Palestine et Israël, la question démographique

Dossier : PopulationsMagazine N°602 Février 2005
Par Youssef COURBAGE
Par William BERTHOMIÈRE

Monsieur Courbage prend la parole le premier

Le point majeur de cette étude est qu’aus­si bien les Israéliens que les Pales­tiniens sont tout à fait con­scients de l’im­por­tance déci­sive de la ques­tion démo­graphique, même s’il s’y mêle par­fois quelques élé­ments irrationnels.

Les Pales­tiniens savent que le poids du nom­bre va de plus en plus jouer en leur faveur et ne craig­nent guère qu’une expul­sion mas­sive, tan­dis que Sharon rêve de faire venir un mil­lion de Juifs d’i­ci vingt ans. Cepen­dant les jour­nal­istes d’Al Ahram ne sont pas sérieux quand ils écrivent que les Arabes israéliens seront la majorité d’Is­raël en 2035 (16,5 % aujourd’hui).

La pre­mière dif­fi­culté est de bien savoir de quel Israël on par­le, les fron­tières ont telle­ment changé ! Nous dis­tinguerons trois entités géo­graphiques différentes :

  • Israël d’a­vant la guerre de juin 1967,
  • Israël avec Jérusalem-Est, les “implan­ta­tions” et le Golan,
  • le “Grand Israël” qui est la Pales­tine du man­dat bri­tan­nique d’a­vant-guerre plus le Golan (avec donc la Cisjor­danie et la bande de Gaza).


La sec­onde dif­fi­culté est de savoir qui est juif. Est-ce seule­ment une ques­tion de reli­gion ? Il sem­ble plus juste d’y ajouter ceux qui leur sont appar­en­tés, mais con­venez que ce n’est ni facile ni pré­cis. Ajou­tons que 400 000 “colons” israéliens vivent en dehors des fron­tières d’a­vant juin 1967.

Dans ces con­di­tions il est intéres­sant de con­naître la pro­por­tion des Juifs dans le “Grand Israël”.

En 1948 il y avait 33 % de Juifs pour 2 mil­lions d’habitants.

En 2002 la pro­por­tion des Juifs est mon­tée à 55 % pour 10 mil­lions d’habi­tants dont 6,6 mil­lions en Israël (déf­i­ni­tion n° 2, avec un mil­lion d’Arabes israéliens) et 3,3 mil­lions en Palestine.

On estime que la pro­por­tion des Juifs va redescen­dre à 41 % en 2020 et à 33 % en 2050, pour un total qui alors sera de 25 mil­lions d’habitants.
Bien enten­du ces derniers chiffres n’ont de sens que si aucune cat­a­stro­phe ne se pro­duit ; mais ajou­tons que la pro­por­tion, en Israël, des Arabes israéliens ne dépassera guère 20 % en 2050.

Ajou­tons un élé­ment peu con­nu : il y a désor­mais en Israël 125 000 Pales­tiniens clan­des­tins et 250 000 immi­grants étrangers, pour la plu­part des chré­tiens (Africains, Roumains, Bul­gares, Philip­pins…), il y a même mille Roms !

L’im­mi­gra­tion récente est en dents de scie. De 50 000 à 60 000 immi­grants par an à la fin des années 1990, elle con­naît un max­i­mum en 1999 avec 70 000 immi­grants, mais depuis la sec­onde intifa­da l’im­mi­gra­tion baisse régulière­ment jusqu’à 30 000 en 2002. Une part très impor­tante de ces immi­grants arrivent de l’ex-URSS : 22 000 en 2001 et 11 000 en 2002. Il faut not­er que la pro­por­tion des non-Juifs (surtout chré­tiens) est en aug­men­ta­tion con­stante : 33 % en 1996 et 60 % en 2001.

Bien enten­du l’évo­lu­tion de la pop­u­la­tion ne dépend pas que de l’im­mi­gra­tion, elle dépend aus­si beau­coup des fécon­dités respec­tives, et là les Pales­tiniens pren­nent leur revanche. La fécon­dité pales­tini­enne est en baisse lente, mais elle est encore de six enfants par femme ! Celle des Arabes israéliens est de 4 à 4,5 enfants par femme et celle des Juifs israéliens tourne autour de 2,5 enfants par femme. Les taux annuels d’ac­croisse­ment cor­re­spon­dants sont respec­tive­ment de 3 %, 3 % et 1,3 %. Pour l’avenir on estime qu’en 2020 les deux pre­miers indices seront voisins de 3,4 enfants par femme tan­dis que le troisième sera encore de 2,3…

Remar­quons d’emblée le car­ac­tère tout à fait excep­tion­nel de cette sit­u­a­tion. La plu­part des indices nationaux de fécon­dité sont désor­mais bien moin­dres, l’Afrique du Nord elle-même est dès à présent au voisi­nage de 2 enfants par femme seule­ment… Il est bien prob­a­ble que le ter­ri­ble affron­te­ment poli­tique, et sou­vent mil­i­taire, qui oppose Pales­tiniens et Israéliens est la vraie rai­son de cette fécon­dité remar­quable qui fait par­tie des moyens vitaux de défense et de survie.

Il me reste à vous don­ner quelques chiffres sur l’e­spérance de vie, la mor­tal­ité infan­tile et le “mul­ti­pli­ca­teur de momen­tum” (en gros le rap­port de la pop­u­la­tion dans trente ans à la pop­u­la­tion actuelle compte tenu de tous les élé­ments : natal­ité, mor­tal­ité, immi­gra­tion, émi­gra­tion, etc., cette dernière est impor­tante chez les chré­tiens pales­tiniens). Ces mul­ti­pli­ca­teurs sont de 1,3 pour les Juifs et 1,8 aus­si bien pour les Arabes israéliens que pour les Palestiniens.

Pour ces trois groupes la dif­férence d’e­spérance de vie entre les hommes et les femmes est de trois ou qua­tre ans (en faveur des femmes naturelle­ment). Ces espérances sont voisines et net­te­ment plus élevées que dans les autres pays du Moyen-Ori­ent : 78 ans pour les Juifs, 76 pour les Arabes israéliens et 72 pour les Pales­tiniens. De même la mor­tal­ité infan­tile est net­te­ment plus faible qu’au voisi­nage : 0,5 % pour les Juifs, 0,9 % pour les Arabes israéliens et 2,4 % pour les Palestiniens.

Je ter­mine par un dernier chiffre qui souligne toutes les ambiguïtés de la sit­u­a­tion : quelle sera la pro­por­tion des Juifs en 2050 dans l’Is­raël d’a­vant la guerre de juin 1967 ? Selon les études, selon l’im­por­tance des groupes d’im­mi­grants étrangers, ni Juifs, ni Arabes, ce chiffre varie de 58 à 78 %.

Question : Importance des mariages mixtes ?
Réponse : Ils sont très rares comme dans presque tous les pays d’affrontement, Kosovo, Irlande du Nord, etc. Une exception : la Bosnie.

Mon­sieur Courbage passe la parole à Mon­sieur Berthomière pour présen­ter la ques­tion des immi­grants russ­es et ukrainiens en Israël

Dans cette ques­tion le point impor­tant est la rup­ture de 1989 qui va faire pass­er la crois­sance israéli­enne de 1,25 % par an avant à 2,5 % après. L’im­mi­gra­tion des Juifs de l’ex-URSS, et de quelques non-Juifs, monte bru­tale­ment à 191 000 en 1991 et est encore à 145 000 en 1992, puis elle décroît lente­ment. Le phénomène est ana­logue à celui des pre­mières années d’Is­raël et pen­dant quelque temps il y aura jusqu’à 25 jour­naux en langue russe ! Il y a depuis 1997 un “par­ti russe” à la Knes­set (par­ti qui s’in­ti­t­ule “notre mai­son Israël”) et désor­mais de nom­breux mag­a­sins d’al­i­men­ta­tion non kascher.

Bien enten­du cela pose des prob­lèmes de loge­ment et d’emploi. Une anec­dote : lors d’un con­seil des min­istres à Jérusalem l’un de ceux-ci s’ef­fon­dre vic­time d’une attaque car­diaque ; la femme de ménage se pré­cip­ite aus­sitôt et lui fait un mas­sage car­diaque qui le sauve : c’é­tait une immi­grante russe… et une doc­toresse renommée !

Au début les Russ­es s’in­stal­lent dans les villes — Haï­fa, Tel-Aviv, Jérusalem — mais le prob­lème du loge­ment devient si aigu qu’Y­itzhak Shamir change de poli­tique et accorde des facil­ités de loge­ment dans les ter­ri­toires périphériques, essen­tielle­ment dans le Sud et dans les implan­ta­tions en ter­ri­toire pales­tinien occupé.

Il y aura bien aus­si un petit mou­ve­ment vers le Nord, la Galilée, mais celle-ci reste majori­taire­ment arabe mal­gré les pro­grammes suc­ces­sifs de “judaï­sa­tion” et les mini­trans­ferts volon­taires (c’est-à-dire les aides accordées aux Arabes israéliens émi­grant en Amérique du Nord). Il est vrai qu’il y eut une courte péri­ode autour de 1972 où les Juifs furent majori­taires en Galilée (jusqu’à 256 000 con­tre 218 000), mais cela n’a pas duré et en 2001 les Arabes galiléens domi­nent par 567 000 con­tre 538 000.

Dans les implan­ta­tions israéli­ennes en ter­ri­toire pales­tinien occupé on retrou­ve de très nom­breux Russ­es. Ain­si 6 000 dans la petite ville d’Ariel, au nord de Jérusalem, 3 000 à Ma’ale Adoumin, à l’est de Jérusalem, et 1 000 à Kyr­i­at Arba, au sud de Jérusalem. On en trou­ve beau­coup aus­si à Jérusalem-Est : la moitié des 33 000 Juifs russ­es de Jérusalem. À tel point que les Juifs sont devenus majori­taires à Jérusalem-Est en 1993. Cepen­dant là non plus cela n’a pas duré et dès 2000 les Arabes y sont rede­venus majori­taires. Sur l’ensem­ble de la ville de Jérusalem, les Pales­tiniens qui étaient 25 % en 1967 sont passés à 35 % en 2000.

Mon­sieur Berthomière ter­mine son exposé par la carte des accords de Camp David (juil­let 2000) avec en par­ti­c­uli­er une bande israéli­enne tout le long du Jour­dain et de la mer Morte et par celle, beau­coup plus raisonnable, des négo­ci­a­tions sans lende­main de Taba (jan­vi­er 2001)

Questions

Que se passe-t-il au Golan ?

Sur le plateau du Golan, en par­ti­c­uli­er à cause de la poli­tique suiv­ie par Ehud Barak, les Juifs sont devenus majori­taires devant les Druzes. Ils y sont désor­mais plus de 16 000.

Votre exposé donne l’impression qu’Israël ne peut vivre que sous perfusion migratoire perpétuelle, est-ce bien votre opinion ?

Je n’i­rai pas jusque-là, mais il est cer­tain que les Israéliens font face à un prob­lème très grave, une véri­ta­ble bombe à retardement.

Comment évolue le niveau de vie des Israéliens ?

Bien enten­du la sit­u­a­tion actuelle reten­tit beau­coup sur la marche de l’é­conomie et donc sur le niveau de vie, mais il y a aus­si une économie souter­raine en plein développe­ment et dont il est dif­fi­cile de mesur­er l’impact.

Y a‑t-il beaucoup d’émigrants qui quittent Israël ?

Cette ques­tion est d’une esti­ma­tion très dif­fi­cile et je suis frap­pé par la rareté de plus en plus grande des ren­seigne­ments à ce sujet. Cepen­dant je peux dire que les immi­grés russ­es et ukrainiens repar­tent très peu. Le fait de devenir rapi­de­ment pro­prié­taires de leur loge­ment con­tribue bien sûr à les séden­taris­er, même si cela entraîne aus­si cer­taines ten­sions avec les jeunes cou­ples israéliens.

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