Ré-imaginer des services de paiement nativement digitaux

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°774 Avril 2022
Par Pierre LAHBABI (98)

Maîtris­er ou dis­pos­er de paiements sim­ples, effi­caces et sûrs, est un enjeu stratégique qui mobilise les dif­férents acteurs du paiement, ban­ques, GAFA, fin­tech et com­merçants. Entre­tien avec Pierre Lah­babi (98), CEO de Galitt, qui nous dresse un bilan des prin­ci­pales évo­lu­tions qu’a con­nu le monde des paiements, et nous explique aus­si les enjeux clés du secteur.

Comment la crise sanitaire a‑t-elle impacté le monde des paiements ?

La pandémie Covid-19 a eu un impact pro­fond sur le com­merce et les paiements, en accélérant le déclin de l’argent liq­uide au point de vente au prof­it des cartes de paiements, et des cartes sans con­tact en par­ti­c­uli­er, et en accélérant l’adoption du paiement mobile1.

En 2020, l’argent liq­uide a représen­té 21 % du vol­ume des paiements en points de vente dans le monde, soit une réduc­tion de 32 % par rap­port à 2019.

Les porte­feuilles élec­tron­iques ont récupéré la majorité de la part de marché per­due au prof­it de l’argent liq­uide, affichant une aug­men­ta­tion de 20 % entre 2019 et 2020, pour attein­dre une part de 26 % des trans­ac­tions aux points de vente. La pandémie a sus­cité une accéléra­tion des paiements sans con­tact, inten­si­fi­ant un intérêt déjà crois­sant pré-pandémie.

En 2020, le com­merce élec­tron­ique a con­nu son taux de crois­sance le plus élevé depuis cinq ans… les con­som­ma­teurs con­finés chez eux cher­chant des alter­na­tives aux mag­a­sins physiques con­traints de fer­mer leurs portes.

Mal­gré la réces­sion de 2020, la crois­sance du com­merce élec­tron­ique mon­di­al s’est accélérée, avec une aug­men­ta­tion de 19 % par rap­port à 2019. Grâce à cette crois­sance, la péné­tra­tion du com­merce élec­tron­ique a gag­né près de trois ans, le total des trans­ac­tions pas­sant de 8 % en 2019 à 10 % en 2020 en valeur.

On assiste aussi, depuis quelques années, à l’émergence de nouveaux entrants dans le secteur. Qu’est-ce que cela implique concrètement ?

Le secteur des paiements est l’un des plus ouverts à la con­cur­rence dans les ser­vices financiers. Il a beau­coup changé notam­ment avec l’entrée depuis une dizaine d’années de deux types d’acteurs sur le marché : d’une part les « Big Tech » ou les GAFA, et les fin­techs. Ces acteurs cap­i­talisent sur la tech­nolo­gie, l’expérience client et mis­ent beau­coup sur leur capac­ité de développe­ment et d’innovation pour faciliter et flu­id­i­fi­er les par­cours d’achats et de paiements sur leurs plate­formes et dans leurs écosys­tèmes mais aus­si pour pou­voir col­lecter et béné­fici­er des don­nées plus rich­es et plus fiables sur le com­porte­ment des con­som­ma­teurs. En Europe, cette ouver­ture à la con­cur­rence a aus­si été favorisée par les pou­voirs publics avec notam­ment la sec­onde direc­tive sur les ser­vices de paiements (DSP2) qui a per­mis de faciliter l’accès aux nou­veaux entrants.

Jusque-là, ces nou­veaux acteurs n’ont pas réelle­ment inven­té de nou­veaux moyens de paiement mais ils ont amélioré l’expérience client avec des par­cours plus flu­ides et plus pra­tiques, et avec des tech­nolo­gies plus avancées pour sécuris­er davan­tage les trans­ac­tions, telle la bio­métrie, extrême­ment impor­tante aujourd’hui pour authen­ti­fi­er et sécuris­er les paiements. L’exemple le plus courant est celui d’Apple Pay, qui per­met de dématéri­alis­er sa carte de paiement sur son iPhone et de réalis­er un paiement avec son mobile, sécurisé par la recon­nais­sance faciale.

Ils ont aus­si pro­posé des ser­vices com­plé­men­taires au paiement, leur valeur ajoutée étant sou­vent plus large que la trans­ac­tion de paiement stric­to sen­su. Par exem­ple, Klar­na a innové autour du ser­vice Buy Now, Pay Lat­er, en con­stru­isant un par­cours client, un ser­vice utile et agréable qui vient se rajouter au paiement. Autre exem­ple, Pay­pal, a réal­isé ces dernières années de mul­ti­ples acqui­si­tions pour se posi­tion­ner non plus seule­ment comme une solu­tion de paiement mais comme un réel acteur du com­merce et des ser­vices financiers pour ses clients. Pour ces nou­veaux acteurs, le busi­ness mod­el a égale­ment évolué : les ser­vices de paiements sont sou­vent gra­tu­its et les revenus sont issus à la fois des don­nées qu’ils génèrent et des nou­veaux ser­vices qui y sont associés.

L’actualité européenne sur le paiement est marquée par les tentatives d’affirmer la souveraineté européenne, notamment avec le projet EPI. Comment appréhendez-vous cette nouvelle donne ? 

L’enjeu de sou­veraineté européenne dans les paiements est majeur : le secteur est stratégique, au cœur de l’économie numérique. C’est ce qui explique d’ailleurs la forte impli­ca­tion des pou­voirs publics pour avoir une solu­tion mod­erne et per­for­mante à l’échelle européenne. 

Pour­tant, l’Europe est l’une des rares régions du monde à ne pas dis­pos­er de son pro­pre sys­tème de paiement. La Banque cen­trale européenne et la Com­mis­sion européenne ont posé pour les vire­ments et les prélève­ments les bases en ter­mes de régle­men­ta­tion, de stan­dard­i­s­a­tion et d’infrastructures de paiement européennes. Néan­moins, pour les autres paiements quo­ti­di­ens, les clients fin­aux utilisent tou­jours soit les géants améri­cains (VISA et Mas­ter­card notam­ment), soit des acteurs nationaux comme le GIE cartes ban­caires en France. À ce jour, il n’existe pas d’alternative européenne. 

Mais les obsta­cles sont nom­breux et, au-delà de la grande mobil­i­sa­tion des pou­voirs publics et de l’écosystème des ban­ques et des acteurs indus­triels, il est dif­fi­cile de réu­nir toutes les con­di­tions pour men­er à bien cette aven­ture ambitieuse de sys­tème de paiement européen : tim­ing, finance­ment, propo­si­tion de valeur, pro­tec­tion des don­nées, choix tech­niques, com­pé­tences et ressources.

Alors que le secteur du paiement est en pleine évolution, quelles sont les principales tendances qui se dessinent pour les prochaines années ?

Au-delà du sujet du rem­place­ment du cash qui reste très présent dans la vie quo­ti­di­enne, le paiement foi­sonne d’innovations :

  • L’authentification et l’identité numérique : au moment d’effectuer un achat, le client cherche avant tout à dis­pos­er d’un ser­vice ou d’un pro­duit. Plus le paiement se fait de manière sim­ple et flu­ide, mieux c’est, à la fois pour le client et pour le com­merçant qui sécurise sa vente. C’est pourquoi il y a de plus en plus d’innovations autour de l’authentification notam­ment par la bio­métrie (recon­nais­sance faciale, empreinte dig­i­tale…) ou la val­i­da­tion des trans­ac­tions sur mobile…
  • L’APIsation et l’intégration des paiements à dif­férents ser­vices pour faciliter et flu­id­i­fi­er davan­tage les paiements en inté­grant de manière presque invis­i­ble la solu­tion de paiement dans les plate­formes de jeux en ligne, de livrai­son de repas… Un axe majeur de développe­ment pour les trans­ac­tions est celui des écosys­tèmes numériques ou encore des « super app », qui pro­posent une mul­ti­tude de ser­vices numériques extrême­ment appré­ciés par les con­som­ma­teurs et dans lesquels les paiements s’intègrent de manière invisible ;
  • La flex­i­bil­ité et les ser­vices, notam­ment au tra­vers de ser­vices comme Buy Now, Pay Lat­er qui per­met de dis­pos­er du ser­vice immé­di­ate­ment, et de pou­voir gér­er la manière dont l’argent va être débité. De nou­veaux stan­dards d’échange d’informations dans le paiement, comme le « Request To Pay » vont per­me­t­tre d’introduire encore plus de flex­i­bil­ité dans les paiements. Les don­nées de paiements vont égale­ment jouer un rôle clé pour tous les ser­vices asso­ciés, que ce soit pour la lutte con­tre la fraude, ou pour le mar­ket­ing ciblé, etc.
  • Enfin, per­son­ne n’a pu échap­per à l’effervescence sur le marché des cryp­to-mon­naies, qui étaient jusque-là réservées à un pub­lic d’initiés mais qui se sont beau­coup démoc­ra­tisées ces deux dernières années. Ces cryp­tomon­naies pour­raient d’ailleurs jouer un rôle majeur dans les paiements, au vu des ini­tia­tives de Face­book, de fin­techs comme Pay­pal ou Ledger pour lancer de nou­veaux ser­vices, ou même des ban­ques cen­trales qui ont aus­si des pro­jets de mon­naie numérique… Même si tous les cas d’usage ne sont pas encore dévelop­pés, les mon­naies dig­i­tales, reposant sur les DLT (Decen­tral­ized Lay­er Tech­nolo­gies) pour­raient être les mon­naies de demain pour toutes les trans­ac­tions qui ont lieu dans les écosys­tèmes numériques, notam­ment ceux des métaverses…

Si elle créée davan­tage de com­plex­ité, la diver­sité des acteurs et des ini­tia­tives dans les paiements est une réelle source d’innovations et de nou­veaux usages, dont cer­tains ne con­stituent que des effets de mode ou des nich­es alors que d’autres s’établiront comme les nou­veaux stan­dards de demain. 

Ce con­texte fait aus­si du secteur des paiements un domaine pas­sion­nant, avec des défis tech­nologiques et régle­men­taires, de nou­velles expéri­ences util­isa­teurs et des busi­ness mod­els à réin­ven­ter pour tous les acteurs du secteur. Du fait de la forte crois­sance et de la diver­sité des défis, les acteurs des paiements sont d’ailleurs con­fron­tés à une pénurie des tal­ents. Les enjeux de réten­tion, de recrute­ment et de for­ma­tion de leurs col­lab­o­ra­teurs sont donc au cœur des préoc­cu­pa­tions des acteurs des paiements.


1. Glob­al Pay­ment Report 2020.


En bref

Galitt, société du groupe Sopra Ste­ria, accom­pa­gne les étab­lisse­ments financiers, les com­merçants, et les acteurs de l’industrie du paiement dans la trans­for­ma­tion de leurs ser­vices de paiements, afin de les ren­dre sim­ples, effi­caces et sûrs, dans la vie de tous les jours. En tant qu’acteur leader sur le marché européen du paiement, Galitt assiste ses clients sur dif­férents secteurs d’activité et géo­gra­phies, de la déf­i­ni­tion de leur stratégie au déploiement de leurs solutions. 

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