Pétrole

Une période de grande incertitude pour l’épargne

Dossier : Gestion de patrimoineMagazine N°739 Novembre 2018
Par Michel DIDIER (60)

Des risques impor­tants pèsent aujourd’hui sur l’avenir de l’économie mon­diale. On peut craindre que la pour­suite d’une crois­sance arti­fi­ciel­le­ment sou­te­nue n’amène à une purge. Mais aus­si espé­rer que le rythme de crois­sance se calme spon­ta­né­ment et qu’une nou­velle crise soit évitée. 


Cer­tains voient le cours du baril de pétrole atteindre 100 US $. © Ser­giy Serdyuk 

Il revient à cha­cun d’allouer son patri­moine en fonc­tion de sa situa­tion per­son­nelle, de son pen­chant pour le risque, de sa vision des oppor­tu­ni­tés, bref de l’évaluation qu’il fait des pers­pec­tives éco­no­miques et de son expé­rience pas­sée. Le pro­blème est que la situa­tion actuelle ne res­semble à aucune autre dans le pas­sé. Les obli­ga­tions d’État ne rap­portent rien. Les actions ont certes un ren­de­ment posi­tif, mais elles sont « ris­quées ». Que peut-on main­te­nant pen­ser de la situa­tion et des pers­pec­tives économiques ? 

Trois bouleversements majeurs en vingt ans

L’économie mon­diale a connu en moins de vingt ans trois grands bou­le­ver­se­ments. Tout d’abord l’extraordinaire envo­lée de la crois­sance chi­noise. C’est l’événement le plus spec­ta­cu­laire de l’histoire éco­no­mique du monde. Il a com­plè­te­ment chan­gé la donne mon­diale. Deuxiè­me­ment la crise finan­cière de 2008, la plus forte depuis 1929. C’est une crise de « sur­pro­duc­tion finan­cière ». La purge était inévi­table. Le déto­na­teur a été l’envolée du prix du pétrole, qui a stop­pé net les gains de pou­voir d’achat et pré­ci­pi­té l’effondrement de la pyra­mide de Pon­zi de la finance mon­diale. Enfin, la crise euro­péenne, consé­quence actuelle de la réces­sion mon­diale, qui a tota­le­ment désta­bi­li­sé l’Europe et a failli faire sau­ter l’euro. Tout cela appar­tient désor­mais au pas­sé. Mais le pas­sé pré­fi­gure l’avenir. Et, comme l’a écrit Karl Marx : « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condam­né à la revivre. » 

Des cycles économiques d’environ neuf ans

Ce que nous montre l’histoire, c’est que l’économie est cyclique, avec des cycles suc­ces­sifs d’environ neuf ans. Or, la reprise amé­ri­caine a com­men­cé au prin­temps 2009, il y a pré­ci­sé­ment neuf ans. L’histoire des cycles, c’est un balan­ce­ment entre deux méca­nismes, entre les­quels l’économie oscille. Selon le pre­mier méca­nisme (que les éco­no­mistes appellent la courbe de Phil­lips), lorsque les capa­ci­tés de pro­duc­tion sont satu­rées, quand le chô­mage est bas, alors les prix et les salaires tendent à déri­ver vers le haut. Pour l’instant, il y a peu d’inflation et on a ten­dance à oublier la courbe de Phil­lips. Mais n’oublions pas non plus trop vite le mes­sage de Karl Marx. Le deuxième méca­nisme, c’est la réac­tion de la poli­tique moné­taire que les éco­no­mistes appellent la règle de Tay­lor. Quand le couple prix-salaires dérape, il faut aug­men­ter les taux d’intérêt et res­ser­rer la poli­tique moné­taire pour cal­mer la crois­sance et tuer dans l’œuf la menace de l’inflation.

“Quand le couple prix-salaires dérape,
il faut augmenter les taux d’intérêt”


Croissance et productivité

Où en est aujourd’hui le balan­cier ? La crois­sance géné­rale a accé­lé­ré en 2017. Et cette accé­lé­ra­tion entraîne d’ores et déjà des ten­sions sur les fac­teurs de pro­duc­tion. Aux États-Unis, les délais de livrai­son s’allongent, les indus­triels voient une accé­lé­ra­tion des hausses de prix. En Alle­magne (et même en France, bien qu’il y ait tou­jours du chô­mage), les entre­prises ont de plus en plus de mal à trou­ver les gens dont elles ont besoin pour pro­duire. Quant aux poli­tiques moné­taires, elles ont com­men­cé à rame­ner à petits pas le balan­cier du côté du res­ser­re­ment. Et cela s’accélérera si les ten­sions sur la pro­duc­tion devaient augmenter. 

Il y a peut-être une échap­pa­toire à ce dilemme : c’est la pro­duc­ti­vi­té, qui per­met de pro­duire plus sans aug­men­ter les moyens de pro­duc­tion. Cepen­dant, il y a un mys­tère de la pro­duc­ti­vi­té. Mal­gré les pro­grès des tech­no­lo­gies numé­riques, les gains de pro­duc­ti­vi­té ont bais­sé dans l’ensemble des pays déve­lop­pés. De plus de 2 % par an il y a une ving­taine d’années, ils sont reve­nus à 0,5 % par an. 

Deux expli­ca­tions ont été invo­quées. Tout d’abord, une expli­ca­tion par la demande : la crise finan­cière a entraî­né une période de stag­na­tion de la demande et de faible expan­sion. Une crois­sance faible limite les éco­no­mies d’échelle et le rythme d’incorporation de la tech­nique. Ensuite une expli­ca­tion par l’offre : le milieu des années 2000 mar­que­rait la fin d’une vague de dif­fu­sion de la micro-infor­ma­tique et des tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion dans les entre­prises. D’où un tas­se­ment des gains de pro­duc­ti­vi­té. Ce n’est pas pour autant la fin du pro­grès du digi­tal. Une nou­velle vague de trans­for­ma­tion digi­tale s’amorce, elle com­mence à tou­cher les ser­vices logis­tiques, com­mer­ciaux admi­nis­tra­tifs et de pro­duc­tion. Sim­ple­ment, il fau­dra du temps pour que les béné­fices se matérialisent. 

Trois risques en perspective

Enfin, trois grands risques rôdent dans l’économie mon­diale. Le pre­mier est le prix du pétrole. Il faut se rap­pe­ler que l’envolée du prix du pétrole avait pré­ci­pi­té la crise finan­cière de 2008. L’effondrement du prix en 2014–2015 (de 120 à 40 dol­lars) a don­né à l’activité éco­no­mique le coup d’accélérateur que nous avons consta­té en 2016–2017. Depuis, le prix du pétrole remonte net­te­ment. Cer­tains le voient à 100 dol­lars. Si cela s’avérait, cela pré­ci­pi­te­rait un vrai retour­ne­ment de l’activité.

Deuxième risque, la guerre com­mer­ciale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale, le man­tra des rela­tions inter­na­tio­nales était par­tout la libé­ra­li­sa­tion du com­merce et les accords mul­ti­la­té­raux. Tout cela est en train de voler en éclats. Les trai­tés sont repor­tés, voire annu­lés. Même l’union doua­nière euro­péenne est en dan­ger avec le Brexit. 

Troi­sième risque : l’Europe. L’Union euro­péenne est et reste un for­mi­dable pro­jet poli­tique. Mais la zone euro n’est pas pour l’instant une zone opti­male, ni sur le plan moné­taire, ni même sur le plan éco­no­mique. Les pays divergent en termes de com­pé­ti­ti­vi­té, de bases indus­trielles, de niveaux de vie. Après la Grèce, les gou­ver­ne­ments ont mis en place des pare-feux aux risques finan­ciers. Mais il n’y a pas de pare-feux aux risques poli­tiques. Au-delà de la ques­tion ita­lienne, on voit un peu par­tout en Europe mon­ter des désac­cords entre des visions dif­fé­rentes de l’Union européenne. 

Deux scénarios pour demain

Si, en écar­tant les grands risques, on en revient au balan­cier éco­no­mique natu­rel, on peut ima­gi­ner deux scé­na­rios pos­sibles. Dans un pre­mier scé­na­rio, la crois­sance serait encore sti­mu­lée par l’augmentation mas­sive du défi­cit bud­gé­taire amé­ri­cain. L’expansion se pro­lon­ge­rait encore un peu, mais elle devien­drait de plus en plus arti­fi­cielle, et elle fini­rait par une purge. Dans un deuxième scé­na­rio, le rythme de la crois­sance se cal­me­rait spon­ta­né­ment. C’est ce qui semble se des­si­ner en Europe. Cela évi­te­rait de buter sur des excès. Cela per­met­trait au cycle d’expansion de se pour­suivre à une allure certes modé­rée, mais plus dura­ble­ment. Le deuxième scé­na­rio serait le meilleur scé­na­rio pour l’épargne, avec une remon­tée maî­tri­sée des taux d’intérêt et de nou­velles hausses des cours des actions. Sans oublier le mot de John May­nard Keynes : « Ce qui arrive en fin de compte, ce n’est pas l’inévitable, c’est l’imprévisible. » 

Poster un commentaire