Une Europe plus favorable à l’emploi

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°530 Décembre 1997Par : Sous la direction de Pierre MAILLET (43) et Wim KÖSTERSRédacteur : Jacques MAZIER, professeur à l’Université Paris-Nord

L’ouvrage édité par Pierre Mail­let Une Europe plus favor­able à l’emploi arrive à point à un moment où la per­spec­tive de la mon­naie unique pour 1999 appa­raît de plus en plus crédi­ble, où simul­tané­ment les prévi­sions en matière d’emploi demeurent très inquié­tantes en France comme dans la plu­part des pays européens et où toutes les méth­odes pro­posées pour lut­ter con­tre le chô­mage depuis plus de vingt ans sem­blent avoir échoué.

Les auteurs dressent tout d’abord un utile panora­ma du chô­mage européen et des poli­tiques d’emploi qui ont été mis­es en oeu­vre. Ils analy­sent ensuite quels sont les déter­mi­nants struc­turels et les enjeux de société qui con­di­tion­nent l’emploi : rôle du pro­grès tech­nique, place de la réduc­tion du temps de tra­vail, nature des nou­veaux emplois de ser­vice, risques de déséquili­bres régionaux, impact de la con­cur­rence inter­na­tionale et notam­ment de la con­cur­rence des pays à bas salaires, rigid­ités du marché de travail.

Après ce bilan clair et très bien doc­u­men­té, les auteurs tra­cent dans une dernière par­tie les grands axes d’une véri­ta­ble stratégie européenne pour l’emploi. Un pro­gramme volon­tariste, comme le souligne le sous-titre de l’ouvrage, où les auteurs mon­trent com­ment les poli­tiques com­munes (com­mer­ciale et moné­taire) et l’ensemble des inter­ven­tions à car­ac­tère struc­turel doivent être mobil­isées au ser­vice de l’emploi. Ceci implique d’adapter le cal­cul économique pour tenir compte du coût du chô­mage, de ren­dre plus cohérentes l’ensemble des déci­sions publiques et d’inscrire celles-ci dans une stratégie de moyen et long terme.

Les mes­sages de ce livre sont clairs. Le chô­mage a un car­ac­tère struc­turel en Europe et une sim­ple reprise de l’activité sera insuff­isante pour en venir à bout. Les élé­ments de réponse se trou­vent large­ment au niveau nation­al et la diver­sité des moyens d’action dont peu­vent dis­pos­er les dif­férents pays doit être mieux préservée.

Mais les répons­es se situent égale­ment au niveau com­mu­nau­taire. Les poli­tiques micro-économiques et macro-économiques doivent être mieux artic­ulées, les modal­ités de coor­di­na­tion des poli­tiques budgé­taires doivent être définies, surtout dans la per­spec­tive du pas­sage à la mon­naie unique qui doit avoir lieu selon l’échéancier prévu. Une stratégie d’ensemble cohérente doit être définie.

L’ouvrage a un dis­cours plus ciblé dans qua­tre direc­tions. Aux acteurs économiques et soci­aux il indique que des ajuste­ments sont néces­saires et doivent être abor­dés pos­i­tive­ment et non d’une manière pure­ment défen­sive. La finance doit être davan­tage mise au ser­vice de la prise de risque indi­vidu­el. Aux gou­verne­ments il est rap­pelé que les inter­dépen­dances ne peu­vent être réduites et doivent être mieux val­orisées à tra­vers une réelle coor­di­na­tion. Aux insti­tu­tions com­mu­nau­taires on souligne que la seule présen­ta­tion des bien­faits à atten­dre du marché unique et de la mon­naie unique ne suf­fit pas.

La poli­tique com­mu­nau­taire doit être présen­tée d’une manière plus pos­i­tive en se cen­trant sur quelques axes fon­da­men­taux. À la Con­férence inter­gou­verne­men­tale enfin, on mon­tre com­bi­en dans la morosité actuelle du cli­mat il est urgent de débouch­er sur des propo­si­tions sus­cep­ti­bles de recevoir l’adhésion de la pop­u­la­tion, notam­ment en matière d’emploi, même si cette ques­tion ne relève pas stricte­ment de son ordre du jour.

À de mul­ti­ples égards l’ouvrage coor­don­né par Pierre Mail­let est donc très stim­u­lant. Un de ses mérites est aus­si de résul­ter d’un tra­vail col­lec­tif regroupant plusieurs uni­ver­si­taires européens, avec une forte par­tic­i­pa­tion alle­mande. Des nuances d’appréciation appa­rais­sent par­fois au fil du texte entre les dif­férents auteurs, en par­ti­c­uli­er avec le pro­fesseur Wim Kösters, et sont claire­ment indiquées.

Tout en partageant les idées-forces de l’ouvrage, nous sommes ten­tés dans plusieurs cas de pouss­er plus loin le raison­nement de Pierre Mail­let en étant plus explicite dans les cri­tiques adressées au mode actuel de con­struc­tion européenne ou dans les propo­si­tions for­mulées. Nous nous lim­iterons à trois exemples.

Lorsque les auteurs par­lent de “ deux grandes mal­adress­es par omis­sion à cor­riger ” (oubli de tout objec­tif en matière d’emploi, accent mis sur la seule réal­i­sa­tion du grand marché au détri­ment de la cohérence des poli­tiques), on ne peut qu’approuver. Mais il ne s’agit pas d’un oubli mais du principe même de la relance de la con­struc­tion européenne depuis 1985 basée sur la seule libéra­tion des forces du marché. Il ne faut dès lors pas s’étonner que “ les poli­tiques d’accompagnement soient restées dans les limbes ”.

De même il est recon­nu que dans le cadre de la future Union économique et moné­taire “ le marché du tra­vail jouera un rôle sub­stantiel, et prob­a­ble­ment crois­sant, pour assur­er l’équilibre de l’emploi”. Mais les con­clu­sions que l’on peut en tir­er sont plus préoc­cu­pantes que les seules “ dif­fi­cultés à sur­mon­ter ” men­tion­nées par nos auteurs.

Une com­para­i­son avec le cas des États-Unis qui con­stituent depuis longtemps une union moné­taire achevée est instruc­tive. En cas de chocs n’affectant qu’un État ou une région, les ajuste­ments par les salaires et la pro­duc­tiv­ité sont insuff­isants pour retrou­ver l’équilibre. L’essentiel de l’ajustement est réal­isé par les trans­ferts de main‑d’oeuvre entre États ou entre régions et par le jeu des trans­ferts liés au fonc­tion­nement du bud­get fédéral.

Deux mécan­ismes absents dans le cas européen où la mobil­ité de la main‑d’oeuvre entre États est très lim­itée et où le bud­get com­mu­nau­taire est très faible (1.4 % du PIB), par com­para­i­son avec ce qui existe dans les États fédéraux. On peut dès lors crain­dre que dans la future Union européenne les déséquili­bres régionaux en matière d’emploi et de chô­mage ne s’accroissent, si rien n’est modifié.

Dernier exem­ple, on ne peut que souscrire au troisième scé­nario dit de “ stratégie coopéra­tive de stim­u­la­tion ” qui implique pour être réal­isé la mise en place d’un “ véri­ta­ble pou­voir économique européen ”. On con­naît mal­heureuse­ment les réti­cences de nos parte­naires européens, et en pre­mier lieu des Alle­mands, à un tel projet.

On peut se deman­der pourquoi les auteurs ne men­tion­nent pas un autre moyen, moins ambitieux, pour met­tre en oeu­vre cette stratégie coopéra­tive de stim­u­la­tion, le recours à un emprunt com­mu­nau­taire et l’acceptation du principe d’un déficit du bud­get communautaire.

Comme on le voit, l’ouvrage de Pierre Mail­let sus­cite la dis­cus­sion et ouvre des pistes sur des ques­tions dont l’actualité ne va faire que se ren­forcer dans les années à venir.

Un mot pour con­clure en indi­quant qu’une ques­tion, pour­tant cen­trale pour les prob­lèmes de l’emploi, est peu abor­dée dans le présent ouvrage. Il s’agit du thème de “ l’Europe à géométrie vari­able ” qui va se met­tre en place à par­tir de 1999. Mais cette ques­tion avait déjà été abor­dée dans un précé­dent ouvrage de Pierre Maillet.

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