Quand l’IA et la data science contribuent au développement de la filière hydrogène…

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Christophe GEISSLER
Par David GRIMBERT

Christophe Geissler (École nor­male supérieure et actu­aire), Fon­da­teur et CSO, et David Grim­bert (Exec­u­tive Mas­ter pro­mo­tion 4 de l’Ecole Poly­tech­nique), Directeur Général, nous expliquent com­ment Advestis accom­pa­gne le développe­ment de la fil­ière hydrogène en cap­i­tal­isant sur la data sci­ence et l’intelligence arti­fi­cielle. Rencontre.

Au cœur de votre activité, on retrouve la data science et l’IA. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre positionnement ?

David Grim­bert : Advestis, fondée en 2011 par Christophe Geissler, réalise des pro­jets de data sci­ence avec des experts méti­er et met en pro­duc­tion des pipelines d’apprentissage automa­tique. Au fil des années, nous avons dévelop­pé une expéri­ence avérée en réal­i­sa­tion et en déploiement d’outils de data science. 

Notre propo­si­tion de valeur con­siste à met­tre à la dis­po­si­tion des entre­pris­es l’ensemble des ressources en matière de sci­ence des don­nées et d’intelligence arti­fi­cielle afin d’accélérer la réso­lu­tion des prob­lèmes tech­niques ren­con­trés dans des sit­u­a­tions com­plex­es en rai­son de la mul­ti­plic­ité des données.

Ain­si, en 2014, nous avons été une des pre­mières entre­pris­es français­es à pro­pos­er des méth­odes d’exploitation sys­té­ma­tique des notes ESG attribuées aux entre­pris­es par les agences de nota­tion extra-finan­cière. Les tech­niques d’apprentissage automa­tique se sont révélées essen­tielles pour iden­ti­fi­er des pro­fils types d’entreprises, car­ac­térisés par cer­taines com­bi­naisons de scores. Ces méth­odes et com­bi­naisons ont per­mis d’établir des cor­réla­tions entre ces pro­fils et l’évolution du marché des actions. L’algorithme est util­isé depuis 2019 dans un fonds d’actions d’Ecofi Investissements.

Vous mettez vos expertises en data sciences et IA au service du développement de l’hydrogène dont les systèmes sont caractérisés par une très forte complexité. Qu’en est-il ?

Christophe Geissler : En effet, la com­plex­ité des sys­tèmes à hydrogène se retrou­ve à deux niveaux :

  • Les tech­nolo­gies de pro­duc­tion, de stock­age et de con­ver­sion de l’hydrogène évolu­ent rapi­de­ment, tan­dis que la fil­ière est con­sti­tuée de petits pro­jets. Les don­nées sont épars­es, alors que la com­bi­na­toire des sit­u­a­tions et les vari­ables cachées sont com­plex­es. En out­re, les tech­nolo­gies sont dif­fi­ciles à mod­élis­er d’un point de vue physique. En effet, une appli­ca­tion typ­ique de l’hydrogène implique de nom­breux dis­posi­tifs (un élec­trol­y­seur, un com­presseur pour stock­er l’hydrogène, un dis­posi­tif de stock­age, une pile pour con­ver­tir de nou­veau l’hydrogène en courant élec­trique, etc.) qui, cha­cun, dis­pose de ses pro­pres mod­èles. Leur réu­nion en un seul et même sys­tème crée cette com­plex­ité notam­ment due aux nom­breuses sit­u­a­tions physiques, qu’on ne maîtrise pas encore par­faite­ment. À ce niveau de com­plex­ité, l’IA per­met de pro­pos­er des mod­èles basés sur des don­nées plutôt que d’imposer des mod­èles physiques ;
  • Au niveau des appli­ca­tions, notam­ment dans le domaine de la ges­tion de l’énergie domes­tique, nous nous intéres­sons aux micro-réseaux avec des sources d’énergie renou­ve­lable et un stock­age réversible de l’hydrogène. Actuelle­ment, il n’existe pas de mod­èle math­é­ma­tique pour ces sys­tèmes dynamiques et insta­bles, prin­ci­pale­ment en rai­son des incer­ti­tudes qui les entourent, notam­ment celles liées à la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable et à la demande des con­som­ma­teurs. Com­ment gér­er un tel sys­tème et pren­dre la bonne déci­sion à un instant T en matière de stock­age, de con­som­ma­tion d’énergie ou de revente ? En l’absence de mod­èles math­é­ma­tiques prédéfi­nis, la mod­éli­sa­tion par appren­tis­sage peut aider à résoudre ce prob­lème d’optimisation. Ces tech­niques d’aide à la déci­sion, que l’on retrou­ve dans le con­texte aléa­toire des marchés financiers et dans lesquelles nous avons dévelop­pé une exper­tise avérée, peu­vent ain­si être déployées pour la ges­tion des réseaux énergétiques. 

Dans cette continuité, vous travaillez sur trois cas d’usages avec des partenaires industriels et des laboratoires de recherche. Quels sont-ils et quelles sont leurs finalités ?  

C.G : Com­mençons avec le cas d’usage qui est le plus proche de la physique. Il s’agit d’une col­lab­o­ra­tion avec le lab­o­ra­toire Fem­to de Belfort, qui est pio­nnier dans le test et la cer­ti­fi­ca­tion indus­trielle des piles à hydrogène. Dans le cadre de cette col­lab­o­ra­tion sci­en­tifique, des tech­niques d’IA sont dévelop­pées pour résoudre deux prob­lèmes majeurs. Le pre­mier prob­lème con­cerne la réduc­tion des délais de mise sur le marché des piles à hydrogène en rac­cour­cis­sant le temps passé sur les bancs d’essais. Dans ce cadre, nous util­isons les mod­èles générat­ifs (Gen­er­a­tive Adver­sar­i­al Net­works), qui sont con­nus pour leur per­for­mance dans le domaine des images, et que nous avons trans­posés dans le traite­ment des séries tem­porelles issus des essais. Nous arrivons ain­si à pro­duire des don­nées arti­fi­cielles qui per­me­t­tent de réduire le temps effec­tif passé sur le banc d’essai et d’avoir des gains de pro­duc­tiv­ité. Con­crète­ment, les résul­tats de nos travaux mon­trent une réduc­tion du temps de test avant le lance­ment d’un pro­duit de plusieurs mil­liers d’heures à quelques heures seule­ment. Le deux­ième prob­lème con­siste à prédire la durée de vie restante des piles à hydrogène. Afin d’optimiser le ser­vice de la pile et de min­imiser les coûts/risques de son cycle de vie, un suivi con­tinu du proces­sus de vieil­lisse­ment et une pré­dic­tion pré­cise de sa durée de vie sont néces­saires. L’utilisation des ESN (Echo State Net­works) va per­me­t­tre de prédire la ten­sion de sor­tie de la bat­terie, qui est con­sid­érée comme un indi­ca­teur fiable de sa san­té. Ces réseaux légers sont rapi­des à entraîn­er et con­trastent avec les par­a­digmes actuels con­cer­nant les très grands réseaux neu­ronaux pro­fonds util­isés pour les images et le traite­ment du lan­gage naturel (NLP).

En col­lab­o­ra­tion avec le LaTEP (Lab­o­ra­toire de Ther­mique, Energé­tique et Procédés), nous tra­vail­lons sur l’intégration de l’hydrogène comme moyen de stock­age d’énergie dans le cadre d’une appli­ca­tion pour les réseaux d’énergie de petite taille (micro-grids). Le dimen­sion­nement d’un micro-réseau con­siste à trou­ver la com­bi­nai­son d’équipements la plus appro­priée pour ali­menter un sys­tème don­né. Il s’agit de décider quelles tech­nolo­gies doivent être util­isées et en quelle quan­tité. Dans tous les cas, il faut faire des prévi­sions sur la con­som­ma­tion (et très sou­vent sur le prix de l’électricité ou du gaz) pour 10 voire 20 ans ! Dans ce con­texte, l’IA per­met de créer un grand nom­bre de scé­nar­ios et d’évaluer la robustesse de dif­férents dimen­sion­nements. Nous pou­vons ain­si lim­iter les effets négat­ifs de l’incertitude inhérente à de telles prévi­sions en choi­sis­sant des dimen­sion­nements plus résis­tants aux fluctuations.

Ensuite se pose la ques­tion du con­trôle et du pilotage des micro-réseaux : le kWh d’électricité doit-il être auto­con­som­mé à un moment don­né ? Doit-il être stocké ? Faut-il le con­ver­tir en hydrogène ? ou doit-il être reven­du ? Aujourd’hui, une fois les sys­tèmes instal­lés, on ne sait pas exacte­ment com­ment ils vont fonc­tion­ner. S’il existe des lois physiques, elles sont basées sur des coef­fi­cients pro­pres à chaque mod­èle qui ne sont pas entière­ment con­nus. Et si elles exis­tent, elles ne mod­élisent pas avec suff­isam­ment de pré­ci­sion le com­porte­ment réel d’un appareil don­né pour un usage don­né dans un envi­ron­nement don­né. L’approche pro­posée par Advestis s’articule autour de plusieurs étapes. Tout d’abord, nous obser­vons le com­porte­ment des dif­férents appareils du sys­tème, puis nous créons des jumeaux numériques, c’est-à-dire des images numériques qui reflè­tent le com­porte­ment des appareils. Ensuite, nous simu­lons un grand nom­bre de sit­u­a­tions que le sys­tème pour­rait ren­con­tr­er et nous les affec­tons séquen­tielle­ment à un petit nom­bre de groupes représen­tat­ifs, appelés clus­ters. Enfin, on déter­mine la meilleure stratégie de con­trôle pour chaque clus­ter. Cette procé­dure doit être effec­tuée régulière­ment pour s’habituer à l’évolution du système.

Aujourd’hui, quels sont vos vues, enjeux et perspectives ?

D.G : Pour les entre­pris­es, l’émergence con­stante de nou­velles tech­nolo­gies rend de plus en plus dif­fi­cile, voire impos­si­ble, l’exécution de toutes les tâch­es de R&D en interne. Cela vaut égale­ment pour la mise en place des pipelines pour le traite­ment des don­nées et l’apprentissage automa­tique. Au-delà, parce que l’intelligence n’est pas seule­ment arti­fi­cielle, notre défi con­siste à rester une entre­prise apprenante. Dans ce con­texte nous con­sta­tons qu’Advestis, en tant que société de recherche sous con­trat (CRO) spé­cial­isée dans la sci­ence des don­nées, est con­sid­érée par plusieurs ESN comme un relai de crois­sance. Ces ESN sont en effet à la recherche d’une dif­féren­ci­a­tion via de nou­veaux seg­ments qui appor­tent une valeur ajoutée à leur offre de ser­vices existante. 

L’une d’entre elles sug­gère même un rap­proche­ment, ce qui offrirait des syn­er­gies tech­nologiques, un marché plus large pour nos con­trats de recherche et un ser­vice plus com­plet à leurs clients en ter­mes de ressources haute­ment spécialisées. 

Nous étu­dions actuelle­ment les pos­si­bil­ités et l’opportunité d’une telle alliance. 

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