Une révolution industrielle est nécessaire

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Yves BRACHET

REPÈRES
L’industrie nucléaire tra­verse une époque cru­ciale. On peut débat­tre indéfin­i­ment du déclencheur de cette sit­u­a­tion : Fukushi­ma, crise économique, prix du gaz aux États-Unis ou retards ren­con­trés lors des pre­mières con­struc­tions des nou­velles généra­tions de réacteurs.

REPÈRES
L’industrie nucléaire tra­verse une époque cru­ciale. On peut débat­tre indéfin­i­ment du déclencheur de cette sit­u­a­tion : Fukushi­ma, crise économique, prix du gaz aux États-Unis ou retards ren­con­trés lors des pre­mières con­struc­tions des nou­velles généra­tions de réacteurs.
Quoi qu’il en soit on ne con­cevra plus, on ne con­stru­ira plus et on n’exploitera plus un réac­teur nucléaire comme avant. Notre mod­èle indus­triel et économique doit chang­er, et il a, dans les faits, déjà changé.

La trans­for­ma­tion en route dans l’industrie nucléaire doit, sans aucun doute, s’inspirer de celle qu’ont vécue et vivent encore les indus­tries liées à l’activité de trans­port aérien.

Fournir une élec­tric­ité à un prix abor­d­able dans des con­di­tions de sûreté acceptables

Celles-ci ont été capa­bles de faire face à une activ­ité mul­ti­pliée par un fac­teur 5 depuis les années 1970, tout en dimin­u­ant le taux d’accident kilo­mètre par pas­sager (en le gar­dant bien meilleur que tous les autres moyens de trans­port), et de plus en dimin­u­ant leurs coûts de manière impor­tante, ce qui a per­mis de démoc­ra­tis­er le trans­port aérien dans des pro­por­tions importantes.

C’est ce même type de défi que les indus­tries de l’énergie, et l’industrie nucléaire au pre­mier chef, doivent relever. Nous devons arriv­er à fournir une élec­tric­ité à un prix économique­ment abor­d­able pour le plus grand nom­bre, dans des con­di­tions de sûreté et d’innocuité pour l’environnement sociale­ment accept­a­bles : c’est ce que les ingénieurs de l’aéronautique ont été capa­bles de réalis­er en cinquante ans, sans jamais sac­ri­fi­er la sûreté.

Des réacteurs plus sûrs et moins chers

Dévelop­per le renou­velle­ment du parc de réac­teurs et implanter de nou­veaux réac­teurs dans les pays émer­gents, aug­menter la sûreté de ceux-ci de manière à ce que les acci­dents de type Three Miles Island, Tch­er­nobyl, Fukushi­ma ne soient plus que des mau­vais sou­venirs, et surtout réduire les coûts de cette énergie de manière à ren­dre l’électricité acces­si­ble au plus grand nombre.

Comme dans toute activ­ité indus­trielle, la baisse des coûts ne peut être réal­isée que par une analyse de la valeur préal­able, une sim­pli­fi­ca­tion des con­cepts sur la base de celle-ci et une stan­dard­i­s­a­tion accrue dans la réal­i­sa­tion des pro­jets. C’est ce que les ingénieurs de West­ing­house ont fait, tout d’abord en con­ce­vant l’AP600, précurseur révo­lu­tion­naire des années 1990, puis l’AP1000, dont la con­cep­tion a reçu le « cer­ti­fi­cat de con­cep­tion » de l’autorité améri­caine de sûreté, la NRC (Nuclear Reg­u­la­to­ry Com­mis­sion), en décem­bre 1999.

Pose du cou­ver­cle de l’AP1000 de San­men 1 (Chine) en jan­vi­er 2013.

De nouvelles bases conceptuelles

Les prochaines généra­tions de réac­teurs, telles que l’AP1000, reposent sur de nou­velles bases. Leur puis­sance est adap­tée au marché : ni trop faible pour obtenir un coût com­péti­tif du kilo­watt, ni trop forte pour pou­voir s’intégrer dans les réseaux exis­tants, soit 1 100 MWe.

Sécu­rité renforcée
Pour le réac­teur AP1000 , la sûreté a été repen­sée sur des bases nou­velles en don­nant nais­sance au con­cept nou­veau de sûreté pas­sive, dont la per­for­mance n’est pas liée à l’addition en série d’un cer­tain nom­bre de dis­posi­tifs clas­siques, mais en faisant appel à des lois physiques inal­ién­ables (grav­ité, con­vex­ion, con­den­sa­tion, éva­po­ra­tion) qui ne peu­vent être mis­es en défaut.
Ce réac­teur peut ain­si assur­er son pro­pre refroidisse­ment sans inter­ven­tion humaine pen­dant soix­ante-douze heures.

Leur con­cep­tion est l’objet d’un re-engi­neer­ing sur la base des spé­ci­fi­ca­tions fonc­tion­nelles et régle­men­taires, grâce au retour d’expérience du terrain.

Avec un par­ti pris de sim­plic­ité ain­si que la facil­ité de main­tien en con­di­tion opéra­tionnelle, la con­cep­tion et la con­struc­tion mod­u­laires – en s’inspirant d’une méthodolo­gie déjà éprou­vée dans d’autres types de con­struc­tions indus­trielles – per­me­t­tent de max­imiser la fab­ri­ca­tion en ate­lier, évi­tant les aléas et les non-qual­ités du chantier et facil­i­tant, par la stan­dard­i­s­a­tion, les con­di­tions de construction.

Les qual­ités intrin­sèques et uniques des réac­teurs de ce type font qu’ils pos­sè­dent une courbe d’apprentissage de con­struc­tion beau­coup plus rapi­de que les mod­èles non mod­u­laires dont la courbe pla­fonne très vite après les pre­miers exem­plaires, du fait des aléas inhérents au chantier. Huit AP1000 sont du reste en con­struc­tion active.

Investir sur un marché perturbé

Les marchés de l’énergie sont devenus très com­plex­es et, par là même, les mod­èles économiques qui en découlent. L’application erra­tique de la tax­a­tion du CO2, le prix bas du gaz aux États-Unis lié à l’extraction du gaz de schiste, la poli­tique de sub­ven­tion effrénée et inco­hérente de l’Union européenne aux éner­gies renou­ve­lables, les dif­fi­cultés à obtenir des cap­i­taux pour l’investissement ont con­tribué à per­turber forte­ment la logique « tra­di­tion­nelle » du prix de l’électricité.

L’augmentation de la durée de vie et de la puis­sance des réac­teurs exis­tants a déjà apporté une pre­mière réponse à l’économie de l’électricité nucléaire. Elle per­met de main­tenir , voire d’améliorer la sûreté des cen­trales exis­tantes tout en main­tenant un prix com­péti­tif de l’électricité nucléaire.

De même, le mod­èle économique de réal­i­sa­tion de nou­veaux réac­teurs est en train de chang­er pro­fondé­ment depuis quelques années, de manière à apporter des répons­es aux ques­tions que se posent les investis­seurs financiers au sujet du risque de leur investissement.

Revenir à une situation plus saine

Une des solu­tions con­siste, pour le vendeur, à garder chez lui une grande par­tie du risque de la con­struc­tion en étant lui-même action­naire du pro­jet jusqu’à sa mise en route. Les investis­seurs y ver­ront un signe que le vendeur engage forte­ment sa respon­s­abil­ité et, très sou­vent, son exis­tence même, et seront donc eux-mêmes davan­tage enclins à investir.

Apporter des répons­es aux ques­tions que se posent les investis­seurs financiers

On peut penser que cette sit­u­a­tion est tem­po­raire et imposée par un marché favor­able aux acheteurs. En effet, une pro­lon­ga­tion de cette sit­u­a­tion con­duirait à cap­tur­er les ressources finan­cières des vendeurs en les gelant dans la mise en route de leurs pro­duits au détri­ment de l’investissement dans l’innovation et la tech­nolo­gie, ce qui est leur réelle vocation.

Coulée du radier du réacteur AP1000 de VC Summer (USA), le 6 mars 2013.
Coulée du radier du réac­teur AP1000 de
VC Sum­mer (USA), le 6 mars 2013.

Il serait bon de revenir à une sit­u­a­tion plus saine où cha­cun fait son méti­er : le vendeur innove, le financier prend des risques cal­culés et raisonnables, l’électricien vend l’électricité pro­duite par ses réacteurs.

Quoi qu’il en soit, entre-temps, les vendeurs doivent s’adapter rapi­de­ment à ces nou­velles con­di­tions de marché et l’innovation reste la clef du futur. Les indus­tries liées à l’énergie sont, de manière générale, grandes con­som­ma­tri­ces de cap­i­taux à inve­stir sur de longues durées.

La crise finan­cière que nous tra­ver­sons, les évo­lu­tions tech­nologiques rapi­des dans l’industrie gaz­ière ain­si que l’interventionnisme insti­tu­tion­nel dans les poli­tiques énergé­tiques vont rad­i­cale­ment trans­former le paysage énergé­tique dans le monde.

En con­séquence, l’industrie nucléaire est en pro­fonde muta­tion et devra dans les années à venir tra­vailler sur des mod­èles com­plète­ment nou­veaux dans les domaines économiques et même réglementaires.

Son défi sera égale­ment de con­tin­uer à être soutenue par les États (qui sont les seules instances capa­bles d’apporter la vision dans la durée), sans pour autant som­br­er dans le nation­al­isme dans lequel elle s’est par­fois réfugiée dans le passé. C’est un défi que les grands indus­triels sont prêts à relever.

Réacteur nucléaire 250MW Westinghouse, catégorie "SMR"

L’innovation reste la clef du futur

En visant un marché bien par­ti­c­uli­er, et afin de com­pléter sa la gamme de réac­teurs dans la caté­gorie des « Small Mod­u­lar Reac­tors », les ingénieurs de West­ing­house ont conçu un réac­teur de 250 MW, à sûreté pas­sive, avec un cycle de recharge­ment de 24 mois et dont l’enceinte nucléaire peut être entière­ment fab­riquée en usine et trans­portée sur le site.

Ce con­cept a d’ores et déjà trou­vé un élec­tricien parte­naire : Ameren Missouri.

Le développe­ment de ce type de réac­teurs dans les endroits du monde où ils seront les plus utiles – et si on veut aller au-delà des pays pos­sé­dant déjà la tech­nolo­gie nucléaire — néces­sit­era un tra­vail de fond pour obtenir les agré­ments nationaux néces­saires, dans un esprit sim­i­laire à celui qui pré­vaut dans le domaine des trans­ports de matières radioactives.

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