Le démantèlement, un marché à très long terme

Dossier : L’industrie nucléaire après FukushimaMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Jérôme STUBLER (86)
Par Bruno LANCIA

Aujourd’hui, le déman­tè­le­ment nucléaire est un mar­ché dis­con­ti­nu encore limi­té à un faible volume d’activité, avec pour l’essentiel le déman­tè­le­ment de labo­ra­toires ou de réac­teurs de recherche ou d’usines de trans­for­ma­tion de com­bus­tible. Si le mar­ché poten­tiel semble très impor­tant, les poli­tiques de déman­tè­le­ment sont dif­fé­rentes sui­vant les pays.

REPÈRES
Après l’accident de Fuku­shi­ma et la déci­sion de l’Allemagne d’entamer sa sor­tie du nucléaire, en stop­pant 8 de ses 17 cen­trales, et de ne pas pro­lon­ger ses réac­teurs, 50 à 60 réac­teurs sur les 155 en fonc­tion­ne­ment dans l’Union euro­péenne devraient com­men­cer à être déman­te­lés à l’horizon 2025. S’ils ne seront pas tous déman­te­lés immé­dia­te­ment, le nombre de pro­jets lan­cés devrait croître et laisse entre­voir en pre­mière ana­lyse des pers­pec­tives d’activité très pro­met­teuses pour les entre­prises dis­po­sant des com­pé­tences requises.

En France, neuf réac­teurs sont déjà en cours de décons­truc­tion, jusqu’en 2040. Le déman­tè­le­ment des réac­teurs de Bren­ni­lis et de Chooz est enga­gé, celui du réac­teur de Bugey 1 est en appel d’offres.

En France, neuf réac­teurs sont déjà en cours de déconstruction

En Espagne, le réac­teur gra­phite-gaz de Van­dellós 1 est en déman­tè­le­ment dif­fé­ré pour cause d’absence de filière de ges­tion des déchets graphite.

La Grande-Bre­tagne a, pour sa part, davan­tage opté pour une stra­té­gie de déman­tè­le­ment dif­fé­ré en rai­son de la filière gra­phite de ces réac­teurs dont les déchets contiennent des radio­élé­ments à vie longue.

À titre d’exemple, le réac­teur Magnox de la cen­trale de Brad­well, au sud-est de l’Angleterre, devrait être déman­te­lé d’ici à la fin de ce siècle. Sur la côte de la mer d’Irlande, l’immense site de Sel­la­field, qui abrite des réac­teurs et usines de trai­te­ment du com­bus­tible, pour­suit un pro­gramme de trai­te­ment de déchets puis ini­tie­ra un pro­gramme de déman­tè­le­ment pla­ni­fié sur plus de cent ans.

Dynamisme du marché américain

Chantier de démantèlement au CEA.
Chan­tier de déman­tè­le­ment au CEA.

Quant aux États-Unis, pays qui compte 104 réac­teurs en exploi­ta­tion et 28 à l’arrêt, les stra­té­gies sont mul­tiples. Le nucléaire civil fait l’objet de pro­lon­ga­tion de durée de vie repor­tant les dates de déman­tè­le­ment ; tou­te­fois, après l’arrêt d’un réac­teur, les pro­grammes de déman­tè­le­ment doivent être mis en œuvre sur une période limi­tée à soixante ans.œ

Consé­quence de cet appa­rent dyna­misme, la plu­part des acteurs du sec­teur nucléaire mais aus­si des groupes de BTP, des entre­prises d’ingénierie ou de méca­nique se posi­tionnent sur le mar­ché du déman­tè­le­ment, qui, de ce fait, devient un mar­ché très concur­ren­tiel mais avec une acti­vi­té très faible.

Quatre grands défis

Le déman­tè­le­ment néces­site une com­pé­tence large dans plu­sieurs domaines afin de résoudre les défis tech­no­lo­giques, envi­ron­ne­men­taux, opé­ra­tion­nels et financiers.

« Mise au tombeau »
Pour le nucléaire mili­taire, le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain s’autorise dans cer­tains cas à mettre en œuvre le déman­tè­le­ment in situ ou entomb­ment (mise au tom­beau) et en par­ti­cu­lier, pour les ins­tal­la­tions dont les pro­cé­dés sont situés sous le niveau du sol.

Par­mi les défis tech­no­lo­giques, notons la car­to­gra­phie des ins­tal­la­tions à déman­te­ler (bâti­ments, équi­pe­ments, fluides, déchets solides, etc.), la chi­mie des rési­dus, la radio­pro­tec­tion des opé­ra­teurs poten­tiel­le­ment au contact des maté­riels pou­vant conte­nir des sub­stances radio­ac­tives, l’utilisation de la robo­tique ou d’équipements spé­ciaux, la main­te­nance durant les déman­tè­le­ments de l’état des ins­tal­la­tions et l’intervention dans des zones à risques.

Les défis envi­ron­ne­men­taux se com­posent essen­tiel­le­ment de la carac­té­ri­sa­tion et du tri des déchets (radio­ac­tifs ou non) ain­si que de la réduc­tion des volumes de déchets.

Démantèlement EDF sur le site de Creys-Malville.
Déman­tè­le­ment EDF sur le site de Creys-Malville.

Casse-tête opérationnel

Le déman­tè­le­ment de 10 réac­teurs équi­vaut à l’exploitation d’un seul

Quant aux défis opé­ra­tion­nels, ils sont énormes : dif­fi­cul­tés liées au sui­vi de l’historique d’exploitation, et du main­tien des com­pé­tences ; ges­tion d’un chan­tier hors normes néces­si­tant de réa­li­ser des pre­mières avec des maquet­tages com­plexes ne repré­sen­tant que par­tiel­le­ment la réa­li­té ; mise en œuvre dans des espaces réduits d’opérations exi­geant la pré­sence d’équipes mul­ti­com­pé­tentes ; et sur­tout, incer­ti­tudes sur les états radio­lo­giques, et donc sur les pro­ces­sus et délais de réalisation.

Les défis finan­ciers découlent à la fois des carac­té­ris­tiques énon­cées plus haut, du carac­tère très concur­ren­tiel du mar­ché, et de l’étalement des bud­gets sur de nom­breuses années.

Un marché difficile et à long terme

Démantèlement d’un site d’Areva.
Déman­tè­le­ment d’un site d’Areva.

Si le déman­tè­le­ment pré­sente de nom­breux défis, il existe une cer­ti­tude : il ne per­met­tra jamais de rem­pla­cer, en termes d’employabilité, l’exploitation d’une ins­tal­la­tion nucléaire, aus­si bien en nombre d’emplois qu’en niveau de qua­li­fi­ca­tion. Des études récentes ont mon­tré que le déman­tè­le­ment de 10 réac­teurs était équi­valent à l’exploitation d’un seul.

Les défis opé­ra­tion­nels sont énormes

Une autre dif­fi­cul­té concerne les coûts de chif­frage. En effet, les pro­jets néces­sitent, en phase d’appel d’offres, un inves­tis­se­ment impor­tant en étude, repré­sen­tant de 1 % à 4 % du chiffre d’affaires par pro­jet et mobi­li­sant des res­sources et des com­pé­tences dans des domaines tech­niques très variés : génie civil, méca­nique, sûre­té, radio­pro­tec­tion, robo­tique, chimie.

Le mar­ché du déman­tè­le­ment pré­sente un inté­rêt tech­nique majeur mais ne consti­tue­ra une filière durable et conti­nue qu’à l’horizon 2025.

Les incer­ti­tudes, les inves­tis­se­ments, la maî­trise des délais sont autant de défis qui, pour l’instant, péna­lisent la ren­ta­bi­li­té de cette filière d’avenir.

Chantier de démantèlement mené par Nuvia sur le site de Cadarache (CEA).
Chan­tier de déman­tè­le­ment mené par Nuvia sur le site de Cada­rache (CEA).

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