Pour une fin des transitions molles : La pensée, le retour

Dossier : ExpressionsMagazine N°650 Décembre 2009Par : Pascale DESNOS

Compte ren­du d’une con­férence de Paul Jori­on, dans le cadre des « Ren­con­tres avec des hommes remarquables ».

Paul Jori­on est doc­teur en sci­ences sociales de l’Université libre de Brux­elles, diplômé en soci­olo­gie et en anthro­polo­gie sociale. Il a tra­vail­lé dans le milieu ban­caire améri­cain en tant que spé­cial­iste de la for­ma­tion des prix.

Paul Jori­on analyse la genèse de cette crise et le para­doxe incroy­able de cette péri­ode 2005–2007, qui asso­cie une sophis­ti­ca­tion des out­ils prévi­sion­nels jamais égalée à une maille d’analyse ren­due myope par sa complexité. 

Ne jamais s’arrêter

Aux États-Unis, le pat­ri­moine est con­cen­tré dans peu de mains : un tiers de la richesse est détenu par 1 % de la pop­u­la­tion et 50 % de la pop­u­la­tion se partage 2,8 % du pat­ri­moine. Ces chiffres expliquent le besoin struc­turel de ” vie à crédit ” pour les ménages comme pour les entre­pris­es. Dans un tel con­texte, l’im­mo­bili­er et sa promesse per­pétuelle de prof­it annuel à 17 % au plus haut de la bulle deve­naient une porte de salut. Il fal­lait juste que cela ne s’ar­rête jamais. 

L’irrésistible attirance des revenus financiers à court terme

À la fin des années qua­tre-vingt-dix, dans l’e­sprit d’align­er les intérêts des dirigeants d’en­tre­pris­es avec ceux des investis­seurs, une inno­va­tion prend forme avec les stock- options. Cette tac­tique a bien fonc­tion­né mais elle eut pour consé­quence de jouer le prof­it immé­di­at au détri­ment des salariés dont les revenus stag­naient. La pro­por­tion de richesse récoltée par le milieu financier s’est envolée. Il y a vingt ans aux États-Unis, 15 % des revenus étaient dus à la finance. En 2007, ce ratio a été supérieur à 40 %. 

Le cas de l’immobilier aux États-Unis et l’envol de la titrisation

Vers 1996, un proces­sus de ” cav­a­lerie ” se met en place sur le marché immo­bili­er des États-Unis. Des ménages de moins en moins for­tunés accè­dent à la propriété.

L’immobilier et sa promesse per­pétuelle de prof­it annuel étaient la porte de salut

Vers 2004, les sub­primes ouvrent l’ac­cès à la pro­priété à de nou­velles recrues : les per­son­nes qui n’ont pas d’ar­gent. Ain­si, l’in­dus­trie du crédit a pris des pro­por­tions inouïes, sur un socle bien frag­ile qui s’est effon­dré avec la stag­na­tion des salaires. La solu­tion clas­sique eût été de ” pri­va­tis­er les prof­its et de socialis­er les pertes “. Mais cette solu­tion — qui, à sa manière, aurait con­tribué à une cer­taine forme de régu­la­tion — n’é­tait plus pos­si­ble du fait de l’am­pleur des sommes concernées. 

Dernier tango à Beijing

His­torique­ment indexés sur des taux à dix ans, les crédits hypothé­caires refor­matés en oblig­a­tions (1 oblig­a­tion = env­i­ron 3 000 crédits hypothé­caires de par­ti­c­uliers) ont attiré les investis­seurs chi­nois qui ont investi en masse dans ces pro­duits, faisant ain­si baiss­er les taux d’in­térêt sur l’im­mo­bili­er et devenant ain­si les véri­ta­bles financiers de ce secteur. Les économies faites de cette manière par les con­som­ma­teurs améri­cains ont été con­sacrées à l’achat de pro­duits fab­riqués… en Chine. 

Quand les systèmes font aussi des bulles

Les mod­èles prévi­sion­nels ont con­tin­ué à faire des pro­jec­tions pos­i­tives, en appli­quant des straté­gies de cou­ver­ture fondées sur des cor­réla­tions his­toriques, adossées au réel des dix années précé­dentes. En 2005–2006, les instru­ments financiers dépas­saient notre capac­ité col­lec­tive d’en­ten­de­ment. Con­join­te­ment, leur infor­ma­ti­sa­tion per­me­t­tait de réa­gir à la microsec­onde. Des posi­tions étaient pris­es sur la base d’ex­pli­ca­tions trop sim­pli­fiées et peu éclairées. 

Supprimer les liens pervers

Pour Paul Jori­on, l’essen­tiel serait de sup­primer rad­i­cale­ment les liens per­vers de la fonc­tion ” par­a­sitaire ” de la finance sur l’é­conomie. La finance en serait trans­for­mée et donc, l’é­conomie aussi. 

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