CD Renaud Capuçon joue Lalo, Bruch et Sarasate

Trois interprètes français

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°712 Février 2016Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Renaud Capuçon joue Lalo, Bruch, Sarasate (Orchestre de Paris dirigé par Paa­vo Järvi)
Bertrand Chamay­ou joue Ravel
Marc-André Hamelin joue Kapustin

À de rares excep­tions près, tous les grands vio­lonistes et pianistes con­tem­po­rains, qu’ils soient français, russ­es, chi­nois ou autres, maîtrisent par­faite­ment leur instru­ment et pos­sè­dent une tech­nique sans faille – à la dif­férence de cer­tains de leurs aînés de la pre­mière moitié du XXe siè­cle (tel Alfred Cor­tot), dont on ne peut écouter les enreg­istrements aujourd’hui sans sourire tant ils sont truf­fés de fauss­es notes, d’approximations et d’emphase.

Aus­si n’est-ce pas sur leur tech­nique qu’on peut les dif­férenci­er mais sur ce « je-ne-sais-quoi » et ce « presque-rien » chers à Vladimir Jankélévitch, qui font qu’on les écoute avec émo­tion ou que l’on reste extérieur.

Renaud Capuçon, Lalo, Bruch, Sarasate

Renaud Capuçon n’est pas seule­ment un des grands vio­lonistes d’aujourd’hui, peut-être le meilleur des vio­lonistes français. Comme Menuhin avant lui, il pos­sède un charisme et une empathie rares qui font que le pub­lic lui est acquis dès son entrée en scène.

Il vient d’enregistrer avec l’Orchestre de Paris dirigé par Paa­vo Järvi trois œuvres phares du réper­toire : la Sym­phonie espag­nole de Lalo, les Airs bohémiens de Sarasate et le 1er Con­cer­to de Max Bruch1.

Sans sa présence physique, la magie est cepen­dant intacte. C’est que, au-delà de son charisme, Capuçon pos­sède une autre qual­ité encore plus rare : la sincérité. Il n’a recours à aucun de ces « trucs » de vio­lonistes qui provo­quent l’émotion au pre­mier degré ou qui éton­nent par leur hardiesse, mais il s’efface devant l’œuvre qu’il inter­prète, essayant de coller au plus près à ce qu’a voulu le compositeur.

Écoutez par exem­ple le mou­ve­ment lent du Con­cer­to de Bruch : loin du pathos fréquent dans cer­taines inter­pré­ta­tions, c’est lumineux.

Renaud Capuçon est le directeur omniprésent et chaleureux du Fes­ti­val de Pâques d’Aix-en-Provence, que nous recom­man­dons aux cama­rades qui aiment la belle musique et non les mondanités.

Bertrand Chamayou, Ravel

Rav­el avait dit de Mar­guerite Long, la créa­trice de son Con­cer­to en sol pour piano : « Avec elle, je suis tran­quille, elle n’interprétera pas. »

CD CHAMAYOU, intégrale des oeuvres piano de RavelBertrand Chamay­ou s’est large­ment inspiré de cette recom­man­da­tion implicite en enreg­is­trant l’intégrale de l’œuvre pour piano seul de Rav­el2. La musique de Rav­el est extrême­ment com­plexe et élaborée, lais­sant peu d’initiative à l’interprète dont le tra­vail con­siste essen­tielle­ment à restituer la clarté, la flu­id­ité et le car­ac­tère qua­si impal­pa­ble de cette musique à la fois sen­suelle et onirique que tout excès – vir­tu­osité affir­mée, sen­ti­men­tal­isme, emphase – détruirait.

À cet égard, Chamay­ou joue comme Boulez dirigeait, avec le soin de dis­tinguer chaque plan sonore, de ren­dre chaque note, chaque accord intel­li­gi­ble pour l’auditeur tout en s’effaçant : c’est la musique de Rav­el, non l’interprète, qui doit faire rêver l’auditeur. C’est parfait.

L’intégrale com­prend notam­ment Jeux d’eau, la Sonatine, Le Tombeau de Couperin, les Valses nobles et sen­ti­men­tales, Gas­pard de la nuit, et toutes les autres pièces que l’on con­naît (à l’exception de La Valse, dont la superbe orches­tra­tion par Rav­el rend la réduc­tion pianis­tique sans grand intérêt), dont qua­tre peu jouées : À la manière de Boro­dine, Séré­nade grotesque, Menuet, Prélude.

S’y ajoutent la tran­scrip­tion pour piano de la mélodie Kad­dish et une pièce clin d’œil de Casel­la, À la manière de Rav­el.

Marc-André Hamelin, Kapustin

CD Marc-André Hamelin joue les oeuvres de KAPUSTINIl est rare que l’on ren­con­tre un disque aus­si rafraîchissant, aus­si déli­cieux et aus­si nova­teur que l’album de pièces de Niko­lai Kapustin que vient d’enregistrer Marc-André Hamelin3. Il s’agit d’un mariage inat­ten­du entre la forme clas­sique et le style du jazz – rythme et har­monies – pour un pianiste pos­sé­dant une tech­nique transcendante.

Sept œuvres jalon­nent ce par­cours tout à fait inédit : Vari­a­tions, Huit Études de con­cert, Bagatelles, Suite dans le style ancien, Sonate n° 6, Sonatine, Cinq Études en dif­férents inter­valles, où l’on retrou­ve pêle-mêle les influ­ences de Stravin­sky, Bill Evans, Bach, Gersh­win, Oscar Peter­son, Chick Corea, Erroll Gar­ner, et même Willie Smith the Lion.

Cela a toutes les apparences de l’improvisation, mais c’est entière­ment écrit. On pour­rait dire, pour résumer à grands traits, que c’est ce genre de musique qu’aurait vraisem­blable­ment écrite Liszt s’il avait vécu au XXe siè­cle et fréquen­té les clubs de jazz.

Marc-André Hamelin joue ces pièces d’une extra­or­di­naire dif­fi­culté avec la rigueur d’un inter­prète de Bach et le punch d’un jazzman vir­tu­ose. Écoutez cette sonatine-rag­time : si, dans la morosité ambiante, vous avez besoin d’un remon­tant, ce disque fera beau­coup mieux l’affaire que l’alcool ou les amphé­t­a­mines – et vous en sor­tirez non pas grog­gy, mais ragaillardi.

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1. 1 CD Erato.
2. 2 CD Erato.
3. 1 CD Hyperion.

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