Souffrances autour du Berceau

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Martine LAMOUR et Marthe BARRACORédacteur : Violaine PILLET, psychologue

À tra­vers des his­toires cli­niques détaillées, Manine Lamour et Marthe Bar­ra­co font com­prendre au lec­teur l’u­ni­vers rela­tion­nel per­tur­bé des nour­ris­sons nés dans des familles à pro­blèmes mul­tiples en pre­nant en compte non seule­ment la souf­france du bébé, si dif­fi­cile à repé­rer et à pen­ser, et de ses parents mais aus­si celle des professionnels.

Com­ment éva­luer les souf­frances et appor­ter des réponses pour que tous les par­te­naires – le bébé, ses parents et les inter­ve­nants – puissent déployer leurs compétences.

Le récit de leur pra­tique cli­nique pré­sente un nour­ris­son actif : tant dans les stra­té­gies déployées face à un envi­ron­ne­ment adverse pour s’a­dap­ter et sur­vivre, que dans l’in­fluence qu’il exerce sur les échanges avec ses dif­fé­rents par­te­naires. Acteur de son déve­lop­pe­ment, et par­tie pre­nante du trai­te­ment s’il y a lieu, le bébé est consi­dé­ré comme un être compétent.

Les auteurs défi­nissent un envi­ron­ne­ment stable et fiable, basé sur des macro et micro­rythmes entou­rant le nour­ris­son, qui lui per­met d’ex­pri­mer ses capa­ci­tés. À cela sont oppo­sées des situa­tions de familles caren­cées dans les­quelles, sur un fond de dis­con­ti­nui­té des soins, la sous-ali­men­ta­tion nar­cis­sique touche tous les sec­teurs du déve­lop­pe­ment de l’en­fant. Dans un contexte chao­tique où la mère pré­sente une psy­chose chro­nique, et où la souf­france du bébé est silen­cieuse face à la patho­lo­gie mater­nelle bruyante, les deux pro­ta­go­nistes, dans un lien extrê­me­ment fort mais tou­jours mena­cé, sont en dan­ger. C’est alors que se pose la ques­tion de la séparation.

Pour y répondre, les auteurs invitent à prendre le temps d’é­tu­dier tous les niveaux de l’in­te­rac­tion – com­por­te­men­tal, affec­tif et fan­tas­ma­tique – entre les dif­fé­rents acteurs – bébé, famille, inter­ve­nants – car c’est au coeur de l’in­te­rac­tion que l’en­fant se construit et ins­taure une rela­tion d’at­ta­che­ment. Le nour­ris­son intègre très tôt les sché­mas inter­ac­tifs et entraîne son entou­rage à les repro­duire, même si l’in­te­rac­tion est perturbée.

En vue de trai­ter cette spi­rale inter­ac­tive néfaste, ces cli­ni­ciennes pro­posent un soin spé­ci fique de la rela­tion, tenant compte autant des res­sources de cha­cun que des dys­fonc­tion­ne­ments de l’in­te­rac­tion, mais qui n’est pos­sible qu’à condi­tion de recon­naître les liens d’at­ta­che­ment réci­proques parents-enfant existants.

Plu­sieurs approches sont décrites : l’ob­ser­va­tion comme outil d’é­va­lua­tion aus­si bien que comme outil thé­ra­peu­tique ; le trai­te­ment à domi­cile où tous les acteurs par­ti­cipent à la créa­tion du cadre ; et l’ac­com­pa­gne­ment, vu comme une étape néces­saire vers l’autonomie.

Les auteurs sou­lignent éga­le­ment la souf­france des soi­gnants pris, de fait, dans un cli­mat émo­tion­nel char­gé, dont ils peuvent se déga­ger à condi­tion d’i­den­ti­fier les méca­nismes de la dyna­mique rela­tion­nelle fami­liale sur plu­sieurs géné­ra­tions qui, se rejouant dans les rela­tions entre inter­ve­nants, créent des conflits et isolent les pro­fes­sion­nels. Seul un tra­vail de réflexion en réseau éclai­rant la patho­lo­gie du lien vient sou­te­nir cette action thérapeutique.

Cet essai clair, jalon­né de réfé­rences théo­riques et de vignettes cli­niques sur les inter­ac­tions pré­coces est un outil de réflexion acces­sible à tous sur le déve­lop­pe­ment de l’en­fant, les pro­ces­sus de la paren­ta­li­té, et les dif­fé­rents outils des pro­fes­sion­nels de la petite enfance confron­tés aux souf­frances des bébés et des familles.

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