atteindre cet objec­tif incroy­able de réduc­tion de coût d’un fac­teur 10 par rap­port au moteur Vul­cain, de poussée équiv­a­lente ! En par­al­lèle avec ces pro­grès majeurs sur les organes propul­sifs, la démarche de R & T s’est pour­suiv­ie, explo­rant et dévelop­pant les dif­férentes tech­niques de fab­ri­ca­tion (fusion sur lit de poudre par laser, par fais­ceau d’électrons ; tech­nique de dépose de fil…) et pour les dif­férentes nuances métalliques intéres­sant les pro­duits spa­ti­aux, cha­cune d’entre elles présen­tant des intérêts spé­ci­fiques, utiles pour des pièces dif­férentes, mais aus­si des dif­fi­cultés de mise au point spé­ci­fiques à chaque cou­ple procédé-matériau.

Dans ce con­texte, les toutes dernières appli­ca­tions ren­dues opéra­tionnelles, dès Ari­ane 5 en l’occurrence, sont des struc­tures sec­ondaires sur l’étage supérieur, où le béné­fice des gains de masse est directe­ment trans­for­mé à 100 % en masse sup­plé­men­taire offerte aux satel­lites (con­tre 30 % pour chaque kilo­gramme gag­né sur l’étage inférieur). Pour tir­er le meilleur par­ti du poten­tiel de l’impression 3D, ces struc­tures sont conçues à par­tir d’approches bio­mimé­tiques, faisant appel au con­cept de Gen­er­a­tive Design. Ce dernier exem­ple illus­tre bien l’une des voies de pro­gres­sion d’ores et déjà engagée et pleine de per­spec­tives pour la fab­ri­ca­tion addi­tive, celle d’une ingénierie qui intè­gre cette tech­nolo­gie pour la con­cep­tion même des pro­duits, nous y revien­drons d’ailleurs en conclusion.

Croix de cardan de ligne d’échappement du moteur Vulcain 2 d’Ariane 5.
Croix de car­dan de ligne d’échappement du moteur Vul­cain 2 d’Ariane 5.

Le mouvement s’accélère dans l’industrie

Les pro­grès à court-moyen terme seront aus­si relat­ifs aux capac­ités indus­trielles elles-mêmes, celles des procédés et des machines d’impression 3D, objet de travaux inten­sifs de R & D. Dans ce domaine, les besoins du secteur des lanceurs spa­ti­aux sont d’une part une évo­lu­tion vers l’aptitude à pro­duire des pièces de plus grande taille, typ­ique­ment entre 1 et 2 m de dimen­sion uni­taire pour les fab­ri­ca­tions sur lit de poudre, voire des tailles supérieures pour les ébauch­es de pièces struc­turales (tech­nolo­gie fil), nos lanceurs faisant plus de 5 m de diamètre. Con­cer­nant les matéri­aux, au-delà du titane déjà très util­isé pour l’impression 3D dont le prix est mal­heureuse­ment un frein à la com­péti­tiv­ité, l’aluminium est un pro­duit majeur sur nos lanceurs mais dont la soud­abil­ité, essen­tielle pour notre sujet, est plutôt médiocre : le développe­ment de procédés de dépose à base d’alliages d’aluminium bien dosés (lithi­um, scan­di­um, etc.) est aujourd’hui suivi et soutenu de très près. De même pour le cuiv­re, qui présente les mêmes dif­fi­cultés tout en étant un matéri­au essen­tiel pour cer­taines par­ties des moteurs.

Enfin, dernier besoin à relever pour ce qui con­cerne les pro­grès atten­dus directe­ment sur les procédés eux-mêmes : la mise au point de solu­tions de con­trôle non destruc­tif exé­cuté en temps réel, pen­dant la fab­ri­ca­tion elle-même. En effet, si les coûts de fab­ri­ca­tion des pièces sont dras­tique­ment réduits, les temps de fab­ri­ca­tion sont longs pour les plus com­plex­es d’entre elles, et s’apercevoir qu’il faut rebuter un pro­duit seule­ment à l’issue d’une fab­ri­ca­tion qui aura pris une ou deux semaines peut coûter plus cher qu’une fab­ri­ca­tion clas­sique réussie du pre­mier coup… Le con­trôle non destruc­tif en temps réel est donc essen­tiel, tout comme la pos­si­bil­ité égale­ment de déclencher en temps réel la répa­ra­tion des anom­alies détec­tées, pour min­imiser les impacts sur le pro­duit et sur la durée de cycle. Cette thé­ma­tique nous emmène vers la ques­tion de la maîtrise des procédés, de leur val­i­da­tion / qual­i­fi­ca­tion, le tout dans la meilleure économie bien entendu.

Optimisation topologique par Generative Design.
Opti­mi­sa­tion topologique par Gen­er­a­tive Design.

La maîtrise des procédés

Décrivons le sujet comme nous l’avons vécu ces dernières années : les pre­mières ten­ta­tives de recourir à l’impression 3D sont inter­v­enues sur des pièces déjà exis­tantes, fab­riquées clas­sique­ment jusque-là. Les busi­ness cas­es asso­ciés au bas­cule­ment à l’impression 3D pour fab­ri­quer ces pièces mon­traient certes un gain intéres­sant sur le coût de fab­ri­ca­tion future, mais au prix d’une dépense ini­tiale qui ne trou­vait son amor­tisse­ment que très tar­di­ve­ment (c’est l’inconvénient, pour le coup, des fab­ri­ca­tions à faible cadence…). Si bien que la con­clu­sion était invari­able­ment : « Oubliez, ça ne vaut pas le coup ». Pour ne pas con­damn­er le recours à l’impression 3D unique­ment sur les pro­duits nou­velle­ment défi­nis, mais aus­si pour réduire les coûts du développe­ment de ces derniers, est donc venue la notion de « qual­i­fi­ca­tion de procédé pour une typolo­gie don­née de pièces », par oppo­si­tion à l’approche qui con­siste à réalis­er cette qual­i­fi­ca­tion pro­duit par pro­duit, avec le procédé et la machine visés. On opère donc désor­mais la qual­i­fi­ca­tion d’une machine avec ses paramètres de réglage pour un métal don­né et pour un ensem­ble de pro­duits sim­i­laires, et l’on opère ensuite une « val­i­da­tion » légère, pro­duit par pro­duit, pour cha­cun des pro­duits dont la fab­ri­ca­tion est visée sur cette machine. On mutu­alise ain­si les coûts non récur­rents sur un bud­get d’investissement cen­tral et la fac­ture de la val­i­da­tion indi­vidu­elle pour chaque pro­duit s’en trou­vera allégée, ren­dant son busi­ness case de nou­veau attrac­t­if. Cette approche struc­turée est très cohérente de celle adop­tée pour les « procédés spé­ci­aux » (cf. normes ISO, AS9100) et d’ores et déjà large­ment déployée dans l’industrie et l’on va pro­gres­sive­ment vers une stan­dard­i­s­a­tion des méth­odes et critères en la matière.

Plus générale­ment, notons la mise en ordre pro­gres­sive d’un nou­v­el écosys­tème indus­triel, où coex­is­tent les fab­ri­cants de machines, les fab­ri­cants de pro­duits util­isant ces machines et les sociétés offrant du ser­vice de fab­ri­ca­tion à par­tir d’un parc de machines, puisque ces robots per­me­t­tent de fab­ri­quer à dis­tance, sur sim­ple envoi d’un fichi­er informatique.

“L’approche Generative Design
s’appuie sur des principes de biomimétisme.

Le Generative Design

Mais revenons dans le domaine de l’ingénierie et de la con­cep­tion, car c’est là que se des­sine cer­taine­ment la révo­lu­tion la plus impor­tante à court terme, tant la fab­ri­ca­tion addi­tive aug­mente le champ des pos­si­bles dans le dessin des pièces : la sous­trac­tion de matière pra­tiquée jusqu’alors reste tou­jours pos­si­ble et l’addition de matière ajoute son poten­tiel. Pour les struc­tures por­teuses de charges mécaniques l’approche Gen­er­a­tive Design, déjà men­tion­née plus haut, s’appuie sur des principes de bio­mimétisme et recourt dès lors de plus en plus à l’intelligence arti­fi­cielle, qui assiste la con­cep­tion à tra­vers des démarch­es inspirées de la crois­sance des organ­ismes vivants en fonc­tion des con­traintes qu’ils subis­sent. Les con­traintes en ques­tion, simulées dans les cal­culs, peu­vent être de dif­férentes natures : les efforts à pass­er à tra­vers la pièce, les fréquences pro­pres à respecter, etc., et le design qui en résul­tera met­tra de la matière là et unique­ment là où elle est néces­saire, partout ailleurs la pièce sera évidée. Petite sub­til­ité qui ouvre un champ de pro­grès pour les mod­éli­sa­tions mécaniques : à par­tir du moment où l’on opti­mise ain­si les struc­tures, on les met aux lim­ites de per­for­mance vis-à-vis des modes de rup­ture asso­ciés et l’on fait donc appa­raître le risque de déclencher d’autres modes de défail­lance. Ain­si donc, pour une struc­ture ultra-opti­misée appa­raît très vite la prob­lé­ma­tique de sa tenue en flam­bage qui néces­site à la fois d’abord une mod­éli­sa­tion en pro­pre (jamais sim­ple) et une maîtrise de la qual­ité de pro­duc­tion ensuite, pour éviter les défauts lim­ites qui généreront l’instabilité red­outée. Il en ira de même avec la tenue à la fatigue, la prop­a­ga­tion de défauts, etc.

On notera finale­ment que cette notion de « struc­ture por­teuse de charges mécaniques » est en fait très vaste et même uni­verselle : toutes les pièces sont finale­ment por­teuses de charges mécaniques et peu­vent donc béné­fici­er de cette approche, cer­taines d’entre elles doivent certes répon­dre en plus à des exi­gences de con­duite de flu­ide et donc des exi­gences d’étanchéité qui empêchent de les évider, mais cela n’empêche pas de les opti­miser du point de vue mécanique, en jouant locale­ment sur des raidis­sages bien placés, per­me­t­tant de min­imiser les épais­seurs des canaux là où c’est pos­si­ble, ce qui réduit d’autant la masse de la pièce. Dans tous les cas, cette approche Gen­er­a­tive Design est gag­nante sur tous les plans, celui des coûts de fab­ri­ca­tion avec des réduc­tions allant jusqu’à 60 %, celui de la masse (gains régulière­ment supérieurs à 50 %), mais aus­si sur celui des durées et coûts de con­cep­tion et développe­ment eux-mêmes (typ­ique­ment 80 % !).

Reconfigurer toute la chaîne industrielle

Ain­si donc, nos bureaux d’études doivent-ils aujourd’hui se recon­fig­ur­er, dévelop­per de nou­velles méthodolo­gies de con­cep­tion, et même… se laiss­er guider par les jeunes ingénieurs que nos écoles ont déjà bien famil­iarisés avec les tech­niques de l’intelligence arti­fi­cielle pour l’optimisation par autoap­pren­tis­sage. Au-delà de cette rup­ture au sein des bureaux d’études, c’est toute la chaîne indus­trielle, son organ­i­sa­tion et ses sché­mas tra­di­tion­nels qui sont boulever­sés. En effet, sur les dernières décen­nies, nos indus­tries ont pris le soin de struc­tur­er la démarche de con­cep­tion-pro­duc­tion en étapes mar­quées, celle de la déter­mi­na­tion des charges et envi­ron­nements par le bureau d’analyse sys­tème, celle de la con­cep­tion par le bureau d’études qui récep­tionne les spé­ci­fi­ca­tions du précé­dent et définit la pièce qui répond au besoin, puis celle du bureau des méth­odes qui récep­tionne la déf­i­ni­tion précé­dente et définit la manière (les gammes, l’outillage) à adopter pour la fab­ri­quer, puis les équipes de pro­duc­tion qui ensuite met­tent ça en œuvre. Aujourd’hui, l’impression 3D tra­verse ces sché­mas et con­necte directe­ment le spé­cifi­ca­teur amont et la réal­i­sa­tion du pro­duit, court-cir­cui­tant large­ment les étapes intermédiaires.

C’est ain­si que l’impression 3D est iden­ti­fiée sou­vent avant tout comme une tech­nique de pro­to­ty­page, per­me­t­tant la con­cep­tion-val­i­da­tion rapi­de de pièces pro­to­types. Aujourd’hui, la fia­bil­ité des procédés de fab­ri­ca­tion est acquise pour nom­bre de nuances métalliques, on passe donc très directe­ment à l’industrialisation dès l’issue de la con­cep­tion. Et, si l’on va encore un peu plus loin dans cette direc­tion du pro­to­ty­page opéra­tionnel, on voit que l’on peut même réadapter com­plète­ment et très utile­ment les logiques mêmes de nos pro­grammes. Le change­ment de par­a­digme con­siste alors à sor­tir du sché­ma actuel qui vise à mod­élis­er, mod­élis­er de plus en plus fine­ment le pro­duit le long du cycle de con­cep­tion, puis le fab­ri­quer tar­di­ve­ment et le tester pour démon­tr­er que la con­cep­tion par mod­èle a été cor­recte. Les essais en ques­tion sont donc tardifs et n’ont qu’une seule issue pos­si­ble : ils doivent être con­clu­ants, sinon c’est tout le plan­ning du pro­gramme qui est en jeu. Dès lors, la con­cep­tion amont est volon­taire­ment con­ser­v­a­tive et dote le pro­duit de marges for­cé­ment exagérées, qui pénalisent la per­for­mance finale. Par oppo­si­tion, le pro­to­ty­page rapi­de par impres­sion 3D et le faible coût des pièces per­me­t­tent de fab­ri­quer très tôt dans le cycle, de fab­ri­quer pour tester tôt, de tester tôt pour cor­riger le cas échéant le design, le refab­ri­quer ensuite et con­verg­er ain­si rapi­de­ment vers un pro­duit dont les per­for­mances sont démon­trées bien plus tôt dans le cycle de développe­ment. La pièce est alors aus­si mieux opti­misée, les con­ser­vatismes de l’approche précé­dente sont facile­ment éliminés.

Vers les pièces complexes de grande taille, ici une chambre de combustion avec circuit régénératif interne, fabriquée intégralement en impression 3D.
Vers les pièces com­plex­es de grande taille, ici une cham­bre de com­bus­tion avec cir­cuit régénératif interne, fab­riquée inté­grale­ment en impres­sion 3D.

Hardware et software

Ce faisant, la fab­ri­ca­tion addi­tive rap­proche d’une cer­taine manière l’ingénierie du hard­ware de celle du soft­ware : la con­cep­tion s’appuie sur une logique « conçoit, teste et cor­rige » dans des temps rac­cour­cis, à l’image des méth­odes de développe­ment logi­ciel, et l’on ouvre directe­ment la voie vers l’application des méth­odes de développe­ment agile, pour pro­duire des pièces comme des appli­ca­tions. On a donc là une belle con­ver­gence entre l’industrie du hard­ware et celle du logi­ciel : l’impression 3D est au cœur de la dig­i­tal­i­sa­tion de nos usines, pas seule­ment des usines en tant que telles, mais des usines en rela­tion avec les bureaux d’études. Ce mou­ve­ment pré­fig­ure aus­si cer­taine­ment l’industrie post 4.0, y com­pris pour les pièces qui ne se fab­riquent pas en procédé addi­tif : elles seront pro­duites aus­si de manière large­ment robo­t­isée, avec des robots aptes à pro­duire tous types de pièces en par­al­lèle dans un ate­lier don­né, comme on rem­plit aujourd’hui une machine d’impression 3D sur lit de poudre en lui faisant fab­ri­quer de mul­ti­ples pièces ensem­ble. Du point de vue de l’efficacité indus­trielle, on attein­dra alors l’objectif tant recher­ché, celui de charg­er en con­tinu chaque ate­lier de nos usines et de s’adapter immé­di­ate­ment à toute évo­lu­tion de déf­i­ni­tion des pro­duits à fabriquer… 

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