Lingots d'or

Réagir face aux évolutions prudentielles de l’assurance-vie

Dossier : Gestion de patrimoineMagazine N°739 Novembre 2018
Par Gilles DUPIN (75)
Par Emmanuel SALES

En matière d’assurance-vie, les récentes évo­lu­tions fis­cales et régle­men­taires vont amen­er les assureurs à repenser en pro­fondeur leurs offres, pour répon­dre aux attentes des épargnants en matière de sécu­rité des place­ments et miser sur leur légitim­ité pro­pre­ment assurantielle. 

Il y a quelques années, la presse pat­ri­mo­ni­ale bruis­sait des mod­i­fi­ca­tions con­cer­nant le régime fis­cal de l’assurance-vie. Les car­ac­téris­tiques essen­tielles du con­trat d’assurance en matière suc­ces­so­rale ont jusqu’à présent été préservées. En revanche, l’instauration récente du prélève­ment for­faitaire unique au taux de 30 % libéra­toire sur la plu­part des revenus de cap­i­taux met sur le même plan la plu­part des pro­duits d’épargne.

REPÈRES

Les évo­lu­tions récentes de la fis­cal­ité ont fait per­dre à l’assurance-vie un de ses avan­tages com­péti­tifs par rap­port à la détention
en direct de valeurs mobil­ières ou de parts de Sicav. Les auteurs de ses lignes, pour­tant pro­fes­sion­nels de l’assurance, ne s’en plain­dront pas. La fis­cal­ité ne doit jamais être le seul critère de déci­sion. En out­re, le développe­ment depuis plusieurs décen­nies d’une offre de con­trats d’épargne en unités de compte adossés à une infinité de sup­ports financiers, rendait dif­fi­cile­ment jus­ti­fi­able le main­tien d’un traite­ment fis­cal priv­ilégié pour des pro­duits d’épargne sou­vent coû­teux, que peu de chose dif­féren­ci­ait d’un compte de titres traditionnel. 

Le profil des contrats profondément modifié

Pour tous ceux qui pla­cent leur épargne en assur­ance-vie, la véri­ta­ble préoc­cu­pa­tion porte sur l’évolution des poli­tiques de place­ment des assureurs à la suite de l’entrée en vigueur de nou­velles normes européennes dites Solv­abil­ité II. En effet, bien plus que la fis­cal­ité, ces règles mod­i­fient en pro­fondeur la nature et le pro­fil de rentabil­ité des pro­duits pro­posés aux épargnants. Que faut-il en atten­dre ? Com­ment faire les bons choix patrimoniaux ? 

Jusqu’à une péri­ode récente, l’épargnant pru­dent, peu fam­i­li­er avec les place­ments bour­siers, pou­vait con­fi­er sans crainte son épargne à l’assureur, en espérant un ren­de­ment décent, per­me­t­tant au moins la préser­va­tion du cap­i­tal après infla­tion. Pour pro­téger l’épargnant con­tre les fluc­tu­a­tions des marchés, le con­trat en euros, si décrié aujourd’hui, était l’instrument idéal. Lorsqu’il était bien géré par l’assureur, il per­me­t­tait d’avoir un ren­de­ment sta­ble, adossé à un porte­feuille d’actifs diver­si­fié, avec la garantie du cap­i­tal acquis. L’assureur plaçait les sommes qui lui étaient con­fiées sur dif­férentes class­es d’actifs : oblig­a­tions prin­ci­pale­ment mais égale­ment actions, immo­bili­er, act­ifs fonciers, etc. Les anci­ennes règles de solv­abil­ité, exprimées en pour­cent­age des engage­ments pris envers les souscrip­teurs, fai­saient du bilan de l’assureur le vase d’expansion des fluc­tu­a­tions bour­sières. Les ren­de­ments des con­trats en euros ont ain­si fait preuve d’une grande robustesse au cours des crises passées, en préser­vant les souscrip­teurs des chocs de marché et en amor­tis­sant dans le temps les effets de la baisse con­tin­ue des taux d’intérêt depuis le début des années 80. 


L’or est pénal­isé dans les mêmes conditions
que les actions.
© Darknightsky 

Des règles qui font table rase du passé

Avec les nou­velles règles européennes, en vigueur depuis le début de 2016, tout a changé. L’écosystème brux­el­lois, inspiré par les travaux ou les intérêts des grands cab­i­nets de con­seil, a instau­ré dans l’assurance une véri­ta­ble dic­tature de la valeur de marché. Dans cette nou­velle logique, qui fait table rase de l’expérience et du savoir accu­mulés des décen­nies durant au prof­it d’une approche pseu­do-sci­en­tifique du risque, la solv­abil­ité de l’assureur est mesurée à l’aune des fluc­tu­a­tions de marché des dif­férentes class­es d’actifs. On passe ain­si d’une approche poli­tique de la solv­abil­ité à une déf­i­ni­tion soi-dis­ant objec­tive, où chaque classe d’actifs se voit affec­tée d’un coef­fi­cient de risque. Les actions, sup­posées plus risquées, ont ain­si un coef­fi­cient qui évolue entre 39 % et 49 %, ce qui sig­ni­fie que l’assureur qui détient 100 euros d’actions, en représen­ta­tion d’engagements vis-à-vis des épargnants, doit mobilis­er au moins 39 à 49 euros de côté ! C’est tout à fait con­sid­érable et par­ti­c­ulière­ment néfaste à l’épargne à long terme. Dans la même logique, l’immobilier se voit attribuer un coef­fi­cient de 25 % ; l’or, les act­ifs réels sont pénal­isés dans les mêmes con­di­tions que les actions. En revanche, la déten­tion d’obligations d’État de la zone euro, étrange­ment réputées sûres (alors qu’il n’existe ni tré­sor com­mun ni prê­teur en dernier ressort), n’exige pas de met­tre des fonds pro­pres de côté. 

Bercy, Paris, France
Il y a quelques années, la presse pat­ri­mo­ni­ale bruis­sait des modifications
con­cer­nant le régime fis­cal de l’assurance-vie.
© Jérôme

Une logique qui favorise les grands groupes

Les effets défla­tion­nistes de cette funeste régle­men­ta­tion com­men­cent à se faire sen­tir. La plu­part des grands assureurs ne déti­en­nent presque plus d’actions ; l’épargne des con­trats en euros est très majori­taire­ment placée en oblig­a­tions d’État, au moment où les taux d’intérêt sont au plus bas depuis le xive siè­cle ! Dans la plu­part des groupes d’assurances, une cul­ture de con­trôle tatil­lonne de con­for­mité s’est imposée qui freine les ini­tia­tives, lim­ite le choix des pos­si­bles et con­duit en pra­tique à plac­er l’épargne des Français dans les pro­duits actuelle­ment les moins renta­bles et les plus exposés au risque en cas de remon­tée – prob­a­ble – des taux d’intérêt. Dans une logique qua­si prussi­enne de thésauri­sa­tion, on assiste ain­si à une véri­ta­ble course à la solv­abil­ité, comme si l’accroissement du ratio de solv­abil­ité pou­vait con­stituer en soi un objec­tif pour les souscrip­teurs de contrats. 

Pour l’épargnant, les conséquences sont à venir

Soucieux de lim­iter leur con­som­ma­tion de fonds pro­pres, les organ­ismes d’assurances cherchent ain­si à réduire la souscrip­tion de fonds en euros et ori­en­tent ain­si de façon impéra­tive les épargnants vers les place­ments en unités de compte. Dans nom­bre d’offres com­mer­ciales, la souscrip­tion d’un con­trat en euros clas­sique à cap­i­tal garan­ti est désor­mais liée au verse­ment de la prime sur un pan­el de sup­ports à cap­i­tal vari­able exposés aux aléas de la Bourse. Pour atténuer le stress, la déci­sion du client est encadrée de façon pseu­do-sci­en­tifique par dif­férents ques­tion­naires visant à cern­er le pro­fil de l’épargnant, tan­dis que des robots con­seillers four­nissent des allo­ca­tions types sur la base des per­for­mances passées. Tout un écosys­tème de Fin­tech, soutenu par les pou­voirs publics et les grandes ban­ques, prospère sur cette activité. 

Palais Brongniart
Le krach de 1987, l’éclatement de la bulle inter­net et la crise financière
ont durable­ment fâché les Français avec la Bourse.
© Plan­etEarth­Pic­tures

Un transfert du risque vers les clients

En soi, on ne peut que souhaiter que l’épargne des Français serve davan­tage au finance­ment de l’économie réelle, cepen­dant on ne peut que s’interroger sur les moyens employés. Les assureurs, qui trans­fèrent ain­si leurs risques sur les por­teurs fin­aux, déro­gent ain­si à leur mis­sion fon­da­men­tale de por­teurs des risques intergénéra­tionnels. En out­re, tous ceux qui ont l’expérience des cycles financiers ne man­queront pas d’être sur­pris de voir les épargnants canal­isés vers les marchés d’actions alors que ceux-ci affichent des records, poussés par des poli­tiques moné­taires qui ont main­tenu de façon arti­fi­cielle les taux d’intérêt au plus bas. Le krach de 1987, l’éclatement de la bulle inter­net et la crise finan­cière ont durable­ment fâché les Français avec la Bourse. Aujourd’hui, l’engagement des grands réseaux dans la pro­mo­tion des unités de compte sou­tient assuré­ment les cours, alors que les con­di­tions de marché peu­vent se retourn­er rapi­de­ment avec la remon­tée des taux d’intérêt et le ralen­tisse­ment du cycle économique. Il ne faudrait pas que l’histoire se répète… 

Ne pas confondre aléa et hétérogénéité

Quant à l’application des tech­nolo­gies de l’information à la ges­tion finan­cière, elle soulève beau­coup d’interrogations. La déci­sion d’investissement ne pour­ra jamais être mécan­isée. Les mod­èles d’allocation sont con­stru­its autour d’hypothèses fortes (liq­uid­ité du marché, neu­tral­ité de la mon­naie, pré­dictibil­ité des mou­ve­ments de prix) et reposent sur une con­fu­sion de principe entre aléa et hétérogénéité : ce que l’on peut déduire dans un sys­tème fer­mé, homogène, ne peut être trans­féré à la réal­ité his­torique. Tout récem­ment, les por­teurs de sicav investis dans les titres sub­prime notés AAA pou­vaient-ils penser que la valeur de leurs titres, réputés sûrs et faible­ment volatils, s’évaporerait en quelques jours ? Qui peut aujourd’hui être sûr du rem­bourse­ment des oblig­a­tions ital­i­ennes ou alle­man­des en euros ? L’intervention crois­sante des ban­ques cen­trales a ren­du l’économie de plus en plus sen­si­ble aux trous d’air, aux rup­tures bru­tales de ten­dance. Aucun mod­èle ne peut avoir une valeur pré­dic­tive en ce domaine. La ten­ta­tive de robo­t­i­sa­tion de la finance flat­te cer­taine­ment une cer­taine tech­nocratie à l’inconscient plan­i­fi­ca­teur ; à long terme, elle risque de favoris­er les com­porte­ments de foule et d’entraîner, comme le remar­que Hubert Rodarie dans ses ouvrages, une « mise en réson­nance » des portefeuilles. 

Euros
L’intervention crois­sante des ban­ques cen­trales a ren­du l’économie de plus
en plus sen­si­ble aux trous d’air, aux rup­tures bru­tales de ten­dance.
© Good­stock

Le contrat en euros, malgré tout

Dans ces con­di­tions, quels sont les choix offerts à l’épargnant ? Pour tous ceux qu’effraie la per­spec­tive de l’investissement bour­si­er, le con­trat d’assurance en euros demeure la panacée, sous réserve que les fonds pro­pres de l’entreprise d’assurances soient suff­isants pour pren­dre des posi­tions à long terme. Il per­met en effet d’obtenir des ren­de­ments réguliers adossés à un large éven­tail de class­es d’actifs : oblig­a­tions, actions, immo­bili­er, etc., avec l’assurance d’une pro­gres­sion régulière du cap­i­tal, l’organisme d’assurances jouant le rôle d’écran entre le marché et le tit­u­laire du con­trat. Certes, les normes Solv­abil­ité II ont con­sid­érable­ment réduit la marge de manœu­vre, compte tenu du coût asso­cié à la déten­tion d’actifs de long terme ; néan­moins, un petit nom­bre d’assureurs appar­tenant au secteur mutu­al­iste sont en mesure de pro­pos­er des con­trats adap­tés. Compte tenu de l’opacité qui entoure sou­vent la com­mu­ni­ca­tion sur les taux servis, une grande vig­i­lance est de mise. Trop d’assureurs procè­dent à un trans­fert de béné­fices entre dif­férentes généra­tions de con­trats pour pro­mou­voir de nou­velles offres com­mer­ciales alléchantes. De même, le mécan­isme de la pro­vi­sion pour par­tic­i­pa­tion aux béné­fices con­duit trop sou­vent, sous cou­vert de con­trôle des risques, à priv­er les pre­mières cohort­es de souscrip­teurs du ren­de­ment qui leur revient. La ges­tion d’un con­trat en euros doit s’accompagner de règles d’éthique qui con­duisent à can­ton­ner les act­ifs par généra­tion de con­trats (sans opér­er de trans­fert entre dif­férentes généra­tions de pro­duits) et de don­ner à chaque souscrip­teur ce qui lui revient (en réal­isant gradu­elle­ment les plus-val­ues latentes sur les place­ments à revenu variable). 

Des contrats en unités de compte avec de vraies garanties

Dans ce domaine, s’ils déci­dent d’élargir leur rôle au-delà du sim­ple gar­di­en­nage d’actifs, les assureurs ont pour­tant un savoir-faire qui leur donne une forte légitim­ité : le mécan­isme de l’assurance per­met de faire fruc­ti­fi­er une somme d’argent en Bourse tout en prévoy­ant les modal­ités de dévo­lu­tion suc­ces­so­rale, de pro­téger les béné­fi­ci­aires con­tre les krachs bour­siers par une clause de con­tre-assur­ance en cas de décès, etc. Pour trac­er leur chemin dans le nou­v­el envi­ron­nement régle­men­taire et fis­cal, les assureurs devront apporter davan­tage de légitim­ité pro­pre­ment assur­antielle, fondée sur la mise en avant de garanties aux épargnants. Quelques com­pag­nies se sont appro­priées cette approche, en pro­posant des con­trats en unités de compte assor­tis de garanties spé­ci­fiques, offrant une véri­ta­ble valeur ajoutée par rap­port à une offre clas­sique de compte de titres. Mal­gré une régle­men­ta­tion pro­fondé­ment défla­tion­niste dans sa dou­ble logique de con­trôle social et de pénal­i­sa­tion des investisse­ments longs, l’épargnant a donc encore de bonnes raisons de souscrire un con­trat d’assurance-vie.

Renon­cer aux ventes liées

La souscrip­tion de con­trats en unités de compte sup­pose un plus grand niveau d’expertise et ne devrait pas, selon nous, faire l’objet d’une vente liée (comme c’est sou­vent le cas) à la souscrip­tion d’un con­trat clas­sique en euros. Ce qui est en jeu, en effet, est-ce l’intérêt des souscrip­teurs de con­trats ou celui de l’organisme d’assurances ? En out­re, avec l’avènement de la flat tax qui égalise les pro­duits d’épargne, quel est l’intérêt de souscrire des pro­duits en unités de compte exposés à tous les aléas de marché comme les sicav et les place­ments bour­siers clas­siques, mais net­te­ment plus coû­teux compte tenu de la super­po­si­tion des dif­férentes couch­es de frais ? 

Des choix de réglementation coûteux pour l’Europe

Ce qui se passe dans l’assurance n’est qu’une facette de la ten­dance de la régle­men­ta­tion pru­den­tielle depuis la crise de 2008. Comme dans les années 30, l’Europe, sous pres­sion alle­mande, a priv­ilégié une approche pure­ment dis­ci­plinaire de con­trôle des activ­ités finan­cières. Faute de vision poli­tique com­mune, les enjeux économiques des choix de régu­la­tion ont été nég­ligés au prof­it d’une approche tech­nocra­tique des prob­lèmes. En l’absence de réponse moné­taire appro­priée, les con­traintes nou­velles mis­es sur le dos des ban­ques et des sociétés d’assurances ont logique­ment accen­tué le ralen­tisse­ment de l’économie. Ain­si, dix ans après la chute de Lehman Broth­ers, les États-Unis appa­rais­sent comme les grands gag­nants de la crise financière. 

La zone euro saura-t-elle rat­trap­er cette décen­nie per­due ? Rien n’est moins sûr. Le monde évolue rapi­de­ment ; les gains de pro­duc­tiv­ité per­mis par la tech­nolo­gie brisent les bar­rières ; l’Amérique, la Chine, l’Angleterre post Brex­it enga­gent de vastes plans d’investissement. Dans ce con­texte, nos class­es dirigeantes restent dépen­dantes de sché­mas intel­lectuels hérités des années 80 : l’intégration par le haut, l’homogénéisation des normes, la réduc­tion de la dette par la con­trac­tion de la demande interne, le ciblage de la poli­tique moné­taire sur l’inflation, etc. Pour sor­tir de la logique défla­tion­niste qui bride les con­sciences européennes et les empêche d’agir, il fau­dra ren­vers­er de nom­breux totems… 

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