Matières premières : l’indépendance à tout prix

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Éric LOUVERT (90)

La part de la Chine dans la consom­ma­tion des matières pre­mières agri­coles est en ligne avec la popu­la­tion, aux écarts liés aux habi­tudes ali­men­taires près. Jusqu’à pré­sent, le pays a réus­si à mener une poli­tique d’autosuffisance en céréales, mais les impor­ta­tions peuvent être essen­tielles pour cer­tains pro­duits (60% des impor­ta­tions mon­diales de soja et 40% pour le coton).

La dépen­dance à l’égard du reste du monde devrait tou­te­fois croître, avec notam­ment la hausse de la consom­ma­tion de viande (60 kg aujourd’hui contre 100 kg en Europe) et des res­sources locales qui se raré­fient (terre, eau et popu­la­tion agri­cole vieillis­sante). À cet effet, le pays acquiert des terres arables à l’étranger et négo­cie des accords bila­té­raux avec les prin­ci­paux pays pro­duc­teurs (pré­fi­nan­ce­ments, par­te­na­riats, etc.).

Sur le plan natio­nal, il fait de l’amélioration de la pro­duc­ti­vi­té par le déve­lop­pe­ment d’une agri­cul­ture ration­nelle (conso­li­da­tion des terres, déve­lop­pe­ment des semences, infra­struc­tures, etc.), accom­pa­gnée d’un pro­gramme de déve­lop­pe­ment rural, une de ses priorités.

REPÈRES
Les prix mon­diaux de nom­breuses matières pre­mières se sont envo­lés depuis une dizaine d’années. La crois­sance excep­tion­nel­le­ment forte de la demande chi­noise, que très peu de pro­duc­teurs avaient anti­ci­pée, a en effet créé de fortes ten­sions sur l’offre.
Plu­sieurs années de prix éle­vés ont sus­ci­té de nom­breux pro­jets, sou­vent mis en oeuvre ou finan­cés par les Chi­nois eux-mêmes. La grande incer­ti­tude réside dans le niveau à venir de la demande et des impor­ta­tions chinoises.
Ce sont sur­tout les métaux, qui ont le plus pro­fi­té de la crois­sance chi­noise, qui risquent de souf­frir d’un futur ralentissement.

Le règne du charbon

La Chine pro­duit son élec­tri­ci­té essen­tiel­le­ment à par­tir du char­bon, dont elle repré­sente 50% de la consom­ma­tion mon­diale. Les impor­ta­tions de char­bon, effec­tuées pour des rai­sons d’économies logis­tiques (demande des zones côtières alors que les res­sources sont en grande par­tie dans le Nord et l’Ouest), ont for­te­ment crû depuis quelques années. Elles ne repré­sentent certes qu’environ 6 % de la demande chi­noise, mais près de 20% du com­merce mon­dial ; leur évo­lu­tion a donc un impact impor­tant sur les prix.

Un fort poten­tiel en off­shore pétrolier

La part du gaz est encore très faible, mais devrait croître rapi­de­ment, via les impor­ta­tions (gazo­ducs, GNL) et sur­tout le déve­lop­pe­ment des gaz de schiste dont le pays a des res­sources consi­dé­rables. La Chine ne repré­sente que 11 % de la consom­ma­tion de pétrole, notam­ment en rai­son d’un taux d’équipement en véhi­cules encore dix fois plus faible que dans les pays riches. La pro­duc­tion natio­nale ne couvre qu’un peu plus de 40% des besoins (contre 70% en 2000), et la dépen­dance à l’égard des impor­ta­tions devrait aug­men­ter, mal­gré un fort poten­tiel en off­shore et l’essor très rapide des pro­jets de liqué­fac­tion du charbon.

Cela explique la pré­sence crois­sante des pétro­liers chi­nois à l’étranger, notam­ment en Afrique ou en Asie cen­trale, où ils devraient contrô­ler une pro­duc­tion de 3 mil­lions de barils par jour en 2015.

Métaux : une croissance explosive

Des chan­ge­ments en cours et à venir

  • décé­lé­ra­tion de la croissance,
  • baisse du taux d’investissement,
  • hausse de la consom­ma­tion de viande et de l’équipement des ménages en voitures,
  • déve­lop­pe­ment du gaz de schiste, de la liqué­fac­tion du char­bon, du pétrole offshore,
  • achat de terres, de mines et de champs pétro­liers à l’étranger,
  • impor­tance crois­sante des pro­blé­ma­tiques environnementales.

Les métaux consti­tuent sans doute la sin­gu­la­ri­té la plus remar­quable. La crois­sance annuelle de presque 20 % depuis dix ans, très net­te­ment supé­rieure à la hausse du PIB, a été tirée par l’in­ves­tis­se­ment (construc­tion d’im­meubles, de ponts, de bar­rages, de lignes à haute ten­sion, de machines, etc.), dont la part dans le PIB est pas­sée de 33 % en 2000 à presque 50% en 2011, soit net­te­ment plus que le Japon ou la Corée dans leur phase de décol­lage. Le taux d’ur­ba­ni­sa­tion, qui a crû de 1% chaque année pour atteindre plus de 50 %, en a été un puis­sant moteur.

La consé­quence a été l’en­vol des prix mon­diaux, de 100 % à 400 % de crois­sance entre 2000 et 2008 selon les métaux, et une forte dépen­dance à l’é­gard du reste du monde, puisque la Chine importe en moyenne les deux tiers des métaux qu’elle consomme.

De grosses sur­ca­pa­ci­tés de trans­for­ma­tion dans la métallurgie

Remar­quons que le défi­cit, et donc la marge, se trouvent au niveau des mines que les Chi­nois achètent et déve­loppent très acti­ve­ment en dehors de chez eux. En ce qui concerne les capa­ci­tés de trans­for­ma­tion (com­plexes sidé­rur­giques, fon­de­ries de métaux de base), la Chine a créé de grosses sur­ca­pa­ci­tés, pro­fi­tant de coûts d’in­ves­tis­se­ment au moins deux fois infé­rieurs au reste du monde et de finan­ce­ments faciles de la part des grandes banques éta­tiques. La tran­si­tion vers une crois­sance tirée plus par la consom­ma­tion que par l’in­ves­tis­se­ment condui­ra à une nette décé­lé­ra­tion de la demande chi­noise de métaux.

Des prévisions difficiles

La Chine conser­ve­ra un fort poten­tiel de désta­bi­li­sa­tion dans le futur, en rai­son de la taille de sa demande et de sa dépen­dance aux impor­ta­tions. En effet, de nom­breuses incer­ti­tudes planent sur le niveau à venir de la crois­sance ain­si que sa com­po­si­tion sec­to­rielle et ses moteurs. La capa­ci­té excep­tion­nelle de mobi­li­sa­tion et d’exé­cu­tion du pays peut encore réser­ver des sur­prises. Tout va très vite dans ce pays, et avec le déve­lop­pe­ment du gaz de schiste, de la liqué­fac­tion du char­bon ou de l’éo­lien, il est dif­fi­cile de pré­voir quelle sera la situa­tion éner­gé­tique du pays dans une dizaine d’années.

POIDS DE LA CHINE DANS QUELQUES MATIÈRES PREMIÈRES

Stratégie de sécurisation

La stra­té­gie d’ac­qui­si­tion de res­sources à l’é­tran­ger conti­nue­ra à être mise en œuvre, car les diri­geants chi­nois ont l’ob­ses­sion de l’in­dé­pen­dance. Les entre­prises, sou­vent éta­tiques, reçoivent des finan­ce­ments mas­sifs pour ache­ter et déve­lop­per des terres agri­coles, des mines ou des champs pétro­liers en ex- URSS, en Indo­né­sie, en Aus­tra­lie, en Afrique ou en Amé­rique du Sud. Au-delà de la volon­té de sécu­ri­té, c’est aus­si une façon de diver­si­fier l’u­ti­li­sa­tion des énormes réserves de devises accu­mu­lées par le pays.

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