Prolifération des armes atomiques, le vrai danger

Dossier : ÉnergiesMagazine N°601 Janvier 2005
Par Bernard LEROUGE (52)

Le numéro de sep­tem­bre de La Jaune et la Rouge, con­sacré à l’én­ergie et l’en­vi­ron­nement, fait rapi­de­ment allu­sion dans trois de ses arti­cles au risque de pro­liféra­tion des armes atom­iques qui serait intrin­sèque­ment lié à toute réal­i­sa­tion d’un pro­gramme élec­tronu­cléaire. Les auteurs des arti­cles n’in­sis­tent pas. Pourquoi le feraient-ils ? Ce risque est bien con­nu… les Améri­cains eux-mêmes, sous l’im­pul­sion de Jim­my Carter (1978–1982), n’ont-ils pas ban­ni le retraite­ment des com­bustibles irradiés dans leur pro­pre pays, pour éviter d’isol­er le plu­to­ni­um qui se forme tout naturelle­ment dans le com­bustible des réac­teurs nucléaires ? 

Or ce risque paraît de plus en plus improb­a­ble pour deux raisons, l’une de nature à ras­sur­er, l’autre à inquiéter.

Ce qui ras­sure, c’est qu’il est de plus en plus dif­fi­cile de dis­simuler une util­i­sa­tion fraud­uleuse d’un réac­teur nucléaire et les instal­la­tions de retraite­ment qu’il faudrait lui associ­er pour isol­er le plu­to­ni­um. Depuis près d’un demi-siè­cle, l’arse­nal juridique et tech­nique des inspecteurs de l’A­gence inter­na­tionale de l’én­ergie atom­ique s’est sin­gulière­ment enrichi alors que l’on n’a jamais con­staté d’en­torse grave à la non-pro­liféra­tion du fait d’une util­i­sa­tion fraud­uleuse d’un réac­teur nucléaire électrogène. 

Par ailleurs, tant pour des raisons économiques que pour min­imiser les déchets ultimes, on extrait de plus en plus d’én­ergie des assem­blages com­bustibles (les durées d’ir­ra­di­a­tion sont de l’or­dre de qua­tre à cinq ans), ce qui con­duit à des com­po­si­tions iso­topiques des plu­to­ni­ums for­més les ren­dant pra­tique­ment impro­pres à la réal­i­sa­tion d’en­gins explosifs ayant le min­i­mum de fia­bil­ité voulue. 

Or, aucun décharge­ment pré­maturé de la cuve d’un réac­teur à eau pres­surisé ou bouil­lant (réac­teurs qui con­stituent l’essen­tiel du parc mon­di­al) ayant pour but le décharge­ment de com­bustibles peu irradiés ne peut échap­per à des caméras de sur­veil­lance, vu la lour­deur des procé­dures. Elle serait aus­sitôt con­sid­érée suspecte.
Mais, à force de se polaris­er sur les dan­gers du plu­to­ni­um et les réac­teurs qui peu­vent le pro­duire, on oublie que la bombe d’Hi­roshi­ma n’en con­te­nait pas… et qu’il existe une autre voie pour réalis­er un engin explosif : celle de la sépa­ra­tion iso­topique de l’U-235. 

Pen­dant la Sec­onde Guerre mon­di­ale, les États-Unis ont con­sacré des efforts colos­saux pour la réus­sir avec le procédé de sépa­ra­tion élec­tro­mag­né­tique. Ce moyen a été vite aban­don­né au prof­it de la sépa­ra­tion par dif­fu­sion gazeuse à tra­vers des bar­rières poreuses. On sait que ce procédé est encore util­isé en France, à Tri­c­as­tin. Mais il va y être aban­don­né, pour les pro­duc­tions com­mer­ciales, au prof­it d’un autre procédé plus économique, néces­si­tant beau­coup moins d’én­ergie : l’ultracentrifugation. 

L’ar­ti­cle qui suit, de Georges Le Guelte, spé­cial­iste des con­trôles inter­na­tionaux, mon­tre com­ment les secrets de ce procédé ont pu se répan­dre dis­crète­ment dans le monde et com­ment, mon­di­al­i­sa­tion oblige, ce procédé est de plus en plus à la portée de bien des États. Dif­fi­cile­ment détectable, la voie de l’U-235 est aujour­d’hui, et de loin, la plus menaçante. Or cette men­ace, qui ne peut que s’ac­croître dans l’avenir, ne dépend aucune­ment du développe­ment d’un pro­gramme élec­tronu­cléaire. Inter­dire ou frein­er ce dernier ne peut qu’ex­ac­er­ber la volon­té d’indépen­dance des États et con­duire à des résul­tats invers­es de ceux recherchés. 

Ce qui pose prob­lème, c’est la capac­ité des Nations Unies, et en par­ti­c­uli­er de son Con­seil de sécu­rité, de réa­gir effi­cace­ment au cas où un État bafouerait grave­ment ses engage­ments ou déclar­erait vouloir y met­tre fin pour une rai­son pré­ten­due supérieure. C’est parce qu’il en doutait qu’Is­raël a préféré détru­ire avant son achève­ment le réac­teur de recherche irakien que con­stru­i­saient des sociétés français­es près de Bag­dad. On peut crain­dre que cette inter­ven­tion préven­tive serve d’ex­em­ple dans d’autres sit­u­a­tions cri­tiques, si les diplo­mates ne parvi­en­nent pas à obtenir des garanties suff­isantes. La lev­ée très rapi­de des sanc­tions pris­es con­tre l’Inde et le Pak­istan en 1998 a sûre­ment été con­sid­érée par plusieurs pays comme l’indice que la pro­liféra­tion n’avait pas un coup très élevé. Ce qu’il advien­dra des pro­jets nord-coréens et iraniens aura un impact con­sid­érable pour l’avenir. La con­férence des pays sig­nataires du Traité de non-pro­liféra­tion, prévue en 2005, aura donc une impor­tance excep­tion­nelle dans le con­texte actuel.

Commentaire

Ajouter un commentaire

nicolo­larépondre
8 novembre 2011 à 20 h 47 min

Votre analyse à ce jour
Votre analyse à ce jour sem­ble très juste, mais vous man­quez de dire l’essen­tiel qui est que le nucléaire pour nos sociétés est une affaire d’ar­gent à savoir que le but est de ven­dre à tout prix ce type d’én­ergie avec une morale on ne peut plus dou­teuse (si ce n’est pas nous ce seront les con­cur­rents ou bien ces “mau­vais­es nations” en volant nos soit dis­ant secrets). Quoi qu’il en soit, une entre­prise ne peut raison­ner comme l’hu­main (ce dernier étant l’esclave de la pen­sée économique de cette pre­mière); il y aura donc for­cém­ment et mal­heureuse­ment des déra­pages. Les carottes sont cuites ! Reste à savoir s’il y aura des dirigeants assez fous pour utilis­er l’arme atom­ique après que sa pro­liféra­tion inéluctable soit accom­plie ! L’autre option serait de croire que Iter fonc­tion­nera et que l’on enver­ra mon­di­ale­ment la fis­sion aux oubli­ettes ; l’e­spoir fait vivre !

Répondre