Tesla model 3

L’envol de l’automobile

Dossier : ExpressionsMagazine N°736 Juin 2018
Par Serge LACAZE (84)

L’aéronautique et l’au­to­mo­bile ont des liens anciens, orig­inelle­ment des moteurs com­muns et ensuite l’aérospatial a sou­vent mon­tré la voie, dans le domaine tech­nique et surtout dans les proces­sus d’ingénierie. Mais les analo­gies sont vite lim­itées par des écosys­tèmes bien dif­férents. Finale­ment, il faut surtout retenir l’excellence française de ces deux fil­ières indus­trielles et leur capac­ité à avoir créé de véri­ta­bles cham­pi­ons internationaux. 

La prox­im­ité nou­velle que l’on observe entre auto­mo­bile et spa­tial serait comme un écho loin­tain aux déto­na­tions des moteurs à explo­sion des pio­nniers con­joints de l’aviation et de l’automobile (Voisin, His­pano-Suiza, Lor­raine-Diet­rich, BMW…), il y a déjà un siècle. 

Avant ce regard croisé sur les deux secteurs, regar­dons déjà les défis aux­quels est con­fron­tée l’automobile aujourd’hui. J’en cit­erai qua­tre, qui ont pour fil directeur d’offrir davan­tage de liberté. 

L’automobile : une quête de plusieurs libertés

En pre­mier lieu, la lib­erté offerte par le véhicule autonome : d’abord par la décharge cog­ni­tive que per­me­t­tent dès aujourd’hui les pre­mières aides à la con­duite, puis par l’offre pro­gres­sive de véri­ta­ble temps libre grâce à l’apparition de phas­es de con­duite sous respon­s­abil­ité du véhicule (vers 2025). 

“La voiture électrique la plus vendue au monde est une voiture chinoise”

Ensuite, la lib­erté offerte par le véhicule con­nec­té : trop sou­vent perçue comme une source de dis­trac­tion, la con­nec­tiv­ité est aus­si un for­mi­da­ble vecteur de sécu­rité, grâce aux appels d’urgence, par les com­mu­ni­ca­tions car to car ou tout sim­ple­ment par une recon­nais­sance vocale effi­cace (la con­nec­tiv­ité lui donne une capac­ité de traite­ment au meilleur niveau d’internet), le déploiement com­mence dès cette année chez la plu­part des constructeurs. 

La lib­erté offerte par l’électrification qui nous affran­chit enfin des éner­gies car­bonées et des émis­sions pol­lu­antes. Les pou­voirs publics chi­nois nous don­nent une véri­ta­ble leçon de vision stratégique… et de sa mise en oeuvre ! 

La voiture élec­trique la plus ven­due au monde n’est ni Tes­la, ni la Renault Zoé, ni la Nis­san Leaf : c’est une voiture chinoise. 

La lib­erté enfin – et surtout ? – pour ceux qui n’avaient pas accès à l’automobile et qui, grâce à une nou­velle offre en totale rup­ture avec les équa­tions coûts/valeurs exis­tantes, révo­lu­tion­nent le marché (exem­ple de la Renault Kwid en Inde ven­due 3 500 euros). 

Cette démoc­ra­ti­sa­tion mas­sive de l’accès à l’automobile sera un des enjeux majeurs des décen­nies à venir. 

Automobile — aérospatial : des liens anciens

Les allers-retours entre l’aérospatial et l’automobile ont été nom­breux dans le passé. Tout d’abord dans le domaine tech­nique, l’aérospatial a sou­vent mon­tré la voie : action­neurs élec­tromé­caniques ou élec­triques, com­man­des numériques, pilotage automa­tique… (même si on peut pressen­tir que l’automobile intro­duira la con­duite avec pas­sagers mais sans pilote avant l’aviation!).

C’est aus­si le cas dans les proces­sus d’ingénierie, que ce soit par les out­ils de CAO/DAO (le logi­ciel CATIA de Das­sault Sys­tems devenu une référence en ingénierie auto­mo­bile autant que dans le secteur spa­tial) ou par le développe­ment de l’ingénierie sys­tème, seule solu­tion pos­si­ble pour appréhen­der de façon effi­cace des objets tech­niques devenus extrême­ment complexes. 

Enfin, dans l’utilisation et la con­nec­tiv­ité de la voiture, où le GPS tient main­tenant une place de choix. Il ne tient qu’aux acteurs du spa­tial de pro­pos­er les solu­tions de con­nec­tiv­ité adap­tées pour pren­dre place dans l’habitacle de la voiture de demain. 

De plus, auto­mo­bile comme aérospa­tial sont des secteurs qui présen­tent les exi­gences en matière de qual­ité, de sécu­rité et d’innovation tech­niques par­mi les plus élevées. Et ce, de la con­cep­tion du pro­duit à sa main­te­nance en pas­sant par sa production. 


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SUV DS7 Crossback
Cross­back : La DS7 est une des pre­mières français­es à com­mande vocale « naturelle » grâce à sa con­nex­ion Internet.

Des écosystèmes différents

Toute­fois, les analo­gies sont vite lim­itées par des écosys­tèmes bien dif­férents. Mais ces dif­férences ne sont-elles pas le signe d’une dif­férence de matu­rité entre ces deux secteurs industriels ? 

Des équilibres techniques et économiques differents

Les équilibres économiques de chacun de ces produits résultent de champs de contrainte bien différents : les écarts de cadence industrielle (facteur 100 à 1 000) et les écarts de poids relatif entre coût d’achat et coût d’usage sur cycle de vie (coût équivalent pour l’automobile et coût d’exploitation beaucoup plus faible que le coût d’achat pour un satellite) conduisent à des solutions techniques bien différentes.

Aus­si, osons l’exercice d’identifier quelques points de comparaison : 

  • glob­al­i­sa­tion des marchés et des acteurs, même si ceux de l’aérospatial sont plus intégrés ; 
  • prég­nance socié­tale plus grande de l’automobile, qui cristallise davan­tage débats et régle­men­ta­tions, et ouvre la porte à des change­ments de mod­èles (autopartage, taxi-robot…); 
  • un trans­port auto­mo­bile net­te­ment plus indi­vidu­el que col­lec­tif là où les ser­vices spa­ti­aux (TV, inter­net, télé­phonie…) sont claire­ment plus col­lec­tifs qu’individuels ;
  • des révo­lu­tions tech­nologiques en cours dans l’automobile (élec­tri­fi­ca­tion, con­duite totale­ment autonome et ser­vices con­nec­tés) qui annon­cent peut-être les grandes révo­lu­tions du secteur spa­tial de demain, his­torique­ment plus porté par l’innovation du secteur militaire. 

Sans oubli­er l’enjeu fort de l’émotionnel (design, image de mar­que…) pro­pre à l’automobile et qui reste sans aucun doute une spé­ci­ficité d’un pro­duit grand public. 

Ce fac­teur est iden­ti­fié par toutes les enquêtes comme fac­teur d’achat du pre­mier ordre devant les critères tech­niques ou économiques, là où un acteur indus­triel aura un choix plus rationnel. 

Renault Kwid
La Renault Kwid : le marché auto­mo­bile mon­di­al annuel vient de dépass­er les 100 mil­lions d’unités grâce à des pro­duits d’accès à l’automobile comme cette Renault Kwid en Inde, 3 500 e, ven­due à plus de 250 000 unités.

Concept car Renault Symbioz
Le Con­cept car Renault Sym­bioz : l’automobile de demain s’intégrera har­monieuse­ment dans l’écosystème urbain.

Une chance pour la France ?

Ces quelques points de com­para­i­son nous per­me­t­tent d’identifier des ten­dances pro­fondes qui dépassent le secteur de l’automobile.

Dig­i­tal­i­sa­tion de la pro­duc­tion et des ser­vices, per­son­nal­i­sa­tion à moin­dre coût, change­ments rad­i­caux de mod­èles d’exploitation, voilà des lames de fond qui peu­vent affecter le secteur spa­tial dans un futur pas si lointain. 

Mais finale­ment, le point de ren­con­tre le plus mar­quant des secteurs auto­mo­biles et aéro­nau­tiques n’est-il pas l’excellence française de ces deux fil­ières indus­trielles et leur capac­ité à avoir créé et dévelop­pé de véri­ta­bles cham­pi­ons inter­na­tionaux à forte empreinte nationale, aus­si bien par­mi les con­struc­teurs de pro­duits finis, qu’avec des équipemen­tiers de tailles mul­ti­ples et des start-up inno­vantes qui nous assurent l’agilité future dont nos indus­tries auront besoin ?

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