Jeune en apprentissage

Réconcilier les français avec leur industrie pour lutter contre son déclin

Dossier : ExpressionsMagazine N°731 Janvier 2018
Par Jacques DENANTES (49)

La Fab­rique de l’industrie est une asso­ci­a­tion fondée et financée par des organ­i­sa­tions patronales représen­tant dif­férents secteurs de l’industrie. Ses travaux méri­tent d’être con­nus et large­ment dif­fusés en rai­son des éclairages qu’ils appor­tent sur notre déclin indus­triel et les voies à suiv­re pour y remédier.

Les titres des jour­naux : « Le règne du “made in ailleurs” », « Vingt ans de désin­dus­tri­al­i­sa­tion »…nous inter­pel­lent sur le déclin de l’industrie en France. Entre 1995 et 2015, son poids relatif dans l’économie est descen­du de 16,2 % du PIB à 11,2 %.

On saisit mieux ce que sig­ni­fient ces chiffres quand on les com­pare à ceux de l’industrie alle­mande dont la part dans le PIB, pen­dant la même péri­ode, est restée sta­ble à 22 %.

Pour com­pren­dre cette sit­u­a­tion, il est bon de s’intéresser aux travaux de La Fab­rique de l’industrie. Cofondée par Frédéric Saint-Geours, Denis Ranque (70) et Pierre Gat­taz, coprésidée par Louis Gal­lois et Pierre-André de Chal­en­dar, dirigée par Thier­ry Weil (78) puis par Vin­cent Charlet, elle est un lab­o­ra­toire d’idées qui effectue à la fois un tra­vail de prospec­tive sur le devenir de l’industrie et rem­plit une mis­sion de sen­si­bil­i­sa­tion à ses enjeux.

UN DÉCLIN INDUSTRIEL QUI AFFECTE TOUTE L’EUROPE SAUF L’ALLEMAGNE

Le poids de l’industrie dans les économies européennes dimin­ue, sauf en Alle­magne. Une note récente de l’Insee1 retrace cette évo­lu­tion sous forme du tableau ci-dessous : en France, ces don­nées ne sig­ni­fient pas une diminu­tion de l’activité indus­trielle, mais seule­ment celle de son poids relatif dans le PIB dont la crois­sance provient pour la plus grande part des services.

De son côté, l’Allemagne main­tient sa part con­stante à un niveau élevé grâce à une indus­trie qui non seule­ment sat­is­fait mieux la demande de son marché intérieur, mais dont le chiffre d’affaires à l’exportation est très élevé.

Poids de l’industrie 1995 2000 2007 2015
Union européenne 19,6 % 18,5 % 16,3 % 15,9 %
France 16,2 % 15,8 % 12,5 % 11,2 %
Alle­magne 22,6 % 22,8 % 23,5 % 22,5 %
UK 17,5 % 14,5 % 10,1 % 9,8 %

LES RISQUES D’UNE FRANCE SANS USINES

Doit-on s’inquiéter de cette évo­lu­tion ? Pour les chantres de la société postin­dus­trielle, notre avenir serait celui d’une société sans usines ni ouvri­ers : « Nous auri­ons les avan­tages de l’opulence sans les nui­sances industrielles. »

“ Les difficultés de recrutement pèsent sur le développement et la compétitivité des entreprises industrielles ”

Mais c’est une illu­sion de croire à la sta­bil­ité d’un partage qui nous per­me­t­trait de béné­fici­er de pro­duits importés bon marché tout en nous réser­vant les nobles tâch­es de la con­cep­tion de nou­veaux produits.

On ne peut dis­soci­er la pro­duc­tion de la con­cep­tion, car les savoirs de recherche ont besoin de s’appuyer sur les savoirs de pro­duc­tion et cela fait aus­si par­tie de la recherche d’intégrer les nou­velles tech­nolo­gies dans les proces­sus de fabrication.

UNE MAUVAISE IMAGE QUI NUIT AU RECRUTEMENT

En France, l’image de l’industrie est mau­vaise et les entre­pris­es ont de la peine à recruter le per­son­nel dont elles auraient besoin. L’industrie est mal aimée en France.

UN CHÔMAGE ÉLEVÉ ET DES RECRUTEMENTS DIFFICILES

La compagnie Saint-Gobain qui a des usines de tailles comparables en France et en Allemagne a plus de peine à recruter en France où le taux de chômage est deux fois supérieur à celui de l’Allemagne.

Si 82 % des Chi­nois jugent attrac­t­if d’y tra­vailler, ou 67 % des Améri­cains, ce n’est le cas que pour 36 % des Français. Sur le marché de l’emploi, cette mau­vaise image se traduit par la dif­fi­culté, pour les entre­pris­es indus­trielles, à recruter des ouvri­ers ou des tech­ni­ciens. Aus­si éton­nant que cela puisse paraître dans le con­texte actuel de chô­mage, l’industrie est pénal­isée par le peu de répons­es à ses offres d’emploi.

« Les destruc­tions d’emplois indus­triels relayées dans les médias ont ten­dance à mas­quer les dif­fi­cultés de recrute­ment dans l’industrie. L’enquête Besoins en main‑d’œuvre de Pôle emploi, réal­isée chaque année avec le con­cours du Cré­doc, four­nit une pre­mière approx­i­ma­tion du niveau de ces difficultés.

Dans l’industrie, plus de 40 % des recrute­ments sont jugés dif­fi­ciles selon les employeurs inter­rogés fin 2012 ; c’est le deux­ième secteur à souf­frir de dif­fi­cultés de recrute­ment après la construction.

Cer­tains pro­fils sont très recher­chés, en par­ti­c­uli­er les ouvri­ers qual­i­fiés de la métal­lurgie (tuyau­teurs, chau­dron­niers, soudeurs, tôliers…) ou les ingénieurs et cadres.

Ces dif­fi­cultés pèsent sur le développe­ment et la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es indus­trielles.2 » Du fait de cette rareté, quand PSA a fer­mé son usine d’Aulnay, les ouvri­ers n’ont pas mis longtemps à retrou­ver des emplois.

UNE COMPARAISON AVEC L’INDUSTRIE ALLEMANDE

Com­ment expli­quer cette mau­vaise image ? La com­para­i­son avec l’Allemagne est riche d’enseignement. L’organisation des entre­pris­es est dif­férente : une étude com­par­a­tive des effec­tifs de deux PME de 300 salariés fait appa­raître trois fois plus d’encadrement dans l’entreprise française par rap­port à l’allemande.

De nom­breux postes sont à pour­voir dans l’industrie© AUREMAR / FOTOLIA.COM

Mais il y a aus­si les dif­férences entre les sys­tèmes édu­cat­ifs et l’image qu’ils don­nent de l’industrie. En France, les élèves choi­sis­sent en fin de troisième le lycée où ils pour­suiv­ront leur sco­lar­ité. Beau­coup de ceux affec­tés en lycée pro­fes­sion­nel y ont été « ori­en­tés » parce que leur niveau sco­laire leur inter­di­s­ait les fil­ières de l’enseignement général et de l’enseignement technique.

Même le choix d’un méti­er, élec­tricien, coif­feur… dépend des résul­tats sco­laires car les moins bien notés sont affec­tés en dernier dans les lycées où il reste de la place.

L’apprentissage est une autre voie d’accès aux diplômes pro­fes­sion­nels, qui assure de meilleurs débouchés vers l’emploi, mais en France, l’industrie ne s’est pas appro­priée cette voie de for­ma­tion et il est aus­si dif­fi­cile de trou­ver un poste d’apprenti qu’un emploi.

En lycée pro­fes­sion­nel comme en cen­tre de for­ma­tion des appren­tis (CFA), la sco­lar­ité se ter­mine avec un diplôme : CAP, BEP, Bac pro, BTS, DUT. À ces diplômes cor­re­spon­dent les qual­i­fi­ca­tions d’entrée dans la vie active. Comme la for­ma­tion con­tin­ue est trop peu dévelop­pée, on ne peut pro­gress­er en qual­i­fi­ca­tion que par l’ancienneté de sorte que cha­cun reste mar­qué par son diplôme de fin de scolarité.

En Alle­magne, en fin d’école pri­maire, les élèves ont le choix entre la pour­suite des études en sec­ondaire et l’apprentissage. Un grand nom­bre choisit la voie de l’apprentissage où la for­ma­tion est prise en charge par les milieux professionnels.

La plu­part des entre­pris­es accueil­lent des appren­tis aux­quels cette voie ouvre un avenir car ils auront, au cours de leur car­rière, la pos­si­bil­ité de pro­gress­er en qual­i­fi­ca­tion grâce à des actions de for­ma­tions diplômantes.

Comme Air­bus à Toulouse, les grandes entre­pris­es ont leur lycée : Volk­swa­gen, BMW, Siemens… où sont for­més, à dif­férents niveaux, les jeunes en for­ma­tion ini­tiale et les adultes en for­ma­tion continue.

UNE SITUATION DÉJÀ ANCIENNE

Ces dif­férences entre France et Alle­magne ne datent pas d’aujourd’hui. Elles étaient déjà mis­es en évi­dence dans une étude effec­tuée en 1979 par un lab­o­ra­toire du CNRS3 qui a mis en rela­tion les sys­tèmes édu­cat­ifs avec l’organisation du tra­vail et la pro­duc­tion de la hiérar­chie dans des entre­pris­es des deux pays.

LE LYCÉE AIRBUS À TOULOUSE

Cet étab­lisse­ment sous con­trat de l’Éducation nationale et géré par l’entreprise fait fig­ure d’exception. La 3e année de bac pro­fes­sion­nel est en alter­nance dans les ate­liers d’Airbus et en alter­nance égale­ment la pré­pa­ra­tion du BTS.

Assur­ant aus­si la for­ma­tion des adultes, le lycée per­met de pro­gress­er en qual­i­fi­ca­tion jusqu’au niveau d’ingénieur.

Comme il accueille des élèves bien au-delà des besoins de l’entreprise, ni Air­bus, ni ses sous-trai­tants n’ont de peine à recruter leur personnel.

À part le lycée Air­bus en France, les sys­tèmes de for­ma­tion n’étaient pas très dif­férents en 1979 de ce qu’ils sont main­tenant. Il ne s’agit pas de glo­ri­fi­er un mod­èle alle­mand dont l’adoption per­me­t­trait de résoudre nos prob­lèmes, mais d’utiliser la com­para­i­son pour mieux saisir les inter­ac­tions entre le monde de l’éducation et celui du travail.

En France, la voie pro­fes­sion­nelle est sous la dom­i­na­tion du monde de l’éducation lequel n’organise pas de for­ma­tion con­tin­ue per­me­t­tant aux adultes de pro­gress­er en qual­i­fi­ca­tion, avec l’exception du lycée Airbus.

En Alle­magne (et pour les élèves du lycée Air­bus), la voie pro­fes­sion­nelle est sous la dom­i­na­tion du monde de l’industrie pour lequel la for­ma­tion con­tin­ue, en délivrant des diplômes, se situe dans le pro­longe­ment de la for­ma­tion initiale.

UNE AUTRE VISION DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL, DE LA PRODUCTION ET DU RÔLE DE LA HIÉRARCHIE

Lorsque, comme en Alle­magne, la for­ma­tion con­tin­ue assure une con­ti­nu­ité entre les qual­i­fi­ca­tions, il est pos­si­ble de laiss­er aux acteurs de la pro­duc­tion une large autonomie.

“ En France, l’organisation du travail reste compartimentée ”

En effet, tous, ouvri­ers, tech­ni­ciens, ingénieurs, ayant suivi la même fil­ière de for­ma­tion jusqu’à des niveaux dif­férents, il y a entre eux un espace de qual­i­fi­ca­tion où la rela­tion est plus pro­fes­sion­nelle que hiérarchique.

En France, cet espace n’existe pas. L’organisation du tra­vail reste com­par­ti­men­tée avec une mul­ti­pli­ca­tion des tâch­es de con­trôle pour assur­er la cohérence, ce qui explique le plus fort taux d’encadrement des unités de pro­duc­tion par rap­port aux entre­pris­es allemandes.

IMPLIQUER L’INDUSTRIE DANS LA FORMATION INITIALE ET CONTINUE ET CHANGER LE REGARD SUR LA VOIE PROFESSIONNELLE

La Fab­rique de l’industrie pub­lie de nom­breux ouvrages qui mérit­eraient une plus large dif­fu­sion. On peut en retenir l’accent mis sur trois points.

Apprentissage en Allemagne
En Alle­magne, la voie pro­fes­sion­nelle est sous la dom­i­na­tion du monde de l’industrie pour lequel la for­ma­tion con­tin­ue se situe dans le pro­longe­ment de la for­ma­tion ini­tiale. © SERGEY NIVENS / FOTOLIA.COM

Tout d’abord, la néces­sité d’une plus grande impli­ca­tion de l’industrie dans la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle par le développe­ment de l’apprentissage et par la mul­ti­pli­ca­tion des lycées Airbus.

Ensuite, en se bas­ant sur l’exemple du lycée Air­bus à Toulouse, la général­i­sa­tion de la for­ma­tion con­tin­ue diplô­mante de façon à réalis­er un con­tin­u­um entre les qual­i­fi­ca­tions des acteurs de la production.

Enfin, un autre regard sur la voie pro­fes­sion­nelle : une petite brochure, Osez la voie pro, cite par­mi douze exem­ples celui de cette jeune femme, tit­u­laire d’un bac S qui, plutôt qu’une classe pré­para­toire, choisit de pré­par­er un BTS de génie cli­ma­tique en apprentissage.

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1. Note INSEE Pre­mière n° 1637 du 9/3/2017.
2. L’industrie jar­dinière du ter­ri­toire de É.Bourdu, C. Dubois, O. Méri­aux, Press­es des mines, La Fab­rique de l’industrie, Paris, 2014.
3. La pro­duc­tion de la hiérar­chie dans l’entreprise recherche d’un effet socié­tal, arti­cle pub­lié dans la Revue française de soci­olo­gie, XX, 1979, par Marc Mau­rice, François Sel­l­i­er et Jean-Jacques Sylvestre.

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