CD MIECZYSLAV WEINBERG joué par Gidon Kremer

Postérité

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°723 Mars 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Ne pas être oublié de ceux qui vien­dront après lui, du moins pen­dant quelque temps (années, siè­cles ?), n’est-ce pas le désir louable de tout être humain ? Pour accroître la prob­a­bil­ité de cette survie virtuelle, un artiste compte sur ses œuvres : pour un musi­cien, com­po­si­tion ou inter­pré­ta­tion enregistrée. 

En matière de com­po­si­tion, le XXIe siè­cle dis­pose d’un recul de six à sept siè­cles ; quant aux enreg­istrements, ils ne remon­tent guère qu’à une cen­taine d’années, moins encore pour que la tech­nique nous per­me­tte de porter un jugement. 

Et le tamis du temps a des mailles d’autant plus larges que l’on remonte plus loin : les musiques de Machaut, de Mon­tever­di ont tra­ver­sé les siè­cles et devraient sur­vivre encore, mais qu’en sera-t-il de celles de Stock­hausen et même de Stravin­s­ki ? Qui écoutera encore dans cent ans Car­los Kleiber ou Horowitz ? 

MIECZYSLAV WEINBERG (1919–1996)

Wein­berg, polon­ais d’origine mais russe d’adoption, est con­sid­éré comme le troisième plus grand com­pos­i­teur russe du XXe siè­cle avec Prokofiev et Chostakovitch dont il était l’ami proche. 

Ses 22 sym­phonies, 9 con­cer­tos, 17 quatuors à cordes, 7 opéras, ses sonates pour piano, pour vio­lon, etc., étaient encore il y a peu ignorés du grand pub­lic en Occi­dent1.

Gidon Kre­mer et sa Kre­mer­a­ta Balti­ca ont enreg­istré les qua­tre Sym­phonies de cham­bre et le Quin­tette pour piano (arrangé pour cordes et per­cus­sion)2, musique émou­vante, pro­fondé­ment orig­i­nale, tonale à la lim­ite de l’atonalité, claire­ment influ­encée par Prokofiev et Mahler. 

Kre­mer a dit des Sym­phonies de cham­bre qu’elles con­stituent « les réflex­ions les plus per­son­nelles d’un grand com­pos­i­teur sur sa pro­pre vie et sa pro­pre généra­tion, comme un jour­nal intime de la péri­ode la plus dra­ma­tique du XXe siècle ». 

Le Quin­tette est le som­met de cet enreg­istrement, œuvre puis­sante, d’une grande inten­sité dra­ma­tique, avec un largo mon­u­men­tal qui ne peut laiss­er les yeux secs. La musique de Wein­berg sur­vivra longtemps. 

CHOPIN, OLGA JEGUNOVA

CD Chopin joué par Olga Jegunova Pour Chopin, l’affaire est enten­due et il est sans doute plus présent aujourd’hui qu’il ne le fut au XIXe siè­cle. Mais son œuvre ne se lim­ite pas à sa musique pour piano et il est intéres­sant et amu­sant de décou­vrir ses Mélodies polon­ais­es, pièces de salon écrites sur des poèmes de con­tem­po­rains polon­ais et dont le bary­ton Mario Hac­quard vient d’enregistrer la ver­sion en français accom­pa­g­né par la pianiste Anna Zas­si­mo­va3 sur un piano Érard. 

Une autre décou­verte : celle de la pianiste let­tone Olga Jeguno­va, à tra­vers un disque ambitieux Sonates poé­tiques pour piano qui rassem­ble la 2e Sonate de Chopin, la Sonate Wald­stein de Beethoven et la Sonate de Bartók4.

Ce qui frappe dans le jeu de cette pianiste, c’est le soin qu’elle apporte au touch­er, ce qui est ren­du pos­si­ble par une maîtrise apparem­ment par­faite de la tech­nique (le Finale presto de la Sonate de Chopin est à cet égard une pierre de touche). 

Les nuances très fines de ce touch­er, y com­pris dans le style per­cu­tant de la Sonate de Bartók, con­cré­tisent son assim­i­la­tion de la musique à la poésie, ce qu’elle explique très bien dans le livret qui accom­pa­gne le disque, où elle illus­tre son pro­pos avec trois poèmes de Goethe, Paster­nak et Abi­gail Par­ry. Au total, une pianiste intel­li­gente et sen­si­ble, au jeu sub­til, dont on se souviendra. 

LATINOS

CD Latinos à la guitare Thibaut GarciaLe gui­tariste Thibaut Gar­cia fait une entrée fra­cas­sante dans le monde du disque avec le disque Leyen­das5 qui rassem­ble des pièces con­nues de Tár­re­ga (le célèbre Recuer­dos de la Alham­bra), de Piaz­zol­la (les qua­tre Esta­ciones Porteñas), d’Albéniz (tran­scrip­tions de Asturias et Sevil­la) et aus­si moins con­nues de Fal­la (Siete Can­ciones pop­u­lares españo­las, avec vio­lon­celle), de Rodri­go (Invo­cación y dan­za) et de Man­jón (Aire vas­co).

Gar­cia, jeune inter­prète, est de la race des Segovia et Yepes et il est mer­veilleuse­ment enreg­istré. Retenez son nom : lui aus­si est claire­ment des­tiné à rester. 

Enfin, la musique du com­pos­i­teur argentin Ginastera (1916–1983) fran­chit les fron­tières du monde his­panique, avec un disque qui rassem­ble Cin­co Can­ciones pop­u­lares argenti­nas, des extraits de son opéra Don Rodri­go et, surtout, la can­tate Mile­na pour sopra­no et orchestre bâtie sur les Let­tres à Mile­na de Franz Kaf­ka, avec Placido Domin­go, les sopra­nos Ana Maria Mar­tinez et Vir­ginia Tola et le San­ta Bar­bara Sym­pho­ny Orches­tra dirigé par Gisèle Ben-Dor6.

Du nou­veau, enfin ! La musique de Ginastera mérite la décou­verte : très orig­i­nale, puis­sante, superbe­ment orchestrée, très nova­trice, elle a sa place par­mi ce qui devrait rester, au fil des années, avec celle d’Astor Piaz­zol­la, de la musique argentine. 

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1. Voir La Jaune et la Rouge d’août-septembre 2015
2. 1 CD ECM
3. 1 CD Hybrid’Music
4. 1 CD Music Media
5. 1 CD Erato
6. 1 CD Warner

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