Le rôle social des fondations, une longue marche vers la modernité

Dossier : Fondations et AssociationsMagazine N°636 Juin/Juillet 2008
Par Francis CHARHON

Les fon­da­tions sont des acteurs soci­aux anciens dont les modes d’in­ter­ven­tions ont évolué avec le temps et les cir­con­stances historiques.

Repères
Les fon­da­tions ne sont pas des organ­ismes fondés sur le lien social comme les asso­ci­a­tions qui sont des insti­tu­tions dans lesquelles des bénév­oles se regroupent pour men­er un pro­jet collectif.
Leur orig­ine tient dans la volon­té d’une per­son­ne morale ou physique, qui affecte des biens à une oeu­vre d’in­térêt général.
Elles sont des insti­tu­tions de mécé­nat qui peu­vent pren­dre des formes divers­es : soit elles gèrent des étab­lisse­ments, elles sont alors dites opéra­tionnelles, soit elles sont redis­trib­utri­ces de fonds à des asso­ci­a­tions, lab­o­ra­toires, étab­lisse­ments cul­turels, etc.

Dès leur orig­ine, sous l’An­cien Régime et sous l’Em­pire, elles ont été au ser­vice des plus pau­vres. En effet, les priv­ilèges don­nés par la roy­auté à l’Église avaient pour con­trepar­tie la prise en charge des malades et des néces­si­teux. Des hos­pices, des orphe­li­nats, des foy­ers ont été con­stru­its : ces insti­tu­tions avaient une fonc­tion sociale indis­pens­able à une époque où l’É­tat ne se chargeait pas de ces questions.

Les pre­mières fon­da­tions ont été autorisées en 1227 par let­tres patentes royales

Si elles ont con­nu une grande activ­ité sous l’An­cien Régime, elles ont été lim­itées par le pou­voir roy­al qui voy­ait se dévelop­per dans le roy­aume les biens de main­morte sous la tutelle de l’Église. Dès 1227 ont été instau­rées les pre­mières autori­sa­tions par let­tres patentes royales pour créer des fon­da­tions. En 1666, l’édit de Saint-Ger­main a régle­men­té les com­mu­nautés en sub­or­don­nant notam­ment leur exis­tence, comme leur capac­ité d’ester ou de recevoir des dons et legs, à une autori­sa­tion royale. La Révo­lu­tion française sup­prime ce droit, dis­sout les con­gré­ga­tions et leurs fon­da­tions, con­fisque les biens ecclési­as­tiques. Si les droits de ” bonnes main­mortes et com­mu­nautés ” ont été de nou­veau autorisés sous Napoléon, l’ap­pré­ci­a­tion de l’op­por­tu­nité ne dépendait tou­jours que du gou­verne­ment. Le besoin d’étab­lisse­ments rel­e­vant de ce dis­posi­tif étant per­ma­nent, les fon­da­tions pro­gressent jusque vers la fin du XIXe siè­cle. Les grandes crises du début du XXe siè­cle ont entraîné la dis­pari­tion de nom­breuses fon­da­tions, mais cer­taines ont per­sisté à tra­vers le temps comme, par exem­ple, l’hos­pice des orphe­lins de Bléran­court créé en 1666, l’In­sti­tut Pas­teur (1887) ou la Fon­da­tion Thiers (1893).

Un processus de modernisation

Pas de fon­da­tion sans autorisation
Jadis créée par édit roy­al, aujour­d’hui par décret ou par arrêté ou avec l’ac­cord for­mal­isé d’une struc­ture inter­mé­di­aire ” abri­tante “, la fon­da­tion doit être aujour­d’hui, en France, dûment autorisée pour voir le jour. C’est l’une des prin­ci­pales traces du passé dans le sys­tème actuel.

Tou­jours mar­qué par la pra­tique de l’An­cien Régime, le sys­tème français des fon­da­tions con­naît depuis les années soix­ante un proces­sus de mod­erni­sa­tion. Plusieurs étapes récentes jalon­nent la lente évo­lu­tion vers la mod­erni­sa­tion du dis­posi­tif français des fon­da­tions : — 1969 : la Fon­da­tion de France est créée par André Mal­raux qui veut dévelop­per le mécé­nat en France ; — 1987 : créa­tion d’un statut de fon­da­tion pro­tégé qui n’ex­is­tait pas, jusqu’à cette date seule la jurispru­dence (non pub­liée) du Con­seil d’É­tat ser­vait de base juridique ; — 1990 : statuts de ” fon­da­tions d’en­tre­pris­es ” ; — 1996, à la demande du Pre­mier min­istre Édouard Bal­ladur, un groupe d’é­tudes est con­sti­tué au Con­seil d’É­tat pour éla­bor­er les mesures néces­saires à la mod­erni­sa­tion des fon­da­tions. Le rap­port n’a pas de suites par­ti­c­ulières mais devient un out­il de référence. Il faut atten­dre 2003 pour assis­ter au grand change­ment et voir les ver­rous sauter. Jean-Pierre Raf­farin demande à son min­istre de la Cul­ture, Jean-Jacques Ail­lagon, de met­tre en place des dis­po­si­tions pour ” dévelop­per le mécé­nat des fondations “.

Les dispositions Aillagon

Lors de la con­férence de presse de présen­ta­tion des nou­velles dis­po­si­tions, le Pre­mier min­istre indique que l’É­tat n’est pas le seul déten­teur de l’in­térêt général et met forte­ment en avant l’im­por­tance du rôle que les fon­da­tions peu­vent jouer dans notre pays ain­si que la néces­sité de rat­trap­er le retard par rap­port aux pays voisins.

On compte en France env­i­ron 1 500 fon­da­tions con­tre 1 mil­lion d’associations

Cette his­toire chao­tique explique pourquoi les fon­da­tions, bien qu’é­tant des acteurs impor­tants dans le domaine social, sont en nom­bre faible (env­i­ron 1 500 aujour­d’hui) par rap­port aux asso­ci­a­tions (plus de 1 mil­lion). La loi de 1901 con­sacrant les asso­ci­a­tions a entraîné un engoue­ment qui ne se dément tou­jours pas pour ce dis­posi­tif. L’as­so­ci­a­tion est d’essence démoc­ra­tique où cha­cun peut s’en­gager pour une cause quelle qu’elle soit, cela a longtemps par­ticipé à faire peser un doute sur les fon­da­tions car les fon­da­teurs oeu­vrent avec un mode de fonc­tion­nement plus direct, sans assem­blée générale et apparem­ment selon leur volon­té. La loi sur le mécé­nat de 2003, les dis­po­si­tions d’or­dre fis­cal, la mod­i­fi­ca­tion des statuts types, la loi de 2005 sur la recherche sci­en­tifique ont dess­iné un nou­v­el envi­ron­nement per­me­t­tant de met­tre à la dis­po­si­tion des phil­an­thropes des out­ils mod­ernes et adap­tés à leurs volon­tés ” mécé­nales “. Les chiffres par­lent d’eux-mêmes.

 TABLEAU 1
NOMBRE DE CRÉATIONS DE FONDATIONS PAR ANNÉE DEPUIS 2003 ET SELON LEUR STATUT JURIDIQUE

2003 2004 2005 2006 2007
Fon­da­tions recon­nues d’u­til­ité publique 10 11 21 16 17
Fon­da­tions de coopéra­tion scientifique 2 14
Fon­da­tions d’entreprises 3 17 21 33 37
Fon­da­tions abritées * 26 21 33 37 39
TOTAL 39 49 75 88 107
Nom­bre de fon­da­tions créées par des entreprises 13 23 40 47 50
Pourcentage 33% 47% 53% 53% 47%

* Hors Insti­tut de France – par 13 fon­da­tions dont prin­ci­pale­ment la Fon­da­tion de France et la Fon­da­tion du judaïsme français.
Source : Obser­va­toire de la Fon­da­tion de France – jan­vi­er 2008.
Bien que les fon­da­tions soient peu nom­breuses en France par rap­port aux pays voisins, on peut penser que le mou­ve­ment engagé depuis 2003 per­me­t­tra de combler ce déficit. En matière sociale, les fon­da­tions opéra­tionnelles pour­suiv­ent leurs activ­ités grâce à la prise en charge par les prix de journée des étab­lisse­ments de soins ou d’ac­cueil. La Fon­da­tion d’Au­teuil, qui assure la sco­lar­i­sa­tion et la for­ma­tion de jeunes, a élar­gi son pro­gramme à la prise en compte de la famille qui est asso­ciée aux par­cours des jeunes accueil­lis dans les cen­tres de for­ma­tion. Cela per­met de retiss­er des liens famil­i­aux, de pré­par­er la sor­tie des jeunes et de favoris­er une réin­ser­tion sociale.

TABLEAU 2
RÉPARTITION DES FONDATIONS SELON LEUR SECTEUR D’ACTIVITÉ PRINCIPAL
STATUT JURIDIQUE EN 2007 FRUP EMPLOYEURS FRUP SANS SALARIÉ FONDATIONS D’ENTREPRISES FONDATIONS ABRITÉES TOTAL
Non réponse 2% 11% 1% 3%
Arts et culture 19% 14% 28% 17% 18%
Enseigne­ment et for­ma­tion initiale 9% 15% 9% 12% 11%
Sciences 7% 5% 7% 4% 5%
Envi­ron­nement et défense du pat­ri­moine naturel 4% 2% 7% 4% 4%
Sports et loisirs 1% 1%
Santé 19% 14% 9% 19% 17%
Action sociale 28% 26% 26% 26% 27%
Reli­gion, société civile, bénévolat 3% 5% 3% 3%
Développe­ment et loge­ment, France 3% 2% 4% 1% 2%
Rela­tions inter­na­tionales, développe­ment et action humanitaire 2% 2% 2% 7% 5%
Emploi 2% 2% 4% 2%
Autres 2% 2% 7% 1% 2%
TOTAL 100% 100% 100% 100% 100%

Source : Enquête Fon­da­tion de France auprès des fon­da­tions – paru­tion 2008.
Lire : 17% des fon­da­tions abritées sont actives pour les Arts et la culture

Met­tre en avant le tra­vail col­lec­tif pour respon­s­abilis­er les per­son­nes concernées

L’essor des fondations redistributrices

Pro­gres­sive­ment des fon­da­tions redis­trib­utri­ces sur le mod­èle anglo-sax­on sont apparues et sont aujour­d’hui majori­taires par rap­port aux fon­da­tions opéra­tionnelles. Elles peu­vent être le fait de par­ti­c­uliers ou d’en­tre­pris­es. Elles n’oeu­vrent évidem­ment pas toutes dans le domaine social, elles aident aus­si la recherche, appor­tent des bours­es pour les jeunes ou les chercheurs, aident à la créa­tion artis­tique, etc.

Les fon­da­tions d’entreprises
Le développe­ment des ” fon­da­tions d’en­tre­pris­es ” notam­ment depuis ces trois dernières années est spectaculaire.
Celles-ci après avoir agi prin­ci­pale­ment dans la cul­ture se sont engagées dans de nom­breux pro­grammes de sou­tien à des actions sociales comme, par exemple :
la Fon­da­tion BNP Paribas qui a ouvert un pro­gramme pour aider des jeunes dans les quartiers défa­vorisés, la Fon­da­tion HSBC qui a ouvert un pro­gramme spé­ci­fique pour l’ac­cès à la cul­ture des jeunes dans des zones dif­fi­ciles don­nant ain­si une ouver­ture plus grande et favorisant des pro­jets col­lec­tifs, base d’une bonne socialisation.

Pour elles, la dis­tri­b­u­tion de fonds n’est pas un sim­ple geste financier. Elles ne sont pas des étab­lisse­ments ban­caires mais elles ancrent leurs sou­tiens à des poli­tiques struc­turées. En effet, elles jouent sou­vent un rôle de précurseur dans de nom­breux domaines, elles ont la capac­ité de pren­dre des risques pour explor­er des voies nou­velles afin d’ap­porter des répons­es aux prob­lèmes que crée une société en rapi­de évo­lu­tion, elles sont source d’in­no­va­tion. Leur péren­nité, leur indépen­dance et leurs moyens financiers con­stituent des atouts essen­tiels pour y par­venir. Elles sont en con­tact avec des acteurs très divers que sont, par exem­ple, les asso­ci­a­tions, les col­lec­tiv­ités publiques, l’É­tat, des lab­o­ra­toires de recherche qu’elles sou­ti­en­nent finan­cière­ment ou avec qui elles mon­tent des parte­nar­i­ats. Il est aus­si des fon­da­tions qui ont la dou­ble activ­ité, par exem­ple la Fon­da­tion Caiss­es d’É­pargne pour la Sol­i­dar­ité (fon­da­tion recon­nue d’u­til­ité publique) qui gère des étab­lisse­ments pour per­son­nes âgées ou hand­i­capées mais pour­suit aus­si un impor­tant pro­gramme de sou­tien financier con­tre l’il­let­trisme. Elle est très attachée à la par­tic­i­pa­tion des récipiendaires. 

Faire participer les récipiendaires

La notion de lien social est assez récente, elle est apparue dans les années qua­tre-vingt-dix sous la plume de Jean-Bap­tiste de Fou­cault (Une société en quête de sens, avec Denis Piveteau, éd. Odile Jacob), qui a fait appa­raître que l’aide sociale ne suff­i­sait pas mais qu’il fal­lait don­ner du sens aux actions menées et que les récip­i­endaires devaient eux-mêmes par­ticiper aux pro­grammes qui les con­cer­naient afin de ne pas s’in­staller dans une posi­tion d’as­sistés. Cette néces­sité d’as­soci­er les pop­u­la­tions à l’élab­o­ra­tion des pro­jets qui les con­cer­nent est dev­enue, depuis une dizaine d’an­nées, une sorte d’év­i­dence pour l’ensem­ble du champ social, quel que soit l’ob­jec­tif poursuivi.

Agir ensem­ble
Ce pro­gramme met en avant le tra­vail col­lec­tif pour respon­s­abilis­er les per­son­nes con­cernées par le pro­jet soutenu.
Cela ren­force la dig­nité des per­son­nes et aide à l’au­tonomi­sa­tion ; les actions les plus exem­plaires sont val­orisées chaque année par la remise de prix et don­nent la pos­si­bil­ité aux primés de présen­ter leur tra­vail dans la presse et auprès d’autres associations.

Ce principe s’est notam­ment dévelop­pé sous l’im­pul­sion d’ac­teurs asso­ci­at­ifs, il a été par­ti­c­ulière­ment repris par exem­ple dans la poli­tique de la ville, il est même inté­gré dans cer­taines lois, comme la loi dite 2002–2 visant à la mise en place de comités d’usagers dans les étab­lisse­ments du secteur san­i­taire et social. Cer­taines fon­da­tions se sont appuyées sur ce con­cept pour ren­forcer leurs actions de lutte con­tre l’ex­clu­sion. Par exem­ple pour la Fon­da­tion de France, la par­tic­i­pa­tion des récip­i­endaires est par­tie inté­grante de nom­bre de ses pro­grammes. Pour­tant, sur le ter­rain, cette con­di­tion de réus­site est loin d’être tou­jours rem­plie, tant le pas­sage de la théorie à la pra­tique pose prob­lème, tant aux pop­u­la­tions con­cernées qu’aux pro­fes­sion­nels. C’est notam­ment le cas lorsque l’on tente d’as­soci­er les per­son­nes les plus exclues, qui ont per­du par­fois depuis longtemps tout pou­voir de déci­sion sur les sujets qui les con­cer­nent. L’é­val­u­a­tion du pro­gramme Agir ensem­ble, menée par les délé­ga­tions régionales de la Fon­da­tion de France depuis une douzaine d’an­nées, démon­tre que la mise en place de pro­jets réelle­ment par­tic­i­pat­ifs néces­site un savoir-faire et des out­ils qui ne s’im­pro­visent pas, surtout s’ils se pro­posent d’as­soci­er des publics en dif­fi­culté. Cette con­clu­sion rejoint la pra­tique des autres pro­grammes de la Fon­da­tion de France, qui affichent l’am­bi­tion de financer des pro­jets asso­ciant leurs usagers, mais qui, dans les faits, sou­ti­en­nent trop d’ini­tia­tives qui ne sat­is­font que par­tielle­ment ce critère. 

Soutenir les porteurs de projets

Soucieuse de ne pas renon­cer à l’ob­jec­tif, mais de pren­dre acte de la sit­u­a­tion telle qu’elle est pour inter­venir de manière à la fois plus réal­iste et plus con­struc­tive, la Fon­da­tion de France a décidé de mod­i­fi­er son inter­ven­tion, en inté­grant une aide com­plé­men­taire dans la qua­si-total­ité de ses appels à pro­jets. Ce pos­si­ble finance­ment vise à soutenir les por­teurs de pro­jets qui s’en­ga­gent dans une démarche favorisant l’im­pli­ca­tion active des per­son­nes con­cernées, par­mi lesquelles sont mobil­isées des per­son­nes exclues. 

Une intense activité de la philanthropie

Il faut aider à l’im­pli­ca­tion active des per­son­nes con­cernées, par­mi lesquelles des per­son­nes exclues

Chaque jour de nou­velles fon­da­tions s’en­ga­gent dans de tels pro­grammes qui néces­si­tent une bonne méthodolo­gie, une flex­i­bil­ité impor­tante pour s’adapter en per­ma­nence aux dif­fi­cultés de tels pro­jets. Elles procè­dent par appel d’of­fres pour trou­ver sur tout le ter­ri­toire les asso­ci­a­tions au con­tact des dif­fi­cultés qui pro­posent les meilleurs pro­jets, ain­si elles rem­plis­sent leur fonc­tion d’opéra­teurs de plus en plus sig­ni­fi­cat­ifs dans le champ des sol­i­dar­ités. Nous sommes entrés dans un moment d’in­tense activ­ité de la phil­an­thropie qui laisse encore présager des évo­lu­tions sig­ni­fica­tives aus­si bien dans le com­porte­ment des dona­teurs, en fonc­tion des out­ils mis à leur dis­po­si­tion, que dans celui des acteurs de ter­rain qui auront plus de moyens à leur dis­po­si­tion et donc plus de capac­ité de laiss­er libre leur imag­i­na­tion pour répon­dre aux prob­lèmes soci­aux aux­quels ils ont à faire face.

Poster un commentaire