Rompre avec la facilité de la dette publique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°616 Juin/Juillet 2006Par : Rapport officiel Commission présidée par Michel Pébereau (61)Rédacteur : Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

Ce rap­port a été com­man­dé en juillet 2005 par Thier­ry Bre­ton, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Outre le pré­sident Michel Pébe­reau, de nom­breux cama­rades étaient membres de la com­mis­sion : Patrick Artus (70), Jean-Michel Char­pin (68), Oli­vier Davanne (78), Phi­lippe Her­zog (59), Phi­lippe Kou­rils­ki (62). Guillaume Sar­lat (95) en était rap­por­teur. De nom­breuses autres per­son­na­li­tés de tous bords y par­ti­ci­paient, dont Michel Cam­des­sus, auteur du rap­port sur Le sursaut.

La com­mis­sion avait pour mis­sion de :

• mettre en évi­dence les condi­tions dans les­quelles la dette publique actuelle s’est constituée,
• défi­nir les orien­ta­tions et les mesures néces­saires pour assu­rer le redres­se­ment de nos finances publiques et réduire leurs charges pour le futur,
• et pro­po­ser toutes mesures de nature à déga­ger des marges de manœuvre nou­velles en appui des réformes que doit mettre en œuvre notre pays, y com­pris des mesures rela­tives à la ges­tion de la dette elle-même.

Le titre du rap­port annonce la cou­leur ! Nos finances publiques sont dans une situa­tion très pré­oc­cu­pante : la dette finan­cière publique est de 1 117 G€ à fin 2005 et dépasse le seuil de 60 % fixé pour la zone euro avec 65 % du PIB à fin 2004 contre 21 % en 1960. Il faut y ajou­ter les enga­ge­ments de retraite qui repré­sentent selon une esti­ma­tion pru­dente 400 G€ 1.

Cette situa­tion ne nous a pas été impo­sée : nous n’avons ces­sé de l’accepter. Elle n’est pas le résul­tat d’un effort struc­tu­ré pour la crois­sance et la pré­pa­ra­tion de l’avenir mais le choix de la faci­li­té : le recours à l’endettement a per­mis de com­pen­ser une ges­tion insuf­fi­sam­ment rigou­reuse des dépenses publiques. Les lour­deurs et les inco­hé­rences de notre appa­reil admi­nis­tra­tif en sont une pre­mière expli­ca­tion mais ce sont prin­ci­pa­le­ment nos pra­tiques poli­tiques et col­lec­tives et notam­ment notre pré­fé­rence pour la dépense publique qui sont à l’origine de notre situa­tion finan­cière actuelle.

Nos ambi­tions de crois­sance et de soli­da­ri­té sont aujourd’hui à l’épreuve car, si rien n’est fait, les défi­cits des régimes de retraite et d’assurance mala­die vont s’aggraver avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion. Pour répondre à ces défis, les admi­nis­tra­tions publiques ne peuvent pas comp­ter sur une aug­men­ta­tion sub­stan­tielle de leurs res­sources car les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires sont déjà à un niveau très éle­vé par rap­port aux autres pays indus­tria­li­sés (44 % du PIB contre 39,5 % pour la zone euro et 35 % pour le G7). La pour­suite de l’endettement public ne résou­drait rien et nous expo­se­rait au contraire à un risque réel d’asphyxie finan­cière, avec un taux d’endettement por­té à des niveaux insup­por­tables : 130 % en 2020, 200 % en 2030, etc.

Notre objec­tif pour les cinq pro­chaines années doit donc être de remettre en ordre nos finances publiques en maî­tri­sant nos dépenses et en les orien­tant mieux. Cet objec­tif est à notre por­tée, écrit Michel Pébe­reau, à condi­tion de res­pec­ter trois prin­cipes essentiels :

• le par­tage de l’effort de réduc­tion des dépenses publiques entre l’État, les régimes sociaux et les col­lec­ti­vi­tés territoriales,
• le main­tien du niveau glo­bal des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires pen­dant la période du retour à l’équilibre,
• le réexa­men inté­gral de l’efficacité des dépenses.

Cette nou­velle concep­tion de l’action publique ren­for­ce­rait nos pers­pec­tives de crois­sance et d’emploi et notre capa­ci­té de solidarité.
Une liste de 20 pré­co­ni­sa­tions suit, dont le rap­por­teur prend soin de pré­ci­ser qu’elles sont le fruit d’une com­mis­sion plu­ra­liste et ne sont ni de droite ni de gauche mais dans l’intérêt de tous les Français.

Quatre mesures concernent l’État :
(1) reve­nir à l’équilibre en cinq ans au maxi­mum en sta­bi­li­sant les dépenses en euros courants ;
(2) ne pas dimi­nuer le niveau glo­bal des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires pen­dant cette période ;
(3) affec­ter inté­gra­le­ment les recettes excep­tion­nelles au désendettement ;
(4) uti­li­ser ensuite les finances publiques pour régu­ler le cycle économique.

Deux mesures concernent les col­lec­ti­vi­tés territoriales :
(5) sta­bi­li­ser les dota­tions de l’État en euros cou­rants tout en assu­rant la neu­tra­li­té des transferts ;
(6) leur assu­rer une plus grande maî­trise de leurs res­sources et de leurs dépenses.

Quatre mesures concernent les régimes sociaux :
(7) pour­suivre la réforme des retraites en 2008 ;
(8) garan­tir le retour à l’équilibre de l’assurance mala­die en 2009 ;
(9) garan­tir ensuite l’absence d’endettement ;
(10) garan­tir l’équilibre de l’assurance chômage.

Quatre mesures visent à réa­li­ser ces objectifs :
(11) don­ner la prio­ri­té à la réduc­tion des dépenses inefficaces ;
(12) gager toute nou­velle dépense sur la sup­pres­sion de dépenses équivalentes ;
(13) réorien­ter dans les trois ans toutes les dépenses de l’État et de la sécu­ri­té sociale ;
(14) consa­crer plus de temps au Par­le­ment à l’analyse des résul­tats qu’au vote du bud­get ; sim­pli­fier l’organisation admi­nis­tra­tive et faire dis­pa­raître toutes les struc­tures redondantes.

Trois mesures concernent la ges­tion des res­sources humaines :
(15) uti­li­ser dès aujourd’hui au maxi­mum l’opportunité des départs à la retraite pour sup­pri­mer les sureffectifs ;
(16) lever tous les obs­tacles à la mobi­li­té des agents ;
(17) fixer une part signi­fi­ca­tive de la rému­né­ra­tion des ges­tion­naires en fonc­tion de la qua­li­té de leur ges­tion et du res­pect de leurs objectifs.

Enfin, trois mesures visent à chan­ger la logique de nos poli­tiques de crois­sance, d’emploi et de cohé­sion sociale :
(18) éva­luer l’efficacité des régle­men­ta­tions publiques ;
(19) ne pas dis­per­ser les moyens publics notam­ment en matière d’emploi, ensei­gne­ment supé­rieur et recherche ;
(20) faire vrai­ment le choix de la cohé­sion sociale.

Bien que la com­mis­sion ait fait l’effort de remettre ses conclu­sions avant la fin de 2005 et que le ministre des Finances en ait pré­fa­cé le rap­port, force est de consta­ter que sa mise en œuvre a été repor­tée à 2007. Le bud­get de 2005 n’a réus­si à res­ter en deçà des fati­diques 3 % que par des arti­fices de der­nière minute comme le paie­ment du solde de l’impôt des grandes socié­tés en décembre 2005 au lieu de mars 2006.

Le bud­get de 2006 com­porte encore un défi­cit de l’ordre de 3 % du PIB que la hausse récente des taux d’intérêt rend a prio­ri irréa­li­sable. Ce bud­get conte­nait en vio­la­tion de la pré­co­ni­sa­tion 15 une dimi­nu­tion homéo­pa­thique du nombre de fonc­tion­naires. Les évé­ne­ments récents l’ont vio­lée allè­gre­ment avec l’annonce de 50 000 créa­tions d’emplois dans l’Éducation natio­nale. La pré­co­ni­sa­tion 12 en a éga­le­ment pris sérieu­se­ment pour son grade avec le recours sys­té­ma­tique à la dépense publique, quel­que­fois camou­flée sous forme de réduc­tion d’impôt, pour résoudre les pro­blèmes des ban­lieues, des chô­meurs, des res­tau­ra­teurs, débi­tants de tabac et autres marins pêcheurs.

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