L’installation Mistra à Saclay

Une électricité « décarbonée » à un coût raisonnable

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Christophe BÉHAR

L’énergie est et restera tout au long du XXIe siè­cle un besoin vital, fac­teur de développe­ment et de crois­sance. Les besoins sont en con­stante aug­men­ta­tion. On estime qu’ils seront, en 2030, supérieurs de 50% aux besoins actuels, en lien avec la crois­sance démo­graphique, la crois­sance économique et l’élévation du niveau de vie dans les pays émer­gents. Pour répon­dre à ces besoins, les con­traintes sont fortes et en par­tie con­tra­dic­toires : lim­i­ta­tion des ressources en éner­gies fos­siles, indépen­dance énergé­tique et sécu­rité d’approvisionnement, coût, lim­i­ta­tion des émis­sions de gaz à effet de serre.

REPÈRES
Le nucléaire est attrac­t­if et l’accident de Fukushi­ma n’a pas eu d’impact sig­ni­fi­catif sur ses per­spec­tives d’avenir. L’Allemagne a décidé l’arrêt immé­di­at de sept réac­teurs nucléaires et l’arrêt com­plet de tous ses réac­teurs nucléaires d’ici 2022. La stratégie du Japon reste pru­dente. Aucun autre pays n’a infléchi de manière spec­tac­u­laire sa poli­tique en la matière. Cer­tains ont même relancé leur pro­gramme, comme le Roy­aume-Uni. Depuis Fukushi­ma, dix réac­teurs sont entrés en ser­vice, et la con­struc­tion de treize autres a démar­ré. Au print­emps 2013, soix­ante-huit réac­teurs étaient en con­struc­tion (soix­ante-cinq en mars 2011), et cent soix­ante et un étaient plan­i­fiés (cent cinquante-neuf en 2011).

Sûreté d’abord

D’importants travaux au nom de la sécurité

L’accident de Fukushi­ma n’a pas été ignoré. La grande majorité des pays ayant un pro­gramme nucléaire ont décidé de procéder à des éval­u­a­tions de sûreté très com­plètes sur leurs instal­la­tions, pou­vant con­duire à d’importants travaux et à des évo­lu­tions des règle­ments de sûreté. En France, ces éval­u­a­tions de sûreté, engagées dès 2011, se poursuivent.

Des priorités

Le poids des fossiles
Aujourd’hui, plus de 80% de la con­som­ma­tion d’énergie pri­maire dans le monde repose tou­jours sur les éner­gies fos­siles. Les émis­sions de gaz à effet de serre ont aug­men­té de manière con­sid­érable depuis la révo­lu­tion indus­trielle, et cela s’est encore accru ces dernières années. Les émis­sions de gaz à effet de serre ont crû de 40% entre 1990 et 2009. On observe de manière cor­rélée une aug­men­ta­tion tout aus­si sig­ni­fica­tive de la tem­péra­ture moyenne au niveau mon­di­al. Or, les prin­ci­paux con­tribu­teurs aux émis­sions de gaz à effet de serre sont pré­cisé­ment les éner­gies fossiles.

Sur le plan de la recherche et du développe­ment, l’accident de Fukushi­ma n’a mis en évi­dence aucun champ non abor­dé dans le domaine de la sûreté. Il a toute­fois con­duit à met­tre la pri­or­ité sur dif­férents aspects.

En matière de préven­tion des acci­dents, séismes en par­ti­c­uliers, il faut amélior­er la com­préhen­sion et la sim­u­la­tion de la réponse des struc­tures, éval­uer les marges exis­tantes vis-à- vis de la ruine. En matière d’accidents graves, il faut con­solid­er la con­nais­sance de la répar­ti­tion de l’hydrogène et mod­élis­er les proces­sus de développe­ment de l’explosion.

Con­cer­nant le trans­port des pro­duits de fis­sion, il faut com­pléter les acquis avec des études sur le com­bustible « mox » et pré­cis­er les phénomènes de dépôt et de « revolatil­i­sa­tion ». Des études sur le cori­um s’imposent : com­porte­ment du cori­um, exa­m­en des sys­tèmes de mit­i­ga­tion, mod­éli­sa­tion des con­séquences d’une explo­sion de vapeur sur les structures.

Continuer à innover

L’installation Mis­tra à Saclay, dédiée à l’étude du risque hydrogène. © CEA

Pour préserv­er son attrac­tiv­ité et per­me­t­tre à la France de con­serv­er un rôle mon­di­al dans le domaine du nucléaire, y com­pris en vue de gag­n­er des marchés, il est indis­pens­able de con­tin­uer à innover. C’est pourquoi la recherche à long terme porte sur des sys­tèmes inno­vants, en rup­ture tech­nologique forte par rap­port au nucléaire actuel : les réac­teurs de 4e généra­tion, qui com­pléteront pro­gres­sive­ment, sur des échelles de temps longues, les réac­teurs de 2e et de 3e génération.

Une collaboration entre treize pays

Ces recherch­es s’effectuent dans un cadre inter­na­tion­al, le Forum Généra­tion IV, qui regroupe treize pays sig­nataires d’un accord inter­gou­verne­men­tal. Six fil­ières ont été iden­ti­fiées dans le cadre de ce forum, trois à neu­trons lents, trois à neu­trons rapi­des. Elles ont été définies selon qua­tre critères : dura­bil­ité, sûreté, com­péti­tiv­ité économique et résis­tance à la prolifération.

Table vibrante Azalée de l’installation Tamaris à Saclay, dédiée à l’étude du risque sismique.
Table vibrante Aza­lée de l’installation Tamaris à Saclay, dédiée à l’étude du risque sis­mique. © P. STROPPA/CEA

Les filières à neutrons rapides

La France a fait le choix de priv­ilégi­er les fil­ières à neu­trons rapi­des qui présen­tent des atouts déter­mi­nants. Elles ont la capac­ité de recy­cler tout le plu­to­ni­um sans lim­i­ta­tion du nom­bre de recy­clages, per­me­t­tant ain­si d’avoir un cycle totale­ment fermé.

Des recherch­es menées dans un cadre international

Elles appor­tent une excel­lente util­i­sa­tion de la ressource en ura­ni­um et en par­ti­c­uli­er de l’uranium dit « appau­vri », déjà présent en France et ne néces­si­tant donc plus du tout d’approvisionnement en ura­ni­um naturel. Elles débar­rassent les déchets ultimes des com­posants les plus nocifs sur le long terme (trans­mu­ta­tion).

Les études réal­isées ont d’ores et déjà per­mis d’établir que la trans­mu­ta­tion de l’américium et du curi­um con­tribue à réduire la radiotox­i­c­ité à long terme des déchets ultimes d’un fac­teur cent environ.

En out­re, la réduc­tion de la charge ther­mique des déchets après trans­mu­ta­tion de l’américium per­met de réduire de manière sig­ni­fica­tive l’emprise du stock­age (de l’ordre d’un fac­teur 5 à 10 pour les seuls déchets de haute activité).

Refroidir au gaz ou au sodium

modélisation pour la conception de réacteurs nucléaire de 4e génération refroidis au sodium.
Mur d’images de la DEN (Direc­tion de l’énergie nucléaire) à Saclay : mod­éli­sa­tion pour la con­cep­tion de réac­teurs de 4e généra­tion refroidis au sodium.
© CEA

La France a décidé de tra­vailler sur deux fil­ières à neu­trons rapi­des, avec comme flu­ides calo­por­teurs le gaz et le sodi­um, sur des échelles de temps différentes.

Les réac­teurs à neu­trons rapi­des refroidis au gaz sont une option à long terme. Le CEA est parte­naire asso­cié d’un con­sor­tium con­sti­tué par des pays d’Europe cen­trale (République tchèque, Hon­grie, Slo­vaquie, Pologne) qui porte un pro­jet de réac­teur expéri­men­tal bap­tisé Alle­gro, présen­tant un poten­tiel intéres­sant mais pour lequel il reste des ver­rous tech­nologiques impor­tants à lever dans le domaine des matéri­aux, du com­bustible réfrac­taire et de la sûreté.

Les réac­teurs à neu­trons rapi­des refroidis au sodi­um sont actuelle­ment la fil­ière de référence étudiée par la France en rai­son de leur plus grande matu­rité tech­nologique, résul­tant du retour d’expérience des réac­teurs expéri­men­taux français et des réac­teurs en exploita­tion en Russie et en Inde, ain­si que des réac­teurs qui ont fonc­tion­né dans le monde (au Japon et aux États-Unis).

Une nouvelle génération

Réduire le coût et faciliter l’inspection et la réparation

Le pro­jet Astrid est mené par le CEA en col­lab­o­ra­tion avec de nom­breux parte­naires indus­triels (EDF, Are­va, Bouygues, Alstom, Astri­um, Toshi­ba, Comex nucléaire, Jacobs, Rolls Royce) et en col­lab­o­ra­tion inter­na­tionale (Inde, Japon, Russie, Corée du Sud, Chine, États-Unis, Union européenne). Il est en phase d’avant-projet sommaire.

Un marché mondial
La France n’est pas la seule à tra­vailler sur cette tech­nolo­gie, par­mi les pays con­fron­tés à une aug­men­ta­tion forte de leurs besoins énergé­tiques et con­scients du poten­tiel offert par les réac­teurs à neu­trons rapi­des refroidis au sodi­um, de qua­trième généra­tion. L’Inde et la Chine, mais aus­si la Russie, ont pour stratégie de s’en dot­er le plus rapi­de­ment pos­si­ble, dès 2035. Le marché pour ce type de réac­teurs existe, il est mon­di­al, la France veut-elle con­quérir ces marchés ?

Défi sci­en­tifique et tech­nologique, il se dis­tingue totale­ment des réac­teurs à neu­trons rapi­des des généra­tions précé­dentes (Phénix, Super­phénix) et des réac­teurs de ce type actuelle­ment en fonc­tion­nement dans le monde, tout en béné­fi­ciant du retour d’expérience de leur exploita­tion ain­si que des out­ils du XXIe siè­cle en ter­mes de con­cep­tion, de mod­éli­sa­tion et de cal­cul, de méth­odes analytiques.

Sa con­cep­tion et la recherche asso­ciée intè­grent des axes forts de dif­féren­ci­a­tion tech­nologique, en par­ti­c­uli­er en ter­mes de sûreté : réac­tiv­ité des cœurs, inter­ac­tions sodi­um-eau et sodi­um-air, prob­lé­ma­tiques liées au cori­um, évac­u­a­tion de la puis­sance résiduelle.

Mais aus­si sim­pli­fi­ca­tion du sys­tème afin de réduire le coût d’investissement et de faciliter l’inspection et la répa­ra­tion en ser­vice en inté­grant ces aspects dès la conception.

Recycler le plutonium

Les études por­tent égale­ment sur le cycle du com­bustible asso­cié, domaine d’excellence de la France, qui est la seule au niveau mon­di­al à le maîtris­er dans son ensem­ble. Il s’agit de con­cevoir le com­bustible spé­ci­fique à la tech­nolo­gie des réac­teurs à neu­trons rapi­des, en y inté­grant le recy­clage du plutonium.

Démonstrateur technologique Astrid.
Vue en coupe de l’îlot nucléaire et de la salle des machines du démon­stra­teur tech­nologique Astrid. © CEA

Commentaire

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SolarHomerépondre
23 février 2014 à 22 h 48 min

Dom­mage que M. Béhar n’aborde

Dom­mage que M. Béhar n’abor­de pas la ques­tion basse­ment matérielle des coûts du nucléaire. Les nou­veaux réac­teurs EPR Anglais prou­vent que le prix à pay­er pour avoir des réac­teurs nucléaires (soit dis­ant) haute­ment sécurisés, va être énorme pour les con­som­ma­teurs et d’autre part la fac­ture sera étalée jusqu’en 2040 !

Pen­dant ce temps là les renou­ve­lables vont devenir com­péti­tives partout, au point qu l’AIE envis­age désor­mais un parc mon­di­al en énergie solaire approchant les 10 000 GW en 2050, et il pour­rait en être de même pour l’éolien et la biomasse…

http://www.theguardian.com/environment/2014/jan/29/uk-10-million-homes-solar-panels-2020

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