Regards chinois sur l’industrie

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Alain BUTLER (86)

Depuis son ouver­ture économique dans les années 1980, la Chine col­la­bore avec l’étranger selon un mod­èle adap­té et évo­lu­tif, répon­dant simul­tané­ment aux intérêts du pays et aux objec­tifs de ses con­trepar­ties. Dans un pre­mier temps, le pays a besoin pour son développe­ment en pri­or­ité de tech­nolo­gies et de finance­ments. L’option pro­posée est la joint-ven­ture (JV), for­mule qui con­vient aux entre­pris­es occi­den­tales désireuses d’accéder au marché chi­nois, comme à la Chine qui peut ain­si obtenir tech­nolo­gies et financement.

REPÈRES
Depuis son ouver­ture, la Chine a inten­si­fié ses échanges avec l’étranger sous dif­férentes formes et a con­stru­it un des États les plus puis­sants au monde. Les approches qui ont pu con­tribuer au suc­cès de l’industrie chi­noise sont très divers­es et originales.
Elles con­stituent une bonne illus­tra­tion de la façon dont les Chi­nois appréhen­dent le développe­ment de leurs entreprises.

Un modèle évolutif

Par exem­ple, dans le secteur auto­mo­bile, les JV pro­lifèrent à Can­ton, à Shang­hai et dans d’autres villes. Au fur et à mesure que la Chine gagne en capac­ités finan­cières, elle per­met pro­gres­sive­ment l’implantation de fil­iales à 100 % de groupes étrangers, les WFOE (Whol­ly For­eign-Owned Enter­pris­es), qui con­fèrent l’autonomie de ges­tion à cha­cun des partenaires.

La Chine devient « l’usine du monde »

À par­tir de l’accession du pays à l’OMC en 2001, la Chine devient « l’usine du monde » et son four­nisseur en biens en tout genre. Les Chi­nois acquièrent des savoir-faire en répon­dant aux cahiers des charges des clients étrangers, qui, eux, y trou­vent leur compte avec des prix compétitifs.

Grâce au mod­èle du sourc­ing, le pays bâtit des posi­tions dom­i­nantes dans cer­tains secteurs de l’économie (jou­et, tex­tile, etc.).

Des industries dynamiques

L’industrie chi­noise est en général recon­nue pour son dynamisme et sa posi­tion con­cur­ren­tielle. La mat­u­ra­tion rapi­de de cer­tains secteurs a per­mis au pays de con­stituer des cham­pi­ons inter­na­tionaux en moins d’une généra­tion, comme dans le cas des équipemen­tiers de télécommunications.

Des voies alternatives
Aujourd’hui, afin de dévelop­per leurs com­pé­tences (tech­niques ou de man­age­ment), les Chi­nois pro­posent aux étrangers nom­bre de voies alter­na­tives. Celles-ci peu­vent s’adresser à des con­trepar­ties indi­vidu­elles (chas­se de têtes, invi­ta­tion à des think-tanks, etc.) ou col­lec­tives (acqui­si­tion d’entreprises défail­lantes, achat de presta­tions intel­lectuelles, inci­ta­tion à l’implantation de cen­tres de R&D, etc.).

Typ­ique­ment, lorsqu’un pre­mier entrant investit avec suc­cès dans un secteur, de nom­breux con­cur­rents sur­gis­sent très vite, par­fois dans la même région, par « clon­age » via d’anciens employés.

Lors d’une phase ultérieure de mat­u­ra­tion, des normes et régle­men­ta­tions, sou­vent inspirées des stan­dards inter­na­tionaux (qual­ité, sécu­rité, envi­ron­nement, etc.), sont mis­es en place, et un proces­sus de sélec­tion s’effectue : les quelques con­cur­rents (locaux ou étrangers) capa­bles d’atteindre ces normes étab­lis­sent leur lead­er­ship sur les marchés pre­mi­um, même si par­fois des créneaux sub­sis­tent sur les marchés informels.

Réagir vite

Les entre­pris­es chi­nois­es réagis­sent sou­vent très vite face au change­ment. Il est vrai que les indus­tries peu­vent par­fois brûler des étapes en mod­u­lant des savoir-faire exis­tants, et gag­n­er des courbes d’apprentissage cour­tes par effet d’échelle.

Un four­nisseur de biens en tout genre.
© REUTERS

Comme cha­cun ressent la pres­sion sociale pour réus­sir et que la hiérar­chie est respec­tée, les pro­jets se met­tent en place rapi­de­ment sur le terrain.

Sur le plan de la méth­ode, un entre­pre­neur chi­nois aura une approche plus volon­tiers empirique que con­ceptuelle. Ain­si, il préfér­era met­tre très vite un pro­duit sur le marché et l’améliorer par la suite en fonc­tion du con­texte, plutôt que de chercher à lancer d’emblée un pro­duit « par­fait » issu d’une con­cep­tion com­plète, mais longue.

Dans le con­texte chi­nois, inve­stir dans un site indus­triel puis lancer un pro­duit sur un marché test peut se révéler moins coû­teux et plus rapi­de que de pass­er par des phas­es de design complexes.

Des critères différents

Du fait de leur action­nar­i­at, de leur mode de diver­si­fi­ca­tion et de l’approche nationale, les déci­sions des entre­pris­es chi­nois­es peu­vent repos­er sur des critères dif­férents de ceux qu’adoptent leurs homo­logues occi­den­tales. Cer­taines hold­ings chi­nois­es sem­blent se diver­si­fi­er de façon très hétéro­clite par jux­ta­po­si­tion d’activités, sans a pri­ori répon­dre à une logique de core com­pe­tence.

Cha­cun ressent la pres­sion sociale pour réussir

Ain­si, quand un leader du phos­pho­re investit dans la pro­duc­tion d’électricité puis de PVC, une con­nais­sance de la cul­ture locale per­met de mieux appréhen­der les fonde­ments sous-jacents (paramètres ter­ri­to­ri­aux, réseaux, etc.) de sa stratégie. Dans notre exem­ple, l’électricité étant indis­pens­able pour le traite­ment du phos­pho­re, l’entreprise con­stru­it sa pro­pre cen­trale élec­trique, qui per­met de pro­duire par ailleurs de la soude et du chlore, puis du PVC à par­tir du chlore. Ce sont les dis­tances géo­graphiques et le manque de capac­ités de pro­duc­tion locale qui l’ont con­duite à pren­dre de telles orientations.

Défendre un intérêt global

Des straté­gies globales
La Chine se mon­tre réac­tive pour saisir des oppor­tu­nités d’acquisition d’actifs délais­sés par des entités occi­den­tales soucieuses d’optimiser leur per­for­mance. L’esprit entre­pre­neur­ial qui ani­me les investis­seurs chi­nois per­met aus­si d’adopter des straté­gies par­fois plus glob­ales et à long terme.
En effet, un action­nar­i­at majori­taire sou­vent famil­ial ou éta­tique (SOE, State Owned Enter­prise) per­met d’avoir une moin­dre pres­sion à court terme (con­traire­ment aux entre­pris­es occi­den­tales cotées en Bourse) et de vraies straté­gies à long terme.

Le pays se dis­tingue par sa capac­ité à défendre un intérêt glob­al, au-delà de l’intérêt indi­vidu­el de chaque entité. À titre d’illustration, un investisse­ment mar­gin­al à moin­dre coût dans les marchés déjà sur­ca­pac­i­taires du fret mar­itime peut faire s’effondrer les prix, l’entité qui investit est per­dante, mais l’économie du pays reste glob­ale­ment gagnante.

Ou encore, la Chine peut avoir une approche holis­tique dans laque­lle elle peut apporter à des pays émer­gents simul­tané­ment des infra­struc­tures, des pro­duits de grande con­som­ma­tion, et les moyens d’exploiter des ressources naturelles.

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