Glenn Gould TV

Glenn Gould : Programmes TV 1954–1977

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°769 Novembre 2021
Par Marc DARMON (83)

Ce copieux cof­fret de 10 DVD est un excep­tion­nel moyen de mieux com­pren­dre la per­son­nal­ité com­plexe qu’a été Glenn Gould. Ces émis­sions, prin­ci­pale­ment pour la télévi­sion cana­di­enne, mélan­gent inter­views (sans sous-titres mal­heureuse­ment, et par­tielle­ment en noir et blanc naturelle­ment) et inter­pré­ta­tions de nom­breuses pièces. Glenn Gould nous a quit­tés en 1982, après seule­ment 25 ans de car­rière inter­na­tionale, et seule­ment moins de dix ans sur la scène, car il s’est con­sacré aux enreg­istrements dès 1964.

Dans ses inter­views très intel­lectuelles, Glenn Gould nous éclaire de ses vues musi­cologiques sur une péri­ode musi­cale qui s’étend des vir­ginal­istes élis­abéthains (Byrd, Gib­bons, autour de 1600) aux com­pos­i­teurs du vingtième siè­cle (Berg, Schoen­berg, Webern, Sibelius, Hin­demith, Prokofiev). Ses inter­views sont tou­jours pas­sion­nantes, même si elles sont truf­fées de provo­ca­tions, du type « la musique la plus mer­veilleuse qu’on puisse jouer au piano est celle du XVIe siè­cle et fut écrite pour le vir­ginal » ou « Orlan­do Gib­bons se trou­ve être mon com­pos­i­teur préféré ».

On trou­ve aus­si de façon très cocasse de cour­tes pub­lic­ités télévi­suelles où Glenn Gould fait de la réclame pour une émis­sion de radio, où il se déguise (par exem­ple en Mar­lon Bran­do jeune, sur la musique du Par­rain) ou joue Bach sur syn­thé­tiseur. Et des exposés musi­cologiques for­mi­da­bles, je cite notam­ment celui où il explique la con­struc­tion d’une fugue en par­tant d’un thème triv­ial de La Mélodie du bon­heur.

Bien enten­du la part belle est lais­sée à Bach, en soliste ou en con­cer­to (avec une lib­erté incroy­able dans les mou­ve­ments lents de con­cer­to). Mais on trou­ve aus­si dans ce cof­fret des mer­veilles bien con­nues au disque que les con­nais­seurs se félici­tent de retrou­ver en vidéo. Et même cer­tains com­pos­i­teurs absents de sa discogra­phie (Webern, Chostakovitch).

Com­mençons notre com­men­taire par la Fan­taisie pour vio­lon et piano de Schoen­berg, jouée avec Yehu­di Menuhin. Elle est précédée par une con­ver­sa­tion entre les deux artistes, où Menuhin explique qu’il ne com­prend pas cette musique, qu’il l’interprète unique­ment ce jour pour pou­voir jouer avec Glenn Gould qu’il admire. Et Gould explique à Menuhin com­ment appréci­er cette musique, il est vrai dif­fi­cile d’accès car il s’agit du Schoen­berg le plus rad­i­cal. Mais quelle leçon de musique de cham­bre, d’attention d’un musi­cien à l’autre, d’écoute réciproque ! Et c’est bien enten­du la seule ver­sion de la Fan­taisie de Schoen­berg en vidéo. Plus acces­si­ble est l’interprétation de la Sonate pour Vio­lon et piano n° 10 de Beethoven par les mêmes artistes, Menuhin lumineux et Gould provocant.

Notons égale­ment les extraits d’opéra (Elek­tra !), Gould étant capa­ble de jouer au piano des opéras de Strauss ou de Wag­n­er qu’il tran­scrit lui-même de mémoire, lit­térale­ment pos­sédé. Strauss tou­jours, où il accom­pa­gne mer­veilleuse-ment un des qua­tre derniers Lieder et les Ophe­lia-Lieder.

Et citons aus­si de nom­breuses œuvres absentes de sa discogra­phie (Bur­lesque et la Sonate pour vio­lon et piano de Strauss, Sonate pour vio­lon­celle et piano de Beethoven jouée avec énor­mé­ment de facétie, Vari­a­tions pour piano de Webern, Fan­taisie de Debussy), tou­jours dans des inter­pré­ta­tions très intéressantes.

Bien enten­du tout chez Gould n’est pas culte, et on a le droit d’adorer cer­taines inter­pré­ta­tions et d’en détester d’autres. J’avoue ne pas appréci­er (et même haïr, du fait de la provo­ca­tion per­ma­nente qu’il y intè­gre) ses Beethoven et ses Mozart, et pour­tant ador­er ses Haydn, une par­tie de ses Bach (Vari­a­tions Gold­berg bien sûr, mais aus­si les Toc­catas, Suites…), son disque de musique élis­abéthaine, ses Brahms, ses Bizet, Strauss et Sibelius qu’il fut pen­dant un temps le seul à jouer.

Un pas­sion­nant coffret.


10 DVD Sony

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