IP Paris Telecom, Hi! Paris

Hi ! PARIS : Faire rayonner la recherche française en IA

Dossier : OIN Paris-SaclayMagazine N°774 Avril 2022
Par Éric MOULINES (81)
Par Dan MELLER (2019)
Par Alix VERDET

IP Paris et HEC Paris ont créé en 2020 Hi ! PARIS, afin de rap­pro­cher la recherche fon­da­men­tale et le monde de l’entreprise dans le domaine de l’IA et de la data science. La for­ma­tion plu­ri­dis­ci­pli­naire des ingé­nieurs fran­çais – et spé­cia­le­ment poly­tech­ni­ciens – est un atout pour le sec­teur de l’intelligence arti­fi­cielle et donne à Hi ! PARIS un posi­tion­ne­ment euro­péen et mon­dial prometteur.

Vous êtes directeur scientifique de Hi ! PARIS, de quoi s’agit-il ?

Le pro­jet Hi ! PARIS (Paris Arti­fi­cial Intel­li­gence for Socie­ty & Busi­ness) a été cofon­dé par les cinq écoles d’IP Paris et HEC Paris avec l’ambition de créer un centre d’excellence inter­na­tio­nal. Le finan­ce­ment de ce centre s’appuie sur le mécé­nat d’entreprises afin de sou­te­nir la recherche en IA et déve­lop­per l’innovation. Il s’agit non seule­ment de ren­for­cer notre poten­tiel de recherche aca­dé­mique, mais aus­si de ren­for­cer les inter­ac­tions et par­te­na­riats de recherche avec les mécènes et plus géné­ra­le­ment les grands acteurs indus­triels de l’IA.

Un des volets de la poli­tique de Hi ! PARIS est la mise en place de méca­nismes de réten­tion des meilleurs talents. Il y a aujourd’hui un mer­ca­to mon­dial des meilleurs cher­cheurs dans le domaine de l’IA et les niveaux de salaire sont sou­vent assez rédhi­bi­toires dans l’ensei­gnement supé­rieur ou la recherche publique. Hi ! PARIS pro­pose des méca­nismes de fel­low­ships qui per­mettent de don­ner des moyens de recherche impor­tants sur une base com­pé­ti­tive et d’aider à réali­gner les rému­né­ra­tions au niveau des meilleures uni­ver­si­tés de l’Europe des Vingt-Sept.

Hi ! PARIS a aus­si une poli­tique d’attractivité. L’objectif est d’attirer les meilleurs jeunes cher­cheurs mon­diaux. Ici encore, il faut être capable d’offrir un salaire com­pé­ti­tif au niveau euro­péen et d’environner la recherche de nos jeunes pousses avec des moyens excep­tion­nels (deux doc­to­rants, un cher­cheur postdoctoral).

Nous avons pour objec­tif de déve­lop­per une recherche au meilleur niveau mon­dial, d’être pré­sents sur de nom­breux fronts qui vont de la théo­rie des méthodes de l’IA jusqu’aux appli­ca­tions, dans dif­fé­rents domaines (robo­tique, cyber­sé­cu­ri­té, éner­gie, décar­bo­na­tion de l’économie, IA pour la recherche scien­ti­fique, chi­mie, nou­velles molé­cules à carac­té­ris­tiques thé­ra­peu­tiques inté­res­santes, nou­veaux matériaux).

Actuel­le­ment les cher­cheurs de Hi ! PARIS cosignent 1,5 % des publi­ca­tions en IA dans les meilleures confé­rences mon­diales, ce qui nous place dans le pelo­ton de tête des centres de recherche publics en Europe et au 15e rang mondial.

Hi ! PARIS s’est déve­lop­pé de façon inter­dis­ci­pli­naire. Ain­si, l’aspect IA et socié­té est por­té davan­tage par HEC : IA dans les legal­techs (avo­cats auto­ma­ti­sés qui vont pui­ser dans la juris­pru­dence pour consti­tuer des graphes de connais­sances), dans les fin­techs, la trans­for­ma­tion du mar­ché du tra­vail, la trans­for­ma­tion digi­tale des socié­tés et des éco­no­mies, fair­ness, la pro­tec­tion des don­nées. 

Quels sont les atouts et faiblesses de la France en IA ? 

L’IA et la data science sont des domaines indis­pen­sables pour l’avenir tech­no­lo­gique de la France. L’IA est fon­dée sur un très riche cor­pus théo­rique et métho­do­lo­gique qui s’est consi­dé­ra­ble­ment étof­fé au cours des qua­rante der­nières années – des avan­cées majeures ont été réa­li­sées au cours de la der­nière décen­nie avec l’émergence de l’apprentissage pro­fond, les réseaux convo­lu­tifs et aujourd’hui les trans­for­mers. L’IA exploite aus­si de façon sou­vent très ori­gi­nale les avan­cées récentes en mathé­ma­tiques appli­quées – opti­mi­sa­tion, sta­tis­tique mathé­ma­tique, simu­la­tion – et en infor­ma­tique – graphes, trai­te­ment des langues natu­relles, web séman­tique, dif­fé­ren­tia­tion auto­ma­tique. Mais l’IA garde aus­si un côté très expé­ri­men­tal. Pour avan­cer il faut être capable d’évaluer les méthodes sur des ensembles consi­dé­rables de don­nées. Cette indis­pen­sable vali­da­tion expé­ri­men­tale demande des infra­struc­tures de cal­cul d’une part et de nom­breux ingé­nieurs et cher­cheurs d’autre part. L’IA, ce ne sont pas quelques idées brillantes ; il y a beau­coup de mise au point, de réglage fin des para­mètres, de savoir-faire… et beau­coup de temps de cal­cul et de déve­lop­pe­ment. Il y a un côté arti­sa­nat d’art, que j’aime bien d’ailleurs ; sans l’obstination et la patience des cher­cheurs, rien ne fonc­tion­ne­rait. Il y a un vrai besoin de finan­ce­ment pour sou­te­nir la recherche natio­nale dans ce domaine, qu’elle soit publique ou privée.

Il y a un très bon posi­tion­ne­ment de la France en termes de for­ma­tion pour l’IA, c’est une de nos forces. L’attractivité et la sélec­ti­vi­té des écoles d’ingénieurs font que l’enseignement scien­ti­fique demeure une filière d’excellence qui conti­nue d’attirer des étu­diants brillants, même si l’on pour­rait faire sans doute beau­coup mieux en termes de diver­si­té ! L’attractivité des filières scien­ti­fiques décroît dans de nom­breux pays, en par­ti­cu­lier aux USA, qui ne doivent leur salut qu’au très fort apport des étu­diants inter­na­tio­naux (au pre­mier rang des­quels les Chi­nois). Les écoles d’ingénieurs géné­ra­listes, dont l’X est un exemple emblé­ma­tique, favo­risent le déve­lop­pe­ment d’une culture scien­ti­fique inter­dis­ci­pli­naire, que je trouve très adap­tée aux besoins de l’IA. Il faut com­prendre les mathé­ma­tiques – l’optimisation joue un rôle abso­lu­ment cen­tral, il est essen­tiel d’avoir une solide culture en pro­ba­bi­li­tés et sta­tis­tiques – mais il faut aus­si avoir une très bonne com­pré­hen­sion des algo­rithmes, des struc­tures de don­nées. Beau­coup d’applications de l’IA requièrent aus­si de maî­tri­ser la méca­nique (pour les robots par exemple), la phy­sique, la chi­mie… La culture scien­ti­fique géné­ra­liste des écoles d’ingénieurs est donc un atout for­mi­dable pour le déve­lop­pe­ment de l’IA. Il suf­fit d’aller dans les centres de recherche à l’étranger, aux USA mais aus­si à Abu Dha­bi, Sin­ga­pour ou Hong Kong, pour se rendre compte du suc­cès que ren­contrent nos ingé­nieurs français.

“L’IA a aussi un côté très expérimental.”

La France ne béné­fi­cie que par­tiel­le­ment de l’excellence des talents que nous for­mons, pour plu­sieurs rai­sons. L’effort de recherche en France est glo­ba­le­ment en retrait par rap­port à ses prin­ci­paux com­pé­ti­teurs – et cette fai­blesse est par­ta­gée par toute l’Europe du Sud. La France a clai­re­ment décro­ché par rap­port à l’Angleterre et à l’Allemagne et à de nom­breux pays de l’Europe du Nord : la part du finan­ce­ment de la R & D peine à dépas­ser 2 % du PIB en France, alors qu’il est de 3 % en Alle­magne. La per­cep­tion de la recherche dans les entre­prises est encore assez néga­tive. Il y a là-dedans quelque chose de très cultu­rel, d’ailleurs. Le PhD dans les pays Anglo-saxons est un diplôme pres­ti­gieux, alors que, hélas, le doc­teur en France est encore sou­vent vu comme un étu­diant attar­dé et je trouve cela pré­oc­cu­pant. En IA et dans le numé­rique plus géné­ra­le­ment, la France manque de glo­bal players armés pour affron­ter la com­pé­ti­tion mon­diale. Nous avons de très grandes entre­prises dans les ser­vices, dans les réseaux, nous avons d’excellents ingé­nieurs, mais il manque ce géant du numé­rique qui pour­rait contre­ba­lan­cer l’influence des grands acteurs amé­ri­cains ou chi­nois.  

Dans la recherche publique, cela se couple avec une très faible attrac­ti­vi­té sala­riale, qui n’est pas suf­fi­sante par rap­port non seule­ment aux Gafam – qui se nour­rissent de nos meilleurs talents –, mais aus­si à la très forte demande inter­na­tio­nale en IA, dans de très nom­breux pays (et pas seule­ment aux USA). Dans la recherche publique, la fai­blesse endé­mique des salaires en début de car­rière est un han­di­cap très puis­sant. À l’inverse de la plu­part des pays, les condi­tions sala­riales sont les mêmes indé­pen­dam­ment des domaines, ce qui à mes yeux crée un biais assez déter­mi­nant. Il n’y a pas d’incitation forte pour un cher­cheur public à tra­vailler sur de la recherche par­te­na­riale. Il me semble essen­tiel de mener des poli­tiques très volon­ta­ristes visant à ren­for­cer les pas­se­relles entre public et privé.

Quelles applications de la science des données dans l’industrie vous intéressent le plus ? 

C’est une ques­tion redou­ta­ble­ment dif­fi­cile… La science des don­nées et l’intelligence arti­fi­cielle sont des domaines immenses, au cœur de la trans­for­ma­tion numé­rique du monde dans lequel nous vivons. La plu­part des entre­prises ont des besoins sou­vent très com­plexes, qui couvrent aus­si bien la ges­tion des flux logis­tiques – une des clés dans des sys­tèmes de pro­duc­tion mon­dia­li­sés –, l’amélioration de l’expérience client, la publi­ci­té ciblée, mais aus­si la décar­bo­na­tion des pro­cé­dés, l’efficacité éner­gé­tique… Autant dire qu’il y a énor­mé­ment de choses à faire, et dans des domaines extrê­me­ment variés. Mon sujet de recherche prin­ci­pal est l’apprentissage sta­tis­tique (les Anglais disent plu­tôt pro­ba­bi­lis­tic machine lear­ning), la par­tie de l’intelligence arti­fi­cielle qui se rap­proche le plus des sta­tis­tiques et des pro­ba­bi­li­tés, qui couvre la quan­ti­fi­ca­tion d’incertitude, les modèles géné­ra­tifs, l’apprentissage fédé­ré, l’apprentissage par renforcement.

“La culture scientifique généraliste des écoles d’ingénieurs est un atout formidable pour le développement de l’IA.”

Les appli­ca­tions que je consi­dère sont glo­ba­le­ment dans le domaine du data-cen­tric engi­nee­ring, l’ingénierie fon­dée sur les don­nées. Je tra­vaille sur des appli­ca­tions variées, sou­vent en col­la­bo­ra­tion avec les mécènes de Hi ! PARIS. Mes pro­jets actuels sont cen­trés sur l’IA pour l’énergie – l’optimisation du contrôle des bat­te­ries, l’optimisation de la ges­tion des micro­ré­seaux d’énergie –, l’optimisation des pro­cé­dés – en mélan­geant des modèles de simu­la­tion et des approches fon­dées sur les don­nées – et l’agriculture de pré­ci­sion, un domaine qui me semble fon­da­men­tal pour déve­lop­per un monde qui doit affron­ter des trans­for­ma­tions cli­ma­tiques majeures et qui doit de toute évi­dence se déve­lop­per de manière durable. Je viens de démar­rer un pro­jet pas­sion­nant sur l’analyse de signaux d’électrocardiogramme pour la pré­ven­tion de la fibril­la­tion ven­tri­cu­laire. Nous sommes aux pré­mices, mais il y a dans cette recherche la pro­messe d’avancées majeures.

Est-ce qu’IP Paris vous semble être un regroupement pertinent ? 

Je dirais que le regrou­pe­ment est indis­pen­sable et je sou­hai­te­rais qu’il aille beau­coup plus vite. Autant je suis per­sua­dé que l’enseignement inter­dis­ci­pli­naire qui est dis­pen­sé dans nos écoles d’ingénieurs géné­ra­listes est très appro­prié (en data science et en IA du moins), autant la frag­men­ta­tion de la recherche impo­sée par les grandes écoles est un han­di­cap cer­tain. On accu­mule les petites struc­tures de recherche, cha­cune dotée de sa gou­ver­nance proche, un peu jalouse de son pré car­ré, de ses col­la­bo­ra­tions. Dans un pay­sage aus­si bal­ka­ni­sé, il est dif­fi­cile de faire émer­ger des dyna­miques col­lec­tives, alors qu’il y a un poten­tiel de recherche fort… Bien enten­du, Hi ! PARIS joue un rôle en favo­ri­sant la trans­ver­sa­li­té et les col­la­bo­ra­tions, mais les forces cen­tri­fuges et le poids des éta­blis­se­ments et des orga­nismes de recherche res­tent trop impor­tant, et l’ensemble manque d’agilité. Ce que je trouve pro­met­teur est que nous dis­po­sons d’un poten­tiel de recherche fort, qu’il y a encore beau­coup de talents dans nos écoles, en dépit d’une fuite assez récente de jeunes cerveaux.

Quelles évolutions souhaiteriez-vous voir, concernant l’aménagement du plateau de Saclay ? 

J’ai connu le cam­pus au début des années 1980 ; à l’époque le cam­pus était encore très cham­pêtre, ce qui avait une cer­taine forme d’incongruité – le cam­pus a été conçu dans les années 1970, époque à laquelle on vou­lait construire les villes à la cam­pagne ! Aujourd’hui le cam­pus s’est consi­dé­ra­ble­ment agran­di et les champs ont pour l’essentiel dis­pa­ru. Nous vivons en ce moment au milieu d’un immense chan­tier et il est sûre­ment trop tôt pour se pro­non­cer. J’ai tou­te­fois l’impression qu’il n’y a pas une vie scien­ti­fique et cultu­relle bouillon­nante aus­si déve­lop­pée que sur d’autres cam­pus d’universités étran­gères. Je trouve le cam­pus un peu endor­mi par­fois, même si je n’ai aucun doute que les caserts res­tent ani­més tard dans la nuit ! 

On per­çoit aus­si un cer­tain manque de diver­si­té : le regrou­pe­ment des écoles d’ingénieurs a un effet sur le manque de pari­té de la popu­la­tion du cam­pus, mais aus­si de diver­si­té des pro­ve­nances sociales. Il me semble qu’il manque pour l’instant de lieux où puissent se déve­lop­per des inter­ac­tions entre les étu­diants, les cher­cheurs, les pro­fes­seurs. Les objec­tifs de mixi­té sociale et de vie de quar­tiers de l’Opération d’intérêt natio­nal sont ras­su­rants à cet égard et vrai­ment por­teurs de l’évolution dont le pla­teau a besoin. 

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