Recherches et enjeux en physique des plasmas

Dossier : La physique au XXIe siècleMagazine N°604 Avril 2005
Par Jean-Marcel RAX

La physique des plasmas

La matière consti­tuant notre envi­ron­ne­ment proche se pré­sente essen­tiel­le­ment sous forme solide, liquide ou gazeuse. Au-delà de ces trois états, à haute et à basse tem­pé­ra­tures, deux nou­veaux types d’états,
(1) les « gaz quan­tiques » et
(2) les « gaz ioni­sés », se dis­tinguent par l’ap­pa­ri­tion d’une grande diver­si­té de phé­no­mènes phy­siques nouveaux :

  • à très basse tem­pé­ra­ture, les états supra­con­duc­teur, super­fluide ain­si que les conden­sâts de Bose-Ein­stein pré­sentent une richesse de com­por­te­ments asso­ciée aux cor­ré­la­tions, à l’é­change et à la cohé­rence quantiques ;
  • à très haute tem­pé­ra­ture, la dis­so­cia­tion puis l’io­ni­sa­tion conduisent à la créa­tion de popu­la­tions d’ions et d’élec­trons libres et ces charges libres induisent un com­por­te­ment col­lec­tif, non-linéaire, chao­tique et turbulent.


On appelle « plas­ma » ou « gaz ioni­sé » cet état exo­tique de la matière conte­nant une frac­tion signi­fi­ca­tive de charges libres ; l’en­semble des concepts, méthodes et résul­tats propres à l’é­tude de cet état de la matière consti­tue la « phy­sique des plas­mas ».

La phy­sique des plas­mas intègre les connais­sances de nom­breux autres domaines de la phy­sique, tels que la phy­sique sta­tis­tique, la dyna­mique hamil­to­nienne, l’élec­tro­dy­na­mique rela­ti­viste, les phy­siques ato­mique, molé­cu­laire et nucléaire ; réci­pro­que­ment, de nom­breux concepts et méthodes, issus de recherches fon­da­men­tales en phy­sique des plas­mas, ont été inté­grés par d’autres dis­ci­plines, plus par­ti­cu­liè­re­ment en phy­sique non-linéaire, chaos et tur­bu­lence et théo­ries des instabilités.

Les plasmas dans l’univers

Les océans, les conti­nents et l’at­mo­sphère ne sont pas des plas­mas ; ils se pré­sentent sous formes fluides et solides neutres. La croûte, le man­teau et le noyau ter­restre sont consti­tués prin­ci­pa­le­ment de fer, d’oxy­gène, de sili­cium et de magné­sium sous forme solide et liquide. L’at­mo­sphère ter­restre est com­po­sée essen­tiel­le­ment d’a­zote et d’oxy­gène, sous forme gazeuse neutre et, en quan­ti­tés minimes, de gaz rares. Enfin, pour ce qui concerne les océans, ils sont for­més d’eau, conte­nant, en pro­por­tions minimes, des sels miné­raux, prin­ci­pa­le­ment des halo­gé­nures alca­lins et alcalinoterreux.

Cette ana­lyse rapide de notre envi­ron­ne­ment proche pour­rait lais­ser croire que la phase plas­ma est tota­le­ment absente à l’é­tat natu­rel ; au contraire, les plas­mas consti­tuent l’es­sen­tiel de l’en­vi­ron­ne­ment ter­restre au-delà de la haute atmo­sphère. En effet, à l’é­chelle cos­mique, plus de quatre-vingt dix-neuf pour cent de la matière visible se pré­sente sous forme ioni­sée, en phase plas­ma. La phy­sique de l’en­vi­ron­ne­ment ter­restre proche relève donc de la méca­nique et de la ther­mique des fluides clas­siques ; par contre, à par­tir d’une alti­tude de l’ordre d’une cen­taine de kilo­mètres, le rayon­ne­ment ultra­vio­let du Soleil entre­tient une struc­ture ioni­sée dont l’é­tude relève de la phy­sique des plas­mas : l’iono­sphère. À une telle alti­tude la den­si­té de par­ti­cules char­gées atteint des valeurs supé­rieures à plu­sieurs dizaines de mil­liers d’élec­trons et d’ions par cen­ti­mètre cube ; ces charges libres consti­tuent la popu­la­tion à l’o­ri­gine des pro­prié­tés élec­tro­ma­gné­tiques et phy­si­co­chi­miques ori­gi­nales de ces couches de la très haute atmo­sphère. Au-delà de l’io­no­sphère, c’est-à-dire à par­tir d’une alti­tude de l’ordre du mil­lier de kilo­mètres, s’é­tend la magné­to­sphère : un plas­ma magné­ti­sé struc­tu­ré par le champ magné­tique dipo­laire ter­restre et ali­men­té en espèces char­gées par le vent solaire.

Au-delà de la magné­to­sphère s’é­tend l’es­pace inter­pla­né­taire, rem­pli aus­si par un plas­ma, le vent solaire, issu des couches externes du Soleil ; le Soleil est aus­si une sphère de gaz ioni­sée struc­tu­rée en dif­fé­rentes couches. Au-delà du sys­tème solaire, les étoiles, quels que soient leurs types, sont essen­tiel­le­ment des sphères de plas­ma et les espaces inter­stel­laire et inter­ga­lac­tique sont aus­si emplis de par­ti­cules char­gées en inter­ac­tion élec­tro­ma­gné­tique. En conclu­sion, bien que notre envi­ron­ne­ment proche soit for­mé de matière neutre sous forme liquide, solide et gazeuse, à grande échelle, les plas­mas consti­tuent l’es­sen­tiel de l’en­vi­ron­ne­ment ter­restre et la phy­sique des plas­mas s’im­pose comme l’ou­til de réfé­rence pour étu­dier cet envi­ron­ne­ment au-delà des couches basses de l’at­mo­sphère. En par­ti­cu­lier, les struc­tures et les pro­ces­sus tels que : les aurores boréales, le vent solaire, les queues de comètes, les bras galac­tiques, les magné­to­sphères, la cou­ronne solaire, les érup­tions solaires, les atmo­sphères et inté­rieurs stel­laires, l’é­mis­sion élec­tro­ma­gné­tique des nébu­leuses gazeuses et des pul­sars relèvent de la phy­sique des plasmas.

Les plasmas dans l’industrie

Au-delà de son inté­rêt en tant qu’ou­til de réfé­rence pour l’é­tude des pro­blèmes d’as­tro­phy­sique et de phy­sique spa­tiale, la phy­sique des plas­mas se situe aus­si en amont d’un vaste champ d’ap­pli­ca­tions tech­no­lo­giques. Citons par exemple les domaines de haute tech­no­lo­gie que sont la micro­élec­tro­nique et l’ex­plo­ra­tion spa­tiale : plus de la moi­tié des opé­ra­tions de fabri­ca­tion des pro­ces­seurs et mémoires sont actuel­le­ment effec­tuées dans des réac­teurs plas­mas et les pro­pul­seurs plas­mas sont consi­dé­rés comme l’op­tion la plus per­ti­nente pour une mis­sion habi­tée vers Mars.

Au cours de ces der­nières années la péné­tra­tion des pro­cé­dés plas­mas dans les pro­ces­sus indus­triels a aug­men­té de façon extrê­me­ment rapide ; bien qu’elles ne soient pas encore iden­ti­fiées en tant que sec­teur indus­triel spé­ci­fique, les tech­no­lo­gies plas­mas sont deve­nues indis­pen­sables aus­si bien dans des domaines inno­vants comme les nou­veaux maté­riaux, les nano­tech­no­lo­gies et la pro­pul­sion spa­tiale, que dans des domaines plus clas­siques tels que la sidé­rur­gie, l’é­clai­rage ou la chimie.

Enfin, la phy­sique des plas­mas est l’ou­til essen­tiel pour com­prendre les dif­fé­rents sys­tèmes expé­ri­men­taux mis en œuvre dans le cadre des pro­grammes de recherche sur la fusion ther­mo­nu­cléaire ; la fusion nucléaire du deu­té­rium et du tri­tium en phase plas­ma consti­tuant la seule option, à long terme, pour pal­lier l’é­pui­se­ment des res­sources en éner­gie fossile.

La figure 1 pré­sente quelques valeurs typiques de den­si­tés (n) et tem­pé­ra­tures élec­tro­niques (T) de ces plas­mas ther­mo­nu­cléaires et indus­triels. Le domaine d’ap­pli­ca­tion de la phy­sique des plas­mas ne se res­treint donc pas à l’é­tude des struc­tures et pro­ces­sus astro­phy­siques ; depuis plu­sieurs dizaines d’an­nées la phy­sique des plas­mas est deve­nue indis­pen­sable dans de nom­breuses indus­tries ; elle consti­tue une branche extrê­me­ment active et inno­vante de la phy­sique appli­quée. Les acti­vi­tés indus­trielles peuvent être clas­si­fiées sui­vant dif­fé­rents sché­mas ; du point de vue de la phy­sique appli­quée, il est inté­res­sant de consi­dé­rer trois grands types d’ac­ti­vi­tés et de dis­tin­guer res­pec­ti­ve­ment : (1) le trai­te­ment de l’in­for­ma­tion, (2) le trai­te­ment de l’éner­gie, (3) le trai­te­ment des matériaux.

Les tech­no­lo­gies des plas­mas sont au cœur des tech­niques de pointe mises en œuvre dans ces trois sec­teurs ; quelques exemples per­mettent de mesu­rer l’im­pact et le poten­tiel des pro­cé­dés plas­mas dans ces trois domaines.

Les tech­no­lo­gies modernes de trai­te­ment de l’in­for­ma­tion uti­lisent en effet des com­po­sants élec­tro­niques minia­tu­ri­sés tels que les micro­pro­ces­seurs et les mémoires. Ces com­po­sants ne peuvent être fabri­qués que dans des réac­teurs à plas­ma car la gra­vure de mil­lions de motifs, pos­sé­dant des détails de dimen­sions infé­rieurs au mil­lième de mil­li­mètre, est impos­sible avec les pro­cé­dées méca­niques ou chi­miques usuels, mais devient pos­sible avec les flux d’ions éner­gé­tiques issus de la zone péri­phé­rique des décharges plas­mas radio­fré­quence. Ain­si, les réac­teurs plas­mas radio­fré­quence, conçus pour maî­tri­ser et opti­mi­ser ces flux d’ions, per­mettent les opé­ra­tions de gra­vure et de dépôt sur les sub­strats de sili­cium et sont les outils essen­tiels des chaînes de fabri­ca­tion des indus­tries microélectroniques.

L’ac­ti­vi­té des socié­tés indus­trielles modernes néces­site entre un et quelques giga­watts de puis­sance élec­trique par mil­lion d’ha­bi­tants ; aus­si, la consom­ma­tion mon­diale annuelle en éner­gie atteint désor­mais un niveau de l’ordre de 1020 joules. Compte tenu des contraintes éco­lo­giques et de l’é­pui­se­ment des res­sources fos­siles conven­tion­nelles, pour main­te­nir un tel niveau de pro­duc­tion, la fusion de noyaux légers de deu­té­rium et tri­tium, sui­vant la réac­tion : un deu­té­rium plus un tri­tium donnent une par­ti­cule alpha plus un neu­tron, dans des réac­teurs à fusion ther­mo­nu­cléaire contrô­lée, est la seule option, à long terme, vali­dant phy­si­que­ment les sché­mas de déve­lop­pe­ment envi­sa­gés pour les socié­tés postindustrielles.

En effet, un sys­tème ther­mo­nu­cléaire (1) ne pro­duit pas de dioxyde de car­bone, (2) génère des déchets radio­ac­tifs de faible acti­vi­té et (3) ne pré­sente aucun risque d’emballement ; le deu­té­rium se trouve en quan­ti­té inépui­sable dans l’eau et le tri­tium peut être pro­duit dans la cou­ver­ture du réac­teur en uti­li­sant les réac­tions du flux neu­tro­nique, issu de la réac­tion de com­bus­tion ther­mo­nu­cléaire, avec une cou­ver­ture en lithium. Le lithium se trouve aus­si en quan­ti­té abon­dante dans la croûte ter­restre. Compte tenu des pertes radia­tives et dif­fu­sives, les réac­tions ther­mo­nu­cléaires ne peuvent s’au­to-entre­te­nir en régime de com­bus­tion exo­ther­mique qu’à par­tir d’une tem­pé­ra­ture de l’ordre d’une cen­taine de mil­lions de degrés ; à de telles tem­pé­ra­tures la matière est tota­le­ment ioni­sée et la pro­blé­ma­tique de la pro­duc­tion d’éner­gie par fusion nucléaire se réduit donc aux pro­blèmes com­plexes du chauf­fage et du confi­ne­ment des plasmas.

La solu­tion de ces pro­blèmes, jus­qu’à pré­sent non réso­lus, implique la com­pré­hen­sion et la maî­trise des insta­bi­li­tés et de la tur­bu­lence dans les plas­mas ther­mo­nu­cléaires, qui consti­tuent les objec­tifs majeurs des pro­grammes de recherches en phy­sique des plas­mas thermonucléaires.

La pro­duc­tion d’oxyde d’a­zote, d’a­cé­ty­lène et de car­bure de cal­cium, par syn­thèse en phase plas­ma, dès le début du ving­tième siècle, marque le début des pre­mières appli­ca­tions indus­trielles des plas­mas dans le domaine de la syn­thèse et du trai­te­ment des maté­riaux. Les pro­prié­tés de hautes tem­pé­ra­tures des plas­mas d’arc de puis­sance sont uti­li­sées en sidé­rur­gie pour amé­lio­rer ou rem­pla­cer les pro­cé­dés conven­tion­nels des hauts four­neaux. Ces mêmes décharges plas­mas en régime d’arc, mais à plus faible puis­sance, consti­tuent les élé­ments actifs des sys­tèmes de découpe et de sou­dure dans les ate­liers de méca­nique en amont des indus­tries nucléaire, aéro­nau­tique et spa­tiale. Les plas­mas per­mettent aus­si la pro­duc­tion de films de dia­mant ou de couches minces de sili­cium ; enfin la phase plas­ma offre une voie unique pour la syn­thèse de maté­riaux ultra-durs n’exis­tant pas à l’é­tat natu­rel tels que le nitrure de car­bone. Les réac­teurs à plas­ma, par­fois appe­lés géné­ra­teurs à plas­ma ou sources plas­mas, sont des dis­po­si­tifs per­met­tant la pro­duc­tion de plas­ma afin d’u­ti­li­ser (1) la popu­la­tion élec­tro­nique pour amor­cer et entre­te­nir une réac­ti­vi­té chi­mique en volume, géné­ra­le­ment dans des condi­tions de non-équi­libre ther­mo­dy­na­mique et (2) le flux d’ions en péri­phé­rie du plas­ma, dans la zone dite de gaines, afin de trai­ter des matériaux.

Les réacteurs pour la microélectronique

Les réac­teurs radio­fré­quence, mal­gré l’ap­pa­rente sim­pli­ci­té de leur struc­ture, sont des objets au com­por­te­ment com­plexe qui pré­sentent une grande diver­si­té de régimes de fonc­tion­ne­ment et sont sujets à de nom­breuses instabilités.

La figure 2 pré­sente la vue exté­rieure du réac­teur capa­ci­tif du Labo­ra­toire de phy­sique et tech­no­lo­gie des plas­mas de l’É­cole poly­tech­nique ; un champ élec­tro­ma­gné­tique radio­fré­quence (13,56 MHz) entre­tient le plas­ma ℗. Le sys­tème com­plet est com­po­sé de quatre élé­ments : le sys­tème de pom­page et de contrôle des gaz neutres ©, le géné­ra­teur RF et le sys­tème d’a­dap­ta­tion d’im­pé­dance (A), l’en­semble des diag­nos­tics de la phase plas­ma et de la phase neutre et enfin la struc­ture de cou­plage et la chambre à plasma ®.

À basse pres­sion, au voi­si­nage de quelques mil­li­torrs, dans ces struc­tures radio­fré­quences, les col­li­sions sont insuf­fi­santes pour expli­quer l’ab­sorp­tion du champ élec­tro­ma­gné­tique par les élec­trons ; un deuxième méca­nisme de trans­fert d’éner­gie du champ vers la popu­la­tion élec­tro­nique entre en jeu : le chauf­fage sto­chas­tique. Du point de vue du phy­si­cien, ce méca­nisme est essen­tiel­le­ment un régime de cou­plage champ-par­ti­cule en régime chao­tique ; on voit donc que les réac­teurs plas­mas RF, comme de nom­breux sys­tèmes de haute tech­no­lo­gie, sont le lieu pri­vi­lé­gié de ren­contre entre la phy­sique appli­quée et la phy­sique fon­da­men­tale. Le chauf­fage sto­chas­tique, les insta­bi­li­tés, les tran­si­tions entre régimes dans les réac­teurs radio­fré­quences sont autant de sujets de recherches qui néces­sitent la mise en œuvre de l’en­semble des méthodes et outils théo­riques et expé­ri­men­taux de la phy­sique des plasmas.

La phy­si­co­chi­mie des plas­mas et plus par­ti­cu­liè­re­ment la com­pré­hen­sion et la maî­trise des ciné­tiques des espèces actives par­ti­ci­pant au pro­ces­sus de dépôt et de gra­vure consti­tuent un deuxième sujet de recherches extrê­me­ment actif, compte tenu de l’im­pact direct de ces études sur les pro­cé­dés et opé­ra­tions de fabri­ca­tion des com­po­sants micro­élec­tro­niques. Les réac­teurs radio­fré­quences pour la gra­vure, le dépôt et l’im­plan­ta­tion ionique génèrent des plas­mas dont la fonc­tion ultime relève du trai­te­ment des maté­riaux ; le trai­te­ment de l’éner­gie est aus­si un vaste champ d’ap­pli­ca­tions des tech­no­lo­gies plas­mas, que nous pré­ci­sons dans la suite.

Les réacteurs thermonucléaires

Que ce soit pour la pro­duc­tion d’éner­gie dans les sys­tèmes ther­mo­nu­cléaires Toka­maks, ou pour la pro­pul­sion des sys­tèmes spa­tiaux avan­cés, le poten­tiel des tech­no­lo­gies plas­mas per­met d’en­vi­sa­ger des modes de fonc­tion­ne­ment et des per­for­mances inac­ces­sibles aux tech­no­lo­gies actuelles ; les plas­mas offrent ain­si la pos­si­bi­li­té de déve­lop­per de nou­velles tech­no­lo­gies inno­vantes, basées sur des prin­cipes phy­siques originaux.

Les Toka­maks sont des confi­gu­ra­tions magné­tiques uti­li­sées pour confi­ner et chauf­fer des plas­mas en régime ther­mo­nu­cléaire ; en effet, la tem­pé­ra­ture d’a­mor­çage et d’en­tre­tien d’une com­bus­tion ther­mo­nu­cléaire étant de l’ordre d’une cen­taine de mil­lions de kel­vins, il n’existe aucun maté­riau pou­vant sup­por­ter de telles tem­pé­ra­tures. Il est donc néces­saire d’u­ti­li­ser le prin­cipe du confi­ne­ment magné­tique : le mou­ve­ment d’une par­ti­cule char­gée inter­agis­sant avec un champ magné­tique sta­tique est la com­bi­nai­son d’une rota­tion autour des lignes de champ et d’une trans­la­tion le long des lignes de champ ; ce com­por­te­ment des sys­tèmes de charges est à la base du prin­cipe du confi­ne­ment magné­tique : si les lignes de champ sont fer­mées ou res­tent dans un volume fini, comme c’est le cas dans la confi­gu­ra­tion Toka­mak, alors les par­ti­cules res­tent confi­nées dans ce volume fini.

La réa­li­té est plus com­plexe pour les confi­gu­ra­tions de type Toka­mak car, en repliant des lignes de champ magné­tique, se créent néces­sai­re­ment des inho­mo­gé­néi­tés qui engendrent des dérives per­pen­di­cu­laires aux lignes de champ ; il faut donc com­pen­ser ces dérives afin d’as­su­rer un confi­ne­ment orbi­tal. Pour cela, un champ, dit poloï­dal, géné­ré par un cou­rant tra­ver­sant l’an­neau de plas­ma (quelques mil­lions d’am­pères dans un réac­teur) est super­po­sé au champ toroï­dal créé par le sys­tème de bobines dis­tri­buées autour du tore de plas­ma. Le résul­tat est donc une struc­ture de champs com­plexes où les lignes de champ sont des hélices s’ap­puyant sur des tores emboî­tés. La confi­gu­ra­tion Toka­mak offre ain­si un exemple de champs com­plexes où les dif­fé­rentes dérives sont com­pen­sées et le confi­ne­ment orbi­tal assu­ré. Afin d’as­su­rer la sta­bi­li­té du tore de plas­ma des bobi­nages ver­ti­caux sont aus­si nécessaires.

Le confi­ne­ment orbi­tal est une condi­tion néces­saire, mais ne consti­tue pas une condi­tion suf­fi­sante pour assu­rer un bon confi­ne­ment glo­bal du plas­ma ; en effet, le plas­ma génère des champs élec­trique et magné­tique qui ont ten­dance à détruire le confi­ne­ment. Ain­si, le tore de plas­ma d’une confi­gu­ra­tion Toka­mak doit être contrô­lé en per­ma­nence, car il est l’ob­jet de nom­breuses insta­bi­li­tés et d’une intense acti­vi­té tur­bu­lente résul­tant de cou­plages non-linéaires entre les champs et les particules.

La figure 3 pré­sente une vue du Toka­mak du Labo­ra­toire de phy­sique et tech­no­lo­gie des plas­mas. Les bobines géné­rant les champs toroï­dal (B) et ver­ti­cal sont visibles, ain­si que la chambre à plas­ma (T) et un ensemble de sys­tèmes de contrôle ©, de chauf­fage (M) et de diag­nos­tic qui com­plètent ce dis­po­si­tif expé­ri­men­tal. Dans le domaine de la phy­sique des Toka­maks, il est d’u­sage de dis­tin­guer les grandes machines dont les per­for­mances s’ap­prochent des per­for­mances d’un réac­teur et dont les équipes regroupent plu­sieurs cen­taines de phy­si­ciens et ingé­nieurs, des petites machines telles que celle de la figure 3.

Les per­for­mances des grands Toka­maks les placent loin devant tous les autres types de machines et de pro­cé­dés qui ont été pro­po­sés jus­qu’à pré­sent pour amor­cer et entre­te­nir une com­bus­tion ther­mo­nu­cléaire. Ce suc­cès fait des Toka­maks un sujet de recherche par­ti­cu­liè­re­ment actif, et de grands Toka­maks, dédiés aux études de phy­sique des plas­mas ther­mo­nu­cléaires, ont ain­si été construits depuis plus de vingt ans : Tore Supra en France (TS, CEA Cada­rache), JET en Angle­terre (Eur­atom), TFTR puis MSTX aux États-Unis (DoE Prin­ce­ton), JT60 au Japon et bien d’autres.

Le pro­jet mon­dial ITER doit per­mettre l’ac­cès à la com­bus­tion ther­mo­nu­cléaire dans une confi­gu­ra­tion magné­tique de type Toka­mak dans les pro­chaines décen­nies. Les per­for­mances obte­nues ces der­nières années en termes de confi­ne­ment, chauf­fage et contrôle des plas­mas ther­mo­nu­cléaires dans ces grands Toka­maks tra­duisent des avan­cées remar­quables et l’ex­tra­po­la­tion des lois d’é­chelles, issues des bases de don­nées accu­mu­lées ces vingt der­nières années, per­met d’en­vi­sa­ger avec confiance l’ac­cès à l’i­gni­tion et l’en­tre­tien d’une com­bus­tion ther­mo­nu­cléaire dans le réac­teur ITER.

Cepen­dant, le pro­gramme Toka­mak se heurte actuel­le­ment à quatre grands pro­blèmes qui consti­tuent de solides ver­rous phy­siques et tech­no­lo­giques. Ces quatre ques­tions clés, scien­ti­fiques et tech­niques concernent : (1) la com­pré­hen­sion et le contrôle de l’in­te­rac­tion plas­ma-paroi, (2) la com­pré­hen­sion et le contrôle de la tur­bu­lence, (3) la géné­ra­tion et le contrôle du cou­rant en régime conti­nu, (4) la maî­trise de la dyna­mique des popu­la­tions supra­ther­miques en régime thermonucléaire.

Elles condi­tionnent la mise au point d’un réac­teur tech­ni­que­ment fiable et éco­no­mi­que­ment viable. En effet, dans un réac­teur Toka­mak en régime de com­bus­tion continue :

1) l’in­jec­tion-extrac­tion de puis­sance à la péri­phé­rie du plas­ma doit s’ef­fec­tuer en res­pec­tant de sévères contraintes tech­no­lo­giques de tenue des maté­riaux aux flux intenses de rayon­ne­ments et particules,
2) la tur­bu­lence et le trans­port doivent être diag­nos­ti­qués et contrô­lés en temps réel et main­te­nus à un niveau com­pa­tible avec l’en­tre­tien de la com­bus­tion thermonucléaire,
3) quelques dizaines de mil­lions d’am­pères doivent être entre­te­nus en régime conti­nu afin d’as­su­rer le confi­ne­ment orbi­tal et l’ac­cès à des pro­fils de cou­rants optimaux,
4) la popu­la­tion de par­ti­cules alpha d’o­ri­gine ther­mo­nu­cléaire et les ions supra­ther­miques doivent être confi­nés, diag­nos­ti­qués et contrô­lés afin d’as­su­rer une com­bus­tion et un pilo­tage efficaces.

La concep­tion d’un réac­teur ther­mo­nu­cléaire qui soit à la fois tech­ni­que­ment fiable et éco­no­mi­que­ment viable passe donc par l’é­tude appro­fon­die des pro­ces­sus d’in­te­rac­tion plas­ma-paroi et des méca­nismes de tur­bu­lence, ain­si que par l’i­den­ti­fi­ca­tion de nou­veaux pro­cé­dés de diag­nos­tic et de contrôle de la tur­bu­lence, du cou­rant et des popu­la­tions supra­ther­miques à l’o­ri­gine de la réac­ti­vi­té ther­mo­nu­cléaire. C’est l’a­chè­ve­ment de ce vaste pro­gramme de phy­sique, fon­da­men­tale et appli­quée, qui consti­tue l’ob­jec­tif du pro­jet ITER, basé sur les déve­lop­pe­ments com­plé­men­taires de ses précurseurs.

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Jean Vla­di­mir Térémetzrépondre
8 novembre 2011 à 16 h 16 min

Savoir enfin ce qu’est réel­le­ment, concrè­te­ment l’univers :

Bon­jour

Ne soup­çon­nant pas la sim­pli­ci­té fon­da­men­tale de l’u­ni­vers, trom­pés par son effa­rante com­plexi­té de sur­face, nous nous sommes lais­sés aller à nous réfu­gier en ces béné­fiques mathé­ma­tiques qui déjà nous per­met­taient de le contrer, de le cir­con­ve­nir et de le mani­pu­ler le moins péni­ble­ment pos­sible, pen­sant grâce à elles, pou­voir le démas­quer. Mal­heu­reu­se­ment, ces sédui­sants outils nous ont fina­le­ment ren­dus com­plè­te­ment aveugles, nous empê­chant de com­prendre, de « voir » ce qu’é­tait réel­le­ment, concrè­te­ment, sim­ple­ment cet uni­vers. http://www.liberes-des-mathematiques-savoir-enfin-ce-qu-est-l-univers.net (Page 65, le cha­pître “ Ce qu’est la lumière » expose la suc­ces­sion d’erreurs qui nous ont éga­rés et ame­nés à inven­ter une phy­sique « mathé­ma­tique », puis une phy­sique « rela­ti­viste” et enfin une phy­sique « quan­tique”, après avoir aban­don­né la Phy­sique tout sim­ple­ment « phy­sique », d’emblée natu­rel­le­ment et entiè­re­ment compréhensuble.)

Bien cor­dia­le­ment

Jean Vla­di­mir Térémetz

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