L'alphabet formosan de Historical and Geographical Description of Formosa

PSALMANAZAR : LE FAUXRMOSAN

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°698 Octobre 2014Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

En 1704 parut à Lon­dres un ouvrage inti­t­ulé An His­tor­i­cal and Geo­graph­i­cal Descrip­tion of For­mosa. L’auteur de cette mono­gra­phie n’avait jamais mis les pieds sur l’île qu’il pré­tendait décrire, c’est-à-dire Taïwan, dont ce Français prob­a­ble se dis­ait de plus originaire.

Nous le désignerons par le nom fig­u­rant dans ses mémoires posthumes, pub­liés en 1764, George Psalmanazar. On ignore sa véri­ta­ble identité.

Quit­tant son poste de pré­cep­teur, il avait décidé de se faire pass­er pour Japon­ais, mû par des con­sid­éra­tions matérielles. Le pro­jet réus­sit, pour sur­prenant qu’il puisse paraître aujourd’hui, jusqu’à ce que la Prov­i­dence mît l’un de ses servi­teurs, Alexan­der Innes, sur le chemin de Psalmanazar.

Cet aumônier angli­can décela la supercherie mais, plutôt que d’exhorter le coupable à se détourn­er des voies du men­songe, il l’encouragea à s’y perfectionner.

Innes et Psalmanazar se rendirent à Lon­dres, où le pre­mier fit pass­er le sec­ond pour un For­mosan qu’il avait détourné du pagan­isme et per­suadé d’embrasser la con­fes­sion angli­cane. Psalmanazar s’était inven­té des sou­venirs et une cul­ture devant lui per­me­t­tre de faire illusion.

C’est ain­si qu’il pro­duisit notam­ment un alpha­bet for­mosan sor­ti tout droit de son imag­i­na­tion, se con­traig­nant à de laborieux exer­ci­ces afin de maîtris­er l’écriture cur­sive de son pré­ten­du pays natal – écri­t­ure alphabé­tique tracée de droite à gauche.

Il inven­ta assez de gram­maire ain­si qu’un vocab­u­laire suff­isant pour tenir un dis­cours cohérent et ne pas se con­tredire de façon flagrante.

Psalmanazar décrivait For­mose comme japon­aise, soute­nait que les bonzes japon­ais s’enseignaient mutuelle­ment le grec et que les Jésuites, après avoir établi la reli­gion chré­ti­enne au Japon et y avoir con­ver­ti jusqu’à l’empereur Tampous­sama, n’en avaient été chas­sés qu’après la décou­verte d’une con­spir­a­tion visant à faire pass­er la couronne de ce dernier sur la tête du roi d’Espagne.

Ses lecteurs appre­naient de plus qu’un dieu cru­el exigeait des For­mosans qu’ils lui sac­ri­fi­assent dix-huit mille de leurs enfants mâles chaque année.

Si tout le monde ne fut pas dupe, Psalmanazar trou­va des défenseurs, par­fois irré­ductibles, tant dans le clergé que par­mi l’aristocratie. La bien­veil­lance de l’Église à l’égard du prosé­lyte Innes le fit du reste nom­mer chapelain général des troupes bri­tan­niques au Portugal.

Psalmanazar finit toute­fois par révéler l’escroquerie et con­nut à la fin de sa vie Samuel John­son, qui louait en lui un homme des plus sages et l’un des étrangers qui sût le mieux l’anglais.

Sur l’initiative de René Viénet, les Taïwanais du XXIe siè­cle peu­vent lire une tra­duc­tion chi­noise de la Descrip­tion et la revue Monde chi­nois a pub­lié une tra­duc­tion d’un extrait des Mémoires. Ces derniers sont mal­heureuse­ment tou­jours inédits en français, bien que Phi­larète Chasles en eût déjà traduit quelques pages.

On n’a de plus peut-être pas assez lu la Descrip­tion comme l’œuvre d’un auteur. Si son intérêt réside avant tout dans la nature de l’entreprise qu’elle se pro­po­sait d’accréditer, Psalmanazar n’était pas pour autant dénué d’avis per­ti­nents sur bien des points, et les con­sid­éra­tions qu’il livre sur la reli­gion, le goût du luxe en Europe, le sys­tème édu­catif, les super­sti­tions ou l’armement ne sont pas sans valeur.

Il me sem­ble qu’on gag­n­erait à les lire comme émanant, non du pré­ten­du For­mosan, mais de l’homme dont il a tou­jours refusé de révéler l’identité.

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