Bach Le Clavier bien tempéré, Livres I et II, Sir András Schiff, piano

Bach Le Clavier bien tempéré, Livres I et II, Sir András Schiff, piano

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°776 Juin 2022
Par Marc DARMON (83)

Cet ensemble monu­men­tal de plus de quatre heures et près de cent mor­ceaux est consi­dé­ré par­fois comme l’Ancien Tes­ta­ment de la musique pour pia­no (les trente-deux sonates de Bee­tho­ven étant le Nou­veau Tes­ta­ment), selon une expres­sion du pia­niste et chef Hans von Bülow, ami et rival sen­ti­men­tal de Wag­ner. Pour cha­cun des deux livres, vingt-quatre pré­ludes et vingt-quatre fugues sur des tona­li­tés qui s’enchaînent do majeur, do mineur, do# majeur, …, jusqu’à avoir par­cou­ru toute la gamme chro­ma­tique des 24 modes majeurs et mineurs. Le pre­mier livre est ache­vé en 1722, le second en 1744. 

Dans cet ensemble monu­men­tal, aucun pré­lude, aucune fugue ne res­semble à aucun autre : les fugues le plus sou­vent à trois ou quatre voix déploient un éven­tail com­plet des pro­cé­dés contra­pun­tiques ; les pré­ludes sont d’une varié­té mélo­dique, ryth­mique ou de construc­tion peut-être encore plus grande. Cha­cune de ces pièces démontre la maî­trise d’un contre­point savant qui pour­tant ne prend jamais le pas sur l’esthétique, et un sens du déve­lop­pe­ment de l’idée musi­cale qui ne cède jamais à la répé­ti­tion et à la facilité.

Mal­gré l’inventivité de Bach, ses varia­tions de style, d’harmonie, la créa­ti­vi­té de ses rythmes et de ses fugues, on ima­gine bien que pour tenir ces œuvres en public cela demande à l’interprète des qua­li­tés hors du com­mun pour à la fois en maî­tri­ser la tech­nique, mais sur­tout pour main­te­nir l’attention des spec­ta­teurs. C’est ce que réa­lise le grand pia­niste hon­grois András Schiff (né en 1953) lors de deux soi­rées au Proms de Londres qui nous sont res­ti­tuées sur ces DVD dans des condi­tions d’image et de son excep­tion­nelles. Schiff joue et enre­gistre les grandes œuvres de Bach depuis le début des années 80, mais recon­nais­sons que son Bach depuis quelques années offre une plé­ni­tude, une richesse, une séré­ni­té, une hau­teur de vue qui est indis­pen­sable pour sai­sir la force de cette musique.

Enchaî­nant les mor­ceaux archi-célèbres (pre­miers pré­ludes et fugues) et d’autres bien moins connus et ter­ri­ble­ment exi­geants, Schiff réus­si l’exploit de pas­sion­ner l’auditeur deux heure durant, ces soirs-là de 2017 et 2018 au Royal Albert Hall de Londres, comme dans ses tour­nées les années sui­vantes, y com­pris à Paris il y a quelques mois à la Phil­har­mo­nie et au Théâtre des Champs-Élysées. 

Le film de ces concerts nous per­met de per­ce­voir le recueille­ment atten­tif d’un Royal Albert Hall plein à cra­quer grâce au jeu clair, vivant, et tou­jours mer­veilleu­se­ment chan­tant de Schiff. Il varie les atmo­sphères entre chaque mor­ceaux, Schiff dit qu’il voit même des cou­leurs dif­fé­rentes pour chaque pièce. En fait une telle façon de jouer per­met de mettre d’accord les par­ti­sans d’une inter­pré­ta­tion de ces œuvres au pia­no et les oppo­sants qui consi­dèrent qu’on doit les jouer sur des ins­tru­ments que Bach a connus. 

Consi­dé­rons que Bach a tou­jours uti­li­sé les ins­tru­ments à sa dis­po­si­tion au maxi­mum de leur capa­ci­té, et que Bach en pré­sence d’un pia­no moderne aurait par­fai­te­ment ado­ré, comme nous, ce que Schiff tire de son mer­veilleux ins­tru­ment, avec usage modé­ré et dif­fé­ren­cié de la pédale. Il est impres­sion­nant de voir com­ment Schiff joue ces par­ti­tions longues et com­plexes par cœur, il recon­naît lui-même qu’il a la chance d’avoir une bonne mémoire par­fai­te­ment adap­tée à Bach. 

L’Ancien Tes­ta­ment du pia­no, dans sa ver­sion de référence.


Deux DVD ou Blu-ray Naxos

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