Couloir d'EHPAD

Pousser la porte d’un EHPAD

Dossier : ExpressionsMagazine N°742 Février 2019
Par Jacques DENANTES (49)

Je vais sou­vent voir des amis qui rési­dent dans des maisons de retraite qu’on appelle main­tenant EHPAD (étab­lisse­ment d’hébergement pour per­son­nes âgées dépen­dantes). Ils sont comme moi très âgés ; veufs ou veuves, ils ne pou­vaient vivre seuls et/ou leur état de san­té néces­si­tait une assis­tance médi­cale per­ma­nente. À l’heure où l’on met en avant la sil­ver econ­o­my – euphémisme remar­quable pour ren­dre invis­i­ble la fin de vie sous l’aspect dynamique de l’utilité économique –, j’ai souhaité partager avec nos lecteurs ma décou­verte de ce monde des EHPAD où beau­coup d’entre nous sont des­tinés à finir leur vie.

Dans la plu­part des étab­lisse­ments, le vis­i­teur, après pas­sage devant un guichet où il donne le nom de la per­son­ne qu’il vient voir, accède à un vaste espace qui est amé­nagé pour la ren­con­tre des rési­dents entre eux et où ils accueil­lent leurs familles. C’est dans cet espace que sont organ­isés des activ­ités col­lec­tives et des spec­ta­cles, et que des émis­sions de télévi­sion sont dif­fusées sur un grand écran.

Mais tous les rési­dents ne sont pas en état de par­ticiper à une vie col­lec­tive. Pour voir les autres, il faut mon­ter dans les étages où on les trou­ve dans leur cham­bre ou rassem­blés autour d’une table dans un espace com­mun. Ils ne sont pas autorisés à descen­dre sans être accom­pa­g­nés et il faut un code pour appel­er l’ascenseur. Il y a peu de com­mu­ni­ca­tion autour de la table, aus­si lors de mes vis­ites, je préfère rac­com­pa­g­n­er dans sa cham­bre l’ami que je viens voir.

État des lieux

Il y a 7 500 EHPAD en France, qui accueil­lent env­i­ron 600 000 rési­dents. L’Institut nation­al d’études démo­graphiques, qui, en 2012, recen­sait 1,2 mil­lion de per­son­nes âgées en sit­u­a­tion de perte d’autonomie, estime que leur nom­bre devrait dou­bler d’ici 2060. On peut donc prévoir un accroisse­ment impor­tant du nom­bre d’EHPAD, aus­si vaut-il la peine d’approfondir ce que sont ces étab­lisse­ments et com­ment ils fonc­tion­nent. Sous le titre « Faire d’un EHPAD un lieu de vie et d’humanité », l’École de Paris du man­age­ment a pub­lié le compte ren­du d’une con­férence de Ségolène Lebre­ton qui a dirigé un EHPAD à Saint-Cloud et qui le racon­te en soulig­nant le sens qu’elle a voulu don­ner à son action.

Initiative et consentement

En intro­duc­tion, elle rap­pelle que le con­sen­te­ment est une con­di­tion préal­able pour l’admission d’une per­son­ne âgée dans un EHPAD. Cer­tains pren­nent l’initiative de la deman­der pour eux-mêmes, mais le plus sou­vent c’est le con­joint ou les enfants qui font cette démarche quand ils ne sont plus en mesure d’assurer les soins à domi­cile. « L’entrée en EHPAD s’explique rarement par un hand­i­cap exclu­sive­ment physique, mais davan­tage par un hand­i­cap cog­ni­tif, une perte des fac­ultés men­tales qui empêche de pren­dre soin de soi chez soi, a for­tiori lorsque les proches ne sont pas en mesure de le faire. Les pro­fes­sion­nels des EHPAD pren­nent alors le relais, à la fois pour accom­pa­g­n­er et sécuris­er les per­son­nes et pour soulager leurs proches, qu’il ne s’agit jamais, pour autant, de remplacer. »

“Ils ont besoin
de savoir qu’ils font encore
partie de notre société”

Un travail sur les liens familiaux

« Un réel effort de péd­a­gogie est indis­pens­able pour aider les proches à com­pren­dre au mieux notre fonc­tion­nement et notre organ­i­sa­tion (dis­tinguer les infir­mières et les aides-soignantes…). Il importe égale­ment d’expliquer ce qui se passe en leur absence. Cette démarche per­met d’une part aux proches de trou­ver leur place et, d’autre part, de nous faire con­fi­ance et de pass­er du stade de l’appréhension et de la cul­pa­bil­ité à la cer­ti­tude d’avoir fait le bon choix… Nous avons un tra­vail à faire sur les liens famil­i­aux car, si nous voulons que la rela­tion soit bonne avec le rési­dent, elle doit aus­si l’être avec ses proches. Il nous sera très dif­fi­cile d’accompagner une per­son­ne âgée si sa famille est angois­sée. Ce tra­vail est d’autant plus com­pliqué que les aidants famil­i­aux se sont beau­coup impliqués avant l’entrée de leurs proches en EHPAD. Pour cer­tains, ils pre­naient déjà en charge la toi­lette du matin, l’habillage, les repas et les activ­ités, puis ils se sont trou­vés dans l’obligation de pass­er le relais. D’une part, nous ne procé­dons pas de la même façon qu’eux, et pour cause, nous ne pou­vons faire du “un pour un”, nous devons faire du “deux pour vingt”. D’autre part, la vie des aidants est entière­ment changée après l’entrée de leurs proches en EHPAD, il leur faut donc se la réap­pro­prier. Quoi qu’il en soit, même s’ils per­dent leur place d’aidants pri­maires, ils con­ser­vent celle de proches, les pro­fes­sion­nels ne se sub­sti­tu­ant pas affec­tive­ment à l’entourage de la per­son­ne âgée. »

EHPAD publics et privés

Il y a des EHPAD sous dif­férents statuts et il existe d’autres solu­tions que les EHPAD pour accom­pa­g­n­er les per­son­nes âgées. Ségolène Lebre­ton rap­pelle que, selon l’article 11 du préam­bule de la Con­sti­tu­tion de 1946, tout être humain qui, en rai­son de son âge, de son état physique et men­tal, de la sit­u­a­tion économique se trou­ve dans l’incapacité de tra­vailler a le droit d’obtenir de la col­lec­tiv­ité des moyens con­ven­ables d’existence. « Les EHPAD sont une solu­tion pour assur­er le relais des familles. La loi n’a pas fixé pour eux de statut par­ti­c­uli­er. Il existe des EHPAD publics par­mi lesquels des étab­lisse­ments autonomes, qui sont auto­gérés et le plus sou­vent de petite taille, et d’autres qui sont rat­tachés à un hôpi­tal. Il y a aus­si des EHPAD privés à but non lucratif (gérés par des con­gré­ga­tions religieuses, des asso­ci­a­tions ou des mutuelles), d’autres à but lucratif (sou­vent gérés par des grands groupes). Même s’ils restent encore minori­taires, le nom­bre des EHPAD à but lucratif a voca­tion à croître… »

Les autres structures

« Les EPHAD ne sont qu’une solu­tion par­mi d’autres pour l’accompagnement des per­son­nes âgées. Il existe aus­si des accueils de jour, qui per­me­t­tent aux per­son­nes atteintes notam­ment de patholo­gies neu­rodégénéra­tives, de préserv­er leurs capac­ités et de ne pas s’isoler. Ils assurent égale­ment du répit à leurs proches. Peu­vent être égale­ment citées les rési­dences autonomes (anciens loge­ments foy­ers) et les unités de soins de longue durée. Ces dernières sont à la fois un lieu de vie et un ser­vice hos­pi­tal­ier, puisqu’elles accueil­lent des per­son­nes dont l’état de san­té néces­site un traite­ment médi­cal lourd et une per­ma­nence infir­mière et médi­cale 24 h / 24. »

les aidants familiaux se sont beaucoup impliqués avant l’entrée de leurs proches en EHPAD
© Ocskay Mark

Ressources et financement

D’où provi­en­nent les ressources qui per­me­t­tent de financer les EHPAD ? « Le finance­ment est tri­par­tite. Les charges de soins sont cou­vertes par l’Assurance Mal­adie et celles liées à la dépen­dance le sont par le Con­seil départe­men­tal. Quant aux dépens­es d’hébergement (ali­men­ta­tion, ani­ma­tion, travaux fonciers…), elles sont cou­vertes par le prix de journée. Ce reste à charge incombe aux rési­dents ou à leurs proches, notam­ment leurs enfants dans le cadre de l’obligation ali­men­taire… Dans l’EHPAD que je dirigeais, le reste à charge représen­tait en moyenne 2 500 €/mois. Dans un étab­lisse­ment privé, il peut aller jusqu’à 6 000 €/mois. Il con­vient d’insister ici sur le fait que le reste à charge ne cou­vre pas les soins, mais unique­ment les dépens­es d’hébergement. Pay­er très cher un étab­lisse­ment privé ne sig­ni­fie donc pas automa­tique­ment que le per­son­nel soignant sera plus nom­breux. » Pour garan­tir le droit de tous à l’accès aux soins, cer­tains EHPAD sont habil­ités à sol­liciter l’aide sociale avec prise en charge par le départe­ment du reste à charge des résidents.

Conditions d’admission

Voici ce que répondait Ségolène Lebre­ton pour son EHPAD, qui était sous statut pub­lic car dépen­dant de la munic­i­pal­ité de Saint-Cloud : « En principe, nous accep­tons tout le monde, mais si nous devons choisir entre plusieurs deman­des, nous favorisons la prox­im­ité et, en tant qu’établissement pub­lic, nous priv­ilé­gions la per­son­ne qui ne pour­rait pas pay­er un étab­lisse­ment plus cher. »

Communiquer autrement sur les EHPAD

En con­clu­sion, j’ai con­nu l’existence des EHPAD parce que je devais aller voir des amis de mon âge. J’ai décou­vert un univers que jusque-là, plus ou moins con­sciem­ment, j’avais ignoré. Il est vrai que, par­mi les amis que je vis­ite, ceux malades d’Alzheimer ne me recon­nais­sent pas, mais le bon­heur que d’autres expri­ment donne la mesure du besoin qu’ils ont de savoir qu’ils font encore par­tie de notre société. Pour ceux-là, il faut ouvrir les étab­lisse­ments, com­mu­ni­quer avec eux et dif­fuser des infor­ma­tions sur leur exis­tence et sur ce qu’ils font. Il faut que les médias en par­lent autrement que pour sig­naler l’incendie d’une mai­son de retraite ou les reven­di­ca­tions du per­son­nel soignant. Dans un arti­cle con­sacré à une école de Tor­cy implan­tée dans une zone sen­si­ble de Seine-et-Marne 1, nous avons mon­tré com­ment le directeur de cet étab­lisse­ment avait fait appel aux com­pé­tences des rési­dents de la mai­son de retraite voi­sine pour organ­is­er des activ­ités dans le cadre duquel des retraités trans­met­taient leurs savoir-faire à des élèves. 

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1. In Forum social du n° 708 d’octobre 2015, l’article inti­t­ulé « Une école où les enfants appren­nent le vivre ensem­ble ».


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