Tableau de Lecomte Hippolyte (1781-1857). Combat de la rue de Rohan,

Léon LALANNE (1829)

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°736 Juin 2018Par : Jean-Amédée LATHOUD, avocat général honoraire à la cour de cassation

Jean-Amédée LATHOUD, avo­cat général hon­o­raire à la cour de cas­sa­tion, donne un por­trait se son aïeul, un X répub­li­cain engagé. 

Issu d’une famille bour­geoise attachée aux Bour­bons, Léon Lalanne naît le 3 juil­let 1811, rue de Fleu­rus à Paris. Orphe­lin à 9 ans de son père médecin, il entre bour­si­er au lycée Louis-le-Grand où il fait de bril­lantes études sec­ondaires jusqu’à la classe de math­é­ma­tiques spé­ciales, en com­pag­nie notam­ment d’Évariste Galois. 

Le pre­mier novem­bre 1829, à l’âge de 19 ans, il est admis à l’École poly­tech­nique, puis deux ans plus tard à l’École des ponts et chaussées. À par­tir de son pre­mier poste d’ingénieur des Ponts, dans l’arrondissement de Mor­tain, la car­rière de Léon Lalanne sera exemplaire. 


Lecomte Hip­poly­te (1781–1857). Com­bat de la rue de Rohan, le 29 juil­let 1830.
Paris, musée Carnavalet.

UN HOMME ENGAGÉ

Engagé, Léon Lalanne l’est dès la révo­lu­tion de 1830 alors qu’il est encore élève à l’École. Il décrira cinquante années plus tard avec émo­tion, dans la notice nécrologique de son cama­rade à l’X Eugène Bel­grand, l’exaltation des jeunes poly­tech­ni­ciens au moment des journées de juil­let 1830 : man­i­fes­ta­tion des élèves allant applaudir par provo­ca­tion leur maître Ara­go à l’Académie des sci­ences pour son éloge engagé du savant libéral Fres­nel ; il évoque ensuite ses cama­rades marchant à la tête des com­bat­tants dans les rues de Paris pour réclamer un régime parlementaire. 

Premiere élection la Garde nationale :

Le premier scrutin démocratique de la nouvelle République est celui des officiers de la Garde nationale : Léon Lalanne est élu le 5 avril 1848 dans son arrondissement de Paris chef de bataillon de la 11e légion, dont le colonel, également élu ce jour-là, est Edgar Quinet.

« C’est à par­tir de cette époque – écrira-t-il plus tard dans une note datée du 23 févri­er 1883 à l’appui de sa can­di­da­ture au Sénat – que j’ai adop­té les idées répub­li­caines, sans jamais m’en écarter. » 

Léon Lalanne a une forte per­son­nal­ité : en poste dans l’arrondissement de Mor­tain, le 7 novem­bre 1835 – il a 24 ans – il aura un inci­dent grave avec le sous-préfet, à l’occasion d’une séance de la société lit­téraire : prenant à part le représen­tant de l’État, Léon Lalanne lui reprocha la dénon­ci­a­tion qu’il avait adressée au préfet pour les pro­pos qu’il aurait tenus lors d’un récent ban­quet de la Garde nationale locale. 

Tableau de Léon LalanneDans son rap­port adressé au directeur général des Ponts et Chaussées rela­tant l’incident, le préfet de la Manche demande le déplace­ment dans un autre départe­ment de cet ingénieur « doué d’une imag­i­na­tion ardente, pro­fes­sant des opin­ions ultra­l­ibérales ayant des rela­tions habituelles avec les hommes les plus opposés au sys­tème et aux actes du Gou­verne­ment… Il exerce une influ­ence fâcheuse sur l’esprit du pays. » 

UN ÉMINENT SCIENTIFIQUE

Léon Lalanne pub­lie de très nom­breux arti­cles et ouvrages jusqu’à la révo­lu­tion de févri­er 1848, qui témoignent d’une puis­sance de tra­vail considérable. 

“J’ai adopté les idées républicaines, sans jamais m’en écarter”

Il présente à l’Académie des sci­ences des notes sur des machines à cal­cul, sur une machine per­me­t­tant de cal­culer les vol­umes de ter­rasse­ment, une bal­ance algébrique pour la réso­lu­tion des équa­tions jusqu’aux sept pre­miers degrés… 

Il pub­lie en 1839 des arti­cles dans les Annales des Ponts et Chaussées sur les pre­miers chemins de fer en Autriche. En 1839, il traduit de l’allemand, pour les Annales des Mines, une note de Hum­boldt – ren­con­tré à Berlin – sur les vol­cans du plateau de Quito. En 1840, il pub­lie un Essai philosophique sur la technologie. 

DÉMOCRATE ET VULGARISATEUR

Démoc­rate soucieux de l’éducation pop­u­laire, Léon Lalanne par­ticipe, avec d’autres comme son frère Ludovic, bib­lio­thé­caire de l’École des chartes, ou Édouard Char­ton (fon­da­teur du Mag­a­sin pit­toresque et futur col­lab­o­ra­teur d’Arago, min­istre de l’Instruction sous la Deux­ième République) à la rédac­tion d’ouvrages de vul­gar­i­sa­tion ambitieux : L’encyclopédie nou­velle, Un mil­lion de faits – aide-mémoire uni­versel (1842), Patria (1847), et L’instruction pour le peu­ple – Cent traités (1848).

Il se charge dans ces ouvrages en par­ti­c­uli­er des arti­cles sci­en­tifiques et tech­nologiques. Avec d’autres jeunes poly­tech­ni­ciens, il donne des cours bénév­ole­ment, pour venir en aide à des élèves pau­vres méritants. 

SUR LE TERRAIN

Lalanne est aus­si un ingénieur de ter­rain : en 1837, il par­ticipe à une expédi­tion de prospec­tion minière dans la val­lée du Donetz, dirigée par Frédéric Le Play (X 1825), ingénieur des Mines et futur précurseur de la soci­olo­gie. Lalanne était respon­s­able de la géolo­gie, de la topogra­phie, du relève­ment des affleure­ments con­statés, des relevés de météorologie… 

Gare de Denfert-Rochereau
Léon Lalanne prit une part active à la con­struc­tion de la ligne de chemin de fer de Paris à Sceaux dont le ter­mi­nus con­stru­it place Den­fert-Rochere­au est aujourd’hui la plus vieille gare de Paris. Ger­al­ix — CC BY-SA 3.0

Il prit l’initiative de pub­li­er un reportage per­son­nel sur ce voy­age dès 1839 dans le Mag­a­sin pit­toresque de son ami É. Char­ton, ce que lui reprocha Le Play. Pour­tant, lui répondait Léon Lalanne : « Je n’ai pas levé un coin du voile qui cache l’effroyable pour­ri­t­ure morale où croupit le peu­ple russe. Ai-je par­lé de la nul­lité des hommes qui com­posent les pre­miers corps de l’Empire ? Du régime infâme qui y règne ? De l’espionnage porté jusqu’au sein des familles ? De la vénal­ité des admin­is­tra­tions civiles et judi­ci­aires ? De l’improbité des seigneurs et de la manière dont ils rem­plis­sent leurs engage­ments avec les serfs ? De la cor­rup­tion effrénée qui règne chez tous ? » 

De 1844 à 1846, Léon Lalanne prit une part active à la con­struc­tion de la ligne de chemin de fer de Paris à Sceaux. Son beau-père, Jean-Claude-Répub­li­cain Arnoux (X 1811), admin­is­tra­teur des Mes­sageries générales et du Chemin de fer de Stras­bourg, avait obtenu la con­ces­sion de cette ligne fer­rovi­aire, pour y faire cir­culer un sys­tème de son inven­tion apte à franchir les courbes des plus petits rayons, dit « train articulé ». 

Léon Lalanne s’occupa du tracé, des ter­rasse­ments et des ouvrages d’art de la ligne, qui sera inau­gurée le 6 juin 1846 et dont le ter­mi­nus con­stru­it place Den­fert- Rochere­au est aujourd’hui la plus vieille gare de Paris. 

Cette con­nais­sance des tech­niques du chemin de fer jus­ti­fiera de nom­breux écrits ultérieurs sur le sujet. Il aura égale­ment l’occasion, sous le Sec­ond Empire, de con­stru­ire des lignes impor­tantes pour les frères Pereire, à l’étranger en Suisse et en Espagne. 

En novem­bre 1843, il est nom­mé secré­taire de la puis­sante Sec­tion des chemins de fer au Con­seil général des ponts et chaussées. 

Lorsque arrive la révo­lu­tion de févri­er 1848, Léon Lalanne, par son expéri­ence pro­fes­sion­nelle, par ses réseaux et ses fonc­tions stratégiques au min­istère des Travaux publics, va être con­duit à s’engager en faveur de la jeune République. 

LE MILITANT DE LA JEUNE RÉPUBLIQUE

Dès les pre­mières semaines du nou­veau régime, Léon Lalanne s’engage : il se déclare « répub­li­cain démoc­rate ». Il est proche de l’équipe du jour­nal Le Nation­al, quo­ti­di­en répub­li­cain mod­éré qui sou­tient le gou­verne­ment provisoire. 

Mais Léon Lalanne se pré­parait depuis un cer­tain temps pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale con­sti­tu­ante d’avril 1848 (la pre­mière de notre his­toire au suf­frage uni­versel). Le 17 mars, il avait adressé une demande de sou­tien à sa can­di­da­ture dans le départe­ment de la Manche, au « Comité cen­tral des élec­tions générales pour l’Assemblée con­sti­tu­ante » dont il est mem­bre du bureau, en invo­quant l’ancienneté de son engage­ment répub­li­cain et sa con­nais­sance de l’arrondissement de Mortain. 

“Il s’exprime dans un langage aussi élevé que précis, avec une solidité de principes et une netteté de vues”

Le 9 avril, les mem­bres du comité (par­mi lesquels Jules Michelet) adres­saient une let­tre de recom­man­da­tion de sa can­di­da­ture au com­mis­saire du gou­verne­ment de la Manche, célébrant « la solid­ité de ses principes, l’élévation et l’énergie de son car­ac­tère…, son répub­li­can­isme sincère ». 

Le 10 avril, Léon Lalanne avait quit­té Paris en voiture à cheval pour Saint-Lô. Du 12 au 22 avril, il va par­courir en tous sens le départe­ment. Hébergé par des amis, il s’arrête suc­ces­sive­ment dans 16 local­ités « prenant la parole des heures entières » lors de meet­ings « sur des tri­bunes en plein vent ou à cou­vert » aux côtés de ses col­istiers soutenus par « le Club démoc­ra­tique de la Manche ». 

Il dif­fuse une affiche exposant les grandes lignes de son pro­gramme. Ses amis locaux (comme le chirurgien Vic­tor Morel-Laval­lée, l’ingénieur des Ponts Jules Gril­let de Ser­ry) le recom­man­dent à leurs rela­tions. À Saint-Lô, le 13 avril, le jour­nal­iste du Patri­ote de la Manche salue son « allo­cu­tion pleine de patri­o­tisme qui a su cap­tiv­er l’attention : il s’exprime dans un lan­gage aus­si élevé que pré­cis, avec une solid­ité de principes et une net­teté de vues ». 

Il pro­pose « l’éducation gra­tu­ite de tous les enfants du peu­ple, à tous les degrés ». À cette occa­sion, un mem­bre du bureau sig­nale oppor­tuné­ment que, avant 1848, Léon Lalanne avait payé à ses frais des études à un jeune paysan pau­vre con­duit jusqu’à l’École polytechnique. 

À Cher­bourg, le 15 avril devant le club démoc­ra­tique, Léon Lalanne expose qu’il a pris une part active aux com­bats de Févri­er. Il rap­pelle qu’il a tou­jours défendu les idées démoc­ra­tiques et lut­té con­tre la corruption. 

Il souhaite un prési­dent de la République élu pour cinq ans au suf­frage uni­versel et une seule cham­bre élue pour trois ans. Il promet d’améliorer le sort des tra­vailleurs en assur­ant du tra­vail pour tous. Il milite en faveur de l’impôt pro­gres­sif sur les revenus, pro­pose la diminu­tion du nom­bre trop nom­breux des fonc­tion­naires. Il con­damne les excès de la centralisation. 

On con­naît le célèbre réc­it dans lequel Alex­is de Toc­queville racon­te son élec­tion dans le départe­ment de la Manche. Léon Lalanne, insuff­isam­ment implan­té, ne fut pas élu, à l’issue de sa très brève cam­pagne élec­torale, arrivant seule­ment au 25e rang des candidats. 

Mais lors de la procla­ma­tion des résul­tats, le 28 avril 1848, Léon Lalanne a déjà regag­né Paris où un nou­veau dif­fi­cile chantier l’attend.

À suiv­re dans notre prochain numéro : Léon Lalanne, des Ate­liers Nationaux à l’Académie

On trou­ve dans le​, un arti­cle de JP CALLOT “ Déla­tion, sol­i­dar­ité, générosité ” au sujet de Léon LALANNE. 

Poster un commentaire