Accélérer la R&D

Repenser l’organisation des grands groupes ?

Dossier : Open innovationMagazine N°722 Février 2017
Par Michaël HADDAD (D00)
Par Philippe LOUÉ (87)

S’ou­vrir vers l’ex­térieur a des con­séquences sur toutes les direc­tions d’une grande organ­i­sa­tion. Chaque ser­vice doit pou­voir absorber l’ar­rivée de don­nées nou­velles et les inté­gr­er dans les proces­sus habituels de travaux.

L’open inno­va­tion invite les entre­pris­es à s’appuyer sur des parte­naires externes pour innover plus effi­cace­ment et rapi­de­ment. Pour beau­coup, il s’agit surtout de faciliter la rela­tion start-ups – grands groupes, les pre­mières étant réputées agiles et les plus aptes à explor­er de nou­veaux con­cepts, alors que les sec­onds seraient seuls capa­bles, via une présence mon­di­ale et des proces­sus effi­cients, de pro­duire et dis­tribuer un pro­duit ou ser­vice tou­jours iden­tique à un coût optimisé. 

“ Organisation et processus décisionnel sont les facteurs clés ”

L’open inno­va­tion se résumerait donc, selon cette théorie, à une réponse au manque d’« ambidex­trie » des grands groupes. 

Pour­tant, de nom­breuses PME n’innovent pas et ont avant tout une activ­ité de sous-traitance. 

A con­trario, lorsqu’il s’agit de citer des entre­pris­es inno­vantes, le nom d’Apple, multi­na­tionale de plus de 200 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires et de près de 100 000 employés, vient sou­vent en premier. 

REPÈRES

Michael Tushman et Charles O’Reilly ont forgé l’expression d’organisation ambidextre, pour désigner une organisation capable à la fois de se renouveler en explorant de nouveaux territoires, tout en tirant le meilleur parti de leurs ressources existantes (The Ambidextrous Organization, Harvard Business Review, avril 2004).

 
IL FAUT REPENSER L’ORGANISATION

En matière d’innovation ouverte, l’organisation et le proces­sus déci­sion­nel plus que la taille de l’entreprise sont les fac­teurs de réus­site clés. Ce n’est pas une réponse « mag­ique » au manque d’agilité des grandes entre­pris­es, qui retrou­veraient ain­si un dynamisme per­du en s’appuyant sur des start-ups. 

“ L’innovation n’est un succès que si elle atteint le marché ”

L’open inno­va­tion ne se sub­stitue pas au proces­sus clas­sique d’innovation qui est d’abord un proces­sus de con­cep­tion. En ouvrant con­sid­érable­ment les bases de con­nais­sances, elle démul­ti­plie les champs d’innovation qui, sans pilotage, risquent d’être sans lien avec la stratégie de l’entreprise.

S’ouvrir vers l’extérieur est donc une tran­si­tion qui a des con­séquences sur toutes les direc­tions d’une grande organ­i­sa­tion, d’autant plus que ce parte­naire extérieur ne se lim­ite pas aux start-ups, mais peut être un inven­teur isolé ou un client, une autre entre­prise, un lab­o­ra­toire de recherche académique, etc. 

UNE STRATÉGIE DE COOPÉRATION NOUVELLE

Pour se lancer dans l’ouverture en inno­va­tion, l’insertion dans un écosys­tème tel que les pôles de com­péti­tiv­ité ou la créa­tion de cel­lules d’innovation (Sil­i­con Val­ley, Tech­nion, etc.) appa­raît comme une évi­dence. Mais détecter rapi­de­ment un parte­naire ne suf­fit pas, encore faut-il bien gér­er la col­lab­o­ra­tion pour le conserver. 

Un ser­vice pro­priété intel­lectuelle com­pé­tent, des achats qui com­pren­nent les enjeux de tré­sorerie des start-ups, une ges­tion budgé­taire des pro­jets d’innovation agile, des équipes d’experts capa­bles d’évaluer rapi­de­ment les pro­jets qui leur sont soumis sont autant d’atouts.

L’objet du parte­nar­i­at est lui-même beau­coup moins bien défi­ni et amené à évoluer au cours du temps, d’où la dif­fi­culté à le contractualiser. 

UNE RÉVOLUTION DU PROCESSUS INTERNE D’INNOVATION

Faire de l’open inno­va­tion ne veut pas dire exter­nalis­er sa R&D, mais plutôt l’accélérer en s’appuyant sur des ressources externes. Une entre­prise sans R&D interne n’aurait pas la capac­ité d’évaluer les tech­nolo­gies qu’elle iden­ti­fierait. Néan­moins, le proces­sus interne d’innovation se trou­ve de toute évi­dence modifié. 

LA THÉORIE C‑K

La théorie C‑K (pour concept-knowledge ou concept/connaissance) est une théorie de la conception.
Elle prône un espace de réflexion, partant d’un concept sur lequel le groupe de réflexion va greffer des caractéristiques supplémentaires qui induiront des manques dans l’espace des connaissances.
L’augmentation des connaissances permettra à son tour de créer de nouveaux concepts.

La pre­mière étape con­sis­tera sou­vent à clar­i­fi­er les grands axes de la R&D : ce qui n’est pas clair en interne le sera encore moins pour l’extérieur.

Les méth­odes per­me­t­tant de car­togra­phi­er la démarche de con­cep­tion, comme la théorie C‑K, appor­tent une aide pré­cieuse car elles iden­ti­fient sys­té­ma­tique­ment les bases de con­nais­sances et les con­cepts sur lesquels s’appuie la conception. 

L’apport du man­age­ment visuel qu’offre la démarche évite les sit­u­a­tions implicites dans lesquelles les équipes internes perçoivent par­faite­ment qu’il faudrait aller voir à l’extérieur, mais ten­tent d’y échap­per pour s’éviter une remise en cause. 

Lorsqu’il s’agit de col­la­bor­er avec un parte­naire académique, par nature plus axé sur le long terme, la mise en place de thès­es en con­trat CIFRE ou l’implication de col­lab­o­ra­teurs dans les enseigne­ments du lab­o­ra­toire sont un bon moyen d’asseoir la relation. 

Autre parte­naire en inno­va­tion, l’utilisateur final, asso­cié à la phase de con­cep­tion par le Design Think­ing, change le cycle de con­cep­tion en « V » tra­di­tion­nel pour un proces­sus itératif qui demande agilité, rapid­ité et humilité. 

REPENSER LES RESSOURCES HUMAINES

L’open inno­va­tion pose de nom­breuses ques­tions aux ressources humaines. Il faut man­ag­er des « scouts », pro­fils seniors sou­vent isolés du siège, stim­uler la prise de risque et l’entrepreneuriat, et chang­er les men­tal­ités en pas­sant du Not Invent­ed Here au Proud­ly Found Else­where, comme l’indiquait Proc­ter & Gam­ble en faisant la pro­mo­tion de son pro­gramme Con­nect & Devel­op (C&D) plutôt que Research & Devel­op (R&D).

Mais il s’agit aus­si d’identifier de nou­veaux pro­fils : des experts dans plusieurs domaines capa­bles de tiss­er des liens entre eux. On par­le de pro­fils en « M » par oppo­si­tion aux experts d’un domaine isolé (pro­fil en « I »). 

RACCORDER INNOVATIONS EXTERNES ET PROCESSUS INTERNES

L’innovation n’est un suc­cès que si elle atteint son but : le marché. Se pose alors le prob­lème du rac­corde­ment d’une inno­va­tion conçue par­tielle­ment en dehors de l’entreprise et de ses proces­sus classiques. 


Accélér­er la R & D en s’appuyant sur des ressources externes. © RAWPIXEL.COM

Com­ment s’assurer que ce qui a été dévelop­pé sera accep­té par les équipes en aval qui devront indus­tri­alis­er, com­mer­cialis­er et main­tenir le nou­veau pro­duit ou service ? 

Ce point con­stitue aujourd’hui la grande désil­lu­sion de l’innovation et n’est que rarement traité, l’essentiel des efforts étant aujourd’hui porté sur l’amont de l’innovation : la pro­duc­tion d’un pro­to­type. Il est sou­vent ren­for­cé par la coupure créée par la mise en place d’un hub ou d’un lab dédié à l’innovation.

La par­tic­i­pa­tion des métiers « tra­di­tion­nels » de l’entreprise ou l’identification d’un spon­sor favorisent ce rac­corde­ment, à con­di­tion qu’ils inter­vi­en­nent dès la genèse du pro­jet et qu’il ne néces­site pas la créa­tion d’une nou­velle ingénierie ou d’un mod­èle d’affaire en rupture. 

Dans ces derniers cas, il devient indis­pens­able de « sor­tir » de l’organisation, par exem­ple par la créa­tion de joint-ven­ture (Toy­ota et Toshi­ba pour dévelop­per les bat­ter­ies de la Prius, ou entre Auto­liv et SNPE pour les généra­teurs de gaz d’airbag) voire de spin-off (Nespres­so).

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