LA BANQUE : Délocalisation dans les institutions financières : mythe ou réalité ?

Dossier : La BanqueMagazine N°613 Mars 2006
Par Nicolas TAUFFLIEB

Le recours à la délo­ca­li­sa­tion pour faire face à un contexte concur­ren­tiel accru et un déve­lop­pe­ment crois­sant des acti­vi­tés à l’in­ter­na­tio­nal est de plus en plus envi­sa­gé par les ins­ti­tu­tions finan­cières. Si la délo­ca­li­sa­tion appa­raît comme une réponse sédui­sante, à l’i­mage de son ampleur auprès d’ac­teurs du monde anglo-saxon, elle est source de nom­breuses inquié­tudes en France.

Les ins­ti­tu­tions finan­cières fran­çaises res­tent pour l’ins­tant rela­ti­ve­ment à l’é­cart de ce mou­ve­ment. Ce rela­tif retrait est-il dû à un excès de pru­dence ou bien à un réa­lisme légi­time en rai­son des dif­fi­cul­tés à anti­ci­per ? En effet, au-delà des objec­tifs, quels sont les risques inhé­rents à un pro­jet de délo­ca­li­sa­tion, les freins à anti­ci­per, les pré­re­quis à lever pour réus­sir des pro­jets de ce type et en tirer les béné­fices atten­dus ? Quelle inci­dence sur le modèle orga­ni­sa­tion­nel et le mode de management ?

Délocalisation, mutualisation, externalisation : des approches différentes mais complémentaires

La délo­ca­li­sa­tion est à posi­tion­ner par rap­port à d’autres approches, notam­ment la mutua­li­sa­tion et l’externalisation :

• la délo­ca­li­sa­tion est le fait de dépla­cer géo­gra­phi­que­ment dans un autre pays des acti­vi­tés internes, afin de béné­fi­cier soit d’un savoir-faire poin­tu, soit d’une légis­la­tion du tra­vail plus avan­ta­geuse sur le plan économique,
• la mutua­li­sa­tion est le regrou­pe­ment d’ac­ti­vi­tés et répond prin­ci­pa­le­ment à un objec­tif de recherche d’ef­fets d’échelle,
• l’ex­ter­na­li­sa­tion est le trans­fert de res­pon­sa­bi­li­té d’ac­ti­vi­tés vers un tiers, avec obli­ga­tion de résul­tat (et est donc à dif­fé­ren­cier de la sous-trai­tance qui répond à une obli­ga­tion de moyen).

Ces trois notions ne sont pas exclu­sives et peuvent être combinées :

• les acti­vi­tés exter­na­li­sées peuvent être délo­ca­li­sées par le partenaire,
• les acti­vi­tés mutua­li­sées peuvent être délo­ca­li­sées ou externalisées,
• les acti­vi­tés délo­ca­li­sées peuvent être dans un second temps exter­na­li­sées auprès d’un pres­ta­taire local.

Les délocalisations s’intensifient… mais avec des résultats aléatoires

Une récente étude auprès de 50 ins­ti­tu­tions finan­cières mon­diales montre une inten­si­fi­ca­tion des pro­jets de délo­ca­li­sa­tion, à la fois en termes d’am­pleur par les employés concer­nés, mais aus­si par les acti­vi­tés cou­vertes. Si le rythme des délo­ca­li­sa­tions se ralen­tit en nombre de pro­jets, ceux-ci sont plus impor­tants, à la fois en termes d’ac­ti­vi­tés cou­vertes, et le nombre d’employés délo­ca­li­sés (jus­qu’à 20 000 employés pour cer­tains acteurs). Quels que soient les éta­blis­se­ments, les stra­té­gies de délo­ca­li­sa­tion s’en­vi­sagent désor­mais sur des fonc­tions proches du cœur de métier (back-office, centres d’ap­pels) et non plus uni­que­ment sur des fonc­tions sup­ports (déve­lop­pe­ment infor­ma­tique, comptabilité…).

Enfin, ce type de pro­jet, ini­tia­le­ment limi­té à des acteurs de la banque d’in­ves­tis­se­ment, concerne de plus en plus des acteurs de la banque de détail, condui­sant à un élar­gis­se­ment du péri­mètre géo­gra­phique. C’est donc une triple ten­dance qui se dégage :

• une pro­fes­sion­na­li­sa­tion du pro­ces­sus de délo­ca­li­sa­tion auprès des acteurs les plus mûrs,
• un élar­gis­se­ment du péri­mètre d’ac­ti­vi­tés concernées,
• une diver­si­fi­ca­tion des acteurs, notam­ment sur la banque de détail.

Les résul­tats de ce type de pro­jet peuvent être signi­fi­ca­tifs : près de la moi­tié des acteurs ayant délo­ca­li­sé cer­taines de leurs acti­vi­tés enre­gistrent une réduc­tion du coût des acti­vi­tés cor­res­pon­dantes d’au moins 40 %. A contra­rio cer­tains acteurs enre­gistrent des résul­tats beau­coup plus miti­gés, avec des réduc­tions infé­rieures à 10 %, voir nulles dans cer­tains cas.

Il est inté­res­sant à ce stade de noter que les acteurs ayant les meilleures per­for­mances sont ceux qui ont réel­le­ment indus­tria­li­sé le pro­ces­sus de délo­ca­li­sa­tion, en capi­ta­li­sant sur l’ex­pé­rience acquise à tra­vers la réus­site de plu­sieurs pro­jets significatifs.

Ain­si la réus­site d’un pro­jet de délo­ca­li­sa­tion repose sur la véri­fi­ca­tion de quelques prin­cipes clés

• anti­ci­per la ratio­na­li­sa­tion des pro­ces­sus avant toute délo­ca­li­sa­tion pour évi­ter d’é­ven­tuels allers retours, géné­ra­teurs de non-qua­li­té et de perte de cré­di­bi­li­té en interne et en externe,
• struc­tu­rer son orga­ni­sa­tion au niveau groupe, pour pilo­ter ce type de pro­jet trans­verse et maî­tri­ser ain­si ses risques.

La délo­ca­li­sa­tion, un pro­jet stratégique…

La délo­ca­li­sa­tion est comme on peut le voir une approche sédui­sante, mais com­plexe dans sa mise en œuvre. Les retours sur inves­tis­se­ment, bien que sédui­sants, ne doivent cer­tai­ne­ment pas consis­ter en l’u­nique fac­teur de décision.

Les véri­tables objec­tifs recher­chés doivent être beau­coup plus glo­baux et s’ins­crire dans un véri­table pro­jet d’en­tre­prise, cohé­rent avec les enjeux stratégiques :

être plus réac­tif et davan­tage flexible, en met­tant en place un modèle orga­ni­sa­tion­nel plus souple et ouvert, faci­li­tant le déve­lop­pe­ment à l’international,
 se foca­li­ser sur le cœur de métier, en ne conser­vant que les acti­vi­tés consti­tuant la pro­po­si­tion de valeur différenciante,
. stan­dar­di­ser-indus­tria­li­ser les pro­ces­sus, en har­mo­ni­sant les pra­tiques au sein de l’é­ta­blis­se­ment, dans le cadre d’une opti­mi­sa­tion de la pro­duc­ti­vi­té ou de l’efficacité,
 dis­po­ser des meilleures pra­tiques, en béné­fi­ciant d’ef­fets d’é­chelle et de par­tage de meilleures pra­tiques de marché.

… et d’entreprise

Il convient donc d’in­té­grer le pro­jet de délo­ca­li­sa­tion dans une vision stra­té­gique plus glo­bale de l’en­tre­prise, d’in­ves­tir suf­fi­sam­ment sur la pré­pa­ra­tion du pro­jet, en anti­ci­pant notam­ment les aspects sys­tèmes et pro­cess, de démar­rer avec des pro­ces­sus simples, indus­triels et de pri­vi­lé­gier des zones où l’en­tre­prise est déjà pré­sente, pré­sen­tant le cas échéant des poten­tiels de déve­lop­pe­ment et enfin assu­rer le trans­fert de com­pé­tences sur les sites de délocalisation.

En conclu­sion, la délo­ca­li­sa­tion est un véri­table pro­jet d’en­tre­prise : pro­jet trans­ver­sal tou­chant toute l’or­ga­ni­sa­tion, qui doit donc à ce titre être pilo­té. C’est sur­tout une réflexion glo­bale sur le modèle orga­ni­sa­tion­nel, avec des impacts forts sur la culture d’en­tre­prise, la ges­tion des car­rières et le mode de mana­ge­ment. C’est la confir­ma­tion du pas­sage pour les ins­ti­tu­tions finan­cières d’un modèle mul­ti­pays à un modèle tota­le­ment glo­bal dans le cadre de leur stra­té­gie crois­sante de déve­lop­pe­ment à l’international.

À pro­pos d’INEUMconsulting
INEUM­con­sul­ting est le lea­der des cabi­nets de conseil indé­pen­dants en France, né de la sépa­ra­tion des acti­vi­tés de conseil en stra­té­gie, orga­ni­sa­tion et sys­tèmes d’in­for­ma­tion de Deloitte France, il compte 600 collaborateurs.
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www.ineumconsulting.com

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