Un panda

Un aperçu de la pensée chinoise à partir de Confucius et de Laozi

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003Par : Xiaowei Hervé SUN (80)

Confucius et le confucianisme

Confucius et le confucianisme

Con­fu­cius a vécu vers la fin de la dynas­tie Zhou antique dite Print­emps et Automnes et au début d’une longue péri­ode de guer­res en Chine entre les dif­férentes prin­ci­pautés féo­dales appelées Roy­aumes com­bat­tants par les his­to­riens chi­nois. Cette péri­ode trou­ble (Ve-IIIe siè­cle avant Jésus-Christ), qui s’ache­va par l’u­ni­fi­ca­tion de la Chine en 221 avant J.-C. avec la fon­da­tion de la dynas­tie Qin, a été un âge d’or de la pen­sée chi­noise. Le con­fu­cian­isme, né dans ce con­texte, se don­na pour mis­sion de fournir des con­seils aux princes et d’é­du­quer les hommes afin de préserv­er et restau­r­er le sys­tème ances­tral de la Chine féo­dale, sys­tème idéal, con­forme à la Voie du Ciel, aux yeux de Confucius.

Con­fu­cius n’a rien écrit de son vivant. Il trans­met son enseigne­ment dans les écoles qu’il a fondées de manière orale. Con­for­mé­ment à son enseigne­ment, “faire d’abord ce qu’il veut enseign­er, ensuite il enseigne”, il est lui-même l’ex­em­ple à suiv­re pour ses dis­ci­ples. Les oeu­vres con­nues de nos jours ont été écrites par ses dis­ci­ples : Entre­tiens (terme chi­nois Lun­yu), Grande Étude (terme chi­nois Dax­ue), Juste milieu (terme chi­nois Zhongy­ong). Entre­tiens est un livre qui rap­porte les dis­cours et les vécus de Con­fu­cius. C’est le témoignage le plus vivant qui nous soit par­venu sur sa per­son­nal­ité et son enseignement.

Ain­si, le con­fu­cian­isme s’ar­tic­ule autour des axes de préoc­cu­pa­tion suivants :

  • l’homme de bien (terme chi­nois Jun­zi),
  • la ver­tu (terme chi­nois Ren),
  • l’art de gouverner.


Le con­fu­cian­isme con­sid­ère l’homme de bien comme un idéal. Un homme de bien est doté de toutes les qual­ités. C’est un homme qui agit suiv­ant la Ver­tu. Il s’op­pose à l’homme de peu (terme chi­nois Xiaoren). L’art de gou­vern­er réside dans la qual­ité du prince en tant qu’homme de bien et qui agit suiv­ant les rites ances­traux con­for­mé­ment à la Voie du Ciel.

L’homme de bien

Un homme quel­conque peut devenir un homme de bien ou au moins s’en approcher par l’é­tude et l’ap­pren­tis­sage et par la pra­tique sans relâche. Entre­tiens four­nit un ensem­ble de pra­tiques (cf. extraits ci-après) con­crètes per­me­t­tant d’a­gir en homme de bien.

Étude et apprentissage

  • Appren­dre quelque chose pour pou­voir le vivre à tout moment, n’est-ce pas là source de grand plaisir ? Recevoir un ami qui vient de loin, n’est-ce pas la plus grande joie ? Être mécon­nu des hommes sans en pren­dre ombrage, n’est-ce pas le fait de l’homme de bien ?
  • Appren­dre sans éprou­ver la satiété, enseign­er sans se lasser.
  • Mon inquié­tude : ne pas édu­quer le sens moral, ne pas pro­gress­er dans l’é­tude, ne pas appli­quer la jus­tice et accom­plir la générosité, ne pas cor­riger les fautes commises.
  • Si je voy­age avec deux com­pagnons, tous deux peu­vent me servir de maîtres. J’ex­am­ine ce que le pre­mier a de bon et je l’imite ; les défauts du sec­ond, je tâche de les cor­riger en moi-même.
  • Étudi­er sans réfléchir est vain, réfléchir sans étudi­er est dangereux.
     

Con­nais­sance et savoir

  • Savoir véri­ta­ble : sait ce que l’on sait et sait ce que l’on ne sait pas.
  • Exam­in­er ce qu’il fait, exam­in­er com­ment il s’y prend pour faire ce qu’il fait, exam­in­er la rai­son pour laque­lle il fait ce qu’il fait : com­ment peut-on ne pas le connaître ?
     

Parole et action

  • L’homme de bien par­le avec cir­con­spec­tion, agit avec promptitude.
  • Faire d’abord ce qu’il veut enseign­er, ensuite il enseigne.
     

Soi et les autres

  • Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse à vous-même.
  • L’homme de bien attend tout de lui-même. L’homme de peu attend tout des autres.
  • Ne crains pas d’être mécon­nu des autres (de ses pro­pres qual­ités), crains de ne pas con­naître les autres (leurs qualités).
  • L’homme de bien exprime son opin­ion pour con­va­in­cre afin de rechercher l’ad­hé­sion et non le con­formisme. L’homme de peu recherche le con­formisme sans obtenir l’adhésion.
  • Il y a trois sortes d’amis qui sont utiles et trois sortes d’amis qui sont nuis­i­bles. Amis utiles : amis intè­gres, amis sincères, amis cul­tivés. Amis nuis­i­bles : amis qui flat­tent pour tir­er des béné­fices, amis qui trompent par leur apparence, amis qui ont de belles paroles mais sans valeurs.
  • L’homme de bien ne com­met pas les qua­tre fautes suiv­antes : con­clu­sion hâtive (sans véri­fi­er les faits), affir­ma­tion caté­gorique, opiniâtreté, avoir rai­son (non fondée) seul con­tre tous.
     

Ama­bil­ité, politesse, douceur, déférence, déter­mi­na­tion, courage, compétence

  • L’homme de bien est affa­ble, doux, poli, mod­este et déférent.
  • L’homme de bien s’at­tache à la jus­tice et à la fra­ter­nité. L’homme de peu s’at­tache au profit.
  • L’homme de bien est affa­ble mais ferme, imposant mais sans bru­tal­ité, respectueux et serein.
  • L’homme de bien est déter­miné et courageux. Le fardeau est lourd, le voy­age est long. Son fardeau, c’est la pra­tique de la ver­tu, n’est-ce pas lourd ? Son voy­age ne fini­ra qu’après la mort, n’est-ce pas long ?
  • L’homme éclairé ne doute pas, l’homme vertueux n’est pas anx­ieux, l’homme courageux n’a pas peur.
  • Ne t’af­flige pas d’être mécon­nu des hommes, mais plutôt d’être incompétent.
     

Atti­tude envers des fautes commises

  • . Ne pas se cor­riger après une faute, c’est là qu’est la faute.
     

Prévoy­ance

  • Celui qui ne prévoit pas loin aura des dif­fi­cultés de près.
     

Richesse et pauvreté

  • Être pau­vre sans l’a­vid­ité, être riche sans l’orgueil, c’est bien. Être pau­vre sans per­dre la joie de vivre, être riche sans per­dre la générosité, c’est mieux.
  • Il est plus dif­fi­cile de se défendre de l’amer­tume dans la pau­vreté que de l’orgueil dans l’opulence.
     

Har­monie sociale

  • Min­istre : servir loyale­ment son prince ; fils : avoir de la piété envers les par­ents ; femme : être fidèle à son mari ; cadet : respecter l’aîné ; ami : être sincère envers ses amis.

La vertu


Un pan­da

La ver­tu suiv­ant le con­fu­cian­isme n’est rien d’autre que l’ensem­ble des qual­ités et des com­porte­ments néces­saires à l’homme de bien. Agir en con­for­mité suiv­ant la ver­tu, c’est suiv­re la Voie du Ciel, en con­for­mité avec les principes universels.

  • Acquérir de vastes con­nais­sances, forg­er une volon­té ferme, inter­roger avec insis­tance, met­tre en pra­tique les con­nais­sances acquis­es pour résoudre des prob­lèmes con­crets : voilà la ver­tu d’humanité.
  • L’homme de bien fait atten­tion à neuf choses : bien voir ce qu’il regarde, bien enten­dre ce qu’il écoute, être affa­ble, être déférent, être sincère, être dili­gent, inter­roger les autres dans le doute, se met­tre en colère en exam­i­nant les con­séquences, pren­dre les biens en exam­i­nant l’équité.
  • Il ne faut pas s’é­carter des grands principes même si l’on com­met encore de petites fautes.

L’art de gouverner

Pour Con­fu­cius, bien gou­vern­er, c’est gou­vern­er en suiv­ant la Voie du Ciel, c’est-à-dire en con­for­mité avec la ver­tu, en suiv­ant les rites des anciens. Il est plus impor­tant de gou­vern­er en suiv­ant la Voie que d’ap­pli­quer des lois et des châtiments.

  • L’art de gou­vern­er, c’est d’être dans la Voie. Si vous êtes dans la Voie, qui oserait dévier ?
  • Gou­vern­er à force de lois, main­tenir l’or­dre à coups de châ­ti­ments, le peu­ple se con­tentera d’obtem­pér­er, sans éprou­ver la moin­dre honte. Gou­vern­er par la ver­tu, har­monis­er par les rites, le peu­ple non seule­ment con­naî­tra la honte, mais se régulera de lui-même.
  • Pour obtenir l’ad­hé­sion du peu­ple : employ­er les hommes vertueux et écarter les hommes vicieux.
  • Si l’on gou­verne l’É­tat avec la ver­tu, on est con­sid­éré comme une étoile polaire, solide­ment en place et entourée des autres astres.
     

Gou­vern­er, c’est aus­si gag­n­er la con­fi­ance du peu­ple, con­sid­érée comme plus impor­tante encore que les vivres et les armes, comme en témoigne le dia­logue suivant :

ZigongQu’est-ce que gouverner ? 
Le Maître - C’est veiller à ce que le peu­ple ait assez de vivres, assez d’armes et s’as­sur­er de sa confiance. 
Zigong - Et s’il fal­lait se pass­er d’une de ces trois choses, laque­lle serait-ce ? 
Le Maître - Les armes. 
Zigong - Et des deux autres, laque­lle serait-ce ? 
Le Maître - Les vivres. De tout temps, les hommes sont sujets à la mort. Mais sans la con­fi­ance du peu­ple, l’É­tat n’ex­is­terait pas.

Laozi et le taoïsme

Le taoïsme s’est dévelop­pé à par­tir d’une oeu­vre fon­da­trice, le Livre de la Voie et de sa Ver­tu ou tra­duc­tion phoné­tique du titre chi­nois, Tao (la Voie) To (la Ver­tu) King. Ce livre, con­tenant 81 chapitres avec un total de 5000 car­ac­tères env­i­ron, est attribué à Laozi (traduit égale­ment en Lao-tseu). En effet, même de nos jours, il n’ex­iste pas de cer­ti­tude quant à l’au­then­tic­ité de Laozi ni la date pré­cise où Tao To King fut écrit. Néan­moins, les textes de Tao To King ont déjà fait l’ob­jet de com­men­taires dans des ouvrages datés de 280 avant Jésus-Christ témoignant ain­si son exis­tence avant la fon­da­tion de la dynas­tie Qin, vers la fin de la péri­ode des Roy­aumes combattants.

Beau­coup de légen­des exis­tent aus­si bien autour de Laozi que du livre Tao To King. Ain­si, on racon­te que le livre Tao To King fut écrit par Laozi, lorsqu’il déci­da de quit­ter le pays Zhou où il vivait et tra­vail­lait en tant qu’archiviste roy­al. En arrivant à la dernière passe avant de pénétr­er dans la steppe, l’of­fici­er gar­di­en lui deman­da de com­pos­er un livre pour lui. Ain­si est né Tao To King. Après avoir écrit le livre, Laozi s’en alla vers l’Ouest et nul ne sait où il mourut.

La pensée de Laozi

Les penseurs chi­nois avaient la tra­di­tion d’ob­serv­er les phénomènes naturels et d’en tir­er les règles de con­duite de la société humaine à par­tir de leur obser­va­tion. C’est ce que fit Laozi dans Tao To King. Ce livre abor­de d’abord le Tao, une sorte de principe naturel. À par­tir de ce principe naturel, Laozi déduit des règles de con­duite pour le prince en tant qu’art de gou­verne­ment ou tout sim­ple­ment pour quiconque voulant devenir plus sage. To est ain­si la man­i­fes­ta­tion et l’ap­pli­ca­tion du Tao à l’homme et à toutes choses.

Tao selon Laozi

Pour Laozi, le Tao est la réal­ité ultime, dans son tout, son principe et son orig­ine. Tao existe avant toute chose. Cepen­dant, Tao est imper­cep­ti­ble, inde­scriptible. Tao To King com­mence ainsi :

Un tao dont on peut par­ler n’est pas le Tao permanent.
Un nom qui peut servir à nom­mer n’est pas le Nom permanent.
Ce qui est sans nom est orig­ine du Ciel et de la Terre.
Ce qui a un nom est Mère des dix mille êtres.
(§ 1) 

Et le chapitre 14 pré­cise la pro­priété imper­cep­ti­ble du Tao :

Vous regarder le Tao et vous ne le voyez pas : on le dit incolore. 
Vous l’é­coutez et vous ne l’en­ten­dez pas : on le dit aphone.
Vous voulez le touch­er et vous ne l’at­teignez pas : on le dit incor­porel.
(§ 14)

Tao, imper­cep­ti­ble et insai­siss­able, est à l’o­rig­ine de l’univers :

Le Tao engen­dre l’Un
Un engen­dre Deux
Deux engen­dre Trois
Trois les dix mille êtres
Les dix mille être por­tent le Yin sur le dos et le Yang dans les bras
Mêlant leurs souf­fles, ils réalisent l’har­monie.
(§ 42)

Manifestation du Tao dans le monde sensible

Bien que Tao soit imper­cep­ti­ble, sa man­i­fes­ta­tion dans le monde sen­si­ble l’est. Et à par­tir de là, Laozi fit un cer­tain nom­bre d’ob­ser­va­tions, sou­vent orig­i­nales et à l’en­con­tre des idées générale­ment admises.

Le développe­ment de la nature

Bien que le Tao soit à l’o­rig­ine de la nature, celle-ci se développe sans l’in­ter­ven­tion explicite du Tao. La nature se développe par elle-même, pour elle-même. De là naît l’idée la plus impor­tante du taoïsme : le non-agir (wuwei).

Le Tao pro­duit les êtres, la Ver­tu les nour­rit. Ils leur don­nent un corps et les per­fec­tion­nent par une secrète impul­sion. C’est pourquoi tous les êtres révèrent le Tao et hon­orent la Vertu. 
Per­son­ne n’a con­féré au Tao sa dig­nité, ni à la Ver­tu sa noblesse : ils les pos­sè­dent éter­nelle­ment en eux-mêmes. 
C’est pourquoi le Tao pro­duit les êtres, les nour­rit, les fait croître, les per­fec­tionne, les mûrit, les ali­mente, les protège. 
Il les pro­duit et ne se les appro­prie point ; il les fait ce qu’ils sont et ne s’en glo­ri­fie point ; il règne sur eux et les laisse libres. C’est là ce qu’on appelle une ver­tu pro­fonde. (§ 51)

L’al­ter­nance des événements

Les phénomènes naturels sont sou­vent cycliques et les dif­férents états alter­nent : le jour et la nuit ; les qua­tre saisons : print­emps, été, automne, hiv­er ; le cycle de vie d’une plante : le grain, la plante, la fleur et de nou­veau le grain ; la nais­sance et la mort… Ain­si, toute chose est for­mée d’un cou­ple de poten­tiels : le Yin et le Yang. Elle évolue de l’un vers l’autre sans fron­tière claire.
Les dix mille êtres se dévelop­pent ; je con­tem­ple les allées et venues. (§ 16)

Le para­doxe

Nos sens de per­cep­tion et nos juge­ments sont par­fois trompeurs. Aus­si, dans cer­taines cir­con­stances, ce qui est juste et utile n’est pas néces­saire­ment ce que nous croyons. Par exem­ple, entre le vide et la matière, c’est par­fois le vide qui est plus utile que la matière.

Les trente rayons d’une roue ont en com­mun un seul moyeu : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­til­ité du char. On façonne l’argile en forme de vase : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­til­ité du vase. 
On perce des portes et des fenêtres pour faire une mai­son : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­til­ité de la maison. 
Ain­si, nous croyons béné­fici­er des choses sen­si­bles, mais c’est là où nous n’apercevons rien que réside l’u­til­ité véri­ta­ble. (§ 11)

La rel­a­tiv­ité des valeurs

Laozi pense que les pro­priétés du monde sen­si­ble sont rel­a­tives : à chaque pro­priété existe son opposé et les deux pro­priétés exis­tent simul­tané­ment par cette oppo­si­tion. Ain­si sont égale­ment les valeurs humaines.

Quand cha­cun tient le beau pour beau vient le laid. 
Quand cha­cun tient le bien pour bien vient le mal. 
Il y a et il n’y a pas s’engendrent. 
Aisé et malaisé se complètent. 
Long et court ren­voient l’un à l’autre. 
Haut et bas se penchent l’un vers l’autre. 
Musique et bruit con­so­nent ensemble. 
Devant et der­rière se suiv­ent. (§ 2)

La métaphore de l’eau

L’eau con­stitue une source d’in­spi­ra­tion intariss­able pour Laozi. Par exem­ple, pour illus­tr­er la posi­tion hum­ble de l’eau pour­tant béné­fique à tout :

L’eau béné­fique à tout n’est rival de rien. Elle séjourne aux bas-fonds dédaignés de cha­cun. (§ 8)
 
Pour illus­tr­er la posi­tion inférieure du fleuve et de la mer pour­tant rois des eaux :

Pourquoi les fleuves et les mers peu­vent-ils être les rois de toutes les eaux ? 
Parce qu’ils savent se tenir au-dessous d’elles. 
C’est pour cela qu’ils peu­vent être les rois de toutes les eaux. (§ 66)

Pour illus­tr­er le doux tri­om­phant du dur :

Rien au monde n’est plus sou­ple et plus faible que l’eau, 
Mais pour entamer dur et fort, rien ne la surpasse. 
Rien ne saurait pren­dre sa place. 
Que faib­lesse prime force. 
Et sou­p­lesse dureté. 
Nul sous le ciel qui ne le sache. (§ 78)

Tao appliqué à l’art de gouverner et à la conduite de l’homme

Le non-agir

À l’in­star du Tao qui engen­dre les dix mille êtres tout en étant imper­cep­ti­ble, un sou­verain idéal est celui qui “gou­verne sans que le peu­ple perçoive son exis­tence” (§ 17). Com­ment fait-il pour y par­venir ? La méth­ode prin­ci­pale à suiv­re est celle de non-agir. Non-agir non pas pour ne rien faire, mais faire de sorte “qu’il n’est rien qui ne se fasse” (§ 48). Selon Laozi, “gou­vern­er un grand pays, on doit imiter celui qui cuit un petit pois­son” (§ 60). En effet à force de remuer, on ne peut pas le préserv­er entier.

Avec la droi­ture, on gou­verne le roy­aume ; avec la ruse, on fait la guerre ; avec le non-agir, on devient le maître de l’empire. Com­ment sais-je qu’il en est ain­si de l’empire ? Par ceci : 
Plus le roi mul­ti­plie les pro­hi­bi­tions et les défens­es, et plus le peu­ple s’appauvrit. 
Plus le peu­ple a d’in­stru­ments de lucre, et plus le roy­aume se trouble. 
Plus le peu­ple a d’adresse et d’ha­bileté, et plus l’on voit fab­ri­quer des objets bizarres. Plus les lois se man­i­fes­tent, et plus les voleurs s’accroissent. 
C’est pourquoi le Saint dit : Je pra­tique le non-agir, et le peu­ple se con­ver­tit de lui-même. 
J’aime la quié­tude, et le peu­ple se rec­ti­fie de lui-même. 
Je m’ab­stiens de toute occu­pa­tion et le peu­ple s’en­ri­chit de lui-même. 
Je me dégage de tous désirs, et le peu­ple revient de lui-même à la sim­plic­ité. (§57)

Respecter le principe et le rythme de la nature

Agir suiv­ant le Tao, c’est respecter le principe naturel, suiv­re le rythme naturel, con­duire des actions en con­for­mité avec la réal­ité. Sou­vent, à force de vouloir aller vite, on obtient le résul­tat contraire.

Pour gou­vern­er, il faut imiter la Terre. 
La Terre imite le Ciel. 
Le Ciel imite le Tao. 
Le Tao est le principe de la nature. (§25)

Qui se hisse sur la pointe des pieds ne tient pas debout. 
Qui met les enjam­bées dou­bles n’ar­rive pas à marcher. 
Qui se pousse aux yeux de tous est sans lumière. 
Qui se donne tou­jours rai­son est sans gloire. 
Qui se vante de ses tal­ents est sans mérite. 
Qui se tar­gue de ses suc­cès n’est pas fait pour dur­er. (§ 24)

Le sou­verain, le peu­ple et son royaume

Tout comme le fleuve et la mer, rois des eaux, qui doivent occu­per une posi­tion basse, un sou­verain doit imiter la nature. Ses intérêts per­son­nels doivent venir der­rière ceux du peu­ple. Il est au ser­vice de son roy­aume mais ne le pos­sède pas.

Pourquoi les fleuves et les mers peu­vent-ils être les rois de toutes les eaux ? 
Parce qu’ils savent se tenir au-dessous d’elles. 
C’est pour cela qu’ils peu­vent être les rois de toutes les eaux. 
Aus­si lorsque le Saint désire être au-dessus du peu­ple, il faut que, par ses paroles, il se mette au-dessous de lui. 
Lorsqu’il désire être placé en avant du peu­ple, il faut que, de sa per­son­ne, il se mette après lui. 
De là vient que le Saint est placé au-dessus de tous et il n’est point à la charge du peu­ple ; il est placé en avant de tous et le peu­ple n’en souf­fre pas. 
Aus­si tout l’empire aime à le servir et ne s’en lasse point. 
Comme il ne dis­pute pas le pre­mier rang, il n’y a per­son­ne dans l’empire qui puisse le lui dis­put­er. (§ 66)

Le Tao et l’usage des armes

Laozi est fon­da­men­tale­ment un paci­fiste. Il est con­tre l’usage des armes pour régn­er ou con­quérir un empire. Au cas où on est obligé d’u­tilis­er les armes, il faut le faire en restreignant leur usage à la stricte néces­sité. On ne se réjouit pas d’une vic­toire obtenue par la nécessité.

Celui qui aide le maître des hommes par le Tao ne doit pas sub­juguer l’empire par les armes. 
Quoi qu’on fasse aux hommes, ils ren­dent la pareille. 
Partout où séjour­nent les troupes, on voit naître les épines et les ronces. 
À la suite des grandes guer­res, il y a néces­saire­ment des années de disette. 
L’homme vertueux frappe un coup décisif et s’ar­rête. Il n’ose sub­juguer l’empire par la force des armes. 
Il frappe un coup décisif et ne se vante point, ne se glo­ri­fie point, ne s’enorgueil­lit point. (§ 30)

Alter­nance appliquée à la con­duite de l’homme

Tout comme les phénomènes de la nature, les affaires de l’homme alter­nent égale­ment entre la chance et la malchance, la force et la faib­lesse, la paix et la guerre, la vie et la mort, etc. Pour Laozi, “Le bon­heur peut naître du mal­heur, et le mal­heur peut naître du bon­heur. Qui peut en prévoir la fin ?” (§ 58)

Influence du confucianisme et du taoïsme en Chine

Bien que Con­fu­cius lui-même n’ait joué qu’un rôle mineur sur la scène poli­tique chi­noise (il a été pen­dant une péri­ode le min­istre de la Jus­tice de la Prin­ci­pauté de Lou), le con­fu­cian­isme, sou­vent adop­té en tant que doc­trine offi­cielle, a façon­né, en deux mille cinq cents ans, pro­fondé­ment l’e­sprit des Chi­nois, notam­ment l’e­sprit des intel­lectuels. Son appren­tis­sage est sou­vent oblig­a­toire pour devenir man­darins, hauts fonc­tion­naires de l’Em­pire du Milieu.

En tant qu’art de gou­vern­er, l’ef­fi­cac­ité du con­fu­cian­isme, notam­ment dans des péri­odes trou­bles des Roy­aumes com­bat­tants, est à com­par­er avec celle d’autres écoles qui ont joué un rôle au moins aus­si impor­tant sinon plus dans la des­tinée des dynas­ties chi­nois­es. C’est le cas notam­ment de l’é­cole légiste dont l’o­rig­ine remonte à Xun­zi (300–235 av. J.-C.), qual­i­fié d’héri­ti­er réal­iste de Con­fu­cius. Les penseurs de cette école, réal­istes et nova­teurs, recherchent l’ef­fi­cac­ité du gou­verne­ment par la pro­mul­ga­tion de lois pénales val­ables pour tous et des sys­tèmes organ­i­sa­tion­nels rationnels. La fon­da­tion de la dynas­tie Qin aidée par les légistes est une preuve élo­quente de son effi­cac­ité. La pen­sée légiste, bien que rad­i­cale­ment dif­férente de celle de Laozi à bien des égards, s’in­spire néan­moins du taoïsme. On trou­ve ain­si les com­men­taires les plus anciens de Laozi dans l’ou­vrage de Han Feizi (280–233 av. J.-C.), par­mi des cen­taines de com­men­taires qui ont été écrits sur Laozi, dont un sous la plume d’un empereur de la dynas­tie Tang et un autre par un empereur de la dynas­tie Song.

Cepen­dant le con­fu­cian­isme, four­nissant un mod­èle idéal de l’homme de bien, est cer­taine­ment sous bien des aspects une pen­sée éthique avec ses car­ac­tères uni­versels, donc une pen­sée durable.

On note par ailleurs la pro­fonde influ­ence du taoïsme sur la lit­téra­ture chi­noise, l’art chi­nois ain­si que le développe­ment de la sci­ence et de la médecine en Chine. 

Note : les extraits de Con­fu­cius et de Laozi cités dans le présent arti­cle sont issus soit des ouvrages référencés ci-dessous, par­fois avec adap­ta­tion, soit d’une tra­duc­tion per­son­nelle à par­tir du texte chi­nois.

Bib­li­ogra­phie

[1] Con­fu­cius, Entre­tiens du Maître avec ses dis­ci­ples, traduit du chi­nois par Stanis­las COUVREUR.
Tra­duc­tion revue et annotée par Muriel Baryosh­er- Chemouny, Éd. Mille et une nuits, 1997.
 
[2] KALTENMARK Max, Lao Tseu et le Taoïsme suivi du Tao-To-King de Lao Tseu, tra­duc­tion de Stanis­las JULIEN, Éd. Robert LAFFONT, 1974.
 
[3] Xun Zi, traduit du chi­nois par Ivan P. KAMENAROVIC, Éd. du Cerf, 1987.
 
[4] Han-Fei-tse ou Le Tao du Prince présen­té et traduit du chi­nois par Jean LEVI, Éd. du Seuil, 1999.
 
[5] CHENG Anne, His­toire de la pen­sée chi­noise, Éd. du Seuil, 1997.

Commentaire

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Robert Séguinrépondre
1 avril 2016 à 16 h 53 min

san­té et auto-guéri­son
Je voudrais en savoir d’a­van­tage sur la san­té et la Chine. Par­ti­c­ulière­ment sur le Qi Gong où l’on par­le beaucoup
de l’én­ergie (le chi) que l’on bouge et déplace. L’Oc­ci­dent et sa médecine cura­tive a peu dévelop­pé l’idée que le patient peut se guérir lui-même.

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