Sur les traces de Marco Polo, un X en Mongolie

Dossier : ExpressionsMagazine N°747 Septembre 2019
Par Didier BOISSIÈRE (78)

Tout a com­mencé quand j’avais huit-neuf ans. J’étais alors en mesure de réalis­er que mes par­ents étaient de grands voyageurs, en tout cas en avance sur leur temps, voy­ageant dans des avions à hélices, puis dans les pre­miers Boe­ing à réac­tion vers les quelque 80 des­ti­na­tions sur les cinq con­ti­nents qu’ils con­nais­sent aujourd’hui. Je leur ai emboîté le pas.

Voy­ant les dia­pos­i­tives de voy­age de mes par­ents et enten­dant leurs réc­its d’aventures, je n’ai pu qu’être mar­qué par cette expéri­ence fasci­nante et j’y ai, bien enten­du, forgé mon envie de sor­tir des sen­tiers bat­tus.

Grand voyageur

Mon diplôme de l’X en poche, j’ai rejoint une société de con­struc­tion qui m’a envoyé très rapi­de­ment à l’étranger déjà loin­tain pour moi : l’Algérie ! Se sont ensuite enchaînés des séjours pro­fes­sion­nels d’en général deux ans et demi cha­cun : au Yémen, au Vénézuéla, puis en France qui était dev­enue pour moi un pays quelque peu étranger, puis aux États-Unis (très sou­vent en déplace­ment pro­fes­sion­nel vers le Mex­ique, le Brésil et l’Argentine) et au Vietnam.

Retour en France pour cause de crise asi­a­tique. Huit ans de con­seil en investisse­ment et ges­tion­naire d’actifs pour un fonds d’investissement améri­cain, et – mal jaune oblige – un grand désir de Chine. La Chine con­ti­nen­tale bien sûr, avec Pékin comme ter­rain d’atterrissage obligé, car ni Sin­gapour, ni Hong Kong, ni même Shang­hai ne pou­vaient sat­is­faire mon envie d’aller en pro­fondeur dans l’empire du Milieu… Douze ans passés en Chine, à la par­courir de long en large sans pour autant touch­er aux inter­dits du Tibet, du Xin­jiang, ni même de la Mongolie-Intérieure !

Je découvre la Mongolie

Par son his­toire anci­enne, la Mon­golie (offi­cielle­ment la république de Mon­golie) est un con­cen­tré de Tibet et de Xin­jiang. La Grande Mon­golie con­trôlée par le khan de Karako­rum englobait, out­re l’actuelle Mon­golie, celle dite aujourd’hui « Mon­golie-Intérieure » (et actuelle­ment province chi­noise). Son ter­ri­toire était tombé sous con­trôle de la dynas­tie Qing (les Mand­c­hous étaient des tribus du Nord, en fait « cousins » des Mon­gols). Mais à sa chute en 1911, la Mon­golie déclara son indépen­dance, d’abord ­con­testée par le nou­veau régime chi­nois de Sun Yat-sen, puis rat­i­fiée en 1921 alors que la Russie sovié­tique ­com­mençait à éten­dre sa zone d’influence. Ce n’est que sous Mao qu’en rai­son d’accords obscurs avec Staline (cer­tains dis­ent en échange de la tech­nolo­gie de la bombe A), la Chine accep­ta que le ter­ri­toire de l’actuelle république de Mon­golie passe sous con­trôle russe et devi­enne effec­tive­ment ce tam­pon avec la Chine tant souhaité pour des raisons stratégiques.

Oui, d’accord, mais pourquoi un poly­tech­ni­cien va-t-il s’installer en… Mongolie ?

“À deux heures du matin,
42 degrés en dessous de zéro ! ”

Une terre d’opportunités immenses

La réponse réside dans le fait que, à part une aven­ture amoureuse liée depuis Pékin avec une ravis­sante Mon­gole qui m’avait incité à vis­iter son pays, la ­Mon­golie d’aujourd’hui recèle des oppor­tu­nités ­d’investissement sans précé­dent. Et c’est bien avec des yeux d’investisseur oppor­tuniste (dis­ons plus prosaïque­ment de ven­ture cap­i­tal­ist) que j’ai vu la Mon­golie, où je suis arrivé pour la pre­mière fois en févri­er 2011. À deux heures du matin, par 42 degrés en dessous de zéro et, en guise de comité d’accueil, un indice de par­tic­ules 2,5 µ de 900 ou 1 000… 

Phénomène essen­tielle­ment noc­turne, car il s’agit bien pour ces foy­ers mon­gols, qui vivent pour moitié dans des your­tes de feu­tre en lisière de la ville, de se chauf­fer coûte que coûte de 18 heures à 7 heures du matin avec ce que l’on trou­ve : prin­ci­pale­ment du lig­nite bon marché et de mau­vaise qual­ité, pol­lu­ant à souhait, mais aus­si des car­tons, des plas­tiques, des pneus, du polystyrène…

Même si j’étais déjà habitué à Pékin à des journées où l’indice de pol­lu­tion dépasse d’un coef­fi­cient trois ou qua­tre les indices d’alerte de l’organisation ­mon­di­ale de la san­té, là, la nuit, on était à un ­coef­fi­cient dix ou douze fois supérieur !

Était-ce suff­isant pour me pré­cip­iter dans la pre­mière agence de voy­ages et acheter mon bil­let retour ? Bien sûr que non, car la journée recèle d’incroyables oppor­tu­nités d’investissement sous un ciel bleu, non pas azur mais marine.

Quelles sont donc ces opportunités ?

Elles sont à 360 degrés. Le pays est un ancien ­satel­lite de l’URSS, offi­cielle­ment le deux­ième pays ­com­mu­niste de la terre, et quand les Russ­es sont par­tis ou plutôt en ont été chas­sés en 1991, il s’est effon­dré dans le chaos : plus de ges­tion, plus de finance­ment, plus rien sur les étals non plus, rien. Mais les steppes her­beuses, sur lesquelles les hordes mon­goles s’entretuaient avant de se réu­nir sous la dom­i­na­tion de Gengis Khan, recè­lent d’immenses tré­sors minéraux, d’ailleurs en grande par­tie ­décou­verts par les Russ­es avant leur départ pré­cip­ité de 1991.

Et là, on atteint des extrêmes quan­ti­tat­ifs en ter­mes de réserves. Tout comme le pays peut être con­sid­éré comme le pays des extrêmes, en ­tem­péra­tures d’abord (de 30 degrés en été à moins 45 degrés en général en hiv­er), en paysages, des glac­i­ers éter­nels de la chaîne de l’Altaï au désert de Gobi, et bien sûr de sa pop­u­la­tion, des peu­plades kaza­khes et musul­manes de l’Ouest aux éleveurs de rennes du Nord à la fron­tière russe, et bien sûr en pas­sant par ces nou­veaux rich­es d’Oulan-Bator qui s’habillent à Oxford Street ou rue du Faubourg Saint-Hon­oré et roulent en Bent­ley ou Fer­rari. Ain­si va le monde en voie de développement !


Marco Polo en Mongolie

Mar­co Polo pas­sa dix-sept ans de sa vie au ser­vice du grand Kubi­laï Khan qui était déjà l’empereur de Chine (dynas­tie Yuan), partageant son temps entre Khan­ba­lik (la ville du khan, actuelle­ment Pékin) et Karako­rum, l’ancienne cap­i­tale des Mon­gols rasée plus tard par les Qing, mais où l’on admi­rait l’excellence d’un orfèvre français hors pair : Guil­laume Bouch­i­er, qui y avait édi­fié une fontaine qui ver­sait des branch­es d’un arbre aux feuilles d’argent les bois­sons tant atten­dues par les voyageurs loin­tains venus ren­dre allégeance au grand khan en échange de sa protection.


Des minerais à profusion

L’opportunité numéro un y est de très loin dans l’activité minière pour l’exploitation et la trans­for­ma­tion des ressources minérales du pays. Elles sont… énormes ! La Mon­golie pos­sède des réserves de char­bon, de cuiv­re, de fer, de molyb­dène, d’or, de baux­ite, d’uranium, pour ne citer qu’eux, qui se classent par­mi les pre­mières mon­di­ales. Et elle com­mence depuis peu leur exploita­tion via des investisse­ments locaux encore rel­a­tive­ment mod­estes et via des investisse­ments étrangers mas­sifs, tels ceux de Rio Tin­to ou de Chi­nal­co et autres sociétés chi­nois­es ayant ­com­pris les béné­fices au bout du par­cours du com­bat­tant admin­is­tratif que ces investisse­ments impor­tants imposent néces­saire­ment. Cor­rup­tion y comprise.

La cor­rup­tion est le can­cer d’une société et c’est bien le cas en Mon­golie. Le pays est de fait con­trôlé par deux par­tis poli­tiques qui s’échangent le pou­voir à coups de mil­lions de dol­lars dépen­sés dans des ­cam­pagnes poli­tiques pop­ulistes de plus en plus extrav­a­gantes, et chaque par­ti est con­trôlé par une dizaine de familles influ­entes, qui toutes ont un pied ferme dans une demi-douzaine d’industries clés du pays. Autant dire que la démoc­ra­tie proclamée haut et fort par le pou­voir, et hardi­ment soutenue par les États-Unis vu la posi­tion stratégique de cette enclave démoc­ra­tique dans une région de régimes total­i­taires, n’est qu’une illu­sion et que le peu­ple ne touche que les miettes d’un développe­ment que les clans famil­i­aux se parta­gent avidement.

“L’art contemporain mongol est appelé à prendre sa place sur
le marché mondial de l’art contemporain”

Mes projets

Alors, que fais-je en Mon­golie sur les pas de Mar­co Polo ?

Ma réponse : des investisse­ments. D’abord, dans l’immobilier rési­den­tiel et com­mer­cial pour y sous-ten­dre ma présence et mes activ­ités. Puis dans les éner­gies renou­ve­lables où, avec un parte­naire mon­gol, nous ten­tons de dévelop­per une ferme solaire de 30 MW dans le cen­tre indus­triel du pays, à Dark­han non loin de la fron­tière russe. Le pays est inondé de soleil à l’exception des mois d’été où soleil et pluie se jalousent. C’est donc une for­mi­da­ble oppor­tu­nité que de pou­voir dévelop­per une énergie pro­pre dans un pays où la pol­lu­tion est un fléau que même les grandes insti­tu­tions finan­cières inter­na­tionales n’arrivent pas à endiguer, mal­gré leurs investisse­ments en études divers­es, en pro­grammes d’échange de fourneaux domes­tiques peu sophis­tiqués par des fourneaux plus fil­trants, en réseaux de dis­tri­b­u­tion élec­trique, en habi­tat abor­d­able et chauf­fé à l’électricité pour y rel­oger les pop­u­la­tions de la périphérie.

Ferme solaire et biométhanisation

Et cette ferme solaire serait équipée de sys­tème de stock­age d’électricité car, en rai­son de la défi­cience struc­turelle du réseau de dis­tri­b­u­tion, l’électricité pro­duite ne pour­rait être par­fois absorbée et donc ven­due à la société d’électricité nationale ou son man­dataire. Il s’agirait ici de sauter deux ou trois étapes de développe­ment en propul­sant la ­Mon­golie vers un État où l’hydrogène deviendrait la source majeure de com­bus­tion notam­ment pour les réseaux de chauffage mais aus­si pour le trans­port pub­lic. Le pro­jet passerait donc, pour rester sim­ple, par un investisse­ment dans une unité d’électrolyse et dans le mon­tage d’un finance­ment d’une flotte locale de bus à hydrogène (piles à com­bustible). En atten­dant ce finance­ment, lié bien sûr à la fais­abil­ité finan­cière du pro­jet, une unité de bio­méthani­sa­tion pour ­pro­duire du méthane via la com­bi­nai­son de l’hydrogène pro­duit par élec­trol­yse et du gaz car­bonique pro­duit par la fer­men­ta­tion des pro­duits organiques.

Ensuite, un investisse­ment dans le com­merce de l’art con­tem­po­rain mon­gol appelé, grâce au grand tal­ent des artistes mon­gols et à l’instar de l’art con­tem­po­rain chi­nois, à pren­dre une place méritée sur le marché mon­di­al de l’art contemporain.

Prochaines étapes

Les prochaines étapes sont : final­i­sa­tion des dernières autori­sa­tions pour notre pro­jet dans les éner­gies renou­ve­lables et lance­ment du pro­jet dont je suis action­naire, certes minori­taire ; développe­ment des ventes d’art con­tem­po­rain mon­gol en Europe ; ensuite, prob­a­ble­ment des investisse­ments dans le domaine du tourisme lié à l’art et à la cul­ture mon­gole. Car s’il y a un secteur qui croît rapi­de­ment en Mon­golie, c’est bien celui du tourisme et un investisse­ment con­nexe à mon activ­ité dans l’art serait indi­recte­ment béné­fique. Sans oubli­er l’investissement très prob­a­ble dans une galerie en Europe.

Les autres piliers de l’industrie mon­gole : l’élevage bien sûr et tous ses pro­duits dérivés (viande, lait, laine, cuir). En cela com­pris le cachemire qui offre à la Mon­golie des revenus sig­ni­fi­cat­ifs depuis des décen­nies, même si ceux-ci pour­raient être bien supérieurs si un peu plus de valeur était ajoutée dans le pays, au lieu que seule la matière pre­mière soit ven­due à vil prix à la Chine. Tout comme les min­erais d’ailleurs, pour lesquels le niveau de trans­for­ma­tion à l’intérieur des fron­tières est bien insuff­isant au grand bon­heur de son puis­sant voisin du Sud. Ni fonderie, ni aciérie, ni indus­trie mécanique dignes de ce nom n’existent en Mongolie…


L’art contemporain mongol

Que de tal­ent chez les artistes mon­gols ! L’école des minia­tures d’inspiration tibé­taine ou per­sane, l’école russe, l’école de la vie leur ont don­né les moyens de réex­plor­er l’art religieux, la cal­ligra­phie, la pein­ture, la sculp­ture pour une expres­sion artis­tique hors du com­mun. D’abord pour représen­ter Mère Nature et ses bien­faits sur l’humain, pour fig­ur­er l’extraordinaire place du cheval (et autres ani­maux) dans la vie des nomades, pour s’interroger sur les change­ments rad­i­caux de la société mon­gole, pour sym­bol­is­er le lien aux esprits dans une société encore tein­tée de chaman­isme et de super­sti­tion. Aus­si pour rap­pel­er la for­mi­da­ble épopée con­quérante de Gengis Khan, Man of the Mil­len­ni­um, et pour retrou­ver la trace de leur passé fait de légen­des et de con­tes fantastiques. 


L’exportation, clé du développement mongol

La Mon­golie est vouée, qu’elle le veuille ou non, à exporter vers ses grands voisins que sont la Russie et la Chine. Car ce ne sont pas ses quelque trois mil­lions d’habitants, dont à peine un quart peut représen­ter un pou­voir d’achat, qui peu­vent attir­er un investis­seur étranger dans les pro­duits de con­som­ma­tion. Même si les grandes mar­ques de luxe sont présentes pour cap­i­talis­er sur les revenus indé­cents que cer­tains par­ti­c­uliers ou sociétés font dans la mine, l’élevage, la con­struc­tion, l’immobilier ou… la vodka !

D’autres opportunités ne manquent pas

Citons les infra­struc­tures en général, y com­pris bien sûr celles de dis­tri­b­u­tion élec­trique, d’assainissement, de traite­ment des déchets, de réseaux de trans­port, d’aérodromes proches des sites touris­tiques ; l’agriculture, au vu de l’immensité des steppes du pays. Les Russ­es ne s’y étaient pas trompés en dévelop­pant des kolkhozes ici et là. Des investis­seurs français y récoltent déjà le fruit de leur investisse­ment dans le blé. Et la Chine a besoin de sécu­rité ali­men­taire. L’équation est presque par­faite, seule la courte durée de la sai­son à tem­péra­tures pos­i­tives vient ternir le tableau. Enfin, l’éducation et la for­ma­tion, qui per­me­t­tent à un pays de se dévelop­per durablement.

Vous, de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, êtes les bien­venus dans ce pays fasci­nant et, avec mon cama­rade Zakari­ae El Mar­zou­ki (2003) d’Orano, nous nous fer­ons un plaisir de vous guider dans votre réflex­ion si vous nous faites l’honneur de votre visite.

À bien­tôt.


La Mongolie en quelques chiffres

Super­fi­cie proche de celles de la France, l’Allemagne, le Roy­aume-Uni et l’Espagne réunis.

PIB de 12 mil­liards de US dol­lars, soit env­i­ron 4 000 USD/habitant.

3 M d’habitants, 45–50 M de têtes de bétail.

Oulan-Bator 1,5 M d’habi­tants, Erdenet 100 000 habi­tants, Dark­han 85 000 habitants.

Régime par­lemen­taire depuis 1992 avec seule­ment 76 députés.

Objec­tif nation­al de recevoir un mil­lion de touristes en 2021.

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