X à l’École polytechnique

Pourquoi donne-t-on le surnom de l’X à l’École polytechnique ? Étymologie de l’appellation « X »

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°758 Octobre 2020
Par Olivier AZZOLA
Par Oriana ROUX-FOLACCI

La let­tre X est très com­muné­ment asso­ciée à l’École poly­tech­nique et à ses diplômés.
Mais d’où vient cette appellation ?

La réponse à cette ques­tion sem­ble évi­dente et, au cas où vous auriez un doute, une rapi­de recherche via un moteur de recherche vous ren­ver­ra à l’inconnue math­é­ma­tique et à la place qu’occupent les math­é­ma­tiques dans l’enseignement de l’École. Une autre expli­ca­tion fait référence au fait que les canons croisés sur les armes de l’École dessi­nent un « X ». Cette façon de les représen­ter ain­si remonte à l’Ancien Régime et est cod­i­fiée en 1791 sur les bou­tons d’uniforme de l’artillerie. Les poly­tech­ni­ciens ayant à une époque majori­taire­ment servi dans l’artillerie (dans une pro­por­tion pou­vant aller jusqu’à 50 %, comme entre 1870 et 1914), cette expli­ca­tion sem­ble aus­si bonne. 

Mais, lorsqu’il s’agit d’obtenir des sources et des dates exactes, les références devi­en­nent vite très floues. Alors, pour tranch­er, explorons l’étymologie du X dans les dic­tio­n­naires et des ency­clopédies du XIXe siècle.

L'X, surnom de l'École polytechnique, se retrouve dans les armes de l'École.
Représen­ta­tion styl­isée des armes de l’École poly­tech­nique gravées par Revel­lat c.1900. Cliché École polytechnique.

L’X, cet inconnu

Le pre­mier Argot de l’X, dic­tio­n­naire pub­lié par Gas­ton Pinet et Albert-Lévy en 1894, indique que l’X est emprun­té à l’algèbre et désigne à la fois le poly­tech­ni­cien et l’École poly­tech­nique elle-même. Ils pré­cisent : « L’étude presque exclu­sive des math­é­ma­tiques, son état d’abstraction dans les x et les y, lui ont valu depuis longtemps d’être désigné par ce sym­bole. Un jour, Charlet (voir J&R n° 757), pen­dant une séance du con­seil, s’amusa à représen­ter un poly­tech­ni­cien frap­pé d’apoplexie ; le médecin accourt, lui ouvre les veines : il n’en sort pas une goutte de sang… seule­ment des x et des y. » Plus de doute : l’algèbre explique tout, on assim­i­le le X à un math­é­mati­cien. Mais quelle durée met­tre der­rière ce « depuis longtemps » ?

Félix Bracquemond, Allégorie autour de la lettre « X », surnom de l'École polytechnique
Félix Brac­que­mond, Allé­gorie autour de la let­tre « X », L’argot de l’X (1894).
Cliché École polytechnique.

De l’argot à l’usage

Deux décen­nies plus tôt, en 1876, la pub­li­ca­tion du Grand Dic­tio­n­naire uni­versel du XIXe siè­cle, com­mencée en 1866 sous la direc­tion de Pierre Larousse (1817–1875), s’achève. Pour la let­tre X, il est indiqué que cette let­tre désigne un élève de l’École poly­tech­nique et que cet usage provient de l’argot des col­lèges. L’usage de l’X pour désign­er l’École n’est donc pas encore en vigueur. En matière d’argot, les dic­tio­n­naires ne font qu’officialiser des usages du quo­ti­di­en par­fois plus anciens. Effec­tive­ment l’élève Paul Dis­lère (1840–1928, X1859) dans la cor­re­spon­dance qu’il adresse à ses par­ents entre 1859 et 1861 fait men­tion de « nous autres X ».

Représentation du X, qui est le surnom de l'École polytechnique.
Représen­ta­tion du X, Grand Dic­tio­n­naire uni­versel du XIXe siè­cle, 1876.
Cliché École polytechnique.

Une origine mathématique

Remon­tons encore plus loin. En 1840 paraît le pre­mier vol­ume de l’encyclopédie : Les Français peints par eux-mêmes : ency­clopédie morale du dix-neu­vième siè­cle. L’article sur les Écoles mil­i­taires fait une belle place à l’École poly­tech­nique et regorge d’expressions aujourd’hui dis­parues qui font un large emploi d’X. L’expression « tête à X », dans l’argot des col­lèges, sig­ni­fie alors « tête organ­isée pour le cal­cul », qua­si syn­onyme d’une autre expres­sion presque con­tem­po­raine, « être fort en X », qui sig­ni­fie avoir des dis­po­si­tions pour les mathématiques.

Représentation du X, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, 1876. Cliché École polytechnique.
Représen­ta­tion du X, Grand Dic­tio­n­naire uni­versel du XIXe siè­cle, 1876.
Cliché École polytechnique.

Thêta X ?

L’usage du X, au tra­vers de ce lan­gage de col­légiens et lycéens, est donc aus­si asso­cié aux plus doués d’entre eux en math­é­ma­tiques, qui se des­ti­naient à pass­er le con­cours de l’École poly­tech­nique, l’un des rares étab­lisse­ments d’enseignement supérieur, à l’époque, où était enseignée cette dis­ci­pline. Ces « têtes à X » se met­tront elles-mêmes en équa­tion au moment de l’entrée, ou absorp­tion, à l’École : « L’ancien, chargé de l’absorption, com­mence par prou­ver algébrique­ment qu’il n’a jamais été con­scrit. Admet­tons un moment, dit-il (nous raison­nons par l’absurde), que l’ancien est évidem­ment une tête à X ; on pour­rait donc pos­er l’égalité θX = ex-con­scrit ; en divisant par X, il reste θ = E‑conscrit ; si nous divi­sons ensuite par e, nous aurons θ/e = con­scrit ; or, il est absurde que le con­scrit soit une tête assurée. »

La lettre X est le surnom de l'École polytechnique mais aussi de ses diplômés
François Hip­poly­te Lalaisse, Types mil­i­taires : École impéri­ale poly­tech­nique, c.1855.
Cliché École polytechnique.

Consubstantiel à l’X

Quelque part dans les années 1840–1850, le poly­tech­ni­cien a ain­si gag­né son surnom d’X parce que, aux yeux du pub­lic, il est en sub­stance con­sti­tué de x ! En somme, parce que l’on con­sid­érait alors qu’il était avant tout féru de sci­ences math­é­ma­tiques. C’est bien cela qui frappe. Émile de La Bédol­lière, l’auteur de l’article sur les écoles mil­i­taires des Français peints par eux-mêmes, s’émerveille que ces jeunes « lisent à livre ouvert Lagrange et Laplace » !


Ressources

  • Cor­re­spon­dance de Paul Dis­lère, archives de l’École polytechnique.
  • Grand Dic­tio­n­naire uni­versel du XIXe siècle.
  • Sur la place des sci­ences math­é­ma­tiques à l’École poly­tech­nique de 1794 à 1830, voir : Frédéric Brechen­mach­er, Jean Dhom­bres, Idriss Mazari, L’équation du mérite : les math­é­ma­tiques à l’École poly­tech­nique de 1794 à 1830, livret de l’exposition du Mus’X, École poly­tech­nique, 2019.

Pour en savoir plus : Por­tail pat­ri­moine de l’É­cole polytechnique

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