Une piste pour l’emploi : des Projets de Développement mis au concours, avec obligation d’embauche

Dossier : L'emploiMagazine N°527 Septembre 1997Par Jean-Noël LHUILLIER (58)

Les analy­ses que le groupe X‑Action présen­tait dans La Jaune et la Rouge de août-sep­tem­bre 1996 sont empreintes de réal­isme. Nous ne croyons plus qu’une solu­tion mir­a­cle tir­era en un instant notre société de la spi­rale mortelle où elle est engagée, ni que les aides à l’embauche actuelles per­me­t­tront, toutes choses égales d’ailleurs, de créer suff­isam­ment d’emplois.

À court terme, il faut tout faire pour éviter l’ex­clu­sion — ou la dis­qual­i­fi­ca­tion sociale, comme l’ap­pelle J. Werquin. À long terme, la clef de la com­péti­tiv­ité est dans l’é­d­u­ca­tion, comme le soulig­nent F. Behr et M. Bonvalet.

Mais nous sommes bien for­cés de recon­naître l’ur­gence de la sit­u­a­tion, et aus­si cer­taines réal­ités sociales et économiques fon­da­men­tales qui ne chang­eront pas de si tôt.

Pour longtemps, l’ex­er­ci­ce d’un emploi véri­ta­ble, qui pro­duit un bien ou ser­vice com­mer­cial­is­able ou recon­nu utile par la col­lec­tiv­ité, est le moyen presque unique de l’in­té­gra­tion à cette société, pour les adultes en âge de tra­vailler. L’as­sis­tance, même plus ou moins déguisée, est un pis-aller, indis­pens­able certes dans les sit­u­a­tions dif­fi­ciles, mais à terme destruc­teur pour le béné­fi­ci­aire. Elle main­tient la frac­ture sociale entre assistés et pourvus d’emplois. Il faut trou­ver le moyen de pro­cur­er de vrais emplois à tous ou presque, sinon la société se sépar­era en deux morceaux haineux et retranchés, et explosera.

Le partage du tra­vail et des revenus qu’il pro­cure, asso­cié à des change­ments de men­tal­ité et d’or­gan­i­sa­tion de la société tout entière, représen­tera sans doute une par­tie de la solu­tion. Mais les dif­fi­cultés économiques et sociales sont telles qu’on ne peut en atten­dre beau­coup et rapi­de­ment. Ne pour­rait-on plutôt, ne pour­rait-on aus­si, aug­menter le nom­bre total d’heures à tra­vailler et donc d’emplois ?

Le seul moteur qui puisse sur le moyen ou long terme provo­quer la créa­tion d’emplois est l’aug­men­ta­tion de la demande de biens ou ser­vices — du moins en régime libéral, mais nous avons vu que les autres régimes se payaient très cher en pri­va­tion de lib­erté, inef­fi­cac­ité à moyen terme, et cat­a­stro­phe finale.

Mal­heureuse­ment la demande solv­able n’aug­mente guère. En France d’abord, les inclus (pour ne pas dire les nan­tis) con­sta­tent la frac­ture sociale, ont peur pour leur avenir, récla­ment davan­tage, et épargnent plutôt qu’ils ne con­som­ment. De plus, leurs besoins raisonnables (sécu­rité, san­té…) et solv­ables — voire rem­boursables — de pop­u­la­tion sta­tion­naire et vieil­lis­sante ne peu­vent pas beau­coup aug­menter, étant déjà sat­is­faits pour l’essen­tiel. Les exclus d’autre part con­som­ment peu faute de moyens, puisque l’aide finan­cière qu’on peut leur accorder est et ne peut rester que faible.

À l’ex­por­ta­tion aus­si, la com­péti­tion extrême fait que nos parts de marché solv­able ne crois­sent que très peu — ven­dre un TGV ou des Air­bus au prix d’ef­forts con­sid­érables est un beau résul­tat, mais ne créera que quelques mil­liers d’emplois très qual­i­fiés, cela ne résoudra pas le prob­lème de nos 6 mil­lions de pré­caires ou même 15 mil­lions en comp­tant leurs familles.

Au total, les gains de pro­duc­tiv­ité pos­si­bles — et donc indis­pens­ables dans cet envi­ron­nement com­péti­tif mon­di­al — font face sans dif­fi­culté aux faibles accroisse­ments du marché solv­able qui se pro­duisent quand nous expor­tons un peu plus ou quand nous réus­sis­sons quelques réinsertions.

Cette impasse résiste à la fois au traite­ment libéral et au traite­ment social. La soumis­sion libérale au marché pré­conise de dimin­uer les aides à l’embauche, ce qui, joint à la recherche de com­péti­tiv­ité, provoque une perte d’emplois immé­di­ate, qu’on ne récupér­era pas car les gains de pro­duc­tiv­ité se pour­suiv­ront. Le traite­ment social main­tient la coupure de la société en camp des dona­teurs et camp des assistés, et charge la bar­que, ce qui provoque des fail­lites et pertes d’emploi. Notre société ne pour­ra faire face aux dépens­es tou­jours crois­santes du traite­ment social du chô­mage, actuelle­ment 150 mil­liards par an, 400 mil­liards de coût indirect.

Il est alors peu prob­a­ble qu’un panachage de ces deux traite­ments à voca­tion d’échec ait quelque chance de réus­sir à moyen terme, si on ne change pas les don­nées du prob­lème et ne trou­ve pas une demande solv­able nou­velle à satisfaire.

Or une demande énorme mais non solv­able existe. Les exclus de France ou des pays en développe­ment man­quent de toutes sortes de biens et ser­vices élé­men­taires — pas telle­ment de high tech. Il y a donc des besoins, il y a des fonds (les mon­tants que nous con­sacrons déjà au traite­ment du chô­mage ou à l’aide aux pays en développe­ment), il y a des bras et des cerveaux pour tra­vailler, et nous n’ar­rivons pas à les faire se rencontrer !

Pour que cette ren­con­tre ait lieu, pas besoin de mécan­isme très com­pliqué. Les asso­ci­a­tions et organ­i­sa­tions divers­es (organ­i­sa­tions non gou­verne­men­tales, cul­turelles, locales, etc.) ne deman­dent qu’à exé­cuter des pro­grammes d’aide pourvu qu’elles aient les fonds. Et les entre­pris­es aus­si ne deman­dent qu’à exé­cuter de tels programmes.

La propo­si­tion est donc que l’É­tat — qui dis­pose des fonds d’aide à l’emploi et aux pays en développe­ment, au moins jusqu’à un cer­tain point — mette au con­cours des pro­jets de développe­ment qu’il (par ses admin­is­tra­tions locales en général) spé­ci­fiera, avec oblig­a­tion d’embauche. Oblig­a­tion de créer un emploi pen­dant un an pour chaque tranche de finance­ment de 100 000 francs (env­i­ron) d’un pro­jet de développe­ment. 10 mil­liards amè­nent alors 100 000 emplois. Avec de plus cer­taines aides et dégrève­ments déjà en place, l’oblig­a­tion d’embauche est par­faite­ment sup­port­able, et l’ef­fi­cac­ité immé­di­ate sur l’emploi sera garantie.

Les pro­jets de développe­ment seront des pro­jets soci­aux, au sens large, en France, des pro­jets d’aide, au sens plus large encore, dans les pays en développe­ment, qui ne se feraient pas sans ce finance­ment. On évit­era ain­si de per­turber le marché des besoins solv­ables. Les entre­pris­es et les asso­ci­a­tions devraient être fort nom­breuses à soumis­sion­ner, l’ini­tia­tive privée ayant donc un grand rôle dans l’af­faire. Un con­trôle des pro­jets, de l’ob­ten­tion de résul­tats, de la réal­ité des embauch­es, sera exer­cé par les admin­is­tra­tions adéquates.

Ain­si on pour­rait trans­former des chômeurs en salariés du développe­ment. Il n’y a pas d’ac­tiv­ité plus moti­vante. Les besoins à sat­is­faire étant rel­a­tive­ment sim­ples pour une bonne par­tie (loge­ments, soins, édu­ca­tion, etc., élé­men­taires), des per­son­nes sans qual­i­fi­ca­tion con­sid­érable, très motivées et après peut-être une for­ma­tion, pour­ront y tra­vailler, retrou­vant un but, une util­ité, un espoir. Les immi­grés, par exem­ple, con­nais­sent les besoins réels, le con­texte cul­turel, de groupes en dif­fi­culté dans leur pays d’o­rig­ine ou en France. Cer­tains pour­raient donc tra­vailler utile­ment à ces projets.

On peut espér­er toute une série de béné­fices. L’amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des dému­nis en France par les résul­tats des pro­jets (équipements soci­aux, ser­vices). Une con­tri­bu­tion à la réduc­tion du menaçant et insup­port­able déséquili­bre Nord Sud et la créa­tion de liens de sol­i­dar­ité avec ces pays en développe­ment, nos futurs clients. Immé­di­ate­ment, la créa­tion d’emplois réels, pour sat­is­faire des besoins réels et non cou­verts actuelle­ment. La remo­ti­va­tion et l’e­spoir pour beau­coup, en comblant la frac­ture sociale qui actuelle­ment s’élargit.

La loi de cohé­sion sociale, longtemps atten­due et enfin en final­i­sa­tion, prévoit la créa­tion de 300 000 con­trats d’ini­tia­tive locale, en réaf­fec­tant dif­férem­ment le mon­tant des allo­ca­tions de min­i­ma soci­aux. Elle représente un pas dans cette voie. Mais elle risque encore de man­quer son but. Il faut que ces emplois soient vrai­ment des emplois utiles, pas d’as­sis­tance. La procé­dure de mise au con­cours citée ci dessus, avec spé­ci­fi­ca­tion des objec­tifs et con­trôle des résul­tats, paraît une des meilleures pour éviter que ces aides ne devi­en­nent un type d’as­sis­tance de plus.

Enfin, 300 000 emplois c’est bien, mais ce n’est pas encore assez. C’est une grande par­tie des fonds de l’aide à l’emploi, pas unique­ment ceux des allo­ca­tions min­i­ma, qu’il faudrait mobilis­er. Et comme les besoins ren­dus solv­ables des rési­dents français réin­sérés ne suf­firont pas à main­tenir à moyen terme une demande suff­isante, il faut élargir l’ap­pli­ca­tion au seul réser­voir qua­si infi­ni (hélas) de besoins peu sophis­tiqués qui existe dans le monde, les besoins des pays en développement.

Bien sûr il y a des dif­fi­cultés, des risques : con­cur­rence déloyale, surad­min­is­tra­tion, détourne­ments, trucages.… Ils parais­sent beau­coup plus faibles que ceux que court actuelle­ment notre société dans les impass­es où elle est engagée. Il faut met­tre au point de nom­breux détails. Mais on peut démar­rer pro­gres­sive­ment par quelques pro­jets. Pourquoi pas ?

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