Développement de Clermont-Ferrand

Peut-on apprendre de Clermont-Ferrand ?

Dossier : TerritoiresMagazine N°760 Décembre 2020
Par Charles HAZET

Mal des­ser­vie, indus­trielle, ni méga­lo­pole ni ville moyenne, Cler­mont-Fer­rand est un cas aty­pique, qui montre que les che­mins du déve­lop­pe­ment sont mul­tiples. Mais sa bonne tenue ne va pas sans fragilités.

Ville au décor natu­rel extra­or­di­naire, plu­tôt encla­vée au milieu du Mas­sif cen­tral, mécon­nue des Fran­çais, Cler­mont-Fer­rand n’a rien d’une belle endor­mie. Quels atouts peut faire valoir une métro­pole de taille inter­mé­diaire, notam­ment à l’aune de la crise épi­dé­mique que nous tra­ver­sons ? Dans une France qui s’inquiète d’une métro­po­li­sa­tion sou­vent jugée exces­sive, peut-on apprendre de Clermont-Ferrand ?

Une métropole enclavée mais dynamique

La métro­pole cler­mon­toise, comp­tant 290 000 habi­tants, est exclue de la France du TGV. Le temps de tra­jet fer­ro­viaire avec Paris a été allon­gé de trente minutes depuis les années 2000, por­tant la durée du tra­jet direct à 3 h 30. La liai­son aérienne est régu­liè­re­ment mena­cée. Cler­mont-Fer­rand se déve­loppe sans pro­fi­ter d’un effet vitesse qui per­met­trait un aller-retour sur une demi-jour­née avec un pôle de cen­tra­li­té mon­diale. Même si la libé­ra­li­sa­tion du trans­port par auto­cars, le réseau auto­rou­tier et le déve­lop­pe­ment de la visio­con­fé­rence viennent contre­ba­lan­cer en par­tie cette fai­blesse structurelle.

« Le développement de Clermont-Ferrand est lié historiquement
à la croissance de l’entreprise Michelin. »

Cler­mont fait preuve pour­tant d’une vita­li­té réelle. Par sa démo­gra­phie d’abord. Celle-ci, après une période de déclin dans les années 1980, connaît un rebond avec une crois­sance annuelle de son aire urbaine de 0,6 % depuis 2010, attei­gnant même 0,9 % pour sa cou­ronne péri­phé­rique. La crois­sance démo­gra­phique de la ville-centre est supé­rieure à celle de villes comme Brest, Metz ou Rouen. Le coût de la vie est très com­pé­ti­tif et consti­tue un avan­tage com­pa­ra­tif. Pour le loge­ment par exemple, dont la part dans le bud­get des ménages fran­çais est pas­sée de 12 % dans les années 60 à 30 % aujourd’hui, la métro­pole cler­mon­toise est la 20e métro­pole fran­çaise sur 22 en termes de prix dans l’ancien.

Cler­mont-Fer­rand dis­pose d’aménités de haut niveau : un centre hos­pi­ta­lier uni­ver­si­taire, 52 filières uni­ver­si­taires accueillant 35 000 étu­diants, un conser­va­toire de 1 800 élèves, deux stades, une scène natio­nale et un opé­ra, de mul­tiples fes­ti­vals. De ce fait, Cler­mont attire. Le recru­te­ment de l’université reste très local, et la pro­por­tion de nou­veaux habi­tants en pro­ve­nance de l’Île-de-France (8 %) est en retrait par rap­port aux grandes métro­poles (13 % envi­ron pour Lyon, Tou­louse, Bor­deaux, Lille, Nantes ou Mar­seille). Mais la moi­tié des nou­veaux arri­vants vient d’autres régions que l’ex-Auvergne, et 15 % de l’étranger, comme à Tou­louse ou Grenoble.

Une bonne tenue de l’emploi et un vrai dynamisme économique

Cette vita­li­té va de pair avec la dyna­mique du tis­su éco­no­mique, carac­té­ri­sée par une éco­no­mie diver­si­fiée. Le déve­lop­pe­ment de Cler­mont-Fer­rand est lié his­to­ri­que­ment à la crois­sance de l’entreprise Miche­lin, per­met­tant un pas­sage au-des­sus des 100 000 habi­tants dans l’entre-deux-guerres, bas­cu­lant défi­ni­ti­ve­ment du côté des grandes agglo­mé­ra­tions fran­çaises. Certes, l’emploi indus­triel est en recul, avec des annonces de sup­pres­sion d’emplois, comme pour l’usine Lux­fer en 2019, der­nière usine d’Europe à pro­duire de l’oxygène médi­cal, dont le sort a eu un fort reten­tis­se­ment natio­nal. Mais le spectre d’un des­tin à la Detroit, d’une ville post-indus­trielle en déshé­rence au gré des crises et délo­ca­li­sa­tions, ne cor­res­pond pas au pro­fil éco­no­mique cler­mon­tois, qui a su prendre à temps les virages tech­no­lo­giques et diver­si­fier son économie. 

Cler­mont est un des rares bas­sins d’emplois à avoir com­pen­sé en moins de cinq ans la perte – infé­rieure à 5 % – d’emplois indus­triels de la crise 2008 par la créa­tion d’emplois non indus­triels, prin­ci­pa­le­ment dans les sec­teurs de l’éducation, de la san­té et de l’action sociale. Les labo­ra­toires d’excellence, au pre­mier rang des­quels le centre Miche­lin de Ladoux, per­mettent à cette métro­pole, qui a vu naître Blaise Pas­cal, d’être la pre­mière de France en termes de dépôts de bre­vets rap­por­tés au nombre de cadres.


Difficultés de recrutement : Clermont suit les tendances nationales, parfois en les aggravant.

Mal­gré la bonne qua­li­té de vie, les entre­prises peinent sou­vent à recru­ter. C’est le cas pour le BTP, où les recru­teurs anti­cipent des dif­fi­cul­tés sur plus de 80 % des postes. Cer­tains métiers indus­triels (ouvriers métal­lur­gistes), pour­tant carac­té­ris­tiques du pro­fil éco­no­mique du ter­ri­toire, sont éga­le­ment en très forte ten­sion, de même que les métiers du déve­lop­pe­ment infor­ma­tique, mal­gré un éco­sys­tème dyna­mique et struc­tu­ré. L’attraction des talents mais aus­si le déve­lop­pe­ment local des com­pé­tences sont donc des enjeux prio­ri­taires : 36 métiers sont en dif­fi­cul­té cri­tique contre 21 à Lyon.


Le bas­sin éco­no­mique a su dépas­ser l’enclavement géo­gra­phique du Mas­sif cen­tral et se trouve en connexion avec l’économie mon­diale, avec 217 entre­prises expor­ta­trices et 30 entre­prises locales ayant au moins une filiale à l’étranger. Outre le sec­teur équi­pe­men­tier auto­mo­bile, les prin­ci­paux employeurs de la métro­pole cler­mon­toise sont dans l’aéronautique (AIA), le bio-médi­cal (Labo­ra­toires Théa), l’équipement de mai­sons (Baby­moov), les ser­vices (Alme­rys) ou la fabri­ca­tion. Sur la plaine fer­tile de la Limagne, à l’est métro­po­li­tain, se trouve le siège social de Lima­grain, coopé­ra­tive de semences (2 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires en 2019). Dans le même temps, et comme pour illus­trer cette diver­si­té dans la tech­no­lo­gie de pointe, cette même métro­pole a vu la nais­sance d’un des géants de l’image 3D, Alle­go­rith­mic, rache­té en 2019 par Adobe. L’aire urbaine dis­pose de filières struc­tu­rées : deux pôles de com­pé­ti­ti­vi­té et sept clus­ters (semences, ali­men­taire, san­té, numé­rique, ther­ma­lisme, envi­ron­ne­ment, industrie).

“Le bassin économique
a su dépasser l’enclavement géographique du Massif central.”

Pos­sé­dant un fon­cier ex-indus­triel dis­po­nible impor­tant, de l’ordre de 250 ha, le poten­tiel d’installations indus­trielles est signi­fi­ca­tif, dans le cadre de relo­ca­li­sa­tions ou du déve­lop­pe­ment de l’« usine du futur », dans un éco­sys­tème qui pos­sède la taille cri­tique tech­no­lo­gique. Pour y par­ve­nir, une stra­té­gie fon­cière doit être por­tée par la puis­sance publique, repo­sant sur des ins­tru­ments finan­ciers (décote fon­cière) ou des dis­po­si­tifs fon­ciers (sanc­tua­ri­sa­tion d’activités pro­duc­tives, recon­ver­sion de friches). Ces ins­tal­la­tions devront inté­grer les enjeux de l’économie cir­cu­laire : cir­cuits courts, opti­mi­sa­tion des flux de matières pre­mières, accen­tua­tion des normes de réem­ploi et de recyclage.

développement du territoire de Clermont-Ferrand
Tram­way place de Jaude, Clermont-Ferrand.

Un cadre de vie harmonieux face aux enjeux des transitions

Mal­gré le bon rap­port entre coût et qua­li­té de la vie, le ter­ri­toire souffre d’un cer­tain défi­cit d’attractivité. Il ne manque pour­tant pas d’atouts à faire valoir. La proxi­mi­té immé­diate d’espaces de pleine nature aux pay­sages remar­quables, réserves de bio­di­ver­si­té, a été cou­ron­née par le clas­se­ment de la chaîne des Puys par l’Unesco au patri­moine mon­dial. À l’heure où la microa­ven­ture a le vent en poupe, c’est un avan­tage de proxi­mi­té pour les habi­tants. Le maillage de villes moyennes proches de Cler­mont et bien connec­tées par la route et le train (Riom, Issoire) vient offrir un cadre de vie pro­pice aux attentes rési­den­tielles contem­po­raines que la période récente de confi­ne­ment et de télé­tra­vail est venue exa­cer­ber : mai­son indi­vi­duelle, jar­din, proxi­mi­té de la nature et des services.

Cette orga­ni­sa­tion poly­cen­trique du ter­ri­toire, reliée par des voies rapides, engendre néan­moins une forte dépen­dance à la voi­ture. Cette réa­li­té est par­ti­cu­liè­re­ment visible à Cler­mont-Fer­rand, héri­tière d’un sché­ma des infra­struc­tures datant de 1972. Le déve­lop­pe­ment des modes actifs non pol­luants et décar­bo­nés (vélo, marche) est indis­pen­sable pour apai­ser l’espace public. Réus­sir cette tran­si­tion est théo­ri­que­ment attei­gnable (80 % des dépla­ce­ments cor­res­pondent à une dis­tance de 2 à 5 km), mais néces­site un fort inves­tis­se­ment public sur l’ensemble de l’écosystème des mobi­li­tés pour opé­rer un chan­ge­ment de modèle (infra­struc­ture, ser­vice de loca­tion, répa­ra­tion, par­king de vélos…).

« Clermont-Ferrand a connu un développement
par vagues d’immigration ouvrière successives. »

Un autre enjeu du ter­ri­toire réside dans le rap­port qu’il entre­tient avec ses bas­sins d’approvisionnement ali­men­taire. La part pré­pon­dé­rante de l’élevage bovin et de cultures céréa­lières fait de l’agriculture un élé­ment consti­tu­tif du pay­sage et de l’économie, mais vient mas­quer la fai­blesse struc­tu­relle du maraî­chage et l’absence de vergers.

La métro­pole est confron­tée à une double fra­gi­li­té : l’importation mas­sive de pro­duits ali­men­taires, conju­guée à une agri­cul­ture d’élevage et de grandes cultures émet­trice de gaz à effet de serre. Le ter­ri­toire pla­ni­fie sa tran­si­tion à l’aide d’un pro­jet ali­men­taire ter­ri­to­rial, mais l’essai doit encore être trans­for­mé. Le cadre de vie est par ailleurs ren­for­cé par un lien social de grande qua­li­té. Ville construite par vagues d’immigration ouvrière suc­ces­sives, Cler­mont-Fer­rand accueille de nom­breuses natio­na­li­tés qui concourent à son ouver­ture (notam­ment sala­riés de Miche­lin). Les soi­rées de match de l’équipe de rug­by de l’ASM viennent incar­ner cet état d’esprit soli­daire, par une com­mu­nion fes­tive alliant cita­dins de tous milieux et ruraux.

Pay­sages de pleine nature, ter­roir, culture, terre d’accueil, ingé­nie­rie de pointe : par bien des aspects la métro­pole cler­mon­toise cris­tal­lise de nom­breux atouts fran­çais. Sa taille inter­mé­diaire lui donne le poten­tiel de conci­lier les avan­tages de la ville moyenne et ceux de la grande ville. Les tran­si­tions por­tées par les acteurs du ter­ri­toire dans la décen­nie qui s’ouvre, notam­ment en termes de mobi­li­té, d’industrie et d’alimentation, pour­raient mettre en valeur sa sin­gu­la­ri­té et en faire un labo­ra­toire d’une métro­pole d’un nou­veau type, connec­tée à son grand ter­ri­toire natu­rel et agri­cole, aux amé­ni­tés aisé­ment acces­sibles à tous, rési­liente aux crises éco­no­miques et climatiques.

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