Notaire

Le conseil en gestion de patrimoine : un métier à forte valeur ajoutée et en profonde mutation

Dossier : Gestion de patrimoineMagazine N°739 Novembre 2018
Par Gilles ARTAUD (89)

Exer­cé par un conseiller bien for­mé et expé­ri­men­té, le conseil en ges­tion de patri­moine est incon­tour­nable pour pro­té­ger au mieux sa famille, sécu­ri­ser ses pro­jets de vie ou encore orga­ni­ser sa trans­mis­sion. Sou­mis à de mul­tiples pres­sions, en par­ti­cu­lier par la baisse des marges sur les pro­duits et ser­vices finan­ciers, par l’évolution des régle­men­ta­tions euro­péennes et par la mul­ti­pli­ca­tion des outils issus de l’intelligence arti­fi­cielle, il pour­rait néan­moins deve­nir plus élitiste. 

Ni ven­deur de pro­duits ni ges­tion­naire d’actifs, le conseiller en ges­tion de patri­moine met en œuvre un pro­ces­sus com­plet de conseil (recueil d’informations, ana­lyse et diag­nos­tic, recom­man­da­tions, mise en œuvre et sui­vi) de manière à répondre au mieux aux objec­tifs per­son­nels et patri­mo­niaux de son client. Métier pas­sion­nant et exi­geant, aux confins de la finance, du droit et de la fis­ca­li­té, le conseil en ges­tion de patri­moine n’est pas tou­jours recon­nu à hau­teur de la valeur ajou­tée qu’il pro­cure. D’une part parce qu’il est exer­cé, en l’absence de pro­tec­tion régle­men­taire ou pro­fes­sion­nelle suf­fi­sante, par des per­sonnes qui fré­quem­ment n’en ont pas toutes les com­pé­tences et d’autre part parce qu’il est sou­vent détour­né de sa fina­li­té et uti­li­sé, en l’absence de rému­né­ra­tion spé­ci­fique, pour mieux vendre un pro­duit d’investissement ou une pres­ta­tion juri­dique. Sélec­tion­nez un conseiller bien for­mé et expé­ri­men­té, rému­né­rez-le à sa juste valeur, vous serez alors sur­pris des béné­fices que vous en tirerez ! 

REPÈRES

Si les pre­miers ban­quiers sont appa­rus en Grèce dès le VIe siècle avant Jésus-Christ, le métier de conseil en ges­tion de patri­moine est pour sa part très jeune puisqu’il est né au début des années soixante-dix aux États-Unis. Ce n’est qu’à la fin des années quatre-vingt que sont appa­rus en France les pre­miers DESS for­mant des conseillers en ges­tion de patri­moine (CGP), cette pro­fes­sion pre­nant véri­ta­ble­ment son essor dans les années quatre-vingt-dix. 

Un seul terme pour des réalités multiples

Le conseiller en ges­tion de patri­moine peut exer­cer au sein d’une banque, d’une com­pa­gnie d’assurances, d’une socié­té de conseil indé­pen­dante, d’un office nota­rial ou même d’un cabi­net d’expertise comp­table. Selon l’entité dans laquelle il exerce, ses inter­ven­tions seront plus ou moins ciblées sur une des com­po­santes du métier, même s’il ins­crit ses recom­man­da­tions dans une approche glo­bale. Ain­si, le CGP déli­vre­ra prin­ci­pa­le­ment des conseils en inves­tis­se­ment lorsqu’il est sala­rié d’un éta­blis­se­ment finan­cier, des conseils pour mieux pro­té­ger la famille, orga­ni­ser et opti­mi­ser la trans­mis­sion lorsqu’il tra­vaille au sein d’un office nota­rial et des conseils pour opti­mi­ser le sys­tème de rému­né­ra­tion du chef d’entreprise ou opti­mi­ser la trans­mis­sion de l’entreprise s’il exerce dans un cabi­net comptable. 

C’est au sein des cabi­nets de conseil en ges­tion de patri­moine indé­pen­dants (CGPI) qu’il est pos­sible de trou­ver les approches les plus glo­bales, d’autant plus si la pres­ta­tion est rému­né­rée en hono­raires. Dans le cas contraire, le CGPI ris­que­rait de se foca­li­ser rapi­de­ment sur les domaines qui sont sources de rému­né­ra­tion pour lui, donc sur les investissements. 


Le conseiller en ges­tion de patri­moine déli­vre­ra éga­le­ment des conseils pour mieux protéger
la famille, orga­ni­ser et opti­mi­ser la trans-mis­sion, en liai­son avec le notaire.
© Hagen411

Pas de cadre réglementaire unifié ni de titre protégé

Comme beau­coup de jeunes pro­fes­sions, elle est mal appré­hen­dée par la régle­men­ta­tion qui s’est prin­ci­pa­le­ment inté­res­sée au conseil juri­dique et fis­cal d’une part et à la dis­tri­bu­tion des pro­duits d’investissement d’autre part. Le CGP est par consé­quent concer­né par de nom­breuses régle­men­ta­tions, évi­dem­ment par­fois inco­hé­rentes entre elles, même si elles ont ten­dance à conver­ger, mais n’est pas en lui-même régle­men­té et l’usage de son titre n’est pas pro­té­gé contrai­re­ment aux pro­fes­sions ordi­nales (notaires, avo­cats, experts-comp­tables). Il est ain­si pos­sible de ren­con­trer un ven­deur de pro­duits immo­bi­liers ou un cour­tier d’assurances affu­blé d’un titre de conseiller en ges­tion de patri­moine alors qu’il n’en a ni la for­ma­tion ni les com­pé­tences. Cette pra­tique a fait beau­coup de tort à la pro­fes­sion en en don­nant une image tota­le­ment erro­née aux clients. 

Maî­trise totale de la rési­dence principale

Les époux A sont mariés sous le régime de la sépa­ra­tion de biens et ont trois enfants, dont un d’un pre­mier lit de Madame. Ils ont éta­bli une dona­tion réci­proque au der­nier vivant (DDV) pour assu­rer leur pro­tec­tion en cas de décès. Pour­tant, compte tenu du poids de leur rési­dence prin­ci­pale pari­sienne dans leur patri­moine total (2,5 M€ sur 4,5 M€), la DDV ne per­met­tra pas au sur­vi­vant d’appréhender en pleine pro­prié­té la quote-part de la rési­dence prin­ci­pale qu’il ne pos­sède pas déjà. Or les époux A ne veulent pas être en démem­bre­ment de pro­prié­té avec leurs enfants sur leur rési­dence prin­ci­pale afin de ne pas être dépen­dants du bon vou­loir de leurs enfants pour vendre, et pour rem­ployer le prix de vente ensuite. Afin de répondre à leur attente, leur régime matri­mo­nial sera adap­té en créant une socié­té d’acquêts (sorte de com­mu­nau­té dans un régime de sépa­ra­tion de biens), en y logeant la rési­dence prin­ci­pale et en sti­pu­lant une clause dite de pré­ci­put qui per­met­tra au sur­vi­vant d’appréhender la tota­li­té de la rési­dence prin­ci­pale en pleine pro­prié­té en amont de la succession. 

Une approche globale à forte valeur ajoutée

Ne vous arrê­tez donc pas aux pré­ju­gés et par­tez en quête d’un conseiller patri­mo­nial bien for­mé, qui entre­tient ses connais­sances, jouit d’une solide expé­rience et d’un bon sens de la psychologie. 

Affi­ner et par­ta­ger les objectifs

La pre­mière plus-value d’un tel conseiller est d’amener son client à mieux pré­ci­ser ses objec­tifs, à les par­ta­ger au sein du couple, voire plus lar­ge­ment de la famille et à les hié­rar­chi­ser. Il arrive sou­vent que les aspi­ra­tions per­son­nelles ne soient pas évo­quées dans le couple par crainte de la réac­tion du conjoint ou que la dis­cus­sion ait conduit à une impasse faute de connaître des solu­tions qui auraient pu per­mettre de conci­lier les attentes de chacun. 

Pro­té­ger la famille

Sa deuxième contri­bu­tion por­te­ra sur la pro­tec­tion de la famille : pro­tec­tion finan­cière en cas d’invalidité ou de décès, maî­trise du cadre de vie du conjoint sur­vi­vant, péren­ni­té de l’entreprise – et donc pré­ser­va­tion de sa valeur pour les héri­tiers – en cas de décès pré­ma­tu­ré du chef d’entreprise… Ses recom­man­da­tions peuvent aller de la simple sous­crip­tion d’un contrat d’assurance à des mesures juri­diques plus com­plexes (cf. encadré). 

Garan­tir le finan­ce­ment des pro­jets de vie

Une fois ces bases posées, le conseiller pour­ra conduire un exer­cice de pla­ni­fi­ca­tion finan­cière, inté­grant les reve­nus pro­fes­sion­nels, les reve­nus de rem­pla­ce­ment et ceux du patri­moine afin de véri­fier la capa­ci­té de son client à finan­cer ses dif­fé­rents pro­jets (aide des enfants, acqui­si­tion d’une rési­dence secon­daire, créa­tion d’une entre­prise…) et à assu­rer son niveau de vie à la retraite mais aus­si son indé­pen­dance au grand âge en cas d’invalidité.

Opti­mi­ser la ren­ta­bi­li­té nette de fis­ca­li­té ajus­tée du risque

Il pour­ra éga­le­ment pro­po­ser des réal­lo­ca­tions du patri­moine afin par exemple de sécu­ri­ser le finan­ce­ment d’un pro­jet ou d’améliorer le couple rendement/risque de cer­taines poches. Il pour­ra aus­si redé­fi­nir les modes de déten­tion des actifs pour réduire la fis­ca­li­té sur les reve­nus ou sur la déten­tion du patri­moine (impôt sur la for­tune immo­bi­lière). À ce stade, tor­dons le cou tout de suite à une attente habi­tuelle mais dan­ge­reuse : réduire ses impôts. La fis­ca­li­té est un para­mètre sur lequel il est pos­sible d’agir pour amé­lio­rer la ren­ta­bi­li­té nette d’un patri­moine ou l’actif net qui sera trans­mis. Mais elle n’est pas une fin en soi ! Une grosse réduc­tion d’impôts à court terme peut ain­si cacher une perte finan­cière à moyen terme net­te­ment plus impor­tante… Mieux vaut sou­vent tra­vailler le mode de déten­tion des actifs (cf. enca­dré) que recher­cher la défis­ca­li­sa­tion à tout prix. 

Orga­ni­ser et opti­mi­ser la transmission

Enfin, le conseiller peut orga­ni­ser la trans­mis­sion du patri­moine, que ce soit pour faci­li­ter la conser­va­tion d’un bien de famille, assu­rer la péren­ni­té d’une entre­prise, pro­té­ger un enfant han­di­ca­pé en faci­li­tant le retour du patri­moine des­ti­né à assu­rer son niveau de vie vers ses frères et sœurs ou leurs des­cen­dants dans des condi­tions fis­cales attrac­tives, ou tout sim­ple­ment évi­ter de futures indi­vi­sions qui pour­raient créer des ten­sions fami­liales. Il va bien sûr opti­mi­ser les droits de suc­ces­sion à acquit­ter par les des­cen­dants tout en s’attachant à pré­ser­ver la maî­trise des biens par les ascen­dants. Au-delà des clas­siques dona­tions en nue-pro­prié­té, une simple assu­rance-vie dont on démembre astu­cieu­se­ment la clause béné­fi­ciaire peut offrir un gain fis­cal énorme. Il est ain­si pos­sible, pour une famille impo­sée au taux maxi­mum de 45 % en matière de trans­mis­sion, d’économiser plus de 900 000 € de droits de suc­ces­sion sur deux géné­ra­tions en allouant seule­ment 1 700 000 € sur une assu­rance-vie, tout en per­met­tant au conjoint sur­vi­vant puis aux enfants de béné­fi­cier du capi­tal s’ils le jugent utile le moment venu. 

Entre remise en cause du sys­tème de rému­né­ra­tion et avè­ne­ment de l’intelligence arti­fi­cielle, la seule voie pos­sible pour le conseiller est celle de l’excellence.

Démem­bre­ment de pro­prié­té : de mul­tiples vertus

La pleine pro­prié­té d’un bien peut être démem­brée entre l’usufruit d’une part (droit d’utiliser le bien pour soi ou d’en confé­rer l’usage à un tiers et d’en per­ce­voir les reve­nus) et la nue-pro­prié­té d’autre part (droit de pro­prié­té gre­vé de l’usufruit). Sou­vent subi dans le cadre d’une suc­ces­sion, le démem­bre­ment peut être choi­si. Il est ain­si pos­sible d’acquérir un bien immo­bi­lier (ou des parts d’un fonds immo­bi­lier) en nue-pro­prié­té et de capi­ta­li­ser l’équivalent du reve­nu net en fran­chise d’impôt sur le reve­nu, de pré­lè­ve­ments sociaux et même d’impôt sur la for­tune immo­bi­lière (IFI). Pour des parts de fonds sur dix ans, le gain peut faci­le­ment atteindre 25 % à 30 % du mon­tant de l’investissement.
Il est aus­si pos­sible de don­ner à un de ses enfants l’usufruit d’un bien immo­bi­lier pro­duc­tif de reve­nus pen­dant ses études, ce qui per­met­tra à la fois d’alléger la base taxable à l’IFI et de réduire sen­si­ble­ment la pres­sion fis­cale sur les revenus. 

Le démem­bre­ment est éga­le­ment le meilleur ami du chef d’entreprise qui acquiert ses locaux pro­fes­sion­nels. Mis en œuvre au tra­vers d’une socié­té civile qui acquiert le bien à cré­dit et dont les parts sont déte­nues pour l’usufruit tem­po­raire (jusqu’à l’âge de la retraite ou de la ces­sion envi­sa­gée) par la socié­té d’exploitation et pour la nue-pro­prié­té par le chef d’entreprise et le cas échéant sa famille, il per­met un gain fis­cal d’environ 30 % de la valeur du bien sur une quin­zaine d’années, hors éco­no­mie sup­plé­men­taire éven­tuelle en termes d’IFI. Il pro­cure ain­si à l’investissement un TRI net d’impôt imbattable. 

Un service gratuit menacé par la pression sur les marges

Lors de l’essor de la pro­fes­sion dans les années quatre-vingt-dix, de nom­breuses ten­ta­tives de fac­tu­ra­tion du conseil aux clients ont été menées sans grand suc­cès. De ce fait, le conseil patri­mo­nial est aujourd’hui le plus sou­vent offert, c’est-à-dire finan­cé soit par les frais pré­le­vés sur les inves­tis­se­ments, soit par les frais des actes juridiques. 

Mais, les régle­men­ta­tions euro­péennes sont de plus en plus exi­geantes en matière de trans­pa­rence sur les frais pré­le­vés par les inter­mé­diaires et ges­tion­naires d’actifs, non seule­ment ex post mais désor­mais ex ante. De ce fait, beau­coup d’acteurs anti­cipent une baisse pro­gres­sive de la marge sur l’intermédiation et la ges­tion d’actifs. La situa­tion n’est pas for­cé­ment meilleure pour les pro­fes­sions ordi­nales : les experts-comp­tables connaissent une pres­sion impor­tante sur le prix de leurs mis­sions tra­di­tion­nelles de tenue de comp­ta­bi­li­té en rai­son de la digi­ta­li­sa­tion et de l’automatisation de ces mis­sions, et les notaires devraient pro­gres­si­ve­ment subir l’effet de l’augmentation du nombre des offices (un quart en plus envi­ron) issue de la loi Macron de 2015 sur leurs recettes. 

C’est pour­quoi, le finan­ce­ment du conseil en ges­tion de patri­moine pour­rait être com­pro­mis, du moins pour le grand nombre, si les clients ne le payent pas direc­te­ment sous forme d’honoraires. Dans le même temps, l’intelligence arti­fi­cielle devrait à terme être en capa­ci­té de prendre en charge l’analyse et les recom­man­da­tions patri­mo­niales des cas les plus courants. 

L’impôt sur la fortune immobilière
L’impôt sur la for­tune immo­bi­lière n’est pas une fata­li­té pour l’investissement immo­bi­lier. © Brad Pict 

Vers un conseil patrimonial plus élitiste

Face à ces deux ten­dances, le mar­ché pour­rait se bipo­la­ri­ser avec d’un côté, une petite frange de clients for­tu­nés ser­vis par des conseillers dis­po­sant d’un haut niveau d’expertise et d’une solide expé­rience et de l’autre, la grande masse des clients conseillée par des auto­mates et allant cher­cher in fine chez un inter­lo­cu­teur humain spé­cia­liste de son domaine (ges­tion d’actifs, assu­rance, immo­bi­lier, droit de la famille…) une ras­su­rance avant de mettre en œuvre les choix les plus engageants. 

À titre d’illustration, la socié­té que je dirige com­mer­cia­lise depuis 2013 un sys­tème expert qui assiste les conseillers dans l’analyse et la pré­co­ni­sa­tion patri­mo­niale pour leur appor­ter sécu­ri­té et gains de pro­duc­ti­vi­té dans la conduite de leurs mis­sions. Bien qu’il s’agisse d’un sys­tème sans capa­ci­té d’apprentissage, il est déjà capable de divi­ser par trois le temps pas­sé sur les mis­sions les plus courantes. 

Les conseillers d’aujourd’hui devront donc pro­ba­ble­ment choi­sir leur camp : celui du spé­cia­liste d’un domaine par­ti­cu­lier ou celui du conseil patri­mo­nial glo­bal pour une clien­tèle for­tu­née qui les rému­né­re­ra en hono­raires, ce qui dans ce der­nier cas exi­ge­ra pour beau­coup un effort impor­tant de for­ma­tion et d’entretien des compétences. 

Poster un commentaire