Éoliennes en mer Adwen, de puissance unitaire 5 MW.

Partir en mer pour sauver la terre

Dossier : LA MER : Énergies et ressourcesMagazine N°714 Avril 2016
Par Philippe KAVAFYAN (87)

Le témoignage d’un cama­rade sur les éner­gies marines renou­ve­lables. Il ne peut pré­ten­dre à un par­cours prédes­tiné car rien n’ex­is­tait à sa sor­tie de l’É­cole. Après une expéri­ence dans l’éolien ter­restre, il passe à l’éolien en mer où il faut encore plus un tra­vail d’équipe et des pas­sion­nés de la mer pour créer la fil­ière indus­trielle voulue par les autorités.

Parmi tous les bruits, s’il en est un de par­ti­c­ulière­ment intrusif, c’est celui du moteur sur un bateau à voiles. J’ai longtemps « subi » cette pol­lu­tion sonore. Quoi de plus naturel que de vouloir couper le moteur ?

Le glisse­ment de l’eau con­tre la coque, l’écoulement de l’air dans le pro­fil des voiles. S’appuyer sur les élé­ments pour avancer, sans les contrarier.

REPÈRES

Le domaine des énergies marines renouvelables n’existait pas, ou peu, lorsque l’auteur sort de l’X, à l’exception de l’usine marémotrice de la Rance. Difficile donc de prétendre à un parcours prédestiné.
Ce sont deux concours de circonstances qui l’ont conduit à utiliser bien des outils enseignés à l’École, mais dans un contexte peu anticipé à l’époque.

S’appuyer sur les éléments

L’émergence des éner­gies renou­ve­lables ne m’est pas apparue un jour, comme une évi­dence, en coupant le moteur sur un bateau, mais plus récem­ment, en mon­tant dans un des cinq pre­miers taxis parisiens fonc­tion­nant à l’hydrogène.

Éner­gies renou­ve­lables plus solu­tions de stock­age plus éco­mo­bil­ité. Cette tran­si­tion vers une économie « décar­bonée » était donc possible.

L’éolien, monde de pionniers

La pre­mière occa­sion se présente en 2002 : les mots « éner­gies » et « renou­ve­lables » ne sont pas encore asso­ciés dans mon esprit d’ingénieur cher­chant à révo­lu­tion­ner la main­te­nance des tur­bines à gaz par les tech­nolo­gies de l’information, tan­dis que mon esprit de man­ag­er reste fasciné par un porte­feuille de con­trats de ser­vices à long terme.


Éoli­ennes en mer Adwen, de puis­sance uni­taire 5 MW.

Ma nom­i­na­tion dans une équipe d’intégration pour une toute nou­velle activ­ité, une opéra­tion de crois­sance « externe », me fait bas­culer dans le monde de l’éolien. Du vent pour pro­duire de l’électricité, quelle idée.

Me voilà partageant mon temps entre la Cal­i­fornie et l’Allemagne, pour com­pren­dre qu’un pro­fil de pale améliore sen­si­ble­ment l’efficacité d’une éoli­enne, qu’une éoli­enne est avant tout un sys­tème « vibra­toire », qu’on ne peut pas « pro­gram­mer » une cam­pagne de mesures, qu’il faut con­sul­ter la météo auparavant.

J’ai gardé une pro­fonde sym­pa­thie pour cette généra­tion de pio­nniers que j’ai eu la chance de côtoy­er, cer­tains affichant dès 2002 plus de dix années d’expérience dans l’éolien. Com­ment les présen­ter ? Plus pas­sion­nés que compt­a­bles, plus expéri­men­ta­teurs que théoriques, plus entre­pre­neurs qu’organisateurs, plus engagés que con­sen­suels, plus drôles que poli­tique­ment corrects.

Toutes ces dimen­sions n’ont ren­du que plus ambitieuse la tâche d’intégration dans un groupe comme Gen­er­al Elec­tric. Le fait est qu’elles ont trans­for­mé mon regard, tant sur l’innovation et la créa­tion de valeur que sur les rela­tions humaines et le man­age­ment, à la fron­tière entre petites et grandes organisations.

Des volumes multipliés par 10 en cinq ans

Entre 2002 et 2008, de fortes sub­ven­tions tar­i­faires pour les éner­gies renou­ve­lables, prin­ci­pale­ment en Alle­magne et en Espagne pour l’Europe, com­binées au prix élevé du gaz aux États-Unis, per­me­t­tent un for­mi­da­ble développe­ment de l’éolien terrestre.

barge autoélévatrice pour poser les éoliennes en mer
Navire d’installation, « Jack up barge » ou barge autoélévatrice.

Mul­ti­pli­er par dix, en moins de cinq ans, les vol­umes annuels de pro­duc­tion et d’installations reste une belle aven­ture indus­trielle, cette crois­sance n’étant bien sûr ni pro­gres­sive ni linéaire. Il faut gér­er l’augmentation de la quan­tité, sans com­pro­met­tre la qual­ité. Quand on lance un train à grande vitesse, il est tou­jours utile de garder en tête la dis­tance néces­saire pour l’arrêter.

Avec une pro­duc­tion annuelle de 4 000 éoli­ennes, si la défail­lance d’un nou­veau com­posant est détec­tée par exem­ple en trois mois, il fau­dra inter­venir sur 1 000 éoli­ennes pro­duites, stock­ées, expédiées, voire déjà mon­tées sur site. Rien d’étonnant com­paré aux cadences de l’industrie auto­mo­bile, mais il est plus facile de rap­pel­er un véhicule qu’une éoli­enne pour une mise en conformité.

Antic­i­pa­tion des besoins d’approvisionnement pour les acheteurs, dis­ci­pline con­tractuelle pour les com­mer­ci­aux, ges­tion rigoureuse de la logis­tique pour les chefs de pro­jets : trois clés de la réus­site dans cette péri­ode de crois­sance euphorique.

Jusqu’au sin­istre jour de 2008 où la bulle finan­cière a explosé, empor­tant dans sa tour­mente toutes les facil­ités de crédit et de finance­ment de nos clients.

De l’éoloien terrestre à l’éolien en mer

Le virus des éner­gies renou­ve­lables me rat­trape quelques années plus tard, en 2011, avec l’insertion du terme « marines » au sein de la locu­tion « éner­gies marines renouvelables ».

Un pre­mier appel d’offres pour le développe­ment de l’éolien en mer est lancé, cinq zones sont pro­posées, qua­tre sont attribuées en 2012. Deux ans plus tard, deux autres zones sont attribuées dans un deux­ième appel d’offres.

Mon expéri­ence dans l’éolien ter­restre est jugée comme « poten­tielle­ment utile » pour pilot­er une équipe mul­ti­fonc­tion­nelle en France et répon­dre, en tant que turbinier, à ces appels d’offres.

Alors que l’éolienne représente 70 % de l’investissement ini­tial pour une ferme ter­restre, un turbinier apprend vite à remet­tre les choses en per­spec­tive pour l’éolien en mer. Sa four­ni­ture ne représente plus que 40 % de l’investissement ini­tial et ses com­pé­tences doivent être com­plétées par d’autres, tout aus­si impor­tantes pour la réus­site d’un pro­jet : fab­ri­ca­tion des fon­da­tions, des câbles et de la sous-sta­tion élec­trique ; chantier en mer pour la pose des fon­da­tions, des câbles sous-marins, de la sous-sta­tion, le mon­tage des éoli­ennes, etc.

Une écoute réciproque est néces­saire pour com­pren­dre les con­traintes de chaque méti­er, éval­uer les risques, notam­ment aux inter­faces, et opti­miser les opéra­tions en mer.

Un travail d’équipe

Il n’est de suc­cès dans les éner­gies marines renou­ve­lables que col­lec­tif. Le tra­vail d’équipe entre parte­naires est néces­saire à tous les stades d’un pro­jet. Il se révèle déter­mi­nant dans les phas­es de con­struc­tion et d’exploitation.

LES SPÉCIFICITÉS DE L’ÉOLIEN EN MER

Au terme de quatre années d’apprentissage, l’éolien en mer m’apparaît toujours plus « maritime ». La sûreté des opérations en mer prime avant tout, qu’il s’agisse de lever à 100 mètres au-dessus de l’eau des éléments de 450 tonnes, ou de transférer des techniciens d’un bateau sur une éolienne par des creux (de vagues) de deux mètres.
La fiabilité de la technologie est essentielle, justifiant parfois jusqu’au choix d’une certaine forme de redondance, en raison de l’accessibilité restreinte par mauvaises conditions de mer.
Le coût des moyens logistiques influence toutes les décisions, de la localisation des usines à la gestion de projets pour la phase d’installation, sans oublier les méthodes de réparation. Les volumes de production sont dix à vingt fois inférieurs à ceux du terrestre, et le resteront.

La chance de notre équipe en France est d’avoir pu se for­mer au con­tact d’une expéri­ence réelle de plus de dix ans en Alle­magne : expéri­ence de con­cep­tion, fab­ri­ca­tion et instal­la­tion d’éoliennes en mer, éoli­ennes conçues pour les con­di­tions de mer et non pas éoli­ennes ter­restres poussées en mer.

Deux con­trats signés en 2009 et 2010, respec­tive­ment pour la four­ni­ture de 80 et 40 éoli­ennes de 5 mégawatts, ont per­mis à Adwen Off­shore – coen­tre­prise créée entre Are­va et Game­sa – de franchir les étapes de fab­ri­ca­tion, d’installation puis de démar­rage d’un total de 600 mégawatts, soit plus que la capac­ité de cha­cun des champs qui seront con­stru­its en France.

Une filière en devenir

La créa­tion d’une fil­ière indus­trielle com­plète en France, volon­té exprimée dans le cahi­er des charges des deux appels d’offres, a per­mis l’identification d’un grand nom­bre de sociétés français­es, sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’éolien en mer.

Cent vingt représen­tants de ces sociétés sont venus con­stater directe­ment notre longueur d’avance en Alle­magne. Quelques sociétés, dont des PME, ont depuis réus­si à se posi­tion­ner dans ce marché prometteur.

De solides ini­tia­tives, régionales et nationales, les sou­ti­en­nent. Win­dus­try, pour n’en citer qu’une, est pilotée par le Syn­di­cat des éner­gies renou­ve­lables (SER).

Le SER, le Clus­ter mar­itime français (CMF) et le Groupe­ment des indus­tries de con­struc­tion et activ­ités navales (GICAN) jouent un rôle clé pour le développe­ment des éner­gies marines renou­ve­lables. Situés à la fron­tière des mon­des mar­itime, indus­triel et tech­nologique, nos pro­jets dépassent sou­vent le périmètre des entre­pris­es partenaires.

L’innovation naît des échanges, de la mise en réseau, et le savoir-faire a besoin du faire-savoir.

Des coûts en baisse

La réduc­tion des coûts de l’éolien en mer illus­tre cette dynamique. Exam­inée sous toutes ses cou­tures grâce au tra­vail de sociétés réu­nies au sein du pôle off­shore du SER, elle se mesure, semes­tre après semes­tre, dans les sta­tis­tiques européennes de pro­jets réalisés.

Navire à positionnement dynamique au milieu d’un parc éolien de 400 MW.
Navire à posi­tion­nement dynamique dans un parc éolien de 400 MW.

Près de 3 000 mégawatts ont été rac­cordés en 2015, soit deux fois plus qu’en 2013 et trois fois plus qu’en 2011. La baisse des coûts est générée prin­ci­pale­ment par l’industrialisation des opéra­tions en mer et l’augmentation de la puis­sance uni­taire des éoli­ennes, c’est-à-dire par la réduc­tion des coûts d’infrastructure.

La logis­tique por­tu­aire per­me­t­tant de s’affranchir des con­traintes ter­restres, les éoli­ennes en mer affichent désor­mais des puis­sances uni­taires de 7 et 8 MW, deux fois supérieures aux éoli­ennes terrestres.

Météo marine

Longtemps, je n’ai con­sulté la Météo marine que pour la régate ou la croisière. J’ai dévelop­pé une pro­fonde estime pour les pro­fes­sion­nels de la mer, ceux qui par­tent sans avoir sou­vent le choix des con­di­tions de mer. Leur respect pour le milieu marin, leur grande humil­ité doivent nous inspir­er à l’heure de par­tir en mer pour y exploiter un poten­tiel énergé­tique immense, pro­pre et renouvelable.

Pour ne citer que trois tech­nolo­gies, en ordre décrois­sant de maturité :

  • l’éolien posé est deux fois plus effi­cace en mer qu’à terre, dans nos régions, en rai­son de vents plus réguliers et plus forts ;
  • la pointe du Cotentin, avec ses puis­sants courants marins, sera à l’énergie hydroli­enne ce que le Koweït est au pétrole ;
  • l’éolien flot­tant ouvre un nou­veau gise­ment énergé­tique au large des côtes où les fonds descen­dent rapi­de­ment, comme celles de la Méditer­ranée en France ou du Paci­fique au Japon et aux États-Unis.

Alors, que vous aimiez la mod­éli­sa­tion aéro­dy­namique, l’électronique de puis­sance, les cal­culs de struc­ture, les machines tour­nantes ou tout sim­ple­ment les opéra­tions en mer, si vous souhaitez rejoin­dre une activ­ité pas­sion­nante, branchez- vous sur la fréquence de la Météo marine.

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