Pourquoi pas nous ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°706 Juin/Juillet 2015

Xavier Fontanet, dans un premier temps, nous allons évoquer le constat général que vous faites de l’état de la France. La première question que l’on a envie de vous poser est sur la méthode et les sources utilisées.

J’ai eu une car­rière où j’ai fait grandir des petites entre­pris­es qui sont dev­enues grandes grâce à la mon­di­al­i­sa­tion. J’ai passé mon temps à voy­ager, par exem­ple pour Bénéteau où j’ai ven­du notam­ment des bateaux en Nou­velle-Zélande au début des années 1980. Je me suis beau­coup intéressé aux réformes menées dans les pays dans lesquels j’ai travaillé.

“ Il vaut mieux être mauvais avec de très mauvais que bon contre des très bons ”

J’ai main­tenant une fon­da­tion qui organ­ise des cours de stratégie dans tous les milieux, notam­ment politiques.

Des jeunes députés m’ont encour­agé à faire ce livre que j’ai écrit très rapi­de­ment. Je me suis appuyé sur quar­ante ans de don­nées his­toriques de la Banque mon­di­ale sur l’économie, la dette, et le chô­mage, ain­si que sur Price­wa­ter­house­C­oop­ers (PWC) pour réalis­er des cal­culs sophis­tiqués sur les impôts.

Deux experts inter­na­tionaux en fis­cal­ité de ce cab­i­net ont tra­vail­lé pen­dant un mois pour notam­ment réalis­er des tableaux ayant une très grande valeur. Je me suis égale­ment appuyé sur des coupures de presse, mes voy­ages pro­fes­sion­nels et les con­tacts avec les gou­verne­ments. J’ai ren­con­tré la plu­part des gens évo­qués dans mon livre.

Vous utilisez la métaphore du jockey pour montrer le poids de la fiscalité qui pèse sur les entreprises.
Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai tou­jours vécu dans un monde con­cur­ren­tiel. La stratégie, c’est se débrouiller con­tre des con­cur­rents intel­li­gents. Tout est donc relatif. Il vaut mieux être mau­vais avec de très mau­vais que bon con­tre des très bons.

Sur une longue péri­ode, le ratio de sphère publique sur PIB est très dif­férent même pour des pays qui ont des tailles sim­i­laires comme la France et l’Allemagne avec le périmètre d’activités publiques sem­blables. Le ratio de sphère publique sur PIB est de l’ordre de 45–43 % en Alle­magne con­tre 57 % en France.

Rapi­de­ment cal­culé, on pour­rait dire qu’il n’y a que 12 points d’écart. Comme, en France, on est col­bertiste, j’ai con­sid­éré que l’État est le jock­ey et le privé le cheval. Si on com­pare les ratios (57/43 : 1.32 en France) et en Alle­magne (45/55 : 0.8), on con­state que la sphère publique française est 60 % plus lourde qu’en Alle­magne (1.32/0.8 : 1.6). Le ratio de fonc­tion­naire par habi­tant est 50 % plus élevé en France qu’en Allemagne.

Il y a cinquante ans, toutes les entre­pris­es étaient locales (même dans l’automobile), aujourd’hui, toutes les affaires sont mon­di­ales. Imag­i­nons deux exploita­tions de cochons en France et en Alle­magne. Pour le cochon français, on va rajouter 132 soit un coût de 232 ; en Alle­magne on va rajouter 80 pour arriv­er à 180, soit à l’arrivée un écart de 20 %.

La part de la sphère publique française monde s’est mise à mon­ter après Pom­pi­dou où elle était tombée à 27 %. À l’époque de la réu­ni­fi­ca­tion, la sphère publique alle­mande était mon­tée à plus de 50 % pour envoy­er de l’argent à l’Est, le cochon français tenait alors la route.

Comment les entreprises françaises font-elles pour s’en sortir dans la mondialisation ?

Beau­coup d’entreprises du CAC 40, comme c’est le cas pour les entre­pris­es dont je suis admin­is­tra­teur (Schnei­der, L’Oréal, Essilor) ou même du SBF 120, car votre méti­er peut être petit et mon­di­al, font une faible part de leur activ­ité en France ; la sphère publique les pénalise peu. La France a beau­coup de lead­ers mondiaux.

Pour les Chi­nois, sur les 100 plus grandes entre­pris­es mon­di­ales, 11 sont français­es, con­tre 7 alle­man­des. La France a des lead­ers mon­di­aux dans les fil­ières Ponts et Mines par exem­ple : dans la con­struc­tion, Total dans le pét­role, dans l’assurance et dans les autres secteurs où les math­é­ma­tiques sont impor­tantes. Dès que l’entreprise est locale, c’est plus difficile.

Quand elle veut exporter, elle est plom­bée par la sphère publique. Les Français sont très bons dès qu’on leur lâche les baskets.

Il faut donc se faire confiance.

Oui. Aux États-Unis, 60 000 Français sont dans la Sil­i­con Val­ley et gag­nent beau­coup de prix.

Quels sont les freins les plus marquants à la réforme en France ?

Le pre­mier, c’est de dire « nous, c’est dif­férent », qui mêle arro­gance et manque de con­fi­ance. J’ai passé beau­coup de mes vingt dernières années de tra­vail en Asie. Là-bas, ils sont curieux : la copie est con­sid­érée comme du respect. Il faut appren­dre à s’inspirer des bonnes expéri­ences à l’étranger. Il faut humil­ité et con­fi­ance en soi.

L’autre défaut est le fait que l’on attaque la per­son­ne et qu’on ne cherche pas l’argumentation : vous êtes X, P‑DG du Cac 40, etc.

On joue sur les préjugés ?

Oui, on attaque les per­son­nes. Autre fausse idée : il y a de l’argent, il suf­fit de le pren­dre. Le nom­bre de mil­liar­daires en France a été récem­ment divisé par deux. Les classe­ments Forbes ne don­nent pas les mêmes résul­tats, car ils ne comptent pas ceux qui vivent à l’étranger.

Passons à la deuxième partie, le tour du monde des solutions en quatre pays : le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et l’Allemagne. Grâce à vos voyages, vous avez pu voir ce qui marchait sur le long terme : quels sont les points communs des réformes réussies ?

Voyons d’abord de com­bi­en le jock­ey français est trop lourd. L’objectif est de se met­tre au niveau de l’Allemagne : pass­er le ratio de 57 % à 45 % : la masse à gag­n­er est de 250 mil­liards d’euros.

“ D’autres pays l’ont fait : pourquoi pas nous ? ”

Nous avons env­i­ron 80 mil­liards d’euros de déficit. Depuis 2007, l’économie privée descend, les impôts ont aug­men­té de 100 mil­liards de trop. La dette est passée à 2 000 mil­liards en quar­ante ans, soit en moyenne 50 mil­liards par an. On arrive encore env­i­ron aux 250 milliards.

La sphère publique pèse 1 150 mil­liards avec trois paque­ts : l’État 400 mil­liards, la sphère sociale 600 mil­liards, et les col­lec­tiv­ités locales 150 mil­liards. Il faut réformer ces domaines les uns après les autres.

Le cham­pi­on de la réforme de l’État est le Cana­da ; pour le social, ce sont l’Allemagne, et la Nou­velle-Zélande, qui a pri­vatisé la sphère sociale en la faisant gér­er par des assur­ances privées mis­es en con­cur­rence. La retraite est passée en cap­i­tal­i­sa­tion. La sécu­rité sociale a été divisée en trois morceaux ven­dus ensuite à des sociétés améri­caine, sin­gapouri­enne et hollandaise.

Pour la réforme régionale, le cham­pi­on est la Suisse : presque tout est géré aux niveaux locaux mis en con­cur­rence ; son régalien est le moins cher. Mon raison­nement est que d’autres pays l’ont fait : pourquoi pas nous ?

Pouvez-vous développer l’exemple du Canada ?

Tout part d’une prise de con­science. Des duos com­prenant un poli­tique et un entre­pre­neur ont assuré les réformes. Au Cana­da, il s’agissait de Jean Chré­tien et Paul Mar­tin. Il y a eu une prise de con­science de dette publique (60 % du PIB) et une sphère publique à plus de 50 % du PIB.

Le mes­sage au Cana­da a été de dire que quand l’État monte un impôt et la dépense, il vous enlève une respon­s­abil­ité ; il déplace le curseur de la sphère privée à la sphère publique, par exem­ple pour le choix d’un médicament.

Il y avait, de plus, des quan­tités de gens qui n’avaient plus intérêt à tra­vailler, comme en France avec le RSA. Cela tue les entre­pre­neurs. Il ne faut ni spoli­er les gens, ni les met­tre dans la dépendance.

Le Cana­da n’a pas touché à la san­té et à la retraite. La dépense publique a été réduite de 20 % en six ans. Les min­istères de l’Industrie et de la Pêche sup­primés, ain­si que les dou­blons et sub­ven­tions pour les régions, ils ont pri­vatisé leur réseau fer­ré, et cela n’a pas changé l’économie.

Ils ont bien expliqué qu’ils rendaient les respon­s­abil­ités du pub­lic au privé. Des fonc­tion­naires ont rejoint le privé. J’étais au Cana­da à l’époque de cette réforme ; cela a marché car il y avait du sens et pas d’impact sur l’économie.

Propos recueillis par Carole Simonnet
pour X‑Sursaut

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