Toulouse territoires et plan de relance

Comment les territoires peuvent-ils trouver leur place dans les plans de relance ?

Dossier : TerritoiresMagazine N°760 Décembre 2020
Par Marion GUILLOU (73)

La réflexion dans et par les ter­ri­toires pour­rait enri­chir la démarche cen­tra­li­sée des plans de relance fran­çais et euro­péen. Marion Guillou a conduit une mis­sion « Tou­louse, ter­ri­toire d’avenir », par­rai­née par Jean Tirole (73), sur la pré­pa­ra­tion du ter­ri­toire tou­lou­sain au monde de demain, qui vient de rendre ses recom­man­da­tions aux élus.

La crise éco­no­mique post-Covid est glo­bale mais, en par­ti­cu­lier dans la capi­tale euro­péenne de l’aéronautique, elle va avoir de graves consé­quences éco­no­miques et sociales. C’est dans ce contexte que le pré­sident de la métro­pole de Tou­louse, Jean-Luc Mou­denc, avec l’appui de la pré­si­dente de la région Occi­ta­nie, Carole Del­ga, m’a confié une mis­sion de pros­pec­tive et de recom­man­da­tions, par­rai­née par Jean Tirole.

La consti­tu­tion pour la conduite d’une com­mis­sion « Tou­louse, ter­ri­toire d’avenir », afin de réflé­chir à l’après-crise et à l’utilisation opti­male des plans de relance pour la pré­pa­rer, est emblé­ma­tique à plu­sieurs titres : son indé­pen­dance tout d’abord, que ce soit dans sa com­po­si­tion, qui nous fut entiè­re­ment confiée, ou dans l’absence d’intervention des com­man­di­taires sur son diag­nos­tic et ses conclu­sions. Son œil neuf ensuite, avec une majo­ri­té de membres externes au ter­ri­toire, qui ont pu capi­ta­li­ser serei­ne­ment sur la contri­bu­tion cru­ciale des spé­cia­listes du ter­ri­toire tou­lou­sain, avec plus d’une cen­taine d’entretiens réa­li­sés avec des per­sonnes très diverses.

Une articulation entre tous les acteurs

Au-delà de ce tra­vail qui a duré trois mois, il m’a sem­blé qu’articuler État, Europe, régions et ter­ri­toires pour répondre à la crise per­met­trait de mobi­li­ser plus effi­ca­ce­ment les acteurs et les finan­ce­ments sur des prio­ri­tés choi­sies. Les col­lec­ti­vi­tés ont, avant l’été, cha­cune de son côté, pro­po­sé des plans de relance à la pro­por­tion des moyens qu’elles pou­vaient déga­ger à cette fin ; mais plus effi­cace sera la concep­tion ou la sti­mu­la­tion de pro­jets et d’initiatives éli­gibles aux plans de relance natio­nal et européen.

Il importe en effet d’adapter les réponses à cette crise au niveau local, pour tenir compte des atouts spé­ci­fiques et des éner­gies à l’œuvre afin de tirer le meilleur par­ti des plans de relance déployés par l’Union euro­péenne et le gou­ver­ne­ment fran­çais. Au pou­voir cen­tral d’impulser la relance et d’organiser les appels à pro­jets qui feront émer­ger les meilleures ini­tia­tives locales. Aux col­lec­ti­vi­tés de construire sur leurs forces et de sor­tir des sen­tiers bat­tus pour tirer par­ti de ces plans de relance. Les pro­grammes taillés sur mesure peuvent s’avérer pré­fé­rables à un pro­gramme « taille unique ». C’est vrai dans le domaine de l’action cli­ma­tique comme dans celui des mobi­li­tés ou de l’emploi des jeunes par exemple.

Des problématiques sensibles pour tous

Le cli­mat change, il se dérègle ; la soli­da­ri­té pla­né­taire est de fait, d’où l’importance des forums glo­baux au sein des­quels chaque pays ou zone du monde s’engage. Mais l’abstraction des chiffres et objec­tifs mobi­lise mal citoyens comme acteurs éco­no­miques. Au niveau régio­nal, en Occi­ta­nie par exemple, les séche­resses et les inon­da­tions qui se suc­cèdent para­doxa­le­ment, la cha­leur extrême dans les zones urbaines sont pal­pables par tous et appellent à agir. Un diag­nos­tic ter­ri­to­rial infor­mé peut aider à construire des poli­tiques de proxi­mi­té : cocons­truc­tion d’un plan cli­mat-ter­ri­toire par exemple ou inci­ta­tion à des pra­tiques agri­coles cli­ma­tiques per­met­tant plus de sto­ckage de car­bone dans les sols. Nous avons eu l’audace de pro­po­ser la créa­tion d’un mar­ché de com­pen­sa­tion car­bone à cette échelle.

Les mobi­li­tés peuvent être amé­lio­rées dans le ter­ri­toire tou­lou­sain. Cin­quante-huit minutes de tra­jet quo­ti­dien en voi­ture entre domi­cile et tra­vail en moyenne, une ville très peu dense (la troi­sième ville la moins dense d’Europe)… Com­ment pen­ser à l’échelle d’une aire d’emploi et des com­munes de rési­dence des tra­vailleurs un plan de mobi­li­té por­tant une concep­tion et une vision par­ta­gées entre les dif­fé­rents niveaux de col­lec­ti­vi­té ? Com­ment ren­for­cer les des­sertes fer­ro­viaires tant régio­nale que locale, les plans de mobi­li­té douce (vélo…) autant que les trans­ports en com­mun ? Ces sujets concernent l’État, comme l’Europe, par l’ampleur des pro­jets d’infrastructures à réa­li­ser, mais partent des prio­ri­tés dis­cu­tées, copro­duites au niveau ter­ri­to­rial et contrac­tua­li­sées si pos­sible entre col­lec­ti­vi­tés et repré­sen­tant de l’État au niveau décentralisé.

La question centrale de l’emploi

L’aire de Tou­louse com­porte une popu­la­tion très jeune ; c’est un atout mais cette année ce sont aus­si 50 000 jeunes diplô­més qui arrivent sur le mar­ché du tra­vail, en période dif­fi­cile pour les embauches, et envi­ron 13 % de jeunes de 16 à 25 ans ni sco­la­ri­sés ni en emploi. Là encore, l’État met en place le plan Un jeune, une solu­tion, mais c’est au niveau local que les jeunes peuvent être repé­rés et accom­pa­gnés. C’est éga­le­ment au niveau des régions que des cam­pus d’industries peuvent être créés pour appa­rier emplois non pour­vus dans l’industrie à tous niveaux et toutes for­ma­tions (allant des savoir-faire spé­cia­li­sés aux for­ma­tions aux data sciences).

Les col­lec­ti­vi­tés dis­posent d’informations qui ne sont pas dis­po­nibles à l’échelon supé­rieur. Des diag­nos­tics éta­blis par les acteurs locaux, des pro­po­si­tions cocons­truites entre eux, les col­lec­ti­vi­tés et les ser­vices de l’État peuvent four­nir une nou­velle métho­do­lo­gie d’élaboration par­ta­gée, donc de mise en œuvre plus effi­cace des poli­tiques éco­no­miques, envi­ron­ne­men­tales comme sociales. C’est en tout cas la leçon que je tire de notre expé­rience à Toulouse.

“Les collectivités doivent être
en situation de responsabilité.”

C’est en effet sur­tout à l’échelle ter­ri­to­riale que se jouent les soli­da­ri­tés, la créa­tion d’emplois et les mobi­li­tés. Ensuite, les com­mu­nau­tés, les régions peuvent avoir des objec­tifs dif­fé­rents ; c’est le droit à la dif­fé­ren­cia­tion. Enfin, une concur­rence saine per­met à cha­cun de pro­gres­ser. Pour que cette concur­rence devienne ému­la­tion et fonc­tionne, les col­lec­ti­vi­tés doivent être en situa­tion de res­pon­sa­bi­li­té. Une pre­mière condi­tion pour cela est une bonne infor­ma­tion des citoyens sur leurs ser­vices publics.

Com­ment se com­parent, en regard des fonds publics enga­gés, nos écoles, nos hôpi­taux, nos uni­ver­si­tés, avec ceux de la région voi­sine ou des homo­logues euro­péens ? Nos start-up, créa­trices d’emplois et de richesse dans le ter­ri­toire et dans les­quelles de l’argent public a été inves­ti, sont-elles com­pé­ti­tives ? La plu­part de nos conci­toyens n’ont sou­vent aucune autre infor­ma­tion sur ces sujets que l’excellence auto­pro­cla­mée des enti­tés concer­nées. Seule une éva­lua­tion externe et indé­pen­dante peut les infor­mer cor­rec­te­ment. Et le pou­voir réga­lien doit veiller à cer­taines soli­da­ri­tés, et à la coor­di­na­tion entre ter­ri­toires quand ceux-ci sont très interdépendants.

Une expérience facilement transposable

N’ayant pas de légi­ti­mi­té quant aux déci­sions futures, cette com­mis­sion a eu pour rôle de rem­plir la boîte à idées avec un recours sys­té­ma­tique au paran­gon­nage, afin de regar­der ce qui fonc­tionne le mieux en France et à l’étranger, et les pos­si­bi­li­tés de trans­po­si­tion au ter­ri­toire tou­lou­sain. La com­mis­sion a ain­si insis­té sur la néces­si­té de pro­fi­ter, en com­plé­ment des talents locaux, de talents fran­çais et étran­gers. Les recom­man­da­tions, publiées au sein du rap­port inti­tu­lé Tou­louse, ter­ri­toire d’avenir, pour­raient consti­tuer des actions, des pro­jets et des ini­tia­tives locales finan­cés par les plans de relance fran­çais et euro­péens. Au total, si ces recom­man­da­tions sont bien sûr spé­ci­fiques au ter­ri­toire tou­lou­sain, la démarche et la méthode pour­raient peut-être ins­pi­rer la conduite de réflexions simi­laires, adap­tées à d’autres territoires.

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