Une alimentation durable : quels enjeux ?

Dossier : Agriculture et environnementMagazine N°657 Septembre 2010
Par Catherine ESNOUF (75)

REPÈRES

REPÈRES
Le défi ali­men­taire est d’assurer à la pop­u­la­tion une ali­men­ta­tion répon­dant à ses besoins qual­i­tat­ifs et quan­ti­tat­ifs dans un con­texte de développe­ment durable. Les ter­mes de l’équation mon­di­ale de la suff­i­sance ali­men­taire sont con­nus : la planète devra assur­er l’alimentation de plus de 9 mil­liards d’individus en 2050, sat­is­faire en out­re des deman­des non ali­men­taires accrues compte tenu de la raré­fac­tion crois­sante des éner­gies fos­siles, tout cela dans le cadre d’un développe­ment respectueux de l’environnement et des hommes.

La ques­tion de l’al­i­men­ta­tion durable intè­gre à la fois la capac­ité à assur­er la sat­is­fac­tion des besoins vitaux d’une part, et les con­di­tions d’ori­en­ta­tion du sys­tème ali­men­taire mon­di­al vers le respect des trois piliers d’un développe­ment durable. Les enjeux sont multiples.

Mesur­er l’im­pact des change­ments sur les sys­tèmes alimentaires

Il s’ag­it non seule­ment de nour­rir l’ensem­ble de la pop­u­la­tion mon­di­ale, mais aus­si de lim­iter les patholo­gies de la sur­nu­tri­tion, comme de la mal­nu­tri­tion et de la dénu­tri­tion des gens âgés ; de réduire les iné­gal­ités face à l’al­i­men­ta­tion et à la san­té dans les pays dévelop­pés comme dans les pays en développe­ment ; de maîtris­er l’im­pact écologique des sys­tèmes ali­men­taires, en préser­vant les milieux naturels plus ou moins anthropisés, en min­imisant l’émis­sion de gaz à effet de serre ; de main­tenir le développe­ment économique et l’emploi (les indus­tries ali­men­taires sont le pre­mier secteur indus­triel français et le deux­ième employeur), con­di­tion d’une acces­si­bil­ité des ali­ments au plus grand nom­bre ; enfin de mesur­er l’im­pact des change­ments globaux sur les sys­tèmes ali­men­taires, et en par­ti­c­uli­er leur résilience par rap­port aux insta­bil­ités écologiques et économiques. 

Un défi mondial et polymorphe

Un out­il de prospective
L’opération Agri­monde a été menée de 2006 à fin 2008 par une équipe INRA-CIRAD. Elle répondait à trois objec­tifs : définir les bases d’une réflex­ion stratégique per­me­t­tant d’orienter la recherche agronomique ; créer les out­ils per­me­t­tant des débats et inter­ac­tions utiles au plan nation­al ; pro­mou­voir le rôle des experts français sur la scène inter­na­tionale. Un rap­port de syn­thèse peut être téléchargé depuis l’adresse : www.paris.inra.fr/prospective/
accueil/actualites/agrimondesia

La prospec­tive Agri­monde menée con­join­te­ment par le CIRAD et l’IN­RA et dont les résul­tats vien­nent d’être présen­tés mon­tre qu’il est pos­si­ble de relever le défi ali­men­taire, sous réserve que cer­taines con­di­tions soient sat­is­faites, en par­ti­c­uli­er une aug­men­ta­tion durable des ren­de­ments du côté de l’of­fre et une amélio­ra­tion des taux d’u­til­i­sa­tion des pro­duits agri­coles aux dif­férents stades, en inclu­ant la réduc­tion des pertes et gaspillages, de la sor­tie de l’ex­ploita­tion à l’assi­ette du con­som­ma­teur, et une éventuelle réduc­tion ou mod­i­fi­ca­tion des régimes ali­men­taires du côté de la demande. Néan­moins l’al­i­men­ta­tion est un sys­tème bien plus com­plexe que la seule sat­is­fac­tion quan­ti­ta­tive et san­i­taire des besoins nutri­tion­nels : le sys­tème mon­di­al est aus­si pro­fondé­ment cul­turel, con­sumériste, social, économique et local. Une par­tic­u­lar­ité de ce domaine est le croise­ment entre les choix indi­vidu­els qui déter­mi­nent chaque ali­men­ta­tion, et la grande var­iété d’ac­teurs socioé­conomiques depuis la pro­duc­tion jusqu’au con­som­ma­teur. La con­séquence est que cha­cun appréhende dif­fi­cile­ment son impact sur la dura­bil­ité des sys­tèmes alimentaires. 

Pertes et gaspillages

Ali­men­ta­tion et énergie
Si on com­pare deux scé­nar­ios de con­som­ma­tion, l’un avec une pour­suite ten­dan­cielle de l’aug­men­ta­tion de calo­ries d’o­rig­ine ani­male et un régime inchangé dans les pays de l’OCDE, et l’autre avec une réduc­tion de 25% des calo­ries disponibles dans les pays de l’OCDE et une divi­sion par deux des calo­ries d’o­rig­ine ani­male (1200 à 500 kcal.hab/j) dans ces mêmes pays, les besoins agri­coles mon­di­aux en 2050 passent de 53000 Gcal/jour à 37000 Gcal/j.

En ter­mes quan­ti­tat­ifs, il est impor­tant de dis­tinguer les disponi­bil­ités appar­entes, qui sont les quan­tités pro­duites, ten­ant compte des imports-exports et des stocks, des con­som­ma­tions réelles. Elles ne tien­nent pas compte des pertes et gaspillages (estimés entre 30% et 50% dans les pays dévelop­pés, en par­ti­c­uli­er au stade de la con­som­ma­tion). Elles ne représen­tent donc que d’une façon impar­faite la con­som­ma­tion ; ain­si la disponi­bil­ité appar­ente dans les pays dévelop­pés est de l’or­dre de 3500 à 4000 kcal/jour alors que les besoins moyens sont de 2 000 kcal/jour. Toute­fois, au niveau mon­di­al, seules ces don­nées sont disponibles.

Le poids des régimes alimentaires, clé des analyses

Les lim­ites des approches actuelles pour inté­gr­er les trois piliers du développe­ment durable (économique, social et envi­ron­nemen­tal) et pro­pos­er des instru­ments d’ar­bi­trage sont nom­breuses. Les sys­tèmes con­sid­érés par les ACV (Analy­ses de cycle de vie) sont dif­fi­cile­ment applic­a­bles aux régimes car ne ten­ant pas compte de la sub­sti­tu­tion de pro­duits (par exem­ple fruit-pâtis­serie). Ils sont dif­fi­cile­ment applic­a­bles au niveau des nations, des fil­ières et des con­som­ma­teurs. On note aus­si l’ab­sence de méth­odes pour inté­gr­er l’en­vi­ron­nement, l’ef­fi­cac­ité économique et l’im­pact social.


Pour avancer dans l’i­den­ti­fi­ca­tion des enjeux majeurs, nous pro­posons une entrée par la notion de régime ou style ali­men­taire, à savoir la com­bi­nai­son des ali­ments con­som­més par un indi­vidu et des pra­tiques de con­som­ma­tion. Cette entrée doit per­me­t­tre une approche inté­grée des fac­teurs qui con­di­tion­nent l’of­fre et la demande ali­men­taires (inclu­ant tous les déter­mi­nants com­plex­es du com­porte­ment des con­som­ma­teurs) et de traiter de façon per­ti­nente leurs effets sur la santé.

Hypothèses et questionnements

Les modes de con­som­ma­tion peu­vent faire évoluer les sys­tèmes, sans pour autant être les seuls déter­mi­nants des évo­lu­tions. On sait qu’ils évolu­ent à des rythmes très vari­ables selon les cas, sont déter­minés par des rou­tines sociales et affec­tives qui jouent sur l’ef­fi­cac­ité des mes­sages d’in­for­ma­tion et de recom­man­da­tions. On peut faire toute­fois des hypothès­es d’évo­lu­tion des com­porte­ments, qui auront des con­séquences sur l’ensem­ble de la chaîne, aux dif­férentes échelles, nationales, régionales, de chaque unité de pro­duc­tion ou de transformation.

Le sys­tème mon­di­al est cul­turel, con­sumériste, social, économique et local

Si l’on fait l’hy­pothèse d’une meilleure adap­ta­tion aux recom­man­da­tions nutri­tion­nelles, par exem­ple par une réduc­tion de la con­som­ma­tion moyenne de vian­des (ce qui a égale­ment un effet sur les con­som­ma­tions d’én­ergie et d’eau des sys­tèmes de pro­duc­tion), on devra s’in­ter­roger sur les pri­or­ités envi­ron­nemen­tales que l’on se donne et donc les types d’ex­ploita­tions à priv­ilégi­er (inten­sif vs exten­sif, ani­maux laitiers vs à viande ou mixte, races à lipogenèse mod­érée lim­i­tant les dépôts gras des vian­des), leur local­i­sa­tion, et par con­séquent la recon­ver­sion des exploita­tions y com­pris vers des fonc­tions de chimie verte, la ges­tion des ter­ri­toires en déprise agricole. 

Nouveaux comportements

Régimes moins carnés
Du point de vue du con­som­ma­teur, une réduc­tion de la con­som­ma­tion de vian­des con­duirait à une mod­i­fi­ca­tion de repères, éventuelle­ment cul­turels, au besoin d’un rééquili­brage nutri­tion­nel de la ration, en par­ti­c­uli­er pour des pro­téines d’o­rig­ine ani­male facile­ment assim­i­l­ables, et bien équili­brées en acides aminés, par les sujets âgés.

Cul­tures biologiques
Une aug­men­ta­tion mas­sive de la demande d’a­gri­cul­ture biologique fait par­tie des hypothès­es à étudi­er. On devra en par­ti­c­uli­er s’in­ter­roger sur l’emprise en sur­face que cela génère, d’où un impact sur les ren­de­ments des exploita­tions tra­di­tion­nelles pour main­tenir la pro­duc­tion quantitative.


Si l’on fait l’hy­pothèse d’une aug­men­ta­tion mas­sive de la restau­ra­tion hors foy­er, ce qui sera au moins vrai pour les pop­u­la­tions âgées en insti­tu­tion, on peut s’in­ter­roger sur l’im­pact sur les fac­teurs du développe­ment durable des sys­tèmes ali­men­taires cor­re­spon­dants, sur des con­traintes san­i­taires ren­for­cées et coû­teuses, sur l’adap­ta­tion des sys­tèmes amont de pro­duc­tion, de dis­tri­b­u­tion et la dynamique urbaine cor­re­spon­dante. Si l’on fait l’hy­pothèse d’une aug­men­ta­tion du niveau de vie dans les pays du Sud, quels mod­èles de con­som­ma­tion émerg­eront et quelles con­séquences envi­ron­nemen­tales de la prop­a­ga­tion mas­sive d’un com­porte­ment de type occi­den­tal à forte con­som­ma­tion de pro­téines ani­males ? On a en effet sys­té­ma­tique­ment observé, dans le passé et au niveau mon­di­al, une aug­men­ta­tion de la con­som­ma­tion de pro­duits ani­maux avec l’élé­va­tion du niveau de vie. Enfin, si une biolo­gie humaine pré­dic­tive se développe forte­ment, à par­tir de la disponi­bil­ité de fortes capac­ités de phéno­ty­page et de géno­ty­page, il faut prévoir com­ment sat­is­faire les besoins d’une ali­men­ta­tion individualisée.


Quel sera le devel­oppe­ment de la restau­ra­tion hors foyer ?
© Christophe Maitre

Économie, santé et écologie

L’analyse de ces quelques hypothès­es d’évo­lu­tions amène de nou­velles ques­tions. En effet, les sys­tèmes de pro­duc­tion-trans­for­ma­tion dépen­dent des régimes ali­men­taires et des pra­tiques de con­som­ma­tion. Récipro­que­ment, l’of­fre influ­ence les régimes alimentaires.

Les modes de con­som­ma­tion sont déter­minés par des rou­tines sociales

Pour cha­cun de ces mod­èles de con­som­ma­tion, quels sont les élé­ments sig­ni­fica­tive­ment mod­i­fiés par rap­port à l’é­tat actuel des impacts envi­ron­nemen­taux, économiques et soci­aux (inclu­ant les aspects nutri­tion-san­té) ? Ces nou­veaux mod­èles ontils le poten­tiel d’être plus ou moins durables que les sys­tèmes actuels ? Autre nature de préoc­cu­pa­tions : quels out­ils de suivi à long terme sont néces­saires par la com­bi­nai­son de don­nées socio-économiques, de don­nées de san­té publique et de pres­sion sur les milieux naturels ?

Boeuf : 30 kg éq. CO2 Blé : 0,34 kg éq. CO2 Vache de réforme : 10 kg éq. CO2
Ressources néces­saires pour 1 kg d’al­i­ment (source Ademe)

Urbanisation et espace rural

Effet de serre
On sait aujour­d’hui que le déplace­ment des con­som­ma­teurs vers leurs lieux d’ap­pro­vi­sion­nement (dis­tance moyenne de 25 km en France) a un impact majeur sur l’émis­sion de gaz à effet de serre.

Au niveau de l’or­gan­i­sa­tion des fil­ières, la ques­tion des dynamiques urbaines et de la local­i­sa­tion des unités de pro­duc­tions-trans­for­ma­tion- dis­tri­b­u­tion est déter­mi­nante. Au regard des dynamiques majeures d’ur­ban­i­sa­tion et d’oc­cu­pa­tion de l’e­space rur­al dans les pays dévelop­pés et dans les pays émer­gents, il con­vient d’an­ticiper les con­séquences poten­tielles pour leur appro­vi­sion­nement ali­men­taire. Autres ques­tions à traiter : quel sera, sur la dis­tri­b­u­tion ali­men­taire, l’im­pact de nou­veaux modes d’or­gan­i­sa­tion de la ville ? Et quelle serait la local­i­sa­tion opti­male des pro­duc­tions au regard des évo­lu­tions des con­som­ma­tions, de la ges­tion des ter­ri­toires, de la con­som­ma­tion de biens locaux (eau, con­flits d’usages) et de la logis­tique et la distribution ?

Changer les comportements

Au niveau de l’évo­lu­tion des pra­tiques de con­som­ma­tion, le pre­mier enjeu est d’i­den­ti­fi­er les fac­teurs per­me­t­tant des dynamiques d’évo­lu­tion des com­porte­ments des consommateurs,

La ques­tion des dynamiques urbaines et de l’usage des ter­res est déterminante

de l’évo­lu­tion de leurs pra­tiques rou­tines, de la hiérar­chie des enjeux qui influ­en­cent leurs achats et modes de con­som­ma­tion, en ten­ant compte de l’im­pact de pertes de repères cul­turels ali­men­taires, du brouil­lage des con­nais­sances ali­men­taires des pop­u­la­tions, des capac­ités de choix liées aux modes de restau­ra­tion (RHF).

Autre domaine d’analyse : prévoir les mod­i­fi­ca­tions impor­tantes pou­vant être issues des évo­lu­tions agroal­i­men­taires (tech­niques).

Enjeux politiques et sociaux

La respon­s­abil­ité des entreprises
L’of­fre des entre­pris­es pro­duc­tri­ces, des détail­lants, des dif­férentes formes de restau­ra­tion col­lec­tives va évoluer avec l’in­té­gra­tion de critères de respon­s­abil­ité sociale et envi­ron­nemen­tale. Il faut être en mesure d’en éval­uer les résul­tats et donc dévelop­per des méth­odes adap­tées. En par­ti­c­uli­er, on peut se deman­der si, en s’en­gageant dans des démarch­es de développe­ment durable, de respon­s­abil­ité sociale, d’é­co­con­cep­tion, les entre­pris­es vont insuf­fler de nou­veaux modes de con­som­ma­tion plus durables.

La ques­tion clé est évidem­ment de déter­min­er dans quelle mesure des poli­tiques publiques peu­vent avoir des effets struc­turels sur les modes de con­som­ma­tion, de pro­duc­tion et les rela­tions à l’en­vi­ron­nement. Dans quelle mesure, par exem­ple, les régle­men­ta­tions san­i­taires ont un impact sur les con­som­ma­tions énergé­tiques liées au froid et les pertes à la dis­tri­b­u­tion ou la con­som­ma­tion ? Une amélio­ra­tion d’im­pacts envi­ron­nemen­taux ne peut-elle con­duire à dégrad­er les fac­teurs économiques ou soci­aux ? Citons le cas de com­man­des et livraisons à domi­cile con­duisant à la perte d’un lien social pour les per­son­nes frag­ilisées. Évo­quons encore l’aug­men­ta­tion des prix des den­rées ren­forçant l’ex­clu­sion des per­son­nes défa­vorisées et accen­tu­ant le déséquili­bre de leur régime ali­men­taire et aug­men­tant le coût des dépens­es de santé.

Tous ces enjeux, toutes ces ques­tions méri­tent d’être analysés et éclairés par la recherche mais aus­si par les acteurs économiques et sociaux.

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Zask­ia Mousseaurépondre
21 juillet 2017 à 3 h 34 min

Recherche d’in­for­ma­tion sur Con­som­ma­tion respon­s­able
Bon­jour
Je suis étu­di­ante dans un Mas­ter de Recherche sur Economie Sociale et Sol­idaire en Equa­teur. Je suis fran­co-équa­to­ri­enne. Dans le cadre du mas­ter, je dois réalis­er une recherche, mon sujet est la con­som­ma­tion respon­s­able, qui va de la main avec les dif­fer­entes tem­a­tiques que vous abor­dez dans cet arti­cle. S’il vous plait, qui peut me dire si vous aviez devel­op­pé ces thematiques ?
Est-ce que je peux avoir acces aux resul­tats de vos recherch­es ? je vous remer­cie de votre aimable atten­tion et de votre réponse.
Bien cordialement,
Zaskya Mousseau
Equateur. 

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