Jean-Baptiste Djebbari, une ministre à l'Executive Master de l'X

Un ministre à l’Executive Master de l’X

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°770 Décembre 2021
Par Nicolas MOTTIS (D93)

L’Executive Mas­ter de l’X a inté­gré dans sa 4e pro­mo­tion Jean-Bap­tiste Djeb­ba­ri, actuel ministre délé­gué aux Trans­ports, qui a sui­vi le par­cours dans un contexte par­ti­cu­liè­re­ment char­gé. Regards croi­sés sur l’intérêt de se for­mer pour un res­pon­sable poli­tique de haut niveau et sur ce qu’une for­ma­tion comme l’Exe­cu­tive Mas­ter peut appor­ter pour struc­tu­rer une pen­sée stra­té­gique sur les enjeux d’innovation.

Nicolas Mottis : Jean-Baptiste, tu avais postulé à l’Executive Master de l’X lorsque tu étais député et ton raisonnement lors de l’entretien nous avait paru très intéressant. Grosso modo, l’idée était que, en tant que députés à l’Assemblée, vous êtes assez démunis sur les questions techniques sur lesquelles vous devez vous exprimer. Du coup, vous dépendez soit des directions techniques des ministères, ce qui pose question sur l’indépendance législatif-exécutif, soit des travaux de consultants. Peux-tu élaborer un peu sur ce point ?

Jean-Bap­tiste Djeb­ba­ri : Il faut com­prendre que l’élection de 2017 a été une véri­table révo­lu­tion dans la vie poli­tique fran­çaise. Une nou­velle géné­ra­tion d’élus a émer­gé et inves­ti l’Assemblée natio­nale. Nous sommes arri­vés sans par­ti poli­tique struc­tu­ré, sans assis­tant par­le­men­taire, sans spé­cia­liste sec­to­riel. Pour ma part, je me suis rapi­de­ment inté­res­sé aux sujets de trans­ports et d’énergie. J’ai été nom­mé coor­don­na­teur poli­tique de la com­mis­sion du déve­lop­pe­ment durable et j’ai été assis­té, à cette occa­sion, par des admi­nis­tra­teurs de l’Assemblée. Je me suis rapi­de­ment aper­çu que l’approche était essen­tiel­le­ment légis­la­tive et régle­men­taire. J’ai alors sen­ti le besoin de mettre à jour mes connais­sances tech­niques sur de nom­breux sujets.

“Renforcer l’expertise technique
des députés, c’est renforcer l’indépendance du Parlement et la vitalité
de notre régime démocratique.”

Par ailleurs, la Cin­quième Répu­blique a ren­for­cé le pou­voir de l’exécutif, fai­sant sou­vent du Par­le­ment l’antichambre du Gou­ver­ne­ment. Dès lors, les dépu­tés de la majo­ri­té ont ten­dance à coor­don­ner leurs tra­vaux avec le Gou­ver­ne­ment. De plus, dans nos socié­tés de l’instantanéité, les textes de loi impor­tants sont éla­bo­rés sous l’œil des médias. Il est donc néces­saire de s’approprier très vite les don­nées d’un sujet pour se for­ger sa propre opi­nion. Le défaut de com­pé­tence tech­nique peut conduire à être une proie facile pour les lob­bys. Ren­for­cer l’expertise tech­nique des dépu­tés, c’est donc ren­for­cer l’indépendance du Par­le­ment et, en consé­quence, la vita­li­té de notre régime démocratique.

Ces élé­ments com­bi­nés m’ont conduit à cher­cher une for­ma­tion com­plé­men­taire à celles que j’avais déjà pu faire dans le champ des poli­tiques publiques ou de la géo­po­li­tique. L’Executive Mas­ter de l’X, que j’ai com­pa­ré à beau­coup d’autres, m’a paru être le bon choix en termes de conte­nu et de for­mat. Et je ne le regrette vrai­ment pas !

Tu as été nommé secrétaire d’État quelques jours avant le démarrage de la troisième promotion de l’Executive Master de l’X en septembre 2019. Tu m’as appelé pour me dire que ça allait être compliqué, mais que tu tenais vraiment à te former. On a donc reporté l’intégration. Peu de temps avant le démarrage de la quatrième promotion, tu as été nommé ministre délégué et, contrairement à ce que j’anticipais, tu as décidé de plonger quand même. Et je dois dire que tu as respecté le contrat. Je t’avais bien dit que tu serais traité comme les autres et que la présence était obligatoire. Donc, une question qu’on nous a souvent posée et qui s’applique à beaucoup de dirigeants en fait : c’est possible de se former quand on a une telle pression sur son agenda ?

Quand on prend un enga­ge­ment, il faut être clair sur ses objec­tifs et sa moti­va­tion. Je ne suis pas venu cher­cher un label ou un réseau pro­fes­sion­nel. Je suis venu « m’augmenter » sur le plan des connais­sances tech­niques et com­prendre les res­sorts de la ges­tion de l’innovation.

Je me connais suf­fi­sam­ment pour savoir quels enga­ge­ments je peux tenir. J’anticipais que la pre­mière année au gou­ver­ne­ment néces­si­te­rait une période intense d’apprentissage. J’ai rapi­de­ment eu des crises et des dos­siers de fond à trai­ter. À l’été 2020, j’avais déjà un an dans le poste. Je connais­sais les poli­tiques publiques, les acteurs publics et pri­vés, les dif­fé­rents éco­sys­tèmes. J’avais une équipe dis­po­nible, moti­vée et com­pé­tente. Les condi­tions étaient donc réunies. J’ai évi­dem­ment satis­fait à tous mes enga­ge­ments poli­tiques en termes de pré­sence au Par­le­ment, aux conseils des ministres et aux conseils de défense, par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux à l’occasion de la crise sanitaire.

Mais, sur­tout, j’ai la convic­tion que se for­mer, c’était gagner du temps. Cela per­met de mieux com­prendre les évo­lu­tions tech­niques à l’œuvre, de lier les enjeux sec­to­riels entre eux, de dis­tin­guer l’accessoire de l’essentiel, d’avoir une com­pré­hen­sion plus holiste du monde ; en une phrase, de gagner de l’efficacité et de la jus­tesse dans l’action. C’est aus­si une bulle d’oxygène et d’ouverture avec des cama­rades de pro­mo­tion qui vivent dans d’autres mondes pro­fes­sion­nels et ont une parole com­plè­te­ment libre.

Convaincre les dirigeants de ton niveau de dégager du temps pour venir se former est souvent un vrai défi en France. C’est un facteur que je n’ai pas autant observé aux États-Unis ou en Allemagne par exemple. Qu’est-ce que l’X devrait leur dire pour les convaincre ?

Nos socié­tés connaissent les trans­for­ma­tions tech­no­lo­giques les plus rapides à l’échelle de l’ère indus­trielle. C’est notam­ment le cas dans les sec­teurs de la san­té, de l’énergie, des trans­ports, du spa­tial, etc. Ces trans­for­ma­tions sont puis­sam­ment accé­lé­rées par la numé­ri­sa­tion et de plus en plus condi­tion­nées – et c’est heu­reux – par l’impératif envi­ron­ne­men­tal. Un diri­geant devrait, à mon sens, faire l’effort de mettre à jour ses connais­sances sur les grandes évo­lu­tions tech­niques contem­po­raines et les pro­ces­sus d’innovation. L’X a tous les atouts pour être cette école de l’excellence de l’enseignement scien­ti­fique au ser­vice des diri­geants de notre pays, à tout moment de leur car­rière, et quelle que soit leur for­ma­tion initiale.

À titre per­son­nel, je suis même convain­cu que ce type de for­ma­tion devrait être obli­ga­toire pour les déci­deurs publics, voire condi­tion­ner l’accès à cer­tains postes à res­pon­sa­bi­li­té, un peu à l’instar de ce qui est fait à l’École de guerre. Notre pays repose encore trop sur le culte du diplôme ini­tial. Le fonc­tion­ne­ment d’un tel sys­tème est sous-opti­mal pour la socié­té et géné­ra­teur de frus­tra­tions chez les indi­vi­dus. De ce point de vue, les sys­tèmes anglo-saxon et alle­mand sont des sources d’inspiration utiles.

À la lumière des modules « État de l’art » suivis dans le programme sur une douzaine de grands domaines d’innovation (énergies nouvelles, IA, IoT, data, nouveaux matériaux, biomimétisme, industrie 4.0, etc.), comment évalues-tu la compréhension des grands enjeux d’innovation par la classe politique française en général ? 

J’ai sui­vi un cur­sus scien­ti­fique, je lis abon­dam­ment sur les grands domaines d’innovation et pour­tant j’ai beau­coup appris – ou réap­pris – dans le cadre du pro­gramme. Il y a bien sûr des excep­tions fameuses dans la classe poli­tique fran­çaise – comme Cédric Vil­la­ni –, mais disons que, à la lumière de mon expé­rience, la marge de pro­grès est importante !

Toujours à la lumière des enseignements suivis, quelles perspectives en retires-tu sur les forces et faiblesses de la France en matière d’innovation, aussi bien sur le plan technique que sur le plan managérial, car l’objectif du programme est bien de montrer l’importance d’une bonne articulation de ces deux dimensions ?

J’ai un sen­ti­ment ambi­va­lent. Par­tout dans le ter­ri­toire, j’ai vu des entre­pre­neurs, des sala­riés, des agents publics, des indé­pen­dants, faire œuvre de vision, de créa­ti­vi­té et d’excellence dans l’exécution. Mais j’ai aus­si vu une bureau­cra­tie tatillonne – qu’elle soit publique ou pri­vée – perdre le sens des choses et des prio­ri­tés, pen­ser le pro­ces­sus pour lui-même. In fine, j’ai vu beau­coup d’acteurs socio-éco­no­miques perdre du temps, gâcher des res­sources humaines et finan­cières, man­quer des occasions.

J’ai aus­si vu le manque d’interpénétration, de rétro­ac­tions posi­tives, entre le monde de la recherche et les acteurs publics et pri­vés. L’innovation est pro­duite en silo et le jeu est fai­ble­ment par­te­na­rial. Il n’est pas rare que les entre­prises viennent opti­mi­ser leur bud­get de recherche auprès des gui­chets publics, tan­dis que l’acteur public cherche à mini­mi­ser les dépenses publiques au lieu de maxi­mi­ser l’utilité sociale. Cela a pu conduire à des échecs patents pour nos entre­prises et notre pays.

Enfin, il y a cer­tai­ne­ment une dimen­sion cultu­relle. Il faut revi­go­rer notre esprit de conquête, faire de la créa­ti­vi­té et de l’échec des moteurs de notre réus­site collective. 

Pour creuser un peu cette question de management, en France on pose souvent la question de la compétitivité technologique quasi exclusivement sous l’angle des moyens budgétaires, publics ou privés. S’il est vrai que la France investit toujours beaucoup moins en R & D que l’Allemagne par exemple, des travaux de recherche ont aussi montré qu’il n’y avait pas de corrélation entre le niveau de dépense et la performance dans ce domaine. Que devrait-on changer dans les politiques publiques ou les méthodes de management pour améliorer nos performances ?

J’ai beau­coup étu­dié le modèle des agences amé­ri­caines qui, au-delà des moyens finan­ciers, mettent l’accent sur la ges­tion souple des pro­grammes, le bras­sage des cultures, le pilo­tage par le résul­tat, l’assemblage intel­li­gent de briques technologiques.

À cette fin, j’ai récem­ment créé une agence d’innovation dans les trans­ports. Elle veut être un faci­li­ta­teur de la per­for­mance du sec­teur, notam­ment pour des pro­jets de rup­ture (avion décar­bo­né, mobi­li­té hydro­gène, etc.). On gagne­rait beau­coup avec des pro­cess plus simples, plus agiles et struc­tu­rés autour de prio­ri­tés capi­ta­li­sant sur les forces de notre recherche.

Deux questions personnelles pour conclure : dans tout ce que tu as vu, quel a été le domaine d’innovation qui t’a le plus surpris, stimulé ? Et finalement, si tu as parlé avec tes collègues du gouvernement ou avec le Président de ce parcours de formation de l’Executive Master de l’X, quelles ont été leurs réactions ?

Je me suis pas­sion­né pour le domaine de l’énergie et j’ai l’impression d’être loin d’être gué­ri. S’agissant de la for­ma­tion, je n’en ai pas encore par­lé au Pré­sident de la Répu­blique, mais je vais lui envoyer ce papier et je vous dirai sa réac­tion au pro­chain numéro !

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