Richard Strauss : Ariane à Naxos

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°638 Octobre 2008Par : E. Magee, E. Mosuc, R. Sacca, Opéra de Zurich, Christoph von DohnanyiRédacteur : Marc DARMON (83)

On a sou­vent van­té ici com­ment le DVD per­met désor­mais de ressen­tir chez soi des émo­tions qui se rap­prochent du concert.

Coffret DVD Ariane à NaxosVoir les musi­ciens, le chef d’orchestre, le pub­lic apporte une sen­sa­tion de réal­isme que n’offrait pas le disque. Pour l’opéra, l’apport du DVD est encore plus remar­quable. Prof­iter de la mise en scène et du jeu des acteurs dans des décors pen­sés pour le spec­ta­cle est irrem­plaçable. Cette pro­duc­tion d’Ari­ane à Nax­os de Strauss à Zurich en 2006 en est un par­fait exemple.

L’opéra com­posé par Strauss juste après Le Cheva­lier à la rose, dans un style bien plus acces­si­ble que les deux opéras qui l’ont précédé, Elek­tra et Salomé, est par­ti­c­ulière­ment orig­i­nal. Le pro­logue met en scène un com­pos­i­teur qui se fait impos­er jusqu’à la mort par un com­man­di­taire ignare et pressé de mélanger son opera seria, qui relate les lamen­ta­tions d’Ariane aban­don­née sur l’île de Nax­os par Thésée, avec un opéra bouffe faisant inter­venir les per­son­nages de la Com­me­dia dell’Arte. Puis l’opéra lui-même mélange effec­tive­ment l’appel à la mort d’Ariane, puis son chant d’amour avec Bac­chus venu la sauver, avec les amourettes de Zer­bi­nette, Scara­mouche et Arle­quin. Cette trame est le sup­port d’une des plus belles musiques de Strauss et d’un des plus fins textes de son libret­tiste de l’époque, le grand dra­maturge Hugo von Hofmannsthal.

La mise en scène repro­duite sur ce DVD pousse encore un cran plus loin l’intellectualisme de l’opéra. Ici l’île déserte est une métaphore pour l’isolement d’Ariane. Tout est trans­posé à une époque con­tem­po­raine, et le drame devient actuel avec mécènes par­venus, femmes aban­don­nées, coureuses vul­gaires et bel­lâtres de comédie. Ici plus de péplum ni de cos­tumes d’Arlequin : l’action se passe dans un grand restau­rant zuri­chois, où les Naïades vocalisent en essuyant les ver­res et où les serveurs cour­tisent les clientes. Infidèle trans­po­si­tion, mais très crédi­ble, avec de vraies trou­vailles psy­chologiques, comme ce con­traste atténué entre Ari­ane et Zer­bi­nette pour mon­tr­er la prox­im­ité des deux femmes, ou ce spec­tre du com­pos­i­teur qui hante toute la fin du mélange burlesque.

Musi­cale­ment, c’est somptueux. Christoph von Dohnanyi est un des plus grands chefs actuels. Son orchestre, léger et « cham­briste », est très bien enreg­istré. Notam­ment les bois qui indiquent les sen­sa­tions et les émo­tions (le désir de Zer­bi­nette…) envelop­pent par­faite­ment les chanteurs. Les qua­tre pro­tag­o­nistes prin­ci­paux (Ari­ane, Bac­chus, Zer­bi­nette, le com­pos­i­teur) sont absol­u­ment exem­plaires. Sans tout citer, dis­ons qu’Elena Mosuc donne une inter­pré­ta­tion de Zer­bi­nette bien plus sim­ple que sou­vent, par­faite­ment adap­tée à la mise en scène. Les pris­es de rôle de Rober­to Sac­ca en Bac­chus et de la grande Emi­ly Magee (une for­mi­da­ble Des­de­mone aus­si, un rôle aux antipodes de celui-ci) en Ari­ane ont été juste­ment très remar­quées à l’occasion de cette production.

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