Richard Wagner, Lohengrin

Richard Wagner, Lohengrin

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°755 Mai 2020
Par Marc DARMON (83)

Fes­ti­val de Bay­reuth 2018, Anja Har­te­ros, Pio­tr Bec­zała, Direc­tion Chris­tian Thielemann

Pour sim­pli­fier, il y a trois périodes dans les opé­ras de Wag­ner. Tout d’abord les trois opé­ras de jeu­nesse, presque jamais joués, même à Bay­reuth, dans un style en conti­nui­té de Meyer­beer et de Weber, Les Fées, La défense d’aimer et Rien­zi (com­men­té ici en novembre 2013). Puis les trois pre­miers chefs‑d’œuvre Le Vais­seau fan­tôme, Tannhäu­ser et Lohen­grin, avant les grands opé­ras de la matu­ri­té dont La Tétra­lo­gie. Fon­dée comme sou­vent chez Wag­ner sur la mytho­lo­gie ger­ma­nique ou saxonne, l’histoire de Lohen­grin a des racines pro­fondes. Le per­son­nage est pro­ba­ble­ment ins­pi­ré de Garin de Lor­raine (« Lor­raine-Grin »), c’est-à-dire la Lotha­rin­gie à l’époque, ce qui est natu­rel­le­ment inco­hé­rent avec un autre élé­ment de sa légende disant qu’il est le fils de Par­si­fal (Per­ce­val le Gal­lois). Il est d’ailleurs sai­sis­sant de réa­li­ser que Wag­ner réuti­li­se­ra pour son der­nier opé­ra, Par­si­fal, plus de trente ans plus tard, les thèmes musi­caux du Graal et du Cygne décou­verts dans Lohen­grin. Ce héros mytho­lo­gique, dont l’intrigue prin­ci­pale de l’opéra tourne de toute façon autour du secret de ses ori­gines, a ins­pi­ré à Wag­ner une musique flat­teuse et mélo­dique. Le sys­tème wag­né­rien de « leit­mo­tiv », ces thèmes atta­chés à des per­son­nages, des objets, des sen­ti­ments ou des évé­ne­ments et qui reviennent tout au long de l’ouvrage, se déve­loppe réel­le­ment pour la pre­mière fois.

Lohen­grin est aus­si le pre­mier opé­ra de Wag­ner à dépas­ser les trois heures et demi, for­mat en des­sous duquel Wag­ner ne redes­cen­dra plus (à part natu­rel­le­ment pour L’Or du Rhin, mais qui n’est qu’un « Prologue »).

Musi­ca­le­ment, ce spec­tacle de Bay­reuth est remar­quable. Visuel­le­ment, c’est beau­coup plus réus­si que de nom­breuses pro­duc­tions récentes de Lohen­grin que nous avons vues, même si nous pou­vons avoir quelques regrets.

Le Pré­lude, où Bau­de­laire se disait « déli­vré des liens de la pesan­teur », et célèbre depuis que le dic­ta­teur de Cha­plin dan­sa des­sus en rêvant, est magni­fi­que­ment diri­gé par le chef de la soi­rée Chris­tian Thie­le­mann, grand chef sym­pho­nique et d’opéra à la fois, qui aura diri­gé tout Wag­ner à Bay­reuth. Bau­de­laire ajoute qu’il voit dans ce pré­lude « l’idée d’une âme se mou­vant dans un milieu lumi­neux, d’une extase faite de volup­té et de connais­sance, et pla­nant au-des­sus et bien loin du monde nature ».

Anja Har­te­ros et Wal­traud Meier sont des habi­tuées des rôles d’Elsa et Ortrud, comme chaque fois elles sont superbes, à tout point de vue. Pour Meier, c’était sa der­nière Ortrud. Pour le grand ténor Pio­tr Bec­zała, c’est en revanche un rôle récent, et sup­pléant Rober­to Ala­gna ini­tia­le­ment pré­vu pour cette pro­duc­tion. Et c’est un suc­cès, sa voix est par­fai­te­ment adap­tée au rôle exi­geant du héros.

On l’a dit, la pro­duc­tion de Yuval Sha­ron de l’été 2018 est belle, les décors et cos­tumes sont attrayants. En revanche le contexte sous-ten­dant la mise en scène est gro­tesque, et tout à fait inuti­le­ment : les Bra­ban­çons sont des mouches pri­son­nières dans un répar­ti­teur élec­trique, Lohen­grin vient les libé­rer dégui­sé en agent EDF, et ain­si de suite. C’est bien dom­mage car les cou­leurs et les décors en fai­saient un spec­tacle très agréable à voir, et musi­ca­le­ment c’est le Lohen­grin le plus recom­man­dable en DVD.

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