Quelques X dans l’affaire Dreyfus

Dossier : ExpressionsMagazine N°620 Décembre 2006
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

ANDRÉ Louis, Joseph, Nicolas (1857)

ANDRÉ Louis, Joseph, Nicolas (1857)

Louis André naquit le 29 mars 1838 à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or) de Nico­las André, négo­ciant et Joséphine Charles, sans pro­fes­sion. Il fit ses études au lycée de Dijon puis au col­lège Sainte-Barbe avant d’in­té­gr­er l’É­cole poly­tech­nique en 1857, où il eut comme condis­ci­ple le futur prési­dent Sadi Carnot. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il était châ­tain clair, yeux bleus, vis­age ovale, qu’il mesurait 1,79 m et qu’il avait une cica­trice au front (comme Har­ry Potter ?). 

Entré 54e de sa pro­mo­tion, il en sor­tit 60e sur 102 en 1859 et fut envoyé à l’É­cole d’ap­pli­ca­tion de l’ar­tillerie à Metz avec le rang de sous-lieu­tenant. Il fut nom­mé en 1861 lieu­tenant en sec­ond au 9e rég­i­ment d’ar­tillerie et cap­i­taine en sec­ond en 1867. 

Il fit la guerre de 1870 à l’É­cole de pyrotech­nie et à la Com­mis­sion d’ex­péri­ences de Bourges puis au 7e rég­i­ment d’ar­tillerie à Rennes puis à Paris. Il prit part aux com­bats de Champigny et du Bour­get et fut nom­mé cheva­lier de la Légion d’hon­neur en 1871. 

Il épousa en 1876 Mar­guerite Cha­puy, artiste dra­ma­tique et lyrique à suc­cès, qui renonça au théâtre et au chant après son mariage. 

Il fut nom­mé chef d’escadron en 1877 au 34e rég­i­ment d’ar­tillerie, lieu­tenant-colonel en 1885 à Greno­ble, général de brigade en 1893, com­man­dant de l’É­cole poly­tech­nique de 1894 à 1896, offici­er de la Légion d’hon­neur en 1895, général de divi­sion com­man­dant la 10e divi­sion en 1899. 

En mai 1900, alors qu’il était en manœu­vres à Nemours, Waldeck-Rousseau, prési­dent du Con­seil, l’ap­pela à la sug­ges­tion de Mau­rice Ephrus­si pour suc­céder comme min­istre de la Guerre au général de Gal­lif­fet qui n’avait duré que onze mois à ce poste très exposé où il res­ta plus de qua­tre ans, un record pour l’époque. 

André avait alors la répu­ta­tion d’un répub­li­cain intran­sigeant et d’un anti­cléri­cal notoire. À peine nom­mé, il procé­da à une épu­ra­tion de l’ar­mée. C’est ain­si que les généraux Alfred Delanne (X 1862), chef d’é­tat-major général et Édouard Jamont (X 1850), général en chef en temps de guerre, ain­si que de nom­breux chefs de bureau de l’é­tat-major furent relevés de leurs fonc­tions. André essaya à plusieurs repris­es en 1900, 1902, 1903, de faire vot­er des lois per­me­t­tant de réin­té­gr­er Pic­quart, sans suc­cès. Les esprits étaient encore trop échauffés. 

En décem­bre 1900, pen­dant les débats sur la loi d’am­nistie, André déféra le com­man­dant Cuignet devant un con­seil d’en­quête et le punit de soix­ante jours de forter­esse pour une let­tre rel­a­tive à un arti­cle sur le « faux Cuignet ». 

En juin 1902, le cab­i­net anti­cléri­cal du « petit père » Combes suc­cé­da à Waldeck-Rousseau. André res­ta à la Guerre. En avril 1903, à la suite d’un long dis­cours de Jau­rès deman­dant à la Cham­bre la révi­sion du procès de Drey­fus, André accep­ta au nom du gou­verne­ment de faire une enquête qui fut dite « prélim­i­naire ». André était sans préjugés mais il n’é­tait pas con­va­in­cu de l’in­no­cence de Drey­fus. Il con­fia l’en­quête au com­man­dant Antoine Louis Targe (X 1885). Celle-ci con­fir­ma offi­cielle­ment que le dossier de Rennes com­pre­nait notam­ment des témoignages sus­pects et des pièces matérielle­ment altérées. Ce fut le pre­mier pas vers la 2e révision. 

André fut alors con­va­in­cu de l’in­no­cence de Drey­fus. Il con­sid­éra que sa tâche était de pren­dre la défense des officiers répub­li­cains, dont la car­rière avait souf­fert du fait de leur prise de posi­tion dans l’Af­faire, con­tre les attaques des élé­ments réac­tion­naires. À cet effet, il con­fia à son chef de cab­i­net le général Percin et son ordon­nance le cap­i­taine Mollin, mem­bre du Grand Ori­ent, la con­sti­tu­tion d’un sys­tème de fich­es rela­tant les opin­ions poli­tiques et religieuses des officiers. 25 000 fich­es furent ain­si con­sti­tuées à l’aide d’in­for­ma­tions trans­mis­es par la hiérar­chie mil­i­taire quelque­fois aidée par les francs-maçons. 

La décou­verte de cer­taines fich­es par deux députés nation­al­istes, Guy­ot de Vil­leneuve et Gabriel Syve­ton, mit le feu aux poudres. En octo­bre 1904, ces derniers attaquèrent vio­lem­ment André à la Cham­bre des députés, l’ac­cu­sant d’avoir instau­ré un sys­tème de déla­tion et util­isé les fich­es pour décider de la car­rière des intéressés et allant jusqu’à le frap­per. Mal­gré l’ap­pui de Jau­rès, il dut démis­sion­ner en novem­bre 1904, entraî­nant le gou­verne­ment Combes dans sa chute. Il fut rem­placé par Mau­rice Berteaux, qui dura à peine plus de six mois. 

André se reti­ra alors dans la Côte-d’Or où il était con­seiller général du can­ton de Gevrey-Cham­bertin depuis 1902. En juil­let 1906, après l’ar­rêt de la Cour de cas­sa­tion, il écriv­it à Drey­fus : « Je n’ai pas à vous dire le grand plaisir que m’ont causé coup sur coup l’ar­rêt de la Cour et les séances du Par­lement. » Il deman­da au min­istre que la Légion d’hon­neur soit remise à Drey­fus dans la grande cour de l’É­cole mil­i­taire, mais l’in­téressé préféra la petite cour et André ne fut même pas invité. Il pub­lia ses mémoires en 1907 (Cinq ans de min­istère). En juin 1908, à la suite de l’at­ten­tat con­tre Drey­fus lors du trans­fert des cen­dres de Zola au Pan­théon, il lui écriv­it : « Vous avez rem­pli votre devoir avec la réso­lu­tion et le courage qui ne vous ont jamais aban­don­né… » Il fut can­di­dat mal­heureux au con­seil munic­i­pal de Nuits en 1908 et au Sénat en 1910. Il mou­rut en 1913 à Dijon. 

BERNARD Claude Maurice (1882)

Claude Mau­rice Bernard naquit le 24 sep­tem­bre 1864 à Paris de Jules Édouard Bernard, compt­able et Léonide Geneviève Genet, sans pro­fes­sion. Il entra à l’É­cole poly­tech­nique à 18 ans dans la pro­mo­tion 1882. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il était châ­tain, yeux gris, vis­age large, qu’il mesurait 1,67 m et qu’il n’avait pas de signes particuliers. 

Entré à l’X 8e sur 247, il en sor­tit 4e en 1884 et choisit le corps des Mines. Il fut d’abord affec­té au ser­vice des Mines de Béziers puis « pan­tou­fla » à la Société des mines et fonderies de la Canette (Aude) et devint ingénieur-con­seil de la Société des mines et fonderies de Pont­gibaud. Il fit des mis­sions d’ex­plo­ration en 1896 en Guyane puis en 1897 au ser­vice des Mines de l’Ime­ri­na à Mada­gas­car où on le retrou­ve en 1907 comme ingénieur-con­seil de la société Le graphite français1.

Bernard fut un des sig­nataires des deux pre­mières péti­tions des « intel­lectuels » de jan­vi­er 1898 deman­dant la révi­sion du procès de 1894 (resp. 13e et 12e listes) ain­si que de la protes­ta­tion en faveur de Pic­quart (7e liste).
Bernard fut cité comme témoin de la défense au procès de Rennes en août 1899, pour réfuter les thès­es abra­cadabrantes et pseu­do-sci­en­tifiques d’Alphonse Bertillon ten­dant à prou­ver que Drey­fus était le scrip­teur du « bordereau ». 

Bernard écriv­it le 2 sep­tem­bre au cour­ri­er des lecteurs du jour­nal La Paix pour rec­ti­fi­er une affir­ma­tion parue dans La Libre Parole qui le présen­tait comme Juif : « Par sim­ple respect de la vérité, j’ai écrit à M. Dru­mont pour m’ex­cuser de ne pas l’être (juif) et je con­clu­ais ain­si : Je n’ap­par­tiens donc pas à la race ni à la reli­gion qu’honore un Math­ieu Drey­fus. »

Les cal­culs de Bernard furent util­isés par Hen­ri Poin­caré (X 1873) dans son avis sur le tra­vail de Bertillon, lu devant le Con­seil de guerre par Paul Painlevé, pro­fesseur de mécanique à l’X. L’avis de Poin­caré se ter­mi­nait ain­si : «… En résumé, les cal­culs de M. Bernard sont exacts ; ceux de M. Bertillon ne le sont pas… »

Bernard inter­vint à nou­veau dans le cadre de la révi­sion du procès de Rennes. Il pub­lia dans Le Siè­cle en avril 1904 une série d’ar­ti­cles qui furent ensuite réu­nis en une brochure inti­t­ulée Le bor­dereau, expli­ca­tions et réfu­ta­tions du sys­tème de M. A. Bertillon et de ses com­men­ta­teurs. Une réplique fut pub­liée en juin par L’Action française puis dif­fusée sous forme d’une brochure verte inti­t­ulée La théorie de M. Bertillon, réponse à MM. Bernard, Molin­ier et Painlevé, par un poly­tech­ni­cien. Ce poly­tech­ni­cien, encore incon­nu aujour­d’hui, a tenu à garder l’anony­mat, preuve que le vent com­mençait enfin à tourner ! 

Bernard mou­rut en mars 1923.

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1. André Thépot, Les ingénieurs des Mines du XIXe siè­cle, his­toire d’un corps tech­nique d’É­tat, tome I, 1910–1914, Édi­tions ESKA, Paris, 1998. 

CARVALLO Julien (1883)

Julien Car­val­lo naquit le 5 jan­vi­er 1866 à Paris de Jacob Jules Car­val­lo, (X 1840), ingénieur des Ponts et Chaussées et Élodie Sara Rodrigues, sans pro­fes­sion. Il entra à l’É­cole poly­tech­nique à 17 ans dans la pro­mo­tion 1883, soit cinq ans après Drey­fus, à la suite de ses deux frères Joseph (X 1873) et Moïse Emmanuel (X 1877)2. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il avait les cheveux noirs, yeux gris, vis­age allongé, qu’il mesurait 1,74 m et qu’il n’avait pas de signes particuliers. 

Entré à l’X 14e sur 227, il en sor­tit 4e en 1885 et choisit l’ar­tillerie dont il fit l’é­cole d’application.
Il fut nom­mé cap­i­taine en décem­bre 1894, d’abord adjoint à la man­u­fac­ture de Châteller­ault, puis au 22e rég­i­ment d’ar­tillerie de Ver­sailles3. C’est de là qu’il envoya une carte à Drey­fus après l’ar­rêt de la Cour de cas­sa­tion : « Très heureux de l’ar­rêt de la Cour de cas­sa­tion, sincères félic­i­ta­tions. »

Le cap­i­taine Car­val­lo déposa au procès de Rennes en sep­tem­bre 1899 ; il s’y attacha à démon­tr­er qu’en 1894 on ne pre­nait aucune pré­cau­tion pour tenir secret le matériel de 120 court. Sa car­rière en souf­frit pen­dant des années, comme celle de la plu­part de ceux qui avaient osé défendre la vérité mais il n’avait aucun état d’âme à ce sujet, comme il l’écriv­it le 9 jan­vi­er 1900 à Louis Havet, pro­fesseur au Col­lège de France et mem­bre du Comité cen­tral de la ligue des Droits de l’homme, témoin au même procès : « Ma cause est juste et je crois pos­séder la vérité… »4

Le 15 juil­let 1906, au lende­main de la cas­sa­tion sans ren­voi, Car­val­lo écriv­it à Joseph Reinach pour le féliciter, ajoutant : «… Sans me pos­er en vic­time, depuis deux ans je vois met­tre au tableau des cama­rades plus jeunes et pass­er com­man­dants des officiers qui m’ont tourné le dos parce que témoin au procès de Rennes… »5 Il écriv­it de même à Louis Havet le 30 décem­bre 1906 : «… tout cela m’a pro­fondé­ment découragé et ma désil­lu­sion est d’au­tant plus dure que j’ai plus d’ad­mi­ra­tion pour le car­ac­tère du général Pic­quart. Est-ce parce que je n’ai que 41 ans, mais on ne peut m’en vouloir d’être entré à 17 ans à l’É­cole poly­tech­nique… »6

Car­val­lo dut encore atten­dre deux ans pour être nom­mé chef d’escadron (1908). Il pas­sa lieu­tenant-colonel en décem­bre 1914. En 1916, il com­mandait l’ar­tillerie de la 59e divi­sion. Il fut nom­mé colonel en juil­let 1917 et cité à l’Or­dre en juin 1918. 

Car­val­lo fut nom­mé com­man­dant de l’ar­tillerie de la 23e divi­sion en sep­tem­bre 1920 et général en décem­bre 1923. Il finit sa car­rière mil­i­taire comme général de brigade. Il mou­rut le 28 mars 1929 à Neuilly-sur-Seine.

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2. Moïse Emmanuel Car­val­lo fut directeur des études de l’É­cole poly­tech­nique de 1909 à 1921. C’est depuis lors que l’É­cole s’ap­pelle « Boîte Car­va » dans l’ar­got des polytechniciens.
3. Dic­tio­n­naire de biogra­phie française par M. Prévost et Roman d’A­mat, librairie Letouzey et Ané, Paris, 1956, tome VII.
4. Cor­re­spon­dance de Louis Havet, BN Man­u­scrits, NAFR 24490.
5. Cor­re­spon­dance de Joseph Reinach, BN Man­u­scrits, NAFR 13571.
6. Cor­re­spon­dance de Louis Havet, op. cit. 


FREYCINET Louis Charles (de Saulces de) (1846)

Louis Charles de Saulces de Freycinet naquit le 14 novem­bre 1828 à Foix (Ariège) dans une vieille famille protes­tante orig­i­naire de la Drôme, de Casimir Frédéric de Saulces de Freycinet, arboricul­teur puis directeur des Con­tri­bu­tions indi­rectes et Anne Malet, sans pro­fes­sion. Il entra à l’É­cole poly­tech­nique à 17 ans 36e sur 122, dans la pro­mo­tion 1846. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il avait les cheveux blonds, yeux bleus, vis­age ovale, qu’il mesurait 1,65 m et qu’il n’avait pas de signes particuliers. 

En févri­er 1848, alors qu’il était encore élève à l’X, Freycinet inter­vint avec quelques cama­rades dans les échauf­fourées du boule­vard des Capucines et aida à dégager les sol­dats assiégés dans la caserne de la Pépinière. Il se trou­va alors par hasard à l’Hô­tel de Ville auprès de Lamar­tine lors de la con­sti­tu­tion du gou­verne­ment de Dupont de l’Eure. Tou­jours à l’X, il fut ensuite chargé de mis­sions par le gou­verne­ment pro­vi­soire à Melun et à Bor­deaux7.

Il sor­tit de l’X 6e en 1848 et choisit le corps des Mines qui l’af­fec­ta en ser­vice ordi­naire à Mont-de-Marsan où il fit l’é­tude géologique du bassin de l’Adour puis à Chartres en 1854 où il s’in­téres­sa aux ques­tions d’as­sainisse­ment urbain, enfin à Bor­deaux en 1855, qu’il quit­ta l’an­née suiv­ante pour devenir chef de l’ex­ploita­tion des Chemins de Fer du Midi. Il écrit à ce sujet dans ses sou­venirs : « Je n’avais pas trente ans et j’ap­por­tais dans mes nou­velles fonc­tions toute l’ardeur qu’on éprou­ve d’or­di­naire à cet âge. Bien que divers­es raisons m’aient déter­miné plus tard à les aban­don­ner, je n’ai jamais regret­té les cinq années que je leur ai con­sacrées. Il n’est pas pour l’e­sprit de meilleure école de dis­ci­pline et de pré­ci­sion. L’oblig­a­tion banale de faire par­tir les trains à l’heure et la préoc­cu­pa­tion d’éviter les acci­dents déter­mi­nent, du haut en bas de l’échelle, des soins vig­i­lants et une exac­ti­tude scrupuleuse. »8

En 1862, il revint au ser­vice des Mines qui lui con­fia des mis­sions var­iées comme l’é­tude de l’as­sainisse­ment indus­triel en Bel­gique, en Suisse, en France et à Lon­dres ou le tra­vail des femmes et des enfants dans les man­u­fac­tures anglais­es, étude couron­née par l’A­cadémie des sci­ences morales. Il fut nom­mé ingénieur en chef des Mines en 1865 et offici­er de la Légion d’hon­neur en août 1870. 

En sep­tem­bre 1870, après la chute de l’Em­pire, Gam­bet­ta nom­ma Freycinet préfet du Tarn-et-Garonne où il ne res­ta qu’un mois. Gam­bet­ta le nom­ma alors délégué à la Guerre dans le gou­verne­ment de la Défense nationale à Tours, chargé de la Défense dans les provinces. Il y fit mer­veille ain­si qu’en atteste une let­tre de novem­bre 1870 de Gam­bet­ta à ses col­lègues restés à Paris : «… J’ai eu la bonne for­tune de trou­ver des col­lab­o­ra­teurs à la fois nova­teurs et pru­dents. Il serait trop long de vous en don­ner la bril­lante liste, mais je ne puis cepen­dant pass­er sous silence le plus bril­lant d’en­tre eux, mon col­lègue à la Guerre, M. C. de Freycinet dont le dévoue­ment et la capac­ité se sont trou­vés à la hau­teur de toutes les dif­fi­cultés pour les résoudre comme de tous les obsta­cles pour les vain­cre. »9

En jan­vi­er 1876, Freycinet fut élu séna­teur « gam­bet­tiste » de la Seine, siège qu’il con­ser­va jusqu’en 1920. Il fut nom­mé min­istre des Travaux publics en décem­bre 1877 dans le cab­i­net Dufau­re, auquel suc­cé­da bien­tôt Wadding­ton. Il mit alors en œuvre des pro­grammes de grands travaux pour dévelop­per le réseau fer­rovi­aire français (plan Freycinet de juin 1878) ain­si que les ports mar­itimes et les voies nav­i­ga­bles et réfor­ma la lég­is­la­tion minière. 

Grévy le nom­ma prési­dent du Con­seil et min­istre des Affaires étrangères en décem­bre 1879. Il fit vot­er une amnistie pour les crimes poli­tiques récents mais son cab­i­net tom­ba en décem­bre 1880 sur une ques­tion de loi con­tre les con­gré­ga­tions enseignantes, notam­ment jésuites, pré­parée par Jules Fer­ry. Après l’in­ter­mède du « grand min­istère » de Gam­bet­ta, pen­dant lequel le corps des Mines lui con­fia oblig­eam­ment une mis­sion sur l’ex­ploita­tion des chemins de fer en France et à l’é­tranger, il redevint en jan­vi­er 1882 prési­dent du Con­seil et min­istre des Affaires étrangères. Il tom­ba en mars 1885 à la suite de sa déci­sion mal­heureuse de laiss­er la flotte anglaise com­bat­tre seule les Égyp­tiens révoltés, per­dant ain­si au prof­it des Anglais l’in­flu­ence que la France s’é­tait créée au fil des siè­cles au Proche-Ori­ent. Min­istre des Affaires étrangères en mars 1885 dans le cab­i­net Bris­son, il redevint prési­dent du Con­seil en jan­vi­er 1886 pour tomber en décem­bre sur une ques­tion de traite­ment des sous-préfets. 

Il fut can­di­dat à la suc­ces­sion de Grévy à la prési­dence de la République en 1887 mais un autre poly­tech­ni­cien, Sadi Carnot (X 1857, Ponts et Chaussées) lui fut préféré. Il devint min­istre de la Guerre en avril 1888 dans les cab­i­nets Flo­quet puis Tirard, pour rede­venir prési­dent du Con­seil pour la qua­trième fois en mars 1890. Il entre­prit alors les pre­mières négo­ci­a­tions qui devaient con­duire à l’al­liance avec la Russie. Il tom­ba en févri­er 1892 sur la ques­tion religieuse pour rede­venir min­istre de la Guerre dans les cab­i­nets Lou­bet puis Ribot jusqu’en jan­vi­er 1893. Pen­dant ces cinq années qui ont été, selon le maréchal Foch, un bien­fait nation­al10, il réor­gan­isa notam­ment le Con­seil supérieur de la Guerre, l’é­tat-major et les trans­ports de défense ain­si que l’a­vance­ment des officiers. 

Dès son départ du Cab­i­net, Freycinet devint prési­dent de la Com­mis­sion de l’ar­mée du Sénat, poste qu’il con­ser­va jusqu’en 1920, soit vingt-sept ans ! À ce titre, il aurait infor­mé Scheur­er-Kest­ner en févri­er 1895 que la con­damna­tion de Drey­fus avait été pronon­cée sur la base de pièces secrètes et lui aurait décon­seil­lé de s’oc­cu­per de l’af­faire11.

En novem­bre 1898, à la retraite depuis bien­tôt six ans, Freycinet redevint min­istre de la Guerre dans le cab­i­net Dupuy qui suc­cé­dait à Bris­son quelques jours après l’ou­ver­ture des débats sur la révi­sion du procès Drey­fus. Soucieux de ne pas faire de vagues, il refusa la demande d’a­journe­ment du procès Pic­quart jusqu’après l’ar­rêt de la Cour de cas­sa­tion et mit divers obsta­cles au tra­vail de la Cham­bre criminelle. 

Freycinet quit­ta son Min­istère en mai 1899, après s’être fait inter­peller par le député Gouzy (X 1852) pour avoir sus­pendu le cours de Georges Duruy, pro­fesseur d’his­toire et de lit­téra­ture à l’X, coupable d’avoir écrit des arti­cles dans Le Figaro inti­t­ulés Pour la jus­tice et pour l’ar­mée. Selon le général Merci­er, il aurait dit le lende­main de sa démis­sion au général Jamont que le gou­verne­ment savait que l’ar­gent de la cam­pagne en faveur de Drey­fus venait d’un syn­di­cat financé par l’é­tranger dont l’An­gleterre et l’Alle­magne. Il con­fir­ma ces dires au procès de Rennes au cours duquel il se can­ton­na à une pru­dente neu­tral­ité. Ce n’est que lors de la deux­ième révi­sion, en mars 1904, qu’il désavoua en par­tie Merci­er12.

Surnom­mé famil­ière­ment « la souris blanche », il redevint min­istre d’É­tat pen­dant qua­torze mois dans le cab­i­net de Guerre de Briand en 1915–1916. Il ne se représen­ta pas en 1920 et mou­rut le 14 mai 1923 à Paris. 

Freycinet a lais­sé de nom­breuses pub­li­ca­tions dont : Étude géologique sur le bassin de l’Adour (1854), Traité de mécanique rationnelle (1858, 2 vol.), De l’analyse infinitési­male, étude sur la méta­physique du haut cal­cul (1860), Des pentes économiques en chemin de fer (1861), Emploi des eaux d’é­gout en agri­cul­ture (1869), Principes de l’as­sainisse­ment des villes et Traité d’as­sainisse­ment indus­triel (1870), La guerre en province pen­dant le siège de Paris (1871), Essais sur la philoso­phie des sci­ences, analyse, mécanique (1896), Les planètes télés­copiques (1900), Sur les principes de la mécanique rationnelle (1902), De l’ex­péri­ence en géométrie (1903), La ques­tion d’É­gypte (1905), Mes sou­venirs jusqu’en 1893 (1911). Il fut élu mem­bre libre de l’A­cadémie des sci­ences en 1882 et mem­bre de l’A­cadémie française en 1890. 

L’É­cole poly­tech­nique com­mémo­ra solen­nelle­ment en 1928 le cen­te­naire de la nais­sance de Freycinet. Sous la prési­dence du maréchal Foch (X 1871) furent suc­ces­sive­ment évo­qués le poly­tech­ni­cien, l’ingénieur, l’homme de sci­ence, l’a­cadémi­cien et le patri­ote. Mais pas un mot ne fut dit du Drey­fusard, et pour cause !

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7. Dic­tio­n­naire de biogra­phie française, Librairie Letouzey et Ané, Paris, 1979, tome xiv.
8. Sou­venirs, p. 78–79, cité dans André Thépot, Les ingénieurs des Mines du XIXe siè­cle, tome i, Eska Paris 1998, p. 386.
9. André Thépot, op. cit. p. 464.
10. Dis­cours du maréchal Foch aux céré­monies du cen­te­naire de Freycinet, X‑Informations, 25 nov. 1928, p. 104.
11. Joseph Reinach, His­toire de l’af­faire Drey­fus, II, p. 169, cité par Dutrait-Cro­zon, p. 51.
12. Min­utes du procès de Rennes, I, p. 106, cité par Dutrait-Cro­zon, p. 102 et 300. 

MERCIER Auguste (1852)

Auguste Merci­er naquit le 8 décem­bre 1833 à Arras de François Augustin Merci­er, chef d’escadron et Eugénie Van­dré, sans pro­fes­sion. Il entra à l’É­cole poly­tech­nique à 19 ans dans la pro­mo­tion 1852. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il avait les cheveux châ­tains, yeux bruns, vis­age ovale, qu’il mesurait 1,79 m et qu’il n’avait pas de signes particuliers. 

Entré à l’X 4e sur 106, il en sor­tit sec­ond en 1854 et choisit l’ar­tillerie dont il fit l’é­cole d’application. 

Il servit au Mex­ique pen­dant la guerre de 1863–1867. Il prit part ensuite aux batailles con­tre les Alle­mands sous Metz en 1870. 

Il fut nom­mé général de brigade en 1884, directeur des ser­vices admin­is­trat­ifs à la Guerre en 1888, divi­sion­naire en 1889 et com­man­dant du XVIIe corps en 189313. Il fut directeur de l’É­cole pyrotech­nique de Bourges où il se spé­cial­isa dans les pro­jec­tiles dont les obus à mitraille. 

Merci­er fut chargé du porte­feuille de la Guerre en décem­bre 1893 dans le cab­i­net Casimir-Perier après la démis­sion de Freycinet (X 1846). C’est en accord avec lui que le com­man­dant Sand­herr rédi­gea alors les instruc­tions per­me­t­tant, en cas de mobil­i­sa­tion, d’in­tern­er toutes les per­son­nes sus­pectes14. Il s’é­tait con­stru­it la répu­ta­tion d’un offici­er intel­li­gent et réfléchi, qui pas­sait pour répub­li­cain — il était catholique et avait épousé une Anglaise protes­tante, mais n’al­lait pas à la messe — et ouvert aux idées libérales, ce qui n’é­tait pas fréquent. Il était grand, très mai­gre, froid, sévère, son vis­age sem­blait tail­lé à la serpe, il gar­dait tou­jours ses yeux mi-clos et son sourire, un peu for­cé, se con­trac­tait en ric­tus. Il était cour­tois, peu bavard, très énergique, doué d’une éton­nante mémoire15.

Il con­ser­va son poste en mai 1894 dans le cab­i­net Dupuy, ce qui lui don­na le sen­ti­ment d’être inamovi­ble : « Il tran­chait de tout, sec, hau­tain, d’une infat­u­a­tion provo­cante, infail­li­ble et sûr de son étoile. »16

En août 1894, Merci­er fit libér­er par antic­i­pa­tion une par­tie du con­tin­gent ce qui lui val­ut des réac­tions vir­u­lentes de la presse de droite qui l’ac­cusa de cou­vrir les Juifs et les espions. 

C’est alors qu’il fut avisé que la sec­tion de sta­tis­tique avait inter­cep­té ce qui allait devenir le « Bor­dereau ». Il ordon­na aus­sitôt des recherch­es rapi­des pour trou­ver le traître et redor­er ain­si son bla­son auprès de la droite. Dès le 7 octo­bre, con­va­in­cu de tenir le coupable, il en infor­ma le prési­dent de la République Casimir-Perier et le prési­dent du Con­seil Charles Dupuy en leur mon­trant le Bor­dereau et les mod­èles d’écri­t­ure de Dreyfus. 

Une exper­tise légale ayant été sug­gérée par le com­man­dant du Paty de Clam, Merci­er fit appel à Gob­ert, expert à la Banque de France, sur la recom­man­da­tion du min­istre de la Jus­tice Guérin. Mais le rap­port de Gob­ert ne fut pas con­clu­ant et Merci­er fit alors appel à Alphonse Bertillon qui con­clut pos­i­tive­ment. Il n’en fal­lut pas plus à Merci­er pour faire con­vo­quer Drey­fus au Min­istère et le faire inter­roger par du Paty de Clam qui fit procéder aus­sitôt à son arrestation. 

Le 1er novem­bre 1894, à la suite d’indis­cré­tions parues dans la presse, Merci­er infor­ma de la sit­u­a­tion le Con­seil des min­istres qui déci­da des pour­suites à l’u­na­nim­ité. Alors que l’in­struc­tion com­mençait à peine et que les experts en écri­t­ure étaient divisés, Merci­er n’hési­ta pas à affirmer sa cer­ti­tude de la cul­pa­bil­ité de Drey­fus dans un arti­cle du Figaro17 dont il con­tes­ta la vérac­ité en 1904 devant la Cour de cas­sa­tion. Mais il cam­pa sur ses cer­ti­tudes toute sa vie. 

Avec Dupuy, Merci­er fut de la « nuit his­torique » du 12 décem­bre 1894 à l’Élysée, pen­dant laque­lle se joua, pré­ten­dit-il, le sort de la guerre entre la France et l’Alle­magne. Il fut à l’o­rig­ine de la com­mu­ni­ca­tion du dossier secret au Con­seil de guerre. Le 25 décem­bre 1894, dès Drey­fus con­damné par le Con­seil de guerre, il déposa à la Cham­bre un pro­jet de loi rétab­lis­sant la peine de mort pour crime de trahison. 

En févri­er 1895, après l’élec­tion de Félix Fau­re en rem­place­ment de Casimir-Perier à la prési­dence de la République, où il était can­di­dat et avait recueil­li trois voix seule­ment, Merci­er fut rem­placé à la Guerre par Émile Zurlin­den (X 1856), non sans avoir eu le temps de « met­tre de l’or­dre » dans le dossier Drey­fus et notam­ment de détru­ire le com­men­taire écrit par du Paty et de pré­par­er un pro­jet de loi qui rétab­lis­sait les îles du Salut comme lieu de dépor­ta­tion. Il devint alors com­man­dant du 4e corps d’ar­mée pour pass­er dans la réserve en 1898. 

Dans J’ac­cuse, pub­lié dans l’Au­rore du 13 jan­vi­er 1898, Émile Zola, qui n’avait pas com­pris l’im­por­tance de son rôle, l’ac­cusa seule­ment « de s’être ren­du com­plice, tout au moins par faib­lesse d’e­sprit, d’une des plus grandes iniq­ui­tés du siè­cle. » Cité au procès Zola en févri­er, « hau­tain, fleg­ma­tique, pré­cis, dédaigneuse­ment retranché dans la con­science de son infail­li­bil­ité, il déclara que Drey­fus était un traître qui avait été juste­ment et légale­ment con­damné »18 et refusa de répon­dre sur l’ex­is­tence de pièces secrètes. 

Merci­er et ses suc­cesseurs à la Guerre, Zurlin­den, Cavaignac, Bil­lot, Chanoine, furent audi­tion­nés en novem­bre 1898 par la Cham­bre crim­inelle de la Cour de cas­sa­tion dans le cadre de la procé­dure de révi­sion. Tous cinq affir­mèrent la cul­pa­bil­ité de Drey­fus. Pour faire bonne mesure, Merci­er déclara que la Cham­bre crim­inelle était achetée par le Syn­di­cat. Il fit par­tie des 28 généraux en retraite qui par­ticipèrent à la souscrip­tion en faveur de la veuve du com­man­dant Hen­ry en décem­bre 1898. 

En juin 1899, après l’ar­rêt de la Cour de cas­sa­tion, Merci­er fut près d’être mis en accu­sa­tion à son tour par la Cham­bre (228 voix con­tre 277) mais il ne désar­ma pas : « Je ne suis pas un accusé, je reste un accusa­teur… »19 Instal­lé à Rennes, il se présen­ta comme chef de file des antidrey­fusards, annonçant dans la presse de droite des révéla­tions déci­sives à venir, comme l’ex­is­tence d’un orig­i­nal du bor­dereau annoté par le Kaiser lui-même. En fait, sa dépo­si­tion devant le Con­seil de guerre, qui dura qua­tre heures, n’ap­por­ta pas d’élé­ment nou­veau et sa con­clu­sion fut sans appel : « Ma con­vic­tion depuis 1894 n’a pas subi la plus légère atteinte ; elle s’est appro­fondie par une étude plus com­plète de la cause ; elle s’est for­ti­fiée enfin par l’i­nanité des résul­tats obtenus pour démon­tr­er l’in­no­cence du con­damné, mal­gré le chiffre énorme des mil­lions folle­ment dépen­sés ! »20 Con­fron­té le surlen­de­main 14 août avec l’an­cien prési­dent de la République Casimir-Perier, il soutint la thèse de l’im­pli­ca­tion per­son­nelle du Kaiser et de l’im­mi­nence d’une guerre avec l’Alle­magne en jan­vi­er 1895. 

Lors des débats sur le pro­jet de loi d’am­nistie en novem­bre 1899, Clemenceau et Jau­rès demandèrent à nou­veau la mise en accu­sa­tion de Merci­er, « le pre­mier des crim­inels ». Merci­er, qui venait d’être élu séna­teur nation­al­iste de Loire-Inférieure en jan­vi­er 1900, siège qu’il con­ser­va jusqu’en 1920, répé­ta alors qu’il avait agi en 1894 avec la con­vic­tion intime et pro­fonde qu’il rendait ser­vice à son pays21.

En mars 1904, devant la Cham­bre crim­inelle de la Cour de cas­sa­tion, Merci­er défendit encore « l’ir­réfutable » démon­stra­tion de Bertillon. Som­mé en juil­let 1906 par La Libre Parole de dévoil­er enfin ses preuves à la veille du ren­du de l’ar­rêt de la Cour, il se bor­na à réitér­er sa con­vic­tion de la cul­pa­bil­ité de Drey­fus et à ren­dre hom­mage «… à tous ceux qui, soit comme juges, soit comme témoins civils ou mil­i­taires, avaient apporté de leurs mains loyales et courageuses une pierre à l’éd­i­fice, désor­mais inde­struc­tible, de la cul­pa­bil­ité d’un offici­er traître à sa patrie. »22 Le 13 juil­let 1906, au Sénat, il vota con­tre la réin­té­gra­tion de Drey­fus et de Pic­quart et accusa la Cour de cas­sa­tion d’avoir suivi une procé­dure irrégulière, « sans pub­lic­ité des dépo­si­tions, sans pub­lic­ité des débats, sans con­fronta­tion des témoins. »23 L’Ac­tion française ouvrit alors une souscrip­tion pour lui offrir une médaille d’or en sou­venir de cette séance dans laque­lle il avait « tenu tête aux par­lemen­taires affolés ». Cette médaille lui fut remise le 29 juin 1907 dans la salle Wagram devant 6 000 per­son­nes24.

Merci­er mou­rut à Paris le 3 mars 1921. Jusqu’à son dernier souf­fle, droit dans ses bottes, il ne ces­sa jamais de clamer la cul­pa­bil­ité de Dreyfus.

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13. Larousse du XXe siè­cle, Larousse, tome IV.
14. L’Af­faire, Jean-Denis Bredin, Fayard-Jul­liard, 1993, p. 66.
15. Bredin, op. cit., p. 86–87.
16. Joseph Reinach, His­toire de l’af­faire Drey­fus, Revue blanche 1901, Fasquelle 1929, t. I, p. 1 sq, cité par Bredin, op. cit., p. 86.
17. Inter­view dans Le Figaro du 28 novem­bre 1894, citée par Bredin, op. cit., p. 116.
18. Procès Zola, I, p. 167–172, cité par Bredin, op. cit., p. 357.
19. Le Temps, 7 juin 1899, cité par Dutrait-Cro­zon, p. 240.
20. Dépo­si­tion du général Merci­er le 12 août 1899, citée par Bredin, op. cit., p. 551.
21. Cité par Bredin, op. cit., p. 594.
22. Let­tre du 6 juil­let 1906 au pre­mier prési­dent de la Cour, l’É­clair du 7 juil­let, Dutrait-Cro­zon, p. 516.
23. Dutrait-Cro­zon, p. 557.
24. Dutrait-Cro­zon, p. 563. 

PRÉVOST Eugène Marcel (1882)

Eugène Mar­cel Prévost naquit le 1er mai 1862 à Paris dans une famille bour­geoise de Eugène François Prévost, sous-directeur des con­tri­bu­tions directes et Eugénie Élis­a­beth Boudin, sans pro­fes­sion. Après des études au petit sémi­naire d’Or­léans puis à Châteller­ault et à Bor­deaux, il fit des études human­istes chez les Jésuites à Paris, ponc­tuées de tous les pre­miers prix, en let­tres comme en sci­ences25 , il entra à l’É­cole poly­tech­nique à 20 ans dans la pro­mo­tion 1882, soit qua­tre ans après Drey­fus. Sa fiche sig­nalé­tique établie par l’É­cole indique qu’il avait les cheveux châ­tains, yeux bleu clair, vis­age ovale, front bom­bé, et qu’il mesurait 1,67 m. 

Entré à l’X 97e sur 247, il en sor­tit 20e en 1884 et choisit les man­u­fac­tures de l’É­tat (Tabacs) puis tra­vail­la un moment au min­istère des Finances. Il démis­sion­na de son poste en 1890 pour se con­sacr­er à l’écriture. 

Il pub­lia dès 1887 Le Scor­pi­on, qui fut remar­qué par Héré­dia et fut pub­lié en feuil­leton dans les jour­naux. Suivirent une trentaine de romans à suc­cès, aujour­d’hui oubliés depuis longtemps, tou­jours basés sur l’analyse du cœur humain, surtout féminin : Chonchette (1888), Mlle Jaufre (1889), Cou­sine Lara (1890), La con­fes­sion d’un amant (1891), l’Au­tomne d’une femme (1893), etc. 

Les Demi-Vierges, paru en 1894, sus­citèrent un suc­cès de curiosité et de scan­dale à la fois. Pour com­penser, il créa le per­son­nage de Françoise, femme sage et heureuse (Let­tres à Françoise, 4 vol.). La même année, sa répu­ta­tion de spé­cial­iste des choses du cœur fit qu’il fut nom­mé mem­bre d’une com­mis­sion de révi­sion du Code civ­il, chapitre mariage. 

L’un des pre­miers drey­fusards, Prévost par­tic­i­pa avec Émile Zola, Louis Sar­rut et Louis Leblois au dîn­er organ­isé le 13 novem­bre 1897 par Scheur­er-Kest­ner, au cours duquel ce dernier déci­da de faire part de sa con­vic­tion au pub­lic26.
Prévost fut présent à Rennes dès le pre­mier jour. Il fut le 8 novem­bre 1899 du pre­mier « Dîn­er des Trois March­es » qui réu­nit tous les « com­bat­tants » du procès de Rennes et se tin­rent régulière­ment jusqu’en 1912 à l’ini­tia­tive d’Ed­mond Gast et de l’édi­teur Pierre-Vic­tor Stock27.

Prévost fut élu en 1909 à l’A­cadémie française au fau­teuil de Vic­to­rien Sar­dou, bat­tant Édouard Dru­mont. Il pour­suiv­it sa bril­lante et pro­lifique car­rière lit­téraire jusqu’à la guerre avec un roman par an comme Féminités (1912), Les Don Juanes (1922), La Mort des Ormeaux (1937), etc.

Prévost reçut la Croix de guerre 1914–1918. Il fut nom­mé en 1922 directeur de la Revue de France, poste qu’il con­ser­va jusqu’en 1940. Il fut nom­mé en 1935 grand-croix de la Légion d’hon­neur et en 1939 prési­dent de la Société ami­cale de sec­ours des anciens élèves de l’É­cole poly­tech­nique. Il prési­da égale­ment la Société des gens de let­tres et la sec­tion lit­téraire du Con­seil supérieur de radiod­if­fu­sion. À ce titre, il inter­vint le 31 mars 1939 au Théâtre des Ambas­sadeurs à la présen­ta­tion de la télévi­sion française nou­velle­ment née, en pressen­tant l’im­mense développe­ment à venir : «… cette suprême décou­verte nous annexe l’u­nivers. Le sens du mot voy­age est changé : c’est le monde extérieur qui se déplace, vient à nous, s’ar­rête devant nous. Un écol­i­er — quand la télévi­sion sco­laire sera défini­tive­ment accom­plie — aura fait plusieurs fois le tour du monde… à l’âge de dix ans… »28

Il mou­rut le 8 avril 1941.

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25. François Bédi­er, Mar­cel Prévost, de Poly­tech­nique aux Demi-Vierges, La Jaune et la Rouge, mai 1995, p. 16.
26. Alfred Drey­fus, Car­nets 1899–1907, Cal­mann-Lévy, 1998, p. 402. 

27. Jean-Denis Bredin, L’af­faire, p. 541 note.
28. Dis­cours aux Ambas­sadeurs, Revue de France, 1er mai 1939.

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